« Pierre Bonnevay avait la vocation du dévouement, les causes des plus déshérités étaient pour lui les plus chères, il leur consacrait son jeune talent, son ardeur son exceptionnelle connaissance des textes nouveaux qu'il étudiait à fond dès que les débats au Parlement commençaient. Rapide et travailleur, les plus lourdes tâches ne l'effrayaient pas. Jamais il n'esquivait les missions d'office même très nombreuses et ils disposaient encore des heures de repos bien nécessaires pour courir dans la banlieue apportée à des œuvres et à des collectivités un concours généreux constamment sollicités. (…) Au palais il pouvait servir de modèle à ses jeunes confrères par son exactitude, la précision de sa documentation, la préparation soignée de ses dossiers, leur présentation, sa camaraderie charmante (…) Il avait le culte de la justice. il avait aussi celui de la fidélité… ». Marcel Poignard, bâtonnier, 11 juillet 1945.
Pierre Bonnevay naît le 18 août 1903 à Dardilly (Rhône), second enfant de Laurent Bonnevay, avocat à la cour d'appel de Lyon, homme politique français, centriste de la Troisième République, qui fut notamment Garde des Sceaux dans le ministère d'Aristide Briand. Sa mère est Geneviève Lacombe dite « Aimée ».
Pierre étudie au collège Saint Marc de Lyon (2ème arrondissement) tout comme son père avant lui. De 1915 à 1921, il est élève au lycée Stanislas à Paris. Il poursuit sur des études de droit, dans la lignée de son père et de son grand-père Jacques. Le 5 novembre 1924, il est licencié de la faculté de droit de Paris, avec options droit public et droit financier. Il part dès le 11 novembre pour son service militaire : six mois à l’Ecole des Officiers de Réserve (EOR) de Saint Cyr Coëtquidan puis six mois au 31ème régiment des tirailleurs Nord-africain à Sathonay-Camp (Rhône) jusqu’au 11 novembre 1925.
A peine son service terminé, il travaille comme 3ème clerc chez Maitre Louis Barbier, avoué, jusqu’au 5 juillet 1926. Il est alors domicilié au 82 rue de Varennes dans le 7ème arrondissement. Le 28 octobre, Pierre s’inscrit au tableau en ayant au préalable demandé que le Président Millerand, avocat par ailleurs, soit le rapporteur au Conseil de l’Ordre.
Il se marie à Lyon le 19 décembre 1938 avec Marie Marguerite Jeanne Isabelle Celle, fille de Jean Anatole, négociant, ancien président de la chambre de commerce de Lyon et de Marie Elisabeth Valérie Astier. Le mariage est célébré par Edouard Herriot, maire de Lyon et adversaire politique de son père, mais aussi son homologue au Conseil général durant plusieurs années.
Le 24 août 1939, Pierre est mobilisé sur la ligne Maginot dans un bataillon de mitrailleurs, le 37ème Régiment d'Infanterie de Forteresse (R.I.F). Ce régiment est formé le 25 août 1939 par le CMI 203 (régiment d’infanterie) de Lemberg/Sarrebourg. Il tient le sous-secteur de Bitche (Moselle) et comporte trois bataillons de forteresse classiques, deux compagnies d'équipage de fortification et un bataillon d'instruction (21ème bataillon).
Le lieutenant Bonnevay, intégré au 2ème bataillon qui occupe le quartier Otterbiel, a installé son poste de commandement à la citadelle de Bitche. Son commandant est le chef de bataillon Laender épaulé par le Capitaine Roubier.
Le 22 octobre 1939, alors qu’il est au front, Pierre devient père d’une petite Danielle comme il ne manque pas l’écrire au bâtonnier dans une lettre datée du 31 octobre 1940, dans laquelle il sollicite également sa mise en congé pour affectation militaire. Cette fille unique donnera naissance à cinq enfants et décédera le 10 mars 2013 à Saint Nicolas de Septeuil (Yvelines) à l’âge de 73 ans.
Durant les hostilités, Pierre est domicilié avec sa femme, au lieu-dit Prairieux, à Chaponost dans le Rhône, lieu de résidence de sa belle-mère.
Le 14 juin 1940, les allemands entrent dans Paris et passent Saint Dizier dans les Vosges. Leur 1ere armée perce le front de la Sarre et plusieurs éléments remontent en arrière de la ligne vers le secteur de Bitche. Les combats s’intensifient. Les 16 et 18 juin 1940, le 37ème régiment d’infanterie de Forteresse reçoit pour mission de protéger la vallée de la Sarre Blanche et de remonter vers le Donon. Le 18 juin 1940, malgré la demande d’armistice, se déroulent de violents et meurtriers combats. En effet, les troupes françaises retranchées derrière le Canal de la Marne au Rhin, entre Avricourt et Phalsbourg, ont dû battre en retraite jusqu’au col de Donon, en empruntant les vallées de la Sarre rouge et de la Sarre blanche. Le 37e RIF combat alors les allemands descendus de la Sarre à leur poursuite. Plus de 300 combattants perdront la vie et 30 000 seront faits prisonniers lors de ces combats.
Pierre Bonnevay est blessé le 18 juin par plaies pénétrantes à l’abdomen occasionnées par une rafale de mitrailleuses allemandes. Il est transporté à l’ambulance de Raon l’Etape, reste 2 jours à l’hôpital où une intervention chirurgicale avait été jugée impassible. Il décède de ses blessures le 20 juin 1940 et est inhumé le 22 juin au cimetière militaire de Raon où sa tombe porte le n°21.
Quelques jours plus tard, le 10 juillet 1940, son père refuse avec 80 parlementaires de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.
Par lettre du 22 novembre 1940, Emmanuel La Gravière, pasteur, mobilisé alors comme aumônier (il deviendra avocat à Paris après la guerre), relate les derniers jours de Pierre Bonnevay à Madame Boussan Dufour, avocate et amie de la famille. Emmanuel de la Gravière a également servi dans les Vosges avec Pierre ; sa conduite exemplaire au cours des combats du 17 au 22 juin 1940 lui valut la croix de guerre avec étoile de bronze et citation à l’ordre de l’armée.
La famille ne connaît pas encore les circonstances de sa mort :
Madame,
Après notre conversation téléphonique d'hier soir, j'ai consulté mes notes et je désire vous apporter - très confidentiellement, en pensant principalement à la famille du Lieutenant Bonnevay - les précisions suivantes :
Le lieutenant Bonnevay appartenait au 37e R.I.F (au 1er bataillon, je crois) qui contenait la poussée d'un ennemi cinq fois plus nombreux et supérieurement armé, sur le Canