Avocats morts pour la France
Dèjà peut-être Jean Lelong avait-il vu son destin et le caractère terrible de la guerre qui s’annonçait lorsqu’il écrivait en 1914 : « Lutte vaste, où chaque citoyen figurera sans gloire, et, sur la tranchée assurera, par son obscur sacrifice individuel, le succès de l’œuvre collective. Guerre nouvelle, sans fantaisie, sans éclat, où, sous la pluie monotone et mathématique des shrapnells, s’exprimera un héroïsme abstrait, dépourvu de récompense ».
Le 26 septembre 1914, le soldat allemand, dont la balle le fauche au bord d’une tranchée, ignore les promesses que recelait ce jeune avocat brillant et plein de panache.
Jean, René, Lelong est né le 12 février 1884 à Dreux (Eure et Loir) dans une famille de « robins », comme il aimait à le dire. Son père, Fabien, licencié en droit, est avoué près du tribunal civil de première instance. Sa mère, Marie-Denise, est sans profession, comme il est courant à l’époque, et elle appartient à une famille de médecins. Son oncle, Henry Lelong, est notaire à Nogent-le-Roy (Eure et Loir). L’une de ses sœurs épousera un magistrat, Michel Anty, qui sera juge au tribunal de première instance d’Evreux, puis nommé auprès de celui d’Epernay en août 1914. Son chemin est tout tracé vers une carrière juridique. Il choisira le barreau.
Après une enfance à Dreux, Jean Lelong fait ses lettres classiques au lycée Louis-le-Grand à Paris. Il est féru de littérature, d’escrime et de danse. Licencié en droit, il est admis au Tableau du barreau de Paris le 4 novembre 1907. Il devient le collaborateur d’Henry Lémery, ancien de Louis-le-Grand, élu député de la Martinique en 1914 et futur sous-secrétaire d’Etat de Clémenceau. Tout en commençant son exercice, il poursuit néanmoins ses études et obtient un doctorat en droit en 1909. Sa thèse, consacrée à La vie et les œuvres de Charles Loyseau, est publiée par la LGDJ et obtient un succès d’estime qui n’est pas démenti aujourd’hui.
Charles Loyseau, jurisconsulte du 17ème siècle, a critiqué la dépendance de la justice seigneuriale et a été le premier à conceptualiser les trois ordres, clergé, noblesse et paysannerie. Son amour des lettres et de l’art oratoire pousse Jean Lelong vers la conférence du stage. Il est élu 10ème secrétaire sous le bâtonnat de Fernand Labori (promotion 1911-1912). Cinq de ses pairs, issus de la même promotion, disparaitront comme lui dans la Grande Guerre. Pierre de Chauveron, dans la notice qu’il lui consacre, le décrit : « Le visage est plein et régulier sans aucune fadeur, la couleur ferme et mate, le dessin écrit en courbes modérées qui effacent les angles sans amollir le caractère. De ses yeux clairs on sent peser un regard à peine contraint par une légère myopie, plutôt lourd que mobile, regard qui s’intéresse amoureusement à son objet, même s’il doit finir par s’en moquer très finement. » Il ajoute : « Lelong était mieux doué pour appréhender directement la réalité et la décrire dans sa mobilité que pour la reconstruire selon des lois logiques. Je n’ai pas connu d’esprit moins systématique. Il pensait en artiste que la vérité peut se gouter au contact des faits, il doutait qu’elle put se prouver ».
Jean Lelong, érudit, esthète, nourri d’humanisme, est attiré par le journalisme. A partir de 1914, il trempe sa plume élégante dans la polémique, s’entraine au pamphlet et ne craint pas d’infliger des blessures : compte rendu d’audience, critiques politiques, aucun sujet ne lui échappe. Ses articles sont publiés dans ce qui deviendra l’Oeuvre. Il signe Jean Brezolles, du nom d’un petit village situé non loin de Dreux où son enfance l’a peut-être mené. C’est le piquant de sa plume qui lui vaut un duel à l’épée de combat, dont le Figaro rend compte le 26 mai 2014.
