Avocats morts pour la France
Un mètre 82, cheveux châtain foncés, yeux châtain verdâtre, front moyen, nez rectiligne, visage ovale avec une fine cicatrice à l’œil gauche telle est la description de Grégoire Keller sur son registre matricule.
Grégoire Keller nait le 24 mai 1890 au domicile familial sis 62 rue du temple dans le 3ème arrondissement de Paris. Son père, Léon Keller, est négociant et sa mère Henriette Ross est comme de nombreuses femmes de cette époque sans profession. En 1910, il est appelé à faire ses classes après être passé par le 6ème bureau de la subdivision de la Seine car la famille Keller résidait à cette époque au 6 rue Roquépine dans le 8ème arrondissement.
Le 7 octobre 1911, il est incorporé à la 8ème section de commis ouvriers membres de l’administration, au grade de soldat de 2ème classe. Le 8 novembre 1913, il passe dans la réserve de l’armée d’active au grade de lieutenant.
Mobilisé le 2 août 1914, il intègre le 117ème régiment d’infanterie. Après quelques mois de combat, il est évacué en raison d’une fièvre typhoïde le 17 novembre 1914 et soigné à l’hôpital de Verdun. Le 2 mars 1915, après une convalescence de quelques semaines, il rejoint le dépôt du 16ème section de Commis et Ouvriers militaires d’Administration (COA) ; le COA comprend en 1914 25 sections formant des corps composés de commis aux écritures et ouvriers. Grégoire Keller rejoint ensuite le front le 1er juin mais est de nouveau évacué le 14 juillet pour maladie. Il fera alors 45 jours de convalescence. Le 30 novembre 1915, il part et est rayé des contrôles du 117ème régiment d’infanterie.
Du 4 janvier à fin avril 1916, Grégoire Keller devient élève aspirant de l’Ecole de Saint-Maixent et obtient le grade de caporal en mars, de sergent le 1er avril, et aspirant le 20 avril. Il suivra ensuite le cours des élèves officiers de la Valbonne de mai à juin 1916. De décembre 1916 à février 1917, il occupe les fonctions de commandant de compagnie.
Evacué une nouvelle fois pour maladie en juillet 1917, il part en convalescence de 20 jours prolongée de 45 jours.
Licencié en droit, Grégoire Keller est admis au stage le 27 février 1918. De février à avril 1918, il occupe la fonction d’adjoint au chef du 13ème bataillon du 74ème Régiment d’infanterie. En juin 1918, il passe par le centre d'instruction pour les élèves observateurs en avion (CIOA). Il est ensuite réintégré dans son armée et rejoint le 4eme régiment de Zouaves en juillet 1918.
Le 31 aout 1918, il est très grièvement blessé d’une balle dans l’abdomen, à Morlaincourt près Noyon dans l’Oise, en chassant l’ennemi de la forêt d’Ourscamp. Il meurt le 1er septembre 1918 à 23h55 à l’hôpital de Royallieu, près de Compiègne à l’ambulance 9/4 Secteur Postal 236, sans jamais avoir pu exercer sa profession d’avocat. Son colonel écrira de lui : « c’était un être d’élite et un héros ! Mortellement blessé il oubliait ses souffrances pour demander après ses hommes et le résultat de l’attaque ».
Le 4 septembre 1918, son père, Léon Keller informe le bâtonnier de la mort de son fils : « j’ai la douleur de vous faire part de la mort au champ d’honneur le 1er septembre 1918 de mon fils le lieutenant Keller (Grégoire, Pierre) du 4ème régiment de marche de Zouaves. Honoré de quatre belles citations, Chevalier de la légion d’honneur, décoré de la croix de guerre, il était fier d’appartenir au Barreau de Paris et donnait toutes les espérances de lui faire honneur. Je vous présente, Monsieur le bâtonnier, l’expression endeuillée de toute ma considération ».
Par arrêté du ministre de la Guerre en date du 13 janvier 1919, prenant effet au 1er septembre 1918, Grégoire Keller est fait Chevalier de la légion d’honneur à titre posthume.
Il est enterré au cimetière du Père Lachaise, Division 96. Sur sa tombe figure le prénom de «Grégorio ».
Géraldine Berger-Stenger.
Citations et décorations :
- Cité à l’Ordre de la 5ème division :
« officier adjoint du chef de bataillon. Le 20 mars 1918 a exécuté sur un terrain bouleversé et sous un bombardement intense, une reconnaissance périlleuse, qui lui a permis de ramener du matériel et des renseignements intéressants ». - Cité à l’Ordre du Régiment, le 22 avril 1918 :
« officier courageux, commandant un groupe de protection de sa compagnie, faisant un coup de main, a minutieusement préparé sa mission par de nombreuses reconnaissances, contribuant ainsi à la réussite de l’opération ». - Cité à l’Ordre de l‘Armée :
« Keller Grégoire, lieutenant officier d’une bravoure et d’un sang froid remarquables. Le 20 août 1918, sa section s’était trouvé arrêtée par un centre de résistance fortement organisé, a réussi, grâce à une manœuvre de débordement exécutée avec intelligence et énergie, à faire tomber la position, faisant des prisonniers et capturant deux mitrailleuses ». - Chevalier de la Légion d’honneur :
« officier d’une haute valeur morale, doué des plus belles qualités militaires. Le 31 aout 1918, à l’attaque d’une position puissamment défendue, a fait l’admiration de ses hommes et de ses chefs par ses exemples répétés de bravoure. A été grièvement blessé en entrainant sa section à l’assaut sous un feu violent de mitrailleuses ».
