Alias ERO.
Le 28 janvier 1910 naît, à Salonique, en Grèce, dans la communauté israélite, Jean David Serrero.
La famille Serrero, d’origine espagnole, est probablement établie à Salonique depuis plusieurs décennies. Son père, Emmanuel est né dans cette ville en 1872. Il est alors négociant. Sa mère, Rachel Chicurel est elle aussi née dans « la Jérusalem des Balkans », en 1883, d’une famille de tailleurs. Ils se marient en 1908 à Paris. Nous n’avons trouvé aucune indication sur ce retour en France au début du 20eme siècle. Une mention de divorce de ces derniers apparaît en 1916 dans les actes d’état civil de la ville de Paris. D’après la date de naissance de Jean et cette date de séparation, nous supposons qu’ils retournent à Salonique entre 1908 et 1916.
Jean, fils unique, sera élevé par sa mère, à Paris. Celle-ci demandera en 1927 sa naturalisation ainsi que celle de son fils. En application de la loi sur la nationalité du 28 juin 1889, et selon l’article 8 « tout français jouira des droits civils », article 5, sur les étrangers naturalisés, paragraphe 2 : « les étrangers qui peuvent justifier d’une résidence non interrompue pendant 10 années ; est assimilé en résidence en France le séjour en pays étranger pour l’exercice d’une fonction conférée par le gouvernement français ». Elle leur sera acquise officiellement le 4 avril 1927.
Jean effectue sa scolarité dans un lycée parisien. Il étudie ensuite le droit et obtient sa licence le 19 juillet 1930 à l’âge de 23 ans. Il compètera son cursus avec un doctorat, un examen de droit romain et d’histoire du droit avec succès. Jeune diplômé, il effectue son service militaire à l’école de cavalerie de Saumur en qualité de sous-lieutenant au 19e escadron du train des équipages. Puis il s’inscrit au barreau de Paris le 23 novembre 1935. Il exerce durant ses trois années de stage comme clerc chez Maître Régnier et Maître Beaugé, avoués au tribunal. Il s’inscrit au tableau le 7 février 1936.
Fort de l’expérience acquise chez les avoués, il se créée un cabinet personnel au 23 bis rue de Constantinople, dont le développement est rapide, tout en assurant un secrétariat important chez un de ses confrères.
Jean David « petit de taille, mais très sportif, très ardent, d’une gaieté et d’un entrain incomparables », passionné de musique, était selon son ami Raymond Rosenmark, très doué pour les mathématiques, - il avait fait mathématiques élémentaires-. Jean aime le football et le pratique. Il adhère d’ailleurs en 1936 à l’Association du Stade français (Société d’encouragement à l’Education physique et sportive) fondée en 1883, qui avait pour but de développer parmi ses membres le goût et la pratique des exercices physiques et spécialement des sports athlétiques, jeux et exercices en plein air.
En ces temps troublés de la fin des années 30, sa vie professionnelle et sa vie personnelle le comblent : il rencontre à Paris, une secrétaire, Angèle Jourda, qu’il épouse le 1er avril 1939. Cette fille de maréchal ferrand, née le 7 octobre 1907, est originaire des Pyrénées Orientales.
Le 25 août 1939, Jean est mobilisé. Il est appelé au Quartier général et arrive aux armées le 13 septembre. Il rejoint le 26 février 1940 la Compagnie Hippo 77/17 de la 7e D.I.C. division d’infanterie coloniale.