Son témoin est Robert de Jouvenel et son adversaire, A. Martini, est assisté de … Vincent de Moro-Giafferi. Une blessure qu’il inflige au bras droit de son adversaire met fin au combat, tout à son honneur. Un compte rendu d’audience du 30 juillet 1914 révèle ses qualités littéraires: « … Alors, alors s’est dressé comme un glaive M. le bâtonnier Chenu. Sa vertu intacte jeta un froid éclat. Je compris à ce moment ce que sont trente ans de vie professionnelle, d’indépendance quand elles s’appuient sur un caractère. Le dégoût de tous, il le traduisit avec grandeur, au point d’en faire de la beauté. Il arracha d’une main cruelle les derniers voiles et … la nausée brusquement s’acheva en délivrance. Minute suprême où le grand orateur par cent phrases parfaites venge la conscience publique opprimée ». Son style flamboyant lui vaut l’attention et une convocation du Figaro à la veille de la déclaration de guerre. Il ne pourra s’y rendre : il est incorporé au 101ème régiment d’infanterie en qualité de soldat de 2ème classe.
Comme toute sa génération, Jean Lelong a été nourri de grandeur nationale, de sens du devoir et du sentiment de revanche sur les Allemands. Avant son départ, il a exprimé ses émotions : « Les départs sont silencieux. On ne crie pas à tue-tête. Nous ne sommes plus des enfants. L’âme française s’est durcie et rend un son mat de fer : elle égale la légende spartiate. Partir n’est rien lorsqu’on part avec l’assurance du triomphe et de l’ennemi balayé. Nous partons, nous, avec la volonté d’une âpre lutte et d’une résistance intégrale». Le 101ème, qui appartient à l’armée Maunoury, est immédiatement envoyé vers le front, vers la Somme.
Le 23 septembre 2014, la guerre à peine commencée, il a l’ordre de tenir la route Roye-Noyon-Verpillières et d’en interdire l’accès aux Allemands. Ceux-ci sont largement équipés en artillerie lourde qui va déverser ses orages de shrapnels sur les soldats français lesquels, pour se protéger, s’enfoncent dans la terre, construisant tant bien que mal les premières tranchées. Jean Lelong est du coté de Champien, un village occupé par les Français dans le secteur à protéger. Pendant plusieurs jours, la bataille fait rage, les tranchées sont consolidées avec des planches et des madriers pillés dans Champien. Les obus teutons pleuvent tandis que les Français ne disposent, pour grosse artillerie, que d’une batterie de 75 qui ne peut rivaliser avec les canons ennemis. Les soldats sont héroïques. Chaque mètre de terre tenu est le fruit d’un exploit.
Le 26 septembre 1914, cela fait trois jours que le bataillon auquel appartient Jean Lelong est en première ligne, subissant sans relâche les assauts allemands et leur résistant. L’officier de liaison a été tué. Le capitaine demande un volontaire. Jean Lelong s’offre immédiatement. Loin de s’abriter et de ramper vers la tranchée où sa mission l’appelle, il va crânement, narguant l’ennemi et croyant sans doute que le courage et le panache rendent invulnérable. Une balle le fauche en pleine poitrine. Il expire dans les minutes qui suivent. Ses camarades, inquiets de ne pas le voir revenir, vont aller le chercher, l’un y laisse la vie et les autres renonceront provisoirement tant le feu allemand rend toute approche impossible. Son corps ne pourra être récupéré que dans la soirée.
Il est déposé dans l’église de Champien où ses camarades, puis le curé, se recueillent et prient devant la dépouille. Il doit être enterré le lendemain.
