Legroux Michel lettre portrait
 
 Legroux Michel lettre Charpentier 1940
 
Legroux Michel lettre Monnerville 1940
 
 Legroux Michel lettre batonnier procureur 1940
 
Legroux Michel cuirassé Bretagne 1940
 

Michel Legroux est né le 23 juin 1906 à Paris dans le 16e arrondissement au domicile de ses parents 157 avenue de Malakoff, dans une famille bourgeoise aisée et cultivée. Une petite sœur Odette, viendra lui tenir compagnie deux ans plus tard. Son père, René Legroux avait épousé Mlle Renée Gagne en 1903.

En 1906, René Legroux n’est pas encore l’un des grands noms de l’Institut Pasteur. Il y fait juste son entrée comme préparateur bénévole. Son père Alexis et son grand-père Charles sont des médecins renommés, tous deux chirurgiens obstétriciens et agrégés de la faculté de Médecine de Paris. La voie semblait donc toute tracée pour lui. Pourtant, inscrit au cours de microbiologie, il découvre la bactériologie, discipline toute récente et qui fut l’une de ses plus grandes passions.  Il restera à Pasteur et délaissera la médecine pour la recherche et l’enseignement.

Durant la guerre de 14-18, pour lutter au mieux contre les maladies infectieuses qui déciment les rangs de l’Armée, il crée des « laboratoires volants ». Plus de 100 laboratoires mobiles vont pouvoir sillonner le front français et celui des Balkans. Il forme les médecins à la technique bactériologique, assure officiellement l’organisation des laboratoires pour l’Armée américaine en 1917. Il travaille sans relâche et sans compter les heures dans les laboratoires. Il sera décoré par les Etats-Unis pour services rendus et recevra la Légion d’honneur en 1921. Le Ministre de la Guerre saluera personnellement son engagement « surhumain » fourni pendant la guerre. Il poursuivra par la suite sa carrière dans la recherche et l’enseignement et deviendra le 1er conservateur du Musée Pasteur.

Par la force des choses, sa famille traversera ces années de conflit sans beaucoup le voir, mais son épouse Renée veillera à ce qu’il trouve toujours un foyer chaleureux après ses longues journées. Et comme elle est issue d’une famille très musicienne, ce sont souvent le piano et les airs d’opérette qui l’accueillent le soir dans leur petit hôtel particulier, rue de Grenelle.

C’est peu après la naissance de son fils Michel que René Legroux avait fait l’acquisition de cette demeure, dans le quartier du Gros Caillou, à proximité de la promenade des Invalides et des allées champêtres du Champ de Mars. On peut encore la voir au numéro 157 de la rue de Grenelle. Michel et Odette y grandiront dans une ambiance musicale et au milieu d’une multitude d’objets de toutes sortes car leur père a l’âme d’un collectionneur : vases, montres, tapis… emplissaient les pièces et les placards.

La guerre terminée, le temps des vacances familiales reviendra. Avec oncles, tantes et cousins dans la maison de sa grand-mère maternelle à Saint Sauveur la Pommeraye. Michel est passionné par la mer et la voile, qu’il pratique avec son oncle Marcel sur leur voilier, le Libellule, basé à Granville.

C’est donc tout naturellement qu’il décide d’intégrer la Marine pour faire ses classes. En 1926 il entre à l’École des élèves officiers de réserve et sera ensuite affecté sur le cuirassé Provence, puis sur le navire atelier Vulcain.

Il prendra ensuite le chemin de la Faculté de droit de Paris. En effet, Michel n’est pas un scientifique. Il ne suivra l’exemple de son père, de son grand-père, de son arrière-grand-père. Il est sans doute plus inspiré par son oncle Marcel Peyre qui est magistrat. Cependant, c’est la profession d’avocat qu’il choisit. Et, parallèlement à ses études couronnées par une licence le 4 juillet 1931, il travaille, de novembre 1929 à juillet 1931, comme clerc chez un avoué, Me Johanet ; il y donne toute satisfaction. Puis dès le 23 juillet, il prête serment et est inscrit au stage. Il sera admis au Tableau le 2 mars 1932.

