Avocats morts pour la France
Robert de Castelli est l’un de ceux qui ont vécu l’enfer de bout en bout : un départ en chantant avec les pantalons garance devenu rapidement le cauchemar des tranchées, les obus, les gaz, la peur, les blessures, les amis qui disparaissent, les corps pulvérisés, les cris, les bruits assourdissants des bombardements ; il a survécu à toutes ces épreuves pendant quatre années de guerre, pour finalement trouver son destin funeste quelques jours avant la fin du conflit, le 2 octobre 1918, à 31 ans.
Il est né le 20 février 1887 à Mustapha (département d’Alger). Son père, Dominique de Castelli, militaire de carrière, connaitra de nombreuses garnisons. A l’aube de la guerre, il est général et vient d’être promu au commandement du 8e corps d’armée. Robert et sa sœur Madeleine ont parcouru la France pendant toute leur jeunesse au gré des postes de leur père. Ils avaient toutefois un port d’attache dans la Vienne, une propriété familiale venant de leur mère, Berthe Marteau, dans le bourg de St Gervais Les Trois Clochers.
Robert fait ses études de droit à la Faculté de Paris et est licencié en 1908 ; il soutient sa thèse de doctorat consacrée à « L’incapacité politique des faillis » publiée en 1912. Il est également diplômé de l’Ecole de Sciences politiques.
Il prête serment le 30 novembre 1909 et demandera par deux fois une suspension de stage pour travailler chez Me Péronne, avoué.
Intellectuel, cultivé, amateur de musique et de poésie, il fréquente aussi bien les écrivains que les hommes politiques ou les journalistes et tout naturellement, malgré son jeune âge, il prend la présidence du cercle Montalembert.
Passionné d’éloquence, il prend plaisir à écouter plaider les illustres Bâtonniers comme ses confrères anonymes. Il aime être en salle d’audience et vivre au rythme du Palais.
La guerre va l’arracher aux prétoires où il avait trouvé sa place et le ramener brutalement dans l’ univers militaire familier dans lequel il a grandi.
A la mobilisation, il est sous-lieutenant au 25e Bataillon de chasseurs cyclistes.
En 1915, Il est promu lieutenant à la bataille de Verdun, puis affecté en mars 1916 au 19e bataillon de chasseurs à pied. Il y restera deux ans et demi, comme agent de liaison, se forgeant de solides amitiés parmi ses hommes comme ses supérieurs. Jusqu’au 2 octobre 1918.
A cette date, son bataillon se trouve à St Quentin qui vient d’être repris à l’ennemi. Il est envoyé à cheval à la ferme de Crépy , siège de la division, avec deux autres cavaliers. Un obus s’abat sur eux, tuant sur le coup Robert de Castelli. Son corps sera ramené et inhumé dans le cimetière de Savy. A St Gervais les Trois Clochers, dans ce Poitou où ils se retrouvaient tous pour les vacances, un hommage lui sera rendu sous forme d'un vitrail dans l'église.
Cité cinq fois, chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume, cet homme doux et empreint d’humanité, a fait preuve tout au long du conflit d’un immense courage, faisant fi des dangers pour accomplir ses missions, accomplir son devoir, confiant dans l’avenir de la France.
Frédérique Lubeigt.
