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ALIAS : Robert - Attalin - Asselin - Arnoux - Chevalier - Charpentier
Pierre Arrighi est né le 2 mars 1921 à Paris, second enfant de Paul Arrighi, avocat au barreau de Paris. Il suit les traces de son père et de son grand-père, ancien avoué parisien, et étudie le droit. Lors de la déclaration de guerre en 1939, Pierre a 18 ans et est trop jeune pour être mobilisé [service militaire 20 ans] ; il prépare le concours d’inspecteur des finances, poursuit ses études de droit et de sciences politiques. Il refuse la défaite de juin 1940 et s’engage dans la Résistance.
« Dès le jour de l’armistice, il se révolte en effet, et dès ce jour, il ne cesse d’organiser la révolte : journaux clandestins, évasions de prisonniers, passages de la ligne de démarcation » témoignera Jacques Lecomte-Boinet, un de ses plus proches camarades résistants. « Il ne considérait plus ses études comme une fin en soi. Penser à son avenir, préparer des « concours » quand la France est envahie, quand d’autres luttaient les armes à la main, vivre dans l’acceptation douillette de la défaite, c’était trahir – c’était déserter… ».
Pierre participe à la manifestation du 11 novembre 1940 avec plusieurs de ses camarades de Sciences politiques, au cours de laquelle André Weil Curiel, Léon Maurice Nordmann et Michel Edinger, membres du réseau du Musée de l’Homme déposent une gerbe de fleurs devant la statue de Clémenceau en bas des Champs Elysées tôt le matin. Les étudiants, Pierre parmi eux, prennent le relais en fin de journée rejoignant par petits groupes la place de l’Etoile et la tombe du soldat inconnu. Des incidents éclatent et sont fortement réprimés par les autorités allemandes ; le lendemain tous les établissements d’enseignements supérieurs de la capitale sont fermés, des étudiants arrêtés, certains déportés ; ils réouvriront progressivement entre le 17 novembre et le 20 décembre. Cette manifestation est considérée par les historiens comme l’un des premiers actes publics de résistance contre l’occupant allemand.
Dans le même temps, Pierre réfléchit très vivement à partir en Angleterre ; son père essaie de freiner ce désir grandissant, argumentant sur la peine qui serait faite à sa mère de ne pas avoir de nouvelles pendant plusieurs années. Mais Pierre déterminé lui rappelle que lui-même, fils unique, était volontaire en 1914 : « le souci de la Patrie doit passer avant celui de la famille », ce que Paul reconnaît. Mais en ce début de guerre, le père et le fils ne se parlait pas de leurs recherches respectives de contacts avec la Résistance.
Il obtient sa licence de droit le 5 juillet 1941 et commence son doctorat. Il exerce son stage auprès de son père, dans le domicile familial du 92 rue Daumesnil dans le 8e arrondissement. Deux pièces lui étaient réservées pour l’exercice de sa profession. Cette activité officielle servira de couverture pour ses activités clandestines.
Il entre dans la Résistance au cours de l’hiver 1940-1941 dans la zone Nord au sein du « Mouvement de Libération Nationale » (MLN), créé par Henry Fresnay, où il s’occupe de collecter des renseignements et de l’évasion des prisonniers de guerre. Il est affilié « aux petites ailes » dirigé par le capitaine Robert Guédon.
Sur les recommandations de Pierre Lebon, Pierre Arrighi fait la connaissance le 23 juin 1942 de Jacques Lecomte-Boinet, alors en charge du bureau d’information du mouvement qui venait de connaître une vague d’arrestation, le 30 juin 1942, place de la Madeleine à Paris, réduisant le mouvement à deux personnes. Pierre, « grand, anguleux, l’air énergique volontiers ironique » vêtu d’un parapluie et d’un chapeau noir à bord « impeccablement roulés du candidat à l’Inspection ». Effectivement, Pierre était un bel homme d’1,80 m, aux yeux bleus, cheveux bruns.
Pierre était déterminé : lors de cette rencontre de 1942, sur une conversation concernant une livraison d’armes, il répondit à Jacques Lecomte-Boinet : « je ne demande pas mieux que de les transporter, mais je voudrais bien les employer moi aussi un jour. Je suis prêt à sacrifier mes études et même un peu plus, mais je ne veux être placé sur une voie de garage ». « C’était un chef » conclura Jacques. Six jours après, leur aventure commune et leur amitié commence. Alors que l’organisation à laquelle appartenait Jacques risquait de se faire démanteler, et au cas où il disparaîtrait, Jacques confie à Pierre de tout reprendre : contacts avec la province, contacts avec l’Intelligence service, contacts avec la zone sud. Pierre accepte et se met au travail.