Dans la nuit, les bombardements allemands détruisent de fond en comble le village de Champien. Il ne reste qu’un paysage de terre retournée, crevassée, et de ruines. Le corps de Jean Lelong n’est plus que cendres. Le capitaine commandant le 2ème bataillon écrit au père de Jean Lelong pour lui relater les derniers moments de la vie de son fils unique et lui témoigner de l’admiration qu’il éprouvait pour l’élévation de ses sentiments et sa haute culture. Il a perdu un ami.
Le 15 octobre 1927, la Nation va rendre honneur « Aux écrivains morts pour la France ». Dans une solennelle et émouvante cérémonie au Panthéon, en présence du Président du conseil, Raymond Poincaré, et de nombreux ministres, les noms des 560 écrivains combattants, dont celui de Jean Brezolles (Jean Lelong) sont appelés pour leur rendre hommage.
Jean Lelong n’a pas de sépulture.
Son nom repose gravé sur les murs du Panthéon.
Marie-Alice Jourde
Citations :
- Citation à l’ordre du jour du 4ème Corps d’Armée – 15 octobre 2014 :
« LELONG, soldat au 101ème régiment d’infanterie, agent de liaison du 2ème bataillon, s’est distingué, dans plusieurs combats, en portant des ordres, sous un feu violent, et a été tué au combat de Champien, en remplissant volontairement auprès d’un autre bataillon se trouvant engagé, une mission dont il était chargé ».
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Citation à l’Ordre du Régiment : « Soldat courageux tué glorieusement le 26 septembre 1914.
- Télégramme d’Henry Lémery au bâtonnier Henri-Robert
- Lettre du capitaine relatant les circonstances du décès (19 octobre 1914)
- Faire part de décès Lettre de Monsieur Fabien Lelong au bâtonnier
- Notice par Monsieur Pierre de Chauveron, Hommage aux Morts de la Guerre, Association amicale des Secrétaires et anciens Secrétaires de la Conférence des Avocats – 1929
- Mémoire des Hommes : Jean Lelong
- « Le duel d’hier » dans Le Figaro du 26 mai 2014
- Historique du 101ème Régiment d’Infanterie (Ancestramil)
- Récit des « Combats de Champien » 23-29/09/14
- Champien église et du cimetière détruits
- Le Temps du 16 octobre 1927 : « Aux écrivains morts pour la France », l’émouvante cérémonie au Panthéon.
Charles Lavollée appartient à cette génération qui a vécu par procuration la défaite de Sedan, étant né plus de 10 ans après. Il s’est repu de lecture sur le sujet et est devenu un spécialiste de ces évènements qui le hantent – il visite des champs de bataille – et nourrissent sa fibre patriotique et sa haine des Allemands.
En 1914, l’imminence de la guerre avec le voisin détesté est presque un soulagement. Il ne doute pas d’une victoire rapide qui permettra de panser enfin la défaite de 1870.
Charles, Edmée, Joseph Lavollée est né le 20 juillet 1882 à Paris 7ème. Il est le fils de Georges Lavollée, ingénieur des Ponts et Chaussées, et de Marie-Louise Drouard. Et, il est surtout le petit-fils de Charles-Hubert Lavollée, Préfet, spécialiste de l’Asie et de la Chine sur laquelle ce dernier a écrit des articles qui font autorité à l’époque. Ce grand-père, auteur prolixe de la Revue des Deux Mondes, critique et auteur de portraits littéraires, lui a donné son prénom et le désir de s’illustrer.
Charles Lavollée choisit le droit. Il fera une thèse de doctorat. Il prête serment le 20 octobre 1904 et devient le collaborateur de Lucien Baudelot. Il le restera jusqu’à son engagement en 1914. Baudelot, très attaché à ce collaborateur, lui rendra hommage en écrivant une notice pour la revue des Anciens Combattants du Palais.
