« Il était grand, fort, de large carrure, conservant sous son physique élégant d'homme du monde, la robustesse des montagnards cévenols dont il descendait. Son regard était droit, sa poignée de main ferme. Son extérieur, involontairement un peu froid, déroutait ceux qui ne le connaissaient pas. Son désir d’affabilité n’arrivait pas à triompher chez lui d’une sorte de pudeur huguenote à ne pas se livrer à d’autres qu’à ceux qu’il avait choisi pour amis. » telle est la description que fit Jean-Paul Coulon de son ami et confrère Jacques Silhol.
Jacques Silhol nait le 9 septembre 1884 dans le 8ème arrondissement de Paris. Son père, Louis Silhol, est général, son grand-père, Alfred Silhol, fut député, sénateur du Gard.
D’après Jean-Paul Coulon, « Il possédait l’intelligence la plus large et la plus solide, qu’il avait patiemment cultivé ». « De ses études, il conserva le souci de l'élégance littéraire, l'amour des idées générales. Il était épris de la culture pour elle-même et non comme d’un moyen de triompher des autres dans la concurrence de la vie. Il eut désiré se consacrer, d'une façon désintéressée, à rechercher, dans l'histoire, la source des grands problèmes sociaux qui le passionnait. »
Jacques Silhol était diplômé de l’école de sciences politiques, licencié ès lettres et Docteur en droit.
Après avoir terminé ses études, Jacques Silhol est inscrit au stage le 3 novembre 1908. Si l’avocature lui avait été presque imposée par son père, elle le conquis néanmoins, lorsqu'il reconnu combien elle était compatible avec ses goûts d’intellectuel et de lettré au point de devenir Secrétaire de la conférence du stage, promotion 1912–1913.
Dès la mobilisation, il rejoint le 256ème régiment d'infanterie avec le grade de lieutenant de réserve. Son régiment est au premier rang des combats dans les Vosges puis en Artois où il sera particulièrement touché par les carnages : « J'ai l’âme envahie d'un véritable désespoir de vivre au contact de toute cette misère, de toute cette barbarie. Il me faut toutes les raisons que j'ai ruminé depuis plusieurs années en prévision de ce conflit et l’espoir de vous revoir pour me donner le courage de traverser ces horreurs. Sans chercher la première occasion de me faire tuer pour ne plus voir ça. Moi qui aurais tant voulu répandre le bien et l’amour autour de moi, être condamné de vivre cette vie de haine et de déstructuration ! » écrira t-il à sa mère.
Toutefois, « il était toujours gai et de bonne humeur, acceptant sans se plaindre les ennuis et les fatigues de chaque jour » comme le rapportera son commandant. Un poste à l’état-major de la brigade lui sera proposé mais Jacques Silhol refusa en expliquant : « Mes hommes auraient eu trop de chagrin, ils me l’ont exprimé si gentiment que je ne pouvais les quitter. J’ai refusé. »
Le 14 février 1915, il est mortellement blessé par un éclat d’obus au combat de Cambrin- la-Bassée, en entrainant la compagnie du 256ème qu’il commandait, à l’assaut des tranchées allemandes. Il est décédé pendant qu’on le transportait à l’ambulance n°21 de Sailly–Labourse.