- Portrait de Grégoire Pierre Edouard Keller
- Lettre de Léon Keller au bâtonnier 4 septembre 1918.
- Lettre de Léon Keller au bâtonnier 2 décembre 1927.
- Livre d'Or de la Faculté de Paris - Coll. Ordre des avocats de Paris
- Mémoire des hommes : Grégoire Keller
- Mémorial Genweb : Grégoire Keller
- Archives de Paris - Registre matricule : D4R1 1595, 1910, n°143
- Archives de Paris - Acte de naissance de Grégoire Keller, 24 mai 1890, Paris 3e arrondissement : côte V4E 5521
- Légion d'honneur - Base Léonore : Grégoire Keller
Eugène Jules Victor Krettly nait le 18 décembre 1881 au 19 rue Allard à Saint Mandé (département de la Seine). Il s’agit du domicile de Louis Charles Emile Krettly, épicier et père d’Eugène et de Margueritte Hermant sa mère.
Le 4 juillet 1911, il est licencié en droit de l’université de Paris. Le 8 juillet 1911, une de ses connaissances écrit aux membres du Conseil de l’Ordre : « chers amis, j’ai un jeune ami qui demande une inscription au tableau. Il s’appelle Monsieur Krettly. Il demeure avec ses parents, qui sont d’une situation modeste ; Il a sa chambre à lui, qu’il va transformer en cabinet, en enlevant son lit. Je vais donner toutes les indications pour que nos règles soient observées. Comme il ne connaît au palais qui que ce soit, j’ai pris la liberté de lui dire qu’il vous demande comme rapporteur. Je vois que Monsieur le bâtonnier vous désignera et que vous recevrez la visite de Monsieur Krettly, qui est un jeune homme très raisonnable, très recommandable, très estimable et je vous prie de lui faire accueil avec votre bonne grace habituelle. Amicalement A Droz».
Quelques jours plus tard, le 11 juillet 1911, Eugène Krettly il est admis au barreau. Il demeure alors 4 rue du Niger dans le 12ème arrondissement de Paris. Le 11 avril 1912, il se marie avec Léontine Marie Bernard à la mairie du 12ème arrondissement de Paris. Il réside à l’époque avec ses père et mère rue du verger. Entre temps, son père est devenu clerc d’ huissier. Le 14 octobre 1912, il sollicite un poste de suppléant de juge de paix.
A la mobilisation, Eugène Krettly est affecté à la 20ème section de secrétaire d’Etat-Major. Le 8 février 1918, il est réformé temporairement pour « une sclérose sommet droit ». Il séjournera alors à Arcachon au 83 Cours Lamarque.
Le 18 décembre 1918, alors que l’Armistice avait été déclarée un mois auparavant, Eugène Krettly succombait des suites d’une maladie contractée au service. Son épouse, dans une lettre du 31 décembre 1918 donnait alors plus de renseignement sur l’infection ayant emporté son mari :
« Monsieur, J’ai l’honneur de vous exposer les faits suivants : mon mari, Monsieur Eugène Krettly, avocat à la cour inscrit depuis 1911, vient de mourir le 18 décembre dernier après 10 mois de maladie d’une tuberculose pulmonaire et laryngée, contracté au cours de la mobilisation ».
Le contenu de son courrier est ensuite des plus préoccupants :
« Je suis en ce moment très souffrante et très déprimée par le chagrin et la fatigue de ces derniers mois, ce qui m’empêche actuellement de me livrer à aucun travail ; du reste mon médecin m'ordonne un grand repos. Ma situation en ce moment est très pénible car j'ai épousé mon mari il y a sept ans, sans fortune et lui-même n'avait aucun patrimoine. De plus, 3 ans de mobilisation et cette longue maladie ont absorbé nos quelques économies. Je ne puis attendre aucun secours de ma famille. Mon père, ancien contrôleur des contributions indirectes est décédé et ma mère a pour vivre, avec ma jeune sœur, que sa pension de retraite. J’espère lorsque ma santé sera meilleure et que moi je n’ai qu’un ami intime de mon mari qui pense être en mesure dans quelques mois de m’offrir une petite situation modeste il est vrai mais qui pourra devenir meilleure si ses affaires prennent l'extension qu'il espère. J'ai un appartement de 950 f. dont les termes n'ont pas été payés depuis la guerre. J'espère que la commission arbitrale me sera favorable étant donné ma situation. Je verrai alors ce qu'il me sera possible de faire. Je vous remercie à l’avance de ce que vous voudrez bien faire pour moi et vous prie d’agréer Monsieur le bâtonnier, mes salutations distinguées. Veuve Krettly ».
Le vendredi 20 décembre 1918, l’enterrement de Eugène Krettly était célébré en l’église de l’immaculée-conception rue du rendez-vous, dans le 12ème arrondissement de Paris, sa paroisse. L’inhumation eut lieu au cimetière d’Ivry.
Quelques années plus tard, le 2 décembre 1927, sa mère écrivait :
« Monsieur bâtonnier, j'ai l’honneur de vous retourner la feuille ci-jointe avec les renseignements demandés. À votre disposition pour vous donner copie de la très longue lettre du colonel reçu après la mort de mon cher fils. Je vous prie de croire, Monsieur le bâtonnier à l’expression de mes sentiments dévoués ».
Géraldine Berger-Stenger.
Citations et décorations :
- Aucune citation connue.
- Lettre de Madame Krettly en date du 31 décembre 1918
- Licence de droit d’Eugène Krettly
- Faire part de décès
- Archives du Val de Marne : acte de naissance d'Eugène Krettly -1MI 2595/2.
- Archives de Paris : registre matricule D4R1 1134 : Eugène Krettly