Il sera dans les deniers éléments de la retraite, c’est-à-dire ceux qui se trouvaient au contact le plus direct et le plus pressant de l’ennemi. Sans liaison, sans instruction, il parvint à ramener sa compagnie dans des conditions qui lui valurent deux citations, accompagnée de la croix de guerre avec étoile de bronze. Début juillet 1940, il se rend à Vichy, où il rencontre son bâtonnier Jacques Charpentier et à qui il fait part de son désir de regagner Paris. Le 28 novembre, la situation a changé : Angèle est malade et Jean va la conduire dans sa famille à Perpignan et rester avec elle le temps nécessaire. N’ayant pas reçu le questionnaire sur la nationalité du 11 septembre 1940 mais ayant eu connaissance de cette obligation, il déclare « sous la foi du serment qu’il a fait la campagne de 1939-1940 dans une unité combattante (Cie Hippo 77/17 de la 7e D.I.C. division d’infanterie coloniale) et qu’il est titulaire de deux citations portant chacune l’attribution de la croix de guerre. Il précise qu’il veut se mettre à jour de ses arriérés de cotisations, et que ses dossiers sont entre les mains de son confrère Bracassac.
Il est démobilisé le 30 novembre 1940 et domicilié, en zone libre, à Mauzac St Meyne en Dordogne. Jean ne compte pas vraiment revenir à Paris. Il considère qu’il peut continuer sa lutte sous d’autres formes. Il était déjà en contact en juillet 1940 avec des réseaux de renseignement.
Sa connaissance de l’espagnol lui permet dans un premier temps d’accepter le commandement d’un camp de travailleur. Il y défend ses hommes contre la relève, système mis en place par Vichy instaurant que le départ de trois ouvriers en Allemagne permettait le retour d’un prisonnier de guerre. Il accueille également des persécutés, si bien que Vichy le tenait en suspicion, ce qui lui valut une révocation en 1943.
Il est ensuite admis dans le réseau F.2 en septembre 1943 où il se voit confier un poste très important. Il crée de toutes pièces un secteur couvrant les départements du Lot, du Cantal, et de la Corrèze. Dès cette date, il abandonne toute autre activité et se consacre exclusivement à sa tâche. Le réseau travaille directement sous les ordres des services alliés à Londres. Jean était apprécié par son esprit personnel et son esprit de méthode, si bien qu’il finit par commander un territoire considérable, couvrant le triangle Bordeaux, Limoges, La Rochelle, le tout d’une petite maison, éloignée de la route, isolée, sise à 3 km d’un village du Cantal, Laroquebrou. Il partait de là pour recueillir les rapports, les contrôler, faire des enquêtes et recruter des agents. Il restait toutefois modeste et lucide sur son action, et disait constamment : « Si je ne suis pas fusillé avant la fin, il ne faudra pas me reparler de ce que j’aurai fait… Mon ambition est d’être un bon ouvrier, voilà tout… Je laisserai après la guerre le soin de poser aux héros, à ceux que je rencontre se distribuant par avance les places essentiellement préoccupés de politique. De nous autres, on ne parlera guère, et ce sera très bien ». Il avait peu d’illusions sur ses chances et était conscient, que tôt ou tard son réseau serait découvert. Malgré tout, il voulait rester à son poste, même lorsque le danger se faisait plus menaçant.
Son ami et confrère Raymond Rosenmark a été le témoin de son action pendant 7 mois : Jean a eu le courage de l’héberger sous un faux nom, « à une époque, où je vous prie de le croire, je recevais peu d’invitations […]. J’ai participé à sa vie, à celle de son admirable femme, qui appartenait elle-même au service, et dactylographiait tous les rapports que nous conservions jusqu’à leur envoi à Londres ». Angèle Serrero, sous le pseudonyme de « REOF », était effectivement agent de liaison ; secrétaire de son mari, elle établissait et dactylographiait les rapports, et effectuait la transmission de notes et des ordres de service.
La deuxième semaine de mai 1944 marque un tournant dans la vie clandestine de Jean. « Nous sentions l’étreinte de la police allemande se resserrer chaque jour » racontera Raymond Rosenmark. En effet, au début de l’année 1944, son chef dirigeait seul le réseau Marie, entre la Loire et l’Espagne, en passant par Marseille. Mais jour après jour, un territoire plus qu’étendu, il a besoin d’un codirecteur. Il rencontre fréquemment Jean, le met au courant de toute l’organisation du réseau, et projette d’en faire son second. En mai 1944, Jean le rejoint, mais l’un des secteurs tombe ; Jean veut le recréer ; il n’en n’aura malheureusement pas le temps.
