Avocats morts pour la France
Jacques Sabatier voit le jour le 5 janvier 1883 à Paris, 2, rue Saint-Simon dans le 7ème arrondissement. Les lignées paternelle et maternelle lui offrent déjà des exemples de prestigieuses carrières.
Son père, Maurice Sabatier, issu d’une lignée de notaires du Languedoc, est déjà un avocat illustre parmi ses pairs. Ancien secrétaire de la Conférence, Président de la Conférence amicale des secrétaires et anciens secrétaires de la Conférence des avocats, il a choisi d’être avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. En 1911, il sera même Président de l’Ordre des Avocats aux Conseils. En 1884, il est élu maire de Viry-Chatillon, siège de la propriété familiale de sa femme, mandat qu’il exercera pendant 25 ans. Maurice Sabatier acquiert une notoriété par son activité de jurisconsulte : il contribue à l’exégèse du Code civil et du Code criminel, élaborant une théorie sur la psychologie juridique de Napoléon ; il s’implique dans le contentieux de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ses travaux lui valent d’être membre de l’Institut et d’occuper le 5ème siège de l’Académie des Sciences morales et politiques. C’est Alexandre Millerand qui lui succèdera et fera de son panégyrique une biographie.
Côté maternel, on est loin d’avoir la chaleur méridionale des Sabatier. La mère de Jacques est une Polonceau. Dans cette famille de la haute bourgeoisie, la rigueur scientifique tempère l’expression des sentiments. Marceline Polonceau, sans profession, est petite-fille, fille et nièce des polytechniciens et ingénieurs qui ont multiplié les brevets dans les domaines les plus techniques : Antoine-Rémy Polonceau a conçu, entre autres, le Pont du Carrousel à Paris et il innove en élaborant un pont en arc alors que l’usage est aux ponts suspendus. Son fils Camille invente un système de charpente en bois et fer pour les chemins de fer et crée le train impérial de Napoléon III. Le cousin germain de Camille, Ernest Polonceau, améliore les moyens de traction des locomotives à vapeur. A l’initiative de Gustave Eiffel qui voulait honorer les grands scientifiques français, le nom de Polonceau est gravé sur la Tour Eiffel. Jacques grandit entre Paris et la maison de Viry-Chatillon où ce sont ses parents qui s’occupent de son éducation. Raymond Poincaré, dans la notice qu’il consacrera après sa mort à Jacques Sabatier, raconte comment ce décor privilégié et charmant inspire Jacques qui y compose des poèmes, monte des revues et joue l’acteur comique.
A l’âge du collège, ses parents l’envoient suivre l’enseignement du collège Stanislas. Dès 1901, à 18 ans, Jacques s’engage pour effectuer son service militaire, il est affecté au 76ème régiment d’infanterie. Il s’ennuie et n’aime pas la discipline dont il ne comprend pas la finalité. Son service accompli, il se dirige vers le droit. Licencié en 1905, il prête aussitôt serment et s’inscrit au tableau du stage.
Dans la foulée, il obtient une licence de lettres, puis se présente au concours de la conférence du Stage. Il est brillamment élu 3ème Secrétaire en 1907.
C’est dans le cabinet de Raymond Poincaré, qui est alors sénateur de la Meuse et a été trois fois ministre, qu’il fait ses premiers pas d’avocat tout en poursuivant une thèse de doctorat qu’il n’achèvera qu’en 1914.
Marié en 1911 (Raymond Poincaré est son témoin), il est père de deux petits garçons, Henri et Pierre, quand la guerre est déclarée.
A la mobilisation, il endosse son uniforme de lieutenant et rejoint le 355ème régiment d’infanterie basé à Châlons-sur-Marne. Le régiment est rapidement transporté en Woëvre, le long de la Meuse, pour compléter les organisations défensives. Jacques Sabatier est retenu à Châlons comme officier d’approvisionnement. Il peste et se sent humilié, lui qui veut participer à la reconquête du pays.
Devant l’avancée forcenée des Allemands en Champagne, les troupes de réserve sont évacuées à Saint-Brieuc. Jacques souffre de se sentir inutile alors que d’autres se battent et risquent leur vie.
Fin septembre, il rejoint enfin le front en Artois. Son régiment a été déplacé dans la Somme. Il a été sans cesse engagé depuis le début des hostilités. Les attaques et contre-attaques se succèdent avec leurs lourds lots de victimes. Début octobre, ordre est donné de reprendre le village de Beuvraignes. Les soldats sont exténués, mais le moral est encore fort. La canonnade ennemie, loin de décourager les hommes, les provoque et les stimule. Puisant dans leurs forces, ils reprennent Beuvraignes aux Allemands. Jacques Sabatier est blessé, mais refuse d’être évacué, tout à son devoir.
