Si la valeur n’attend point le nombre des années, l'âge avancé révèle parfois un courage certain.
Louis Marie Philippe Régnier, que ses presque 54 ans auraient pu mettre à l’abri du service, s’est porté volontaire pour rejoindre l’armée et défendre sa patrie. Il avait de qui tenir. Son père s’était lui aussi engagé volontaire lors du siège de Paris par les prussiens en 1870 et la capitulation impériale l’avait désespéré. Cette douleur partagée par toute une génération, a été transmise à Philippe Régnier qui veut contribuer à la revanche et à la reprise de l’Alsace Lorraine.
Philippe Régnier est né le 7 novembre 1860 à Paris. Son père, Adolf Régnier, est avocat. Il est le fils de Jacques Auguste Adolf Régnier, membre de l’institut, ancien précepteur du comte de Paris, le fils de Louis Philippe, et un grand connaisseur de la langue et de la culture allemande. Il a occupé les fonctions de sous-bibliothécaire à l’Institut, sans doute grâce à son père, et a assuré l’édition scientifique des mémoires du Duc de Saint Simon, publié chez Hachette. L’oncle maternel de Philippe Régnier, Jules Delasalle, est également avocat. Ce sont ces qualités qui apparaissent sur l’acte d’état civil.
La vocation de Philippe Régnier pour le Barreau s’exprime pourtant tardivement. Il est inscrit au tableau le 17 novembre 1897. Il a 37 ans. Difficile de savoir ce qu’il a fait auparavant. Il semble qu’il ne se soit pas marié et se soit occupé de sa mère, que l’on voyait régulièrement à son bras dans le quartier de Saint-Thomas-d’Aquin. Devenu avocat, il publie des ouvrages qui montrent la diversité de ses centres d’intérêts. Ses études juridiques sont consacrées à La condition des enfants naturels dans le droit ancien (1909), La répartition des héritages et Droit français et droit canadien. Très chrétien, il participe au Dictionnaire de biographie, d’histoire et de géographie ecclésiastique par la rédaction d’un article sur « Les assemblées de Clergés ». Il propose également, en 1907, dans Le Correspondant, une analyse de « L’édit de Nantes et son application ». Enfin, il est l’auteur de plusieurs romans publiés en feuilletons dans Le Correspondant, La Revue Hebdomadaire et L’Eclair. L’un d’eux, "La Maison Neuve", devait être publié par la librairie Perrin en 1914. La mobilisation a interrompu le projet.
Philippe Régnier est d’abord affecté au 13ème régiment d’infanterie territoriale. Les RIT, qui regroupent les hommes jugés trop âgés pour se battre en première ligne, opèrent à l’arrière et sont affectés à la garde de sites, de matériels ou de prisonniers. Il participe aux actions du Génie. Le 13ème RIT est donc au service de l’arrière, il garde les voies de communication autour de Compiègne, escorte des prisonniers ou du matériel et installe des terrains d’aviation. Grande déception pour Philippe Régnier qui veut être au cœur des combats.
Il demande une nouvelle affectation et en mai 1915, rejoint le 80ème RIT qui est à pied d’œuvre en Belgique. Bien que « territorial », le 80ème se bat depuis le début de son engagement en août 1914. Composé de vétérans, il a glorieusement participé à la bataille de l’Yser, laquelle a permis d’arrêter le mouvement de contournement des allemands. L’hiver dans les Flandres a été rude et en avril, les allemands qui n’ont pas renoncé à passer, ont envoyé pour la première fois des nappes de gaz toxique et des obus asphyxiant.
C’est à un moment d’accalmie relatif que Philippe Régnier arrive. Les positions sont arrêtées et les tranchées de première ligne sont organisées aux abords d’Ypres, vers Woerten, Boeslinghe et Ost-Capelle. Toutefois, les bombardements par avion ne cessent pas, non plus que le feu nourri de l’artillerie ennemie. Les pertes sont quasi quotidiennes. Philippe Régnier se fait remarquer dans son bataillon par sa bravoure, sa modestie et sa piété. On le surnomme « Le Saint ».
Le 3 décembre 1915, à Boeslinghe, il veut vérifier si l’un des tirs de la compagnie atteint bien l’emplacement des batteries allemandes. Le colonel Turin, qui écrit à son frère pour annoncer sa mort, décrit les circonstances : « Ce brave officier, si aimé et si estimé de tous au régiment et particulièrement de son colonel, a été tué net le 3 décembre vers 3h30 de l’après-midi dans les tranchées de première ligne, d’une balle au cou qui a tranché la carotide. Très courageux et même parfois téméraire, malgré son âge, il a voulu suivre par-dessus le parapet le résultat d’un de nos tirs. Hélas, les guetteurs allemands, très près à cet endroit (50 à 60m), l’ont vite repéré. » L’un de ses pairs, le capitaine Thomasset, écrit lorsqu’il apprend le décès de Philippe Régnier : « Encore un brave cœur qui disparaît ! Aussi bon que modeste. »
Son frère Robert, dans une lettre adressée au bâtonnier lui rendait ainsi hommage : « Le frère que nous pleurons était un homme d'une réserve et d'une modestie excessive, simple en toutes choses, profondemment chrétien. Nous savions quel courage se cachait chez lui sous une apparente timidité et qu'il irait toujours, sans se soucier du danger, là où il pourrait être le plus utile. Il semble qu'il n'ai vécu que pour se préparer à sa mort glorieuse; qu'elle était le but invisible vers lequel il tendait. » (lettre du 9 janvier 1916)
Michèle Brault
Citations et décorations :
- Cité à l’ordre 115 du régiment, le 22 décembre 1915
« Bien que dégagé de toutes obligations militaires, le capitaine Régnier avait demandé à passer dans un régiment de l’avant. Il est glorieusement tombé au parapet de la tranchée de Boesinghe. Très estimé de ses chefs, très aimé de ses camarades et de ses soldats, le capitaine Régnier est universellement regretté. Honneur et gloire à la famille Régnier. »
- Cité à l’ordre n°22 de l’Armée, le 10 décembre 1915
« Officier très brave, complètement insouciant du danger ; bien qu’âgé avait été envoyé au front sur sa demande. A été tué d’une balle à la tête tandis qu’il observait l’effet du tir de notre artillerie de tranchée. »
- Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume (31 mars 1920)