Le 22 mai 1916, les troupes françaises devant Verdun ont reçu ordre de reprendre Douaumont. Coûte que coûte.
La grande offensive ennemie, débutée le 21 février précédent, a été stoppée au prix de pertes terribles. La ligne de front a été enfoncée et Verdun est menacée. La ville ne doit pas tomber. L’enjeu est non seulement stratégique, il est symbolique. Les Allemands ont annoncé que la prise de Verdun signerait leur victoire et la fin de la guerre.
Les Français aspirent tous à la fin de la guerre, mais exècrent l’idée d’une victoire allemande. La plaie non cicatrisée de 1870 est à vif depuis l’invasion de 1914.
Jacques Delpy est sergent brancardier. Depuis le début de la guerre, il se faufile dans les tranchées, se fraye un chemin dans la boue pour aller secourir les blessés, les porter et les amener au poste de secours où ils recevront des premiers soins sommaires avant d’être envoyés vers l’ambulance, hors la zone des combats, puis selon la gravité de leurs blessures, vers l’hôpital d’orientation d’étapes. Les brancardiers sont organisés en Groupe de Brancardiers Divisionnaires et Jacques est attaché à la 5ème Division, commandée par le général Mangin. Il a participé à la première bataille de la Marne en 1914, puis à la première bataille de l’Artois, où il a peut-être croisé son confrère
Pierre Moride devant Neuville-Saint-Vaast, puis encore à la seconde bataille de l’Artois.
On imagine ces brancardiers, essentiellement des hommes qui ont été dispensés du service militaire en temps de paix, des prêtres, des instituteurs, des intellectuels, sans formation militaire, la capote ou ce qui leur tient d’uniforme souillée de boue et du sang séché des blessés qu’ils sont allés relever sur le champ de bataille au péril de leur vie.
Jacques Delpy est de santé délicate, ce qui lui a valu d’être affecté à la 3ème Section d’infirmiers alors qu’il a partiellement effectué son service militaire auprès du 105ème RI à Riom. Il a d’ailleurs attrapé la fièvre typhoïde lorsqu’il a servi dans un hôpital « de contagieux», à Montdidier, auquel il avait été affecté après la retraite de Blamont. Guéri, il a demandé à retourner au front.
Depuis le début de la guerre, les offensives permanentes ont provoqué un flot continuel de blessés. Le rôle des brancardiers est fondamental. Début avril 1916, les troupes de la 5ème Division ont été transportées par camion à Verdun. Le 4 mai, Jacques est renversé par la déflagration d’un obus et reprend immédiatement sa mission, sous les bombardements incessants. Son attitude courageuse lui vaut une citation.
Le 22 mai, jour de la contre-offensive française, l’artillerie ennemie est déchainée, comme à l’habitude. L’artillerie française n’est pas en reste, même si elle n’a pas la puissance de feu de son adversaire teutonne. Dans cet ouragan d’obus, Jacques Delpy fait son devoir et porte secours aux blessés pour les amener à l’arrière. Dans un article publié le 5 juin 1916 par le journal L’avenir du Puy-de-Dome et du Centre, l’auteur le décrit « d’une humeur égale, enjoué, insouciant du danger, il allait soutenir d’un bon mot ses camarades et donnait de lui-même plus que ses forces ne le permettaient ».
Un éclat d’obus le blesse à la poitrine. Il est transporté vers le poste de secours, puis à l’ambulance de Dugny, de laquelle il écrit immédiatement à son beau-frère, l’ingénieur des Arts et Manufactures Aubert qui demeure 9, rue Devès à Neuilly, pour le rassurer et ne pas inquiéter sa sœur, son unique parente. « Blessé légèrement et soigné dans un endroit où il vous est impossible de venir me voir, je ne suis pas en danger. Prévenez ma sœur en douceur. Je lui donnerai des nouvelles tous les jours grâce à la complaisance d’un camarade. »
C’est le médecin-chef qui les informera de son décès survenu le 26 mai.
Jacques Delpy est né le 23 juillet 1887 à Lombez, dans le Gers. Son père, Armand Delpy, est magistrat. Au faîte de sa carrière, il sera avocat général, puis président de chambre à la Cour d’appel de Riom. C’est un homme passionné d’histoire et collectionneur de vieux papiers. Il écrit dans différentes revues de bibliophilie et publie, en 1906, un Essai d’une bibliographie spéciale des livres perdus, ignorés ou connus à l’état d’exemplaire unique. Dans le cadre professionnel, son éloquence est remarquée et son discours à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Riom, consacré au chantage, est encore édité. La mère de Jacques, Marthe Henriette Saint-Martin, est originaire du Gers, ce qui explique sans doute sa naissance à Lombez. Le frère de celle-ci, donc l’oncle de Jacques, Louis Saint-Martin, est avocat à Auch et sera Bâtonnier de l’Ordre.
Jacques passera son enfance et sa première scolarité à Riom, à Sainte Marie de Riom, comme ses confères
Mathély,
Bernet-Rollande et
Oudoul. On le retrouve à leurs cotés sur la plaque commémorative de l'établissement. Ensuite, à Paris, le collège Stanislas, puis Henri IV. Il obtient sa licence en droit le 11 juillet 1908 et s’inscrit au tableau du stage le 3 novembre suivant. Il poursuit néanmoins ses études et devient docteur en droit et diplômé de l’Ecole Libre des Sciences Politiques. Le droit international l’attire. C’est à cette époque qu’il perd ses deux parents.
A l’aube de la guerre, il préparait le concours pour entrer dans la magistrature.
Le 26 mai 1916, il s’éteignait. Il avait 28 ans.
Citations et décorations :
- Décoré de la Médaille des épidémies en 1915
- Cité à l’Ordre n°127 de la 5ème Division, le 4 mai 1916 :
« A fait preuve d’un très beau sang-froid pendant une relève au cours de laquelle, renversé par la déflagration d’un obus, il s’est immédiatement relevé et a repris, sans repos, la direction de ses équipes sans retard et, malgré le bombardement, l’évacuation des blessés vers l’arrière. »
- Médaille militaire et Croix de guerre avec palmes (Ordre D. n°3014 du 26 mai 1916) :
« Gradé d’un courage et d’un entrain remarquables. A été blessé grièvement, le 22 mai 1916, au cours d’un bombardement intense. La présente nomination comporte l’attribution de la Croix de guerre avec palme. »