Sous le pseudonyme d’Asselin, peintre qu’il affectionnait beaucoup, il tient toutes les ficelles, fonde un nouveau groupe dans la Marne et organise un réseau dans toute la Champagne. Il prend également contact avec le Bureau d’Opération aérienne (B.O.A) et organise avec Jacques la réception des parachutages d’armes. Ce dernier lui confie alors la région normande. Au cours du second semestre 1942, ce réseau, nommé Organisation nationale de la Résistance est décimée par de nombreuses arrestations, dû à la présence d’un agent double ; « tous les membres ont été arrêtés, sauf Arigi et un autre » précise une fiche transmise au BCRA par les services anglais en 1944.
Durant l’hiver 1942-1943, Pierre et son père commencent à évoquer ensemble leurs engagements dans la Résistance. Alors que Paul avait de son côté établi des liens avec les services britanniques, tous deux préféraient travailler avec le Général de Gaulle. Paul avait déjà remarqué que sa secrétaire, Mme Roussy, « très anti-allemande » était souvent en compagnie de son fils, et au vu de leurs âges respectifs, il n’avait aucun doute qu’il ne pouvait s’agir de relation amoureuse, et que cette complicité devait avoir des raisons professionnelles. Un soir de 1943, Paul rencontre dans son appartement un homme sortant de la chambre de son fils que ce dernier lui présente comme l’un de ses amis : Lecompte-Boinet, et dont il fera la connaissance officielle quelques jours plus tard. A la suite de cette rencontre, les deux Arrighi s’ouvrent alors mutuellement sur leurs engagements. Pierre explique alors à son père que l’entente entre les anglais et De Gaulle n’est pas au beau fixe, et que dans son cas, son organisation le tenait « en réserve » pour le cas où « Mathieu » [Lecompte-Boinet] ou lui disparaîtrait. Ils assistèrent ensuite ensemble aux réunions du Comité central de la Résistance, dans lequel Pierre représentait les groupes militaires dont il avait créé le plus grand nombre.
Personne dans la résistance ne connaissait leurs liens de parenté, ce dont témoigneront plusieurs résistants après la guerre, et dont le fait suivant en est l’exemple : dans le courant de cette année 1943, Pierre alias « Charpentier » est présenté par un autre résistant « Viennot » à « Loiseau » qui n’est autre que Paul Arrighi, père de Pierre. Egalement, un après-midi de 1943 témoignera Michel Debré à la Libération, 4 hommes se rencontrent dont deux sont Loiseau (pseudonyme de Paul) et Charpentier (pseudonyme de Pierre). Loiseau (Paul) doit remplacer Lecomte-Boignet. Charpentier (Pierre) doit assurer la direction militaire du mouvement. Michel Debré ignore alors qu’ils sont père et fils et ne l’apprendra que bien plus tard.
Père et fils, même combat….
En 1943, l’organisation prend de l’ampleur et le travail devient plus dense, plus difficile. Elle change de nom pour s’appeler « Ceux de la Résistance ». Ce mouvement sera rattaché à Londres par l’intermédiaire du réseau « Combat ». Pierre y exercera tout son talent : « car là où ce garçon de 21 ans fut véritablement un chef et un chef incomparable, c’est qu’il sut à la fois faire exécuter les ordres qu’il avait conçus lui-même et chercher des solutions à tous les problèmes qui chaque jour se présentaient. Dès qu’un problème était résolu, il désignait un responsable pour veiller à son exécution et abordait d’autres problèmes toujours nouveaux. » Au printemps 1943, il change de pseudo pour Charpentier. Sa personnalité était connue de toute la Résistance française, du B.C.R.A, de Londres, et… de la Gestapo ! Il a également pris la tête, au sein de « Ceux de la Résistance », du réseau de renseignement « Manipule » créé en février 1942, qui regroupait 600 agents, en zone nord, sur la côte Ouest et le long de la frontière belge.
Jusqu’en novembre, Pierre dirige dans un bureau tout un secrétariat et une équipe d’agents de liaison, mais le terrain lui manque : « en somme, je vais à mon bureau le matin et à mes conseils d’administration le soir, ce n’est plus une existence : ce n’est pas pour çà que je suis entré dans la Résistance. Mon âge est fait pour se faire tuer, on n’organise pas la mort des autres » aurait-il confié à son père. Il part donc sur le terrain début juillet et participe au sabotage des usines Amyot … accompagné par son père. Ces usines fabriquaient des Junkers 52 (avions bombardiers) pour l’armée allemande. Un samedi, Pierre, entre dans l’usine « en blouse d’ingénieur, avec les crayons incendiaires aux oreilles, des plans en main sur lesquels il se penchait quand il voulait éviter certains regards […]. Il y avait naturellement des complicités dans la place. A midi, Pierre et les deux camarades qui l’accompagnaient restèrent seuls dans l’usine, ils firent leur travail, puis se débarrassèrent de leurs blouses et se préparèrent à sauter la grille qu’ils avaient repérer à l’arrière ». Ils auraient pu se faire arrêter si Paul, posté au bout de l’impasse, n’avait pas dissuadé deux agents, qui les avaient vus, en leur disant « ne faites pas les imbéciles, ce ne sont pas des cambrioleurs, mais des jeunes gens qui travaillent pour la France ». Etonnés, mais sans rien demander d’autres, les agents se sont éloignés. (Témoignage de Paul Arrighi). L’usine a sauté partiellement et à l’arrêt pendant 8 jours.