De mars à juillet 1915, le régiment tient le secteur de Bienvillers-Hannescamps, près de Monchy, dans l’Artois. Les soldats sont en première ligne. Les obus allemands pleuvent quasiment sans interruption. Le 16 avril 1915, l’un d’eux explose dans la tranchée occupée par Jacques Sabatier et ses compagnons d’armes. Il est enseveli. Lorsque ses camarades le retrouvent, il est inanimé et un éclat d’obus a fracturé son crâne. Il est évacué vers l’Ambulance d’Henu et meurt le surlendemain sans avoir repris connaissance.
Sa femme et son père ne se remettront jamais de cette disparition. Elisabeth ne quittera plus les vêtements noirs du deuil jusqu’à la fin de sa vie. Maurice Sabatier s’éteindra le 22 mai 1915, un mois après le décès de son fils bien-aimé.
Le 24 septembre 1914, alors qu’il savait qu’il pouvait perdre la vie à tout moment, Jacques Sabatier a rédigé son testament. Il léguait 10 000 francs à l’Ordre des avocats pour qu’un prix soit remis chaque année à un jeune avocat. Depuis janvier 1920, c’est un Secrétaire de la Conférence qui le reçoit à chaque Rentrée du barreau … ignorant sans doute, jusqu’à présent, à qui il le doit. La tradition familiale se perpétue, puisque deux arrière-petits-enfants de Jacques Sabatier, David et Anne-Sophie, sont avocats au barreau de Paris.
Michèle Brault
Citations et décorations :
- Chevalier de la Légion d’honneur. Croix de guerre.
Cité à l’ordre de l’Armée :
« Officier d’une valeur et d’une modestie rares, possédant de belles qualités morales et militaires. Blessé une première fois au combat de Beuvraignes, n’a pas voulu être évacué et a conservé le commandement de sa compagnie. N’a cessé d’être pour ses hommes un bel exemple d’énergie. A été blessé mortellement à son poste de commandement ».
- Portrait de Jacques René Siméon Sabatier
- Lettre de Me Albert Salle au bâtonnier (19 avril 1915)
- Notice par M. Raymond Poincaré, Hommage aux Morts de la Guerre. Association amicale des Secrétaires et anciens Secrétaires de la Conférence des Avocats (1929)
- Photo du bureau de Maurice et Jacques Sabatier (don de M. David Sabatier)
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Mémoire des Hommes : Jacques Sabatier
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Gallica : Nécrologie, Bulletin de l'Institut Catholique 1915
Il a, avant tout, laissé le souvenir d’un poète. Le devoir, les vicissitudes de la vie obligent parfois à suivre un chemin qui n’est pas celui qui vous convient le mieux. Charles Simon était un amoureux de la langue française, de la poésie et de la musique. Il était aussi avocat.
Il est né le 29 juin 1882 à Paris dans une famille originaire de Normandie. Son père, Aimable Corentin Simon, est médecin dans le 15ème arrondissement. Sa mère, Elise Mouchet, ne travaille pas. Le témoignage d’un de ses amis et confrères, Louis Raveton, dans l’Anthologie des écrivains morts à la guerre, est précieux en ce qu’il révèle un intérieur modeste, une enfance laborieuse, une humilité qui marqueront la personnalité de Charles. Comment ce climat modeste a t-il influé sur l’enfant ? Charles restera toute sa courte vie mystérieux, impénétrable, même énigmatique pour ces proches. Sa photo montre un visage presque trop sérieux, des yeux scrutateurs, inquiets, soulignés par des poches étonnantes pour son âge. Charles reste lointain.
Après une scolarité au lycée Buffon, il s’inscrit à la faculté de droit et obtient sa licence en 1902. Il fait ensuite son service militaire, puis s’inscrit au tableau du stage le 2 décembre 1904. Il poursuit ses études jusqu’au doctorat en droit, qu’il soutient en 1908. Il est Lauréat de la faculté de droit de Paris.
C’est un catholique fervent. Sa sensibilité artistique s’exalte à l’écoute de la musique religieuse, en particulier les chants anciens du temps des cathédrales. En 1906, il participe avec 6 amis à la création d’une chorale d’enfants pour faire renaître l’amour des chants grégoriens. La chorale est implantée dans le 15ème arrondissement et chacun met 20 francs par trimestre. La première répétition a lieu le 10 janvier 1907 et le premier concert le 18 juillet 1907 à l’Institut Catholique. La Manécanterie des Petits Chanteurs à la Croix de Bois est née.