Citations et décorations :
- Cité à l'Ordre de la 12e Division d'Infanterie, le 5 juillet 1916 :
« Jeune officier d'un dévouement extrême, ayant au feu une très belle attitude. Le 23 juin 1916, comme officier adjoint au chef de Corps, s'est signalé par son activité et son sang-froid, remplissant ses fonctions d'agent de liaison, sans arrêt, sous un violent barrage d'artillerie. » - Cité à l'Ordre N° 76 de la 254e Brigade, le 18 octobre 1916 :
« Au cours des opérations de la Somme, du 17 septembre au 10 octobre, en particulier dans la journée du 7, a assuré, avec beaucoup de courage, dans des conditions difficiles et périlleuses, la liaison entre son chef de corps et le commandant de la Brigade. » - Cité à l'Ordre 116 de l'Infanterie divisionnaire de la 106e D. I., le 25 avril 1918 :
« Officier de liaison dévoué et courageux. A exécuté de nombreuses reconnaissances sous les bombardements les plus violents, au cours des combats du 30 mars au 6 avril 1918, rapportant au commandement des renseignements précis et utiles. » - Cité à l'Ordre 131 de l'Infanterie divisionnaire de la 106e Division d'Infanterie, le 13 septembre 1918 :
«Officier de liaison détaché à l’I. D. au cours de nombreuses reconnaissances effectuées en première ligne, pendant les combats du 8 août au 8 septembre 1918, a fait preuve d'un dévouement et d'un courage dignes des plus grands éloges.
A toujours renseigné le commandement, même pendant les plus violents bombardements, d'une façon précise et utile. » - Croix de guerre étoiles d'argent et de bronze
- Chevalier de la Légion d'honneur et cité à l'Ordre de l'Armée, le 13 avril 1919 (Journal Officiel, 15 mai 1919) :
«Ame d'élite et de la plus grande délicatesse de sentiments, caractère noble, ayant du devoir le culte le plus profond ; d'une grande bravoure et déjà plusieurs fois cité. Le 2 octobre 1918, appelé à remplir une mission de liaison, part aussitôt, s'engageant sans hésiter dans une zone particulièrement dangereuse.
Tombé glorieusement frappé dans l'accomplissement du devoir. »
- Portrait de Robert Louis Joseph Albert de Castelli
- Notice lue par M. Jean Gaultier, Livre d’Or - Groupe des anciens Combattants du Palais - Tome 1 (1930)
- Mémoire des Hommes : De Castelli Louis Joseph Albert Robert
- Archives départementales de Belfort - Registre matricule Belfort R270 n°1161-1600 : RM n° 1259 p. 167
- MémorialGenWeb : de Castelli
Vitrail commémoratif de l’église St Gervais et St Protais - St Gervais Les Trois Clochers - Gallica
Nécrologie :
Journal des débats politiques et littéraires, 27 octobre 1918
Le Figaro, 26 octobre 1918
Ary Henri Chardon naît le 1er juin 1889, à Paris.
Il est le fils d’Anna Casson et de Georges Henri Chardon, conseiller d’Etat, membre de l’Académie des Sciences morales, qui effectua une longue et brillante carrière de haut fonctionnaire au sein de divers ministères et établissements publics. Pourtant, cet ancien élève des Beaux-Arts aurait pu choisir une tout autre voie car son talent était bien réel : l’aquarelle, le dessin et l’écriture occupèrent une grande place dans sa vie, en marge de ses occupations professionnelles.
Cette passion artistique ne fut pas sans influence sur les aspirations poétiques de son fils Ary qui publiait à 20 ans un recueil de poèmes remarqué : « Les Voix de la Forêt ».
C’est dans une atmosphère mêlant le droit, la peinture et l’écriture, qu’il grandit avec sa sœur et son frère, entre la vie parisienne et les vacances à Barfleur qu’affectionnaient ses parents.
Ses études de droit furent brillamment menées, mais il était bien davantage intéressé par celles d’histoire et plus particulièrement celle des idées en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle. La guerre ne l’en détournera pas et il publiera, quelques mois avant d’être tué au combat, un ouvrage consacré à Charles James Fox : « Fox et la Révolution française ».
A l’heure des choix qui dirigent une carrière, il privilégie le monde du droit, comme son père, et plus tard son frère (qui deviendra conseiller d’Etat) : il choisit d’embrasser la carrière d’avocat. Il est inscrit au Stage le 13 janvier 1914.