Le Caporal Cavallier relata ainsi ses derniers instants : « Par un temps affreux, nous avons pris position dans la boue jusqu'aux genoux, recevant l’eau glacée sur les épaules et nous sommes restés assis abominablement arrosés de balle et de mitraille pendant 25 heures. Je ne crois pas que physiquement et moralement il soit possible d’endurer plus que nous avons supporté. Les souffrances physiques ont d’ailleurs été moindres que les autres. A 10 heures du matin, après une furieuse canonnade des tranchées boches, l’ordre d’assaut a été donné. D’un seul bon les deux compagnies de première ligne sont parties et presque aussitôt, au milieu de la fusillade infernale, le bruit courait : « Ils sont dedans ». Au même moment, un obus arrivait sur nous, en plein sur ma section, éclatait avec un bruit formidable et nous couvrait de terre et de boue. Abrutis par l’explosion, tout en me tâtant, je cherchais parmi mes hommes ceux qui avaient pu être touchés. Personne ! J’étais déjà prêt à lancer une blague et à allumer ma cigarette, lorsque, sur ma gauche, j’aperçus mon commandant de compagnie, un lieutenant dont vous connaissez la famille, Jacques Silhol, fils du général, neveu du conseiller général du Gard, avocat à Paris, étendu sans mouvement dans la tranchée (…).Chez sur lui je vis un grand trou dans sa capote, du côté droit, un peu en arrière. (…) Avec une énergie est un courage admirable, il me dit : mon pauvre Cavallier, je n'en ai pas pour longtemps. J'ai reçu un coup terrible et je dois avoir la colonne vertébrale atteinte. Voyez, mon bras droit est déjà paralysé. Mes pauvres parents, comme ils vont avoir de la peine. Je vais vous donner leur adresse. Vous leur direz que je suis mort en brave, à mon poste de combat. Prenez les lettres que j'ai dans ma poche ; prenez l'argent de la compagnie… Comme je souffre et que la mort est longue à venir. Mettez mes mains sur ma poitrine. Croiser mes doigts. Ma pauvre 22e. Je vais la quitter. Dites-leur à tous ce qu’ils étaient pour moi, de bons camarades, que je les aimais bien…. »
De même, le Commandant Bordeaux écrivit à ses parents : « Je tenais à vous dire moi-même que votre fils est mort en héros. Il nous fut apporté de la tranchée sur une civière. Nous l’entourions tous, désespérés de le voir frappé sans espoir. Il ne voulait pas être plaint, désirant mourir en brave. Il me fit approcher pour me dire tout ce qui devait vous êtes rapporté. Il souffrait beaucoup. La paralysie le gagnait. Il avait hâte de ne rien oublier. Puis il me remercia. Il eut encore la force de nous sourire en nous disant adieu. Sa seule préoccupation a été la douleur des êtres aimés ».
Le 23 février 1915, c’est une mère éplorée mais admirative qui écrit au Bâtonnier : « Monsieur le bâtonnier, j'ai la très grande douleur de vous faire part de la mort héroïque de mon fils ainé, Jacques Silhol, Lieutenant au 256ème régiment d’infanterie frappé mortellement, à la tête de sa compagnie par un obus, le 14 février au moment où il allait soutenir une autre compagnie déjà engagée. Parti dès le deuxième jour de la mobilisation il n’avait pas un seul instant abandonné sa périlleuse tâche. Ses chefs en nous faisant part de sa fin glorieuse écrivirent : notre seul regret est de n’avoir pas attaché sur son uniforme la Croix des braves pour laquelle il s’était proposé. Ces dernières paroles ont été : « je suis content de mourir ayant été frappé pour mon pays à la tête de ma compagnie ». Vous savez que mon fils avait eu l’honneur de faire partie du Secrétariat de la Conférence des avocats. Il adorait sa carrière et nous avait souvent dit combien vous aviez été accueillant et bon pour sa jeunesse enthousiaste qui voulait bien réaliser un admirable rêve patriotique. Attaché au cabinet de Maître Jallu depuis quelques mois, il appréciait hautement cette faveur. Je ne sais malheureusement pas où et comment atteindre celui qui fut pour lui le Meilleur des guides et des amis. J’aurai une grande reconnaissance si vous pouviez lui faire savoir la triste nouvelle. Mon fils bien aimé repose maintenant dans le petit cimetière de Sailly- Labrousse près de Béthune, où une main amie a veillé ce qu’il fut pieusement enseveli. Son père, ses trois frères, servent la France. Mon cœur brisé ne veut pas faiblir devant le noble sacrifice que Dieu lui impose. Croyez Monsieur le Bâtonnier à ma haute considération. »
Ses trois frères cadets, Emile, Maurice, mobilisés comme lui, et Olivier, engagé volontaire, reviendront sains et saufs.
Ses parents publieront un recueil de lettres en hommage à leur fils disparu : échange de correspondances avec Liautey, ami de longue date, ainsi que deux de ses lettres de guerre. L'une écrite la nuit de Noel 1914 et l'autre la veille de sa mort, le 13 février.
Citations et décorations :
- Cité à l’Ordre de la 10ème Armée n° 53, du 4 mars 1915 :
« Se portant en tête de sa compagnie pour renforcer la ligne de feu, a été frappé mortellement par un obus, et a dit à haute voix aux brancardiers qui l’emportaient qu’il ne regrettait rien puisqu’il mourait pour son pays ».
- Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume, par arrêté ministériel du 17 avril 1920.