En 1910, Charles Simon fait un voyage de plusieurs mois avec son ami Louis Raveton. Ensemble, ils visitent la Grèce, l’Asie Mineure, le Mont Athos, Constantinople.
Son talent d’écriture exprime son imagination et sa complexion délicate. Il écrit des poèmes, la nature l’inspire. En 1912, son premier recueil, La Flûte enguirlandée, est publié chez Jouve. Louis Raveton mentionne également deux pièces en vers, Pierrots de France, un conte féerique, et L’Hôtellerie du Pot d’Etain, une comédie, achevées en 1914 et qui devaient être jouées dans deux théâtres parisiens. La guerre interrompt ces projets.
Dès le 2 août 1914, Charles est mobilisé au 28ème régiment d’infanterie et rejoint Evreux en qualité de sergent. Rapidement, les troupes sont envoyées en train vers la Belgique occupée. Le régiment prend position sur la Sambre. Avant même la fin du mois d’août, il reçoit l’ordre de se replier. Dans des conditions très difficiles, il se repositionne près de Guise où il a l’ordre d’empêcher l’ennemi de franchir les ponts. En sous-nombre, c’est une mission de sacrifice. Le régiment va connaitre l’enfer des bombardements ininterrompus avant les corps à corps sanglants pour défendre chaque pouce de terrain.
En septembre, il participe à la première Bataille de la Marne. Il va demeurer quatre mois dans le secteur de Maricourt, se formant à la guerre de tranchées.
Le 22 avril 1915, il est rappelé à l’arrière pour prendre du repos avant l’offensive d’Artois. Celle-ci débute le 9 mai. Toutes les forces françaises présentes dans ce secteur sont jetées dans la bataille pour occuper les Allemands et aider au succès de la Bataille de Champagne. Le 28ème RI est dans le secteur de La Targette et Neuville-Saint-Vaast. Après un bombardement méthodique et destructeur, les troupes attaquent, la baÏonnette au fusil. Les hommes sont fauchés par la mitraille allemande dès qu’ils franchissent le parapet de leur tranchée. Les affrontements sont des carnages. Pour le seul 15 mai, le 28ème RI perd 1/6ème de son effectif aux abords de Noulette. Les jours qui suivent sont consacrés à la conquête des tranchées allemandes, dans ce secteur baptisé Le Labyrinthe du fait des tranchées et boyaux qui découpent la terre d’Artois.
Le 24 mai, le régiment apprend que l’Italie est entrée aux cotés de la France en déclarant la guerre à l’Autriche. Le 26 mai 1915, ordre est donné de prendre possession de la Tranchée des Saules. La 7ème et la 8ème compagnies parviennent à atteindre la Tranchée mais ne peuvent s’y maintenir, les mitrailleuses allemandes décimant les hommes. C’est un massacre. La 6ème compagnie, celle de Charles Simon, se porte à leur soutien et saute dans la tranchée. S’ensuit un corps à corps sanglant et inhumain pendant deux heures avant qu’elle doive se retirer, submergée par le nombre des soldats allemands qui reçoivent des renforts. Elle a perdu la moitié de son effectif. Charles Simon ne fait pas partie des soldats qui reviennent. Il est porté disparu. Le 28ème régiment a perdu 848 hommes et 21 officiers ce jour-là.
L’Ordre, n’ayant aucune information, mènera une enquête en 1920 sur les circonstances de sa disparition, ne sachant « s’il faut effacer ou omettre ».
L’Armée décernera une décoration à Charles Simon, convaincue qu’il a été « tué à l’ennemi».
Michèle Brault
Citations et décorations :
- Médaille militaire et Croix de guerre à titre posthume
« Sous-officier énergique et brave, ayant toujours donné l’exemple du devoir. Tué glorieusement, le 26 mai 1915, à Noulettes. Croix de guerre avec étoile de bronze ».
- Portrait de Charles, Eugène, Auguste Simon
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Lettre de compte rendu au bâtonnier (22 octobre 1920)
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Lettre de Madame Simon (14 novembre 1920)
- Mémoire des hommes : Charles Simon
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Hommage du 28ème RI à Charles Simon (site personnel)
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JMO commenté du 28ème RI de 1915 (site personnel)
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Gallica : Historique du 28ème RI
- Les Petits Chanteurs à la Croix de Bois