En août 1914, il est sergent au 46e RI. Il est grièvement blessé pendant la retraite qui voit redescendre le 46e au-delà de la Meuse. Rétabli, il est affecté comme agent de liaison, puis délégué à l'administration militaire à Thann, capitale de l’Alsace française, reprise dès le début de la guerre à l’Allemagne par les troupes françaises. Il y côtoya peut-être son confrère Jean Bénac, également sergent au 46e RI, agent de liaison, détaché à l’administration de la ville, et tué le 14 décembre 1914 lors d’un bombardement de la ville.
En juin 1916, il passe au 43e RIT, puis en janvier 1917, il est affecté au 15e régiment des chasseurs à pied. Après plusieurs mois passés en Italie dans le secteur de Monte Tomba pour consolider les positions alliées, le 15e RCP rejoint le nord de la France. Il participe à la 3e Bataille des Flandres au Mont Kemmel, puis rejoint la ligne de front en Argonne pour contrer l’une des dernières grandes offensives allemandes. C’est là que le sous-lieutenant Ary Henri Chardon (il venait d’être promu en juin) trouvera la mort, dans le secteur de Beuvraignes, le 22 août, atteint par un obus au cours d’une reconnaissance menée avec bravoure sous un bombardement.
La nouvelle de sa mort arriva jusqu’aux habitants de Thann que son chemin avait croisé quelques années auparavant. Son souvenir ne les avait pas quittés :
« La mort du sous-lieutenant Henri Chardon glorieusement tombé au Champ d’Honneur met en deuil nos cœurs d’Alsaciens français.
Sa bonté, sa simplicité, son courage lui ont acquis spontanément notre affection si jalouse de se donner.
Il s’est assis à nos foyers comme un frère ou comme un fils, aussi nous le pleurons comme un des nôtres et des meilleurs…. »
Ces quelques mots furent adressés à son père, Georges Chardon, sur une carte couverte de signatures, hommage émouvant des alsaciens de Thann à ce jeune soldat qui était devenu leur ami. Très touché, M. Chardon offrit en 1920 à la ville, « capitale de l’Alsace française » un monument en souvenir de son fils.
Historien et poète, son nom figure sur la plaque commémorative du Panthéon et est cité dans l’Anthologie des écrivains morts à la guerre 1914-1918.
Frédérique Lubeigt.
Citations et décorations :
- 1° Cité à l'Ordre de l'Armée :
« Le 22 août 1918, sous un bombardement des plus violents, a continué la reconnaissance dont il était chargé, avec le courage calme qui faisait l'admiration de tout le 15e Chasseurs. A été tué en accomplissant sa mission. »
- 2° Cité à l'Ordre de l'Armée :
« Officier d'élite, âme délicate, esprit aussi ouvert que modeste, le sous-lieutenant Chardon, par toutes ses qualités, reste une des plus belles figures du bataillon. »
- Croix de guerre
"A la mémoire d'Henri Chardon sous-lieutenant au 15e Chasseurs à Pied tué le 22 août 1918 et en souvenir de tous ceux qui sont tombés à l'aube de la victoire"
- Portrait de Ary-Henri Chardon
- A la mémoire de Ary-Henri Chardon
- Hommage de la population de Thann
- Mémoire des Hommes :
Chardon Ary Henri
JMO 15e BCP 22 août 1918 p. 76/97 - Monument Chardon à Thann
- MemorialGenWeb : Chardon Ary Henri dit Henry
- Anthologie des écrivains morts à la guerre 1914-1918 : Notice de Louis Lefebvre, p. 164 - Tome 1
- Gallica :
Journal des débats politiques et littéraires, 11 septembre 1918, Nécrologie
Ouest Eclair, 6 mai 1939, Nécrologie de Henri Georges Chardon - Livre d'Or de la Faculté de Paris
- Wikimanche : Henri Georges Chardon
- Historique du 15e Bataillon de Chasseurs à pied
- Horizon14-18 : le Mont Kemmel et la 3e bataille des Flandres