L’arrestation d’un agent en Dordogne conduit à Jean Serrero. Le 11 mai 1944, la maison est cernée. Jean n’a pu se cacher. Sa femme et Raymond affirment qu’il est parti pour le village : ils offrent aux officiers allemands de les accompagner pour le retrouver. Ces derniers acceptent mais fouillent d’abord la maison. Et retrouvent Jean. Angèle et Raymond sont également arrêtés pour avoir donnés des renseignements volontairement inexacts, mais Raymond arrive à s’enfuir.
Jean et sa femme sont transférés à Aurillac, puis le lendemain à la caserne prison de Clermont. Jean a durement été interrogé. Il n’a pas parlé et a ainsi protégé son Réseau. Lors de son départ du premier transfert, sur le quai de la petite gare d’Avrant, « ses yeux prodigieusement phosphorescents lançaient des éclairs, mais il était droit et calme, assez maître de lui pour ne pas broncher en me voyant surgir dans la nuit, et prononçant aussitôt, en s’adressant à sa femme, les mots nécessaires pour me fixer sur ma destination » racontera Raymond Rosenmark. Angèle est gardée prisonnière un mois bien qu’enceinte ; elle sera relâchée le 8 juin. Jean est transféré à Compiègne. Raymond a pu les suivre et alerter quelques confrères parisiens : ces derniers lui donnent un colis, envoyé à Compiègne, et remis grâce à l’intervention de M. Beteille auprès du procureur de la République, la veille de sa déportation. « Un mot sur la voie nous apprit le réconfort qu’avait éprouvé Serrero de ce signe d’affection, qui lui arrivait de ses amis du palais. Il y voyait le gage que sa femme ne serait pas abandonnée et il indiquait, en outre, qu’il avait réussi à ne pas dévoiler mon identité ». Angèle et Raymond ne le reverront plus.
Jean est déporté le 2 juillet 1944 par le convoi 7909, surnommé « le train de la Mort », en direction de Dachau. « Les Allemands avaient volontairement empilé les déportés dans les trains, de telle sorte que la moitié environ de ses malheureux est morte étouffée » écrira Raymond au bâtonnier pour lui annoncer la mort de Jean. En effet, ce convoi est composé de 22 wagons à bestiaux qui transportent 2.100 juifs, résistants et autres opposants français au régime nazi. « L’ordre venait d’Allemagne : il avait été prescrit d’envoyer par ce train 2000 déportés ». Les wagons étaient dimensionnés chacun soit pour le transport de 40 hommes, soit pour le transport de 8 chevaux en long. Les hommes sont entassés à 100 par wagons, ne peuvent se tenir que debout, sur un plancher recouvert de paille. Ils ne peuvent respirer que par une petite lucarne grillagée de 50 centimètres sur 25. Ils partent avec peu de nourriture, peu d’eau, et les conditions de chaleur sont extrêmes. Jean supporte avec courage le supplice de l’étouffement, lutte tout le jour et une partie de la nuit. Il s’écroule subitement à l’aube du 3 juillet. Dans son wagon, 39 hommes sur les 100 sont morts lors de l’ouverture du wagon sur le quai de la gare de marchandises de Novéant-sur-Moselle.
Raymond Rosenmark est informé le 8 décembre 1944 par une lettre du réseau que Jean avait été déporté par le convoi du 2 juillet : « les rapports de son chef sont extrêmement élogieux, son arrestation a été la plus grosse perte du secteur ; il est proposé pour une décoration ». Cette information lui est confirmée fin mai 1945 par des déportés. Il annoncera la mort de Jean au bâtonnier Charpentier le 6 juin 1945 : « Il avait été arrêté par les Allemands auxquels il avait été donné comme dirigeant le service de renseignement d’une importante région. Envoyé à Clermont d’abord, à Compiègne ensuite, embarqué pour l’Allemagne par le convoi du 3 juillet : « les Allemands avaient volontairement empilé les déportés dans les trains, de telle sorte que la moitié environ de ses malheureux est morte étouffée ».
« Sa femme est restée dans la petite maison du Cantal où son mari et elle m’avaient accueilli quand j’ai dû me retirer dans la clandestinité. Une fille est née quelques mois après le départ de Serrero ». Il précise que le désir de Mme Serrero serait de trouver rapidement un petit appartement pour revenir à Paris et « y revivre au milieu de ceux qui connaissaient son mari ». « Madame Serrero a de tous temps aidé son mari. Elle a été pour lui la plus sure des secrétaires. Aucun éloge ne saurait qualifier sa vie avant et après l’arrestation de son mari » attestera son chef de réseau. Elle obtiendra son certificat d’appartenance F.F.C. en septembre 1952.
Jean Serrero, avocat, résistant, déporté, mort pour la France. Son nom sera inscrit sur le Monuments aux morts du palais de Justice de Paris, et sur celui de la ville de Murat dans le Cantal.
« Entre la mort dans l’ivresse des combats, et même celle qui venait atteindre le combattant dans la tranchée, et cette fin atroce, quel chemin parcouru sur la route de la barbarie ! ». Raymond Rosenmark.
Cindy Geraci.
Croix de guerre, 2 étoiles de Bronze.
Croix de la Vaillance polonaise (décoration militaire polonaise, introduite en 1920 et décernée à un individu qui « a fait preuve d’actes de vaillance et de courage sur le champ de bataille »).
Légion d’honneur, proposition en janvier 1945 :
« Chef d’un secteur important, organisateur remarquablement intelligent, a continué malgré les chutes nombreuses un travail très dangereux. Lors de l’arrestation d’un de ses adjoints, alors que les règles de prudence lui conseillaient de fuir, a préféré prendre d’abord toutes les mesures propres à éviter la chute du secteur dont il était responsable. Arrêté le 11 mai 1944 par la Gestapo, a été déporté sur Weimar-Buchenwald. N’a pas donné depuis signe de vie. Interrogé durement n’a pas parlé protégeant ainsi la Centrale du sous-réseau dont il connaissait les membres et l’emplacement. Par son sacrifice a sauvé ses chefs et une trentaine de ses agents directement visés et permis ainsi la réussite du travail entrepris ».
Chevalier de la Légion d’honneur par décret du 30 mars 1949. (J.O. du 3 avril 1949).
Mention "Mort en déportation", arrêté du 30/05/2014 avec décès officialisé à Dachau.
Dossier administratif :
- Lettres de Jean Serrero au bâtonnier, 1940.
- Témoignages de Raymond Rosenmark.
- Lettre du bâtonnier à Mme Serrero, 23 juin 1945.
- "Détective" n° 284 du jeudi 5 avril 1934.
Archives de la Défense :
SHD Vincennes :
Jean Serrero, 16 P 546109.
Angèle Serrero, GR 16P 546108
Archives de Paris :
8M283 : Acte de mariage, Jean Serrero – Angèle Jourda
Généanet :
Acte de décès d'Emmanuel Serrero, père.
Memorial Genweb :
Le train de la mort :
Amicale du camp de concentration de Dachau : TRAIN DE LA MORT, CONVOI 7909, 2 JUILLET 1944, DE COMPIÈGNE-ROYALLIEU À DACHAU
« Novéant-sur-Moselle et l'amicale des déportés de Dachau rendent hommage aux victimes du " train de la mort ", article de Thomas Jeangeorge, France Bleu Lorraine Nord, 2 juillet 2024.
Fondation pour la mémoire de la déportation : convoi 7909.
Gallica-BNF :
J.O. du 4 avril 1927 : naturalisation de Rachel Chicurel.
Annuaire officiel du stade français 1938.
J.O. du 21 novembre 1948 : rectificatif du grade de lieutenant.
Monument aux morts de Murat :