Les semaines précédant la mobilisation le trouvent à Reims où il s’entraîne dans un camp d’athlètes. Il est enrôlé avec le grade d’adjudant, dans le 224ème R.I. et rejoint Bernay le 4 août. Il ne cherche pas à devenir officier immédiatement, comme ses diplômes le lui permettraient : il veut partager la vie des hommes sur le terrain. Déconvenue lors de son arrivée à Bernay : il a 32 ans et est affecté dans une unité territoriale qui n’est pas destinée au front. Il convainc un camarade qu’il s’agit d’une erreur, qu’il a 10 ans de moins et les deux permutent. Il sera des premiers combats. Il est impatient de partir et d’affronter l’ennemi. Ses lettres montrent un optimisme et une gaité surprenante. Il goûte fort la vie collective de l’armée.
Le 9 août, son régiment, le 224ème R.I. est prêt et est envoyé dans la région d’Etréaupont. Le 23 août, il est à la frontière, cantonné dans la ferme de La Jonqueuse près de Guise. Bien qu’il n’ait pas encore été engagé, son bataillon reçoit l’ordre de se replier. Il combat durement et il défend pied à pied le terrain, infligeant des pertes sévères aux armées allemandes. Cette bataille, appelée « Bataille de Guise », connaît son acmé le 29 août et elle est décisive dans la réussite de la Bataille de la Marne. Elle donne un coût d’arrêt à l’invasion allemande et permet aux armées alliées de s’organiser. Charles Lavollée est aux côtés de ses hommes. Il partage l’épuisement, la privation de sommeil.
Au petit matin du 29 août, son bataillon, toujours cantonné à la ferme de La Jonqueuse, est surpris par des forces allemandes en grand nombre. Nouvel ordre de repli est reçu et les soldats français défendent chèrement chaque pouce de terrain. Une balle allemande le frappe en pleine poitrine. Il s’effondre sans que ses camarades puissent lui porter attention, les ennemis exerçant une pression qui les force à reculer. Comme une vague de boue, les troupes allemandes engloutissent le corps des soldats tombés au combat.
La dépouille de Charles Lavollée est recouverte par l’avancée de la coulée allemande. Son corps ne sera jamais retrouvé.
Ses parents, dans l’ignorance de son sort, vont espérer pendant toute la guerre que leur fils unique a survécu. Peine perdue. Aucun signe, aucune nouvelle ne parviendra après la victoire. Charles Lavollée avait rêvé de participer à la guerre : « je mourrai en bon français d’abord, en bon chrétien ensuite. Je serai heureux d’avoir donné ma vie pour le pays… Un pressentiment me dit que je serai tué… que mes amis, pères de famille s’en tirent, c’est là mon plus grand espoir ; si quelqu’un doit y rester, que ce soit moi : au moins, je ne laisserai personne derrière moi, sinon mes parents. Je leur demande avec insistance de se consoler en pensant que je suis heureux de mourir proprement. Je termine en vous disant un grand adieu. Je crois fermement que nous nous retrouverons là-haut, car j’aurai, je le sens, beaucoup de courage, froidet sans témérité. Et maintenant, avec sang-froid, calme, plaisir même, je vais où mon devoir m’appelle. Ne me plaignez pas, car je pars avec résolution et marche à la bataille sans regret, même si la mort m’y attend ».
Marie-Alice Jourde.
Citation et décorations :
- Médaille militaire et Croix de guerre avec étoile de bronze à titre posthume :
« Adjudant chef de section brave et énergique. Mort glorieusement pour la France, le 28 août 1014, à la ferme de La Jonqueuse».
- Portrait de Charles Lavollée
- Lettre du 10 mars 1919 au bâtonnier du cousin de Charles Lavollée
- a href="/images/14-18/avocats/l/Lavollée_noticeAC.pdf"""Notice de Lucien Baudelot, lue par Paul Carteron, Livre d’Or - Groupe des anciens Combattants du Palais - Tome 1 (1930)
- Mémoire des Hommes : Charles Lavollée
- Œuvres de son grand père, Charles Hubert Lavollée