Il fut, pendant 4 années, l’un des collaborateurs du bâtonnier Etienne Carpentier. Celui-ci va lui confier peu à peu des dossiers délicats qu’il traitera avec succès et des liens d’amitié vont se nouer.

Le 23 juillet 1936 il épouse Nicole Briès en l’église St Pierre de Gerberoy (Oise). C’est un « grand » mariage en présence d’une élégante et nombreuse assistance » comme le souligne la rubrique Mariage du Figaro et de l’Excelsior du 31 juillet, agrémentée d’une photo de la mariée qui portait « une très jolie robe de crêpe mat avec un voile de tulle retenu par de grandes fleurs ». Ses témoins, un sénateur et un conseiller à la Cour de cassation. Ceux de Michel, le bâtonnier Etienne Carpentier et son oncle Marcel Peyre, alors conseiller à la Cour d’appel de Paris et qui deviendra par la suite procureur général.

Leur fille Marion nait le 16 mars 1938.

Lorsque la guerre éclate, officier de réserve, il a le grade d’enseigne de vaisseau. Il est affecté sur un chalutier dragueur de mines, le dragueur auxiliaire Duquesne II. En mars, il est promu au grade d’officier assimilé spécial secrétaire d’état-major (corps d’officiers créé en janvier 1940) et rejoint le cuirassé Bretagne. On pourrait croire que le destin de Michel Legroux était de ne pas survivre à cette année 1940. Il aurait en effet pu ne pas réchapper à la destruction du Duquesne le 15 mai 40 lors de la bataille des Pays-Bas. Ce bâtiment sera victime d’une des mines magnétiques larguées par la Luftwaffe devant Flessingue, faisant une vingtaine de morts.

Il a probablement eu connaissance de ce tragique évènement. Nul doute qu’il s’est estimé chanceux et a ressenti une grande tristesse en pensant aux membres de l’équipage tués auprès desquels il avait passé plusieurs mois.

Et pourtant, 6 semaines après cette catastrophe, c’en est une autre encore plus meurtrière et bien plus imprévisible qui l’attend et lui sera fatale.

L’Armistice est signée le 25 juin 1940. L’article 8 de la Convention d’Armistice prévoit que « la flotte de guerre française … devra être démobilisée et désarmée sous le contrôle respectif de l’Allemagne ou de l’Italie… »

Une partie des Forces navales françaises se trouvait alors immobilisée dans les ports d’Algérie. Onze bâtiments étaient au mouillage dans le port de Mers el Kébir à Oran.

Churchill et l’Amirauté britannique craignent que la flotte française, considérée comme la 4e marine du monde, ne tombe entre les mains des Allemands. Aussi, le 3 juillet, l’escadre de l’amiral Somerville se positionne face à l’entrée de la rade de Mers el Kébir. L’objectif premier est de forcer les navires français à rejoindre la flotte britannique. L’Amiral Somerville adresse un ultimatum à l’Amiral Gensoul : soit rejoindre la flotte britannique, soit appareiller sous escorte britannique vers un port anglais ou américain ou bien dans les Antilles. Si aucune de ces solutions n’était acceptée, la flotte française doit se saborder dans les six heures. En cas de refus, elle serait détruite. L’Amiral français, qui ne veut pas croire en la menace, demande des instructions à l’Amirauté qui tarde à répondre, gagne du temps pour des négociations qui n’aboutissent pas assez vite, puis se résout à faire sortir ses navires de la rade par la force. L’attaque britannique déversera près de 400 obus sur les navires français. Si le Strasbourg réussit à s’échapper de la rade, les autres cuirassés sont pris au piège.

Michel Legroux se trouve sur la Bretagne. Un premier obus va provoquer l’explosion de l’arrière du navire où il est à son poste de combat, près d’une tourelle. Il n’y survivra pas. Trois autres obus vont précipiter la fin du cuirassé : l’incendie fait rage, la Bretagne chavire et la coque se retourne engloutissant son équipage. La destruction de la Bretagne a duré environ 7 minutes.