Pierre et Paul Arrighi travaillent rarement ensemble dans cette période. Paul réalise un voyage sur dix avec son fils, notamment dans la région d’Epernay, où se déroulaient de nombreux parachutages. Pierre ne vivait alors plus qu’en clandestinité. « J’espère que cela finira bien… Mais s’il devait en être autrement, j’aurai tout de même vécu ! » a-t-il dit à son père.
Le 13 octobre 1943, veille de son voyage en Suisse, comme membre de la mission militaire, où sur instructions, il devait trouver de l’argent et des armes, Pierre dîne avec son père, lui demandant de rester prudent : « Vois-tu mon vieux père, avait répondu son fils, oui, je serai prudent, mais ce serait tellement beau de mourir sans voir l’après-guerre ». Et Paul lui répond en riant : « Oui, quand on aura les médailles d’anciens résistants et le banquet annuel… ». (Témoignage de Paul Arrighi).
Pierre revient de Suisse lorsqu’il apprend l’arrestation de son père le 20 octobre 1943. Il applique alors l’ordre de succession établi par leur chef et devient chef du mouvement « Ceux de la Résistance », avec ses compagnons Jean de Voguë, Bourdeau de Fontenay et Michel Debré. Il est arrêté à son tour au café « Triadou » à l’angle du bd Haussmann et de la rue de Rome, le 19 novembre 1943 (dix jours après son père), à la suite d’un guet-apens organisé par un agent de liaison « Tatte » (qui après la Libération, fut condamné à mort et dont la peine a été commuée en travaux forcés à perpétuité). Pierre aurait été vendu pour 300 000 francs. Son arrestation a lieu alors que son ami Jacques Lecomte-Boinet s’était rendu à Londres puis à Alger où il avait dit au Général de Gaulle qui se plaignait « de la pénurie d’hommes de valeur » :
  • « J’en ai un et qui va se faire arrêter… et il pourrait faire un ministre… Mais il a 23 ans… »
  • « Envoyez-le-moi » lui avait répondu le Général.
Torturé au siège de la Gestapo rue des Saussaies, il est ensuite emprisonné à Fresnes puis déporté le 22 janvier 1944 depuis Compiègne à destination de Buchenwald, transféré à Mauthausen le 25 février sous le matricule 42692.
D’après les archives d’Arolsen, lors de sa déportation, Pierre avait notamment sur lui : une veste ; un pullover ; un maillot de corps ; un caleçon ; une paire de chaussures ; ainsi que ses papiers d’identité. Le camp de Mauthausen est malheureusement connu pour ses marches de la mort : les prisonniers, mal nourris, devaient monter en haut de la colline et redescendre des pierres, debout, huit heures par jour, sous les coups des allemands.
Epuisé, Pierre Arrighi meurt gazé au centre d’euthanasie d’Hartheim (40 km de Mauthausen), qui était chargé d’éliminer les déportés devenus inaptes aux travaux forcés. Seule Madame Arrighi est informée de ce décès. Lorsque Paul Arrighi, lui-même déporté, revient en mai 1945, il ignore le destin de son fils.
Il refusera du général de Gaulle la distinction de Compagnon de la Libération pour que ce titre soit attribué à son fils : Pierre, en service du 19 novembre 1943 au 5 août 1944, interné du 19 novembre 1943 au 21 janvier 1944, déporté du 22 janvier 1944 à son décès le 5 août 1944, lieutenant, déporté interné au titre des F.F.L., résistant, mort pour la France, sera gratifié des titres et décorations :
  • Croix de guerre 39/45
  • Médaille de la Résistance
  • Compagnon de la Libération à titre posthume par décret du 20 novembre 1944 :
« Officier d’une haute valeur intellectuelle et morale et d’une remarquable maturité d’esprit malgré son très jeune âge, a rendu à la Résistance Française, en qualité de Délégué Militaire du mouvement « Ceux de la Résistance », des services exceptionnels. Est tombé en Novembre 1943 entre les mains de la police allemande dans l’accomplissement de son devoir.
Signé : Ch. De Gaulle ».
  • Chevalier de la Légion d’honneur, décret du 3 juin 1955.

Dossier ODA

Notice de Jean Marc Varaut, le Bâtonnier Arrighi, bulletin de l’association des secrétaires et anciens secrétaires de la conférence, 17 juin 1999.

Archives nationales :

  • 72 AJ/42/II/pièce 17 : Témoignage de Paul Arrighi recueilli en son domicile par Melle Gouineau les 10 et 21 octobre et 2 novembre 1949.
  • Témoignage de Jacques Lecompte-Boinet

Archives de Vincennes :

Pierre Arrighi : GR 16P18671.

Ordre de la Libération :

Pierre Arrighi

Archives Arolsen :

Personal file of ARRIGHI, PIERRE, born on 2-Mar-1921

Bibliographie

Les témoins qui se firent égorger, l’Harmattan, 1946, p.34

Mémorial des Compagnons de la Libération, Editions Grande Chancellerie de la Légion d’honneur, 1961.

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