« Si j’ai le bonheur de tomber au feu (sur la terre de France), je veux qu’on me laisse sur la place même et si l’on peut identifier mon corps, la pierre qui le recouvrira ne devra porter que ces mots : « Robert Demoulin, avocat à la Cour d’appel de Paris ». Vive la France !»
L’homme, qui écrit ces lignes, s’est battu, comme un avocat peut se battre avec une détermination et un courage admirable, pour combattre en première ligne. Maintes fois, il aurait pu, avec les plus justes motifs, rester à l’arrière. Non, il n’envisageait pas, dans cette guerre atroce où l’ennemi héréditaire, le « Teuton », occupait et massacrait la terre de France, ne pas être les armes à la main.
Il est mort « accidentellement » à l’Armée d’Orient le 27 août 1916, à 29 ans.
Robert Demoulin est né à Sens, dans l’Yonne, le 1er janvier 1887. Son père, Maître Théodore Demoulin, est notaire en résidence dans la ville. Sa mère, Marie Fadin, sans profession, est âgée de 30 ans à sa naissance. Il a deux sœurs ainées, Germaine et Marguerite et un jeune frère, André.
Il fait sa scolarité à Sens et quitte le lycée avec un prix d’honneur. Il rejoint le lycée Janson de Sailly pour passer son premier bac de rhétorique et de philosophie. Il enchaine avec un baccalauréat de mathématiques car il veut à se présenter à Polytechnique. Deux années d’études scientifiques et des résultats qui ne sont pas à la hauteur de ses attentes le détournent de ce projet.
En 1907, il entame ses études de droit et est lauréat de la faculté de droit de Paris pour le droit civil. Il poursuit ses études, est lauréat encore deux fois et prépare un doctorat en droit, que la guerre l’empêche de soutenir. Collaborateur de Maître Benech, avoué de première instance, pendant ses études, Robert est admis au stage le 23 novembre 1911.
En 1914, il participe aux travaux de la Conférence du stage et est admissible en juin. Son beau-frère, Henri Normand, avocat au barreau de Troyes, prédit, dans un courrier au bâtonnier du 3 octobre 1916, qu’il aurait été admis au rang de secrétaire pour l’année 1914-1915.
Il est mobilisé le 3 août 1914 dans le 1er Bataillon de Chasseurs à Pied de Troyes, corps dans lequel il avait fait son service militaire en 1909 et 1910. Les Chasseurs à Pied regroupent des hommes plutôt petits, vifs et excellents tireurs. C’est un corps d’élite que sa grave blessure lui interdira de retrouver. Le 1er Bataillon est envoyé en Alsace. Il faut garantir l’inviolabilité de la frontière. Il se trouve dans les Vosges début septembre. Le 6 septembre 1914, un affrontement a lieu à Brû, près de Rambervillers. Robert est blessé grièvement par des balles de shrapnell et un éclat d’obus qui lui emporte la moitié du mollet. Le registre matricule précise qu’il a une plaie au mollet droit avec « perte de la substance extérieure ».
Après presque un an d’hôpital, d’Epinal à Troyes, il est question de le réformer. Pour Robert, inconcevable de rester « embusqué» à l’arrière. « Entre autres blessures, j’avais le mollet droit enlevé, mais après un an d’hôpital, me voici guéri, attendant impatiemment le moment de repartir au feu. », écrit-il au bâtonnier le 9 décembre 1915. Il veut être utile et le fait savoir. Il est versé dans l’auxiliaire, c’est-à-dire dans les services non combattants de l’Armée. Pendant trois mois, il va faire fonction de commis-greffier auprès du Conseil de guerre de la 20ème Région militaire à Troyes.
Afin d’être apte à intégrer un corps combattant, il parcourt plusieurs kilomètres par jour pour rééduquer sa jambe amoindrie. Il demande à se battre et sollicite une affectation dans l’Armée d’Orient. Après avoir subi plusieurs examens qui militent pour la réforme, il obtient néanmoins, grâce à sa farouche volonté qui provoque l’admiration, d’être versé dans le 235ème régiment d’infanterie. Ce régiment est appelé à servir à l’autre bout de l’Europe afin de sauver la Serbie, attaquée par les Allemands et les Autrichiens. Surtout, l’Armée d’Orient a pour objectif de fermer la route du Canal de Suez et de l’Extrême-Orient aux empires centraux.
Arrivé à Salonique, on veut l’affecter au travail administratif. Il proteste et explique qu’il n’est pas venu si loin pour rester dans un bureau. Son colonel, impressionné, le fait nommer sergent et l’envoie en première ligne, à Snévie, en Macédoine. Mais Robert n’est pas satisfait : « Je change tous les jours de position : me voici maintenant à la tête de 15 hommes pour garder un camp d’aviation, encore embusqué quoi !!! ». Ces propos sont datés du 27 août, rapporte l’article du Patriote du 15 octobre 1916. Le jour même, il rencontre un ami pilote et lui exprime le souhait de faire un tour d’avion. Ce dernier y consent et vers 7h du soir, ils s’envolent et après une promenade, l’avion survole le camp à une faible hauteur. Le pilote, pour épater ses camarades au sol, fait quelques courbes hardies. Les témoins voient une aile se détacher et l’avion s’écraser au sol. Les 2 occupants sont morts sur le coup.
Robert est inhumé provisoirement dans le désert, mais sa mère, veuve avant la guerre, entend ramener le corps de « son cher petit savant et travailleur, si bien doué et si bon ». En 1919, elle part en Macédoine récupérer les restes de son fils, qu’elle fera enterrer à Nogent-sur-Seine où elle réside. Elle déploie la même énergie pour son second fils, André, maréchal des Logis au 260e RAC, mort le 23 juillet 1918 en Picardie. Elle veut réunir ses fils auprès d’elle. Ils seront inhumés le 16 décembre 1919 au cimetière de Nogent-sur-Seine après une cérémonie en l’église Saint Laurent. Leurs deux noms figurent côte à côte sur les monuments aux morts de Nogent, celui de Saint Loup de Buffigny et dans le Livre d'Or du Lycée de Sens.
Au Bâtonnier, à qui elle envoie après la guerre des renseignements sur le parcours de son fils en vue du Livre d’or, elle ajoute : « Je ne parle pas de ma douleur inconsolable. Cette horrible guerre m’a pris mes deux fils. »
Citations et décorations :
- Cité à l’Ordre de la Division à titre posthume :
« Excellent sous-officier, très grièvement blessé le 6 septembre 1914, a fait tous ses efforts pour retourner au front, en dépit de ses blessures qui l’avaient fait classer dans le service auxiliaire. Mort à l’Armée d’Orient, le 27 août 1916, accidentellement. »