Gaston Monnerville, confrère de Michel Legroux, mobilisé sur le cuirassé Provence, a pu rapporter au bâtonnier les circonstances de son décès :

« Legroux qui était secrétaire d’état-major avait rejoint son poste de combat à une mitrailleuse placée près de la tourelle arrière. Une salve d’obus qui tomba sur celle-ci déchiqueta littéralement notre confrère. Rien ne put être retrouvé de son corps. De l’avis de tous, il n’y a guère de chance qu’il soit parmi les 950 cadavres restés sous le cuirassé qui s’est retourné complètement sur lui-même. »

Sur les 1 270 hommes du cuirassé Bretagne, 1 012 moururent ou furent portés disparus.

Au total, 1297 marins français ont péri ce 3 juillet 1940. Ceux dont les corps ont pu être retrouvés ont été inhumés au cimetière marin de Mers el-Kébir le 5 juillet 1940 en présence des rescapés.

En septembre 1940, préparant son hommage aux disparus à l’occasion de la cérémonie annuelle devant le Monument aux morts de l’Ordre, le bâtonnier sollicite le bâtonnier Etienne Carpentier pour évoquer au mieux son jeune collaborateur.

La belle lettre de réponse du bâtonnier Carpentier évoque avec émotion et affection celui qui fut son collaborateur et son ami, celui dans lequel il voyait « son bâton de vieillesse professionnelle ». Mais au-delà du jeune confrère qu’il avait pris sous son aile et que tous appréciaient, clients comme magistrats, pour la qualité de ses analyses et son autorité à la barre, il se remémore l’homme, avec sa loyauté profonde, son regard lumineux et pétillant, sa générosité et son respect d’autrui. Chaque mot exprime l’attachement sincère et réciproque qui les liaient et le chagrin de son absence.


Frédérique Lubeigt.

 

Par ordre n°1760 FMF/3 du 9 septembre 1940, l'officier secrétaire d'état-major Legroux a reçu de l'Amiral de la Flotte, Secrétaire d'État à la Marine, commandant en chef des Forces maritimes françaises, la citation suivante à l'ordre de l'armée de Mer :

"Officier très ardent. A disparu glorieusement avec son bâtiment pendant l'engagement du 3 juillet 1940 à Mers-el-Kébir."

 

Dossier administratif Michel Legroux :

Lettre de Gaston Monnerville au bâtonnier, 10 juillet 1940.

Lettre du bâtonnier Etienne Carpentier au bâtonnier Charpentier, septembre 1940.

 

Mémorial des Officiers de Marine

Legroux Michel Alexis Léon, Maurice.

 

Généalogie

La famille Briès, Les pages Tambour

 

Gallica

Arrêté du 19 mars 1940, J.O. du 20 mars 1940 portant nomination d'officiers assimilés spéciaux secrétaires d'état-major.

Exclesior, 31 juillet 1936

Le Figaro, 31 juillet 1936.

 

A propos de Mers-El-Kébir

Philippe Lasterle, "Marcel Gensoul (1880-1973), Un marin dans la tourmente", Revue historique des Armées, années 2000, pp. 71-91. 

Pierre Varillon, "Mers El Kébir, le combat", Revue des Deux Mondes.

Association Amicale des Anciens Marins de Mers-el-Kébir et des Familles des Victime : témoignages, lettres et photos. 

Société des amis du Président Gaston Monnerville : journal de bord, VIII, Mers-El-Kébir. 

Le cuirassé Bretagne en feu, quelques minutes avant qu’il n’explose, phototèque personnelle de Jacques Mulard, Licence CC-BY-SA.

 

A propos de René Legroux

Le génie de Pasteur au secours des Poilus, Annick Perrot – Maximin Schwartz,  Odile Jacob 2016  cf. Chapitre 5 : Les laboratoires volants – René Legroux  (Extraits consultables sur Google Books)

 

 

Contribuer

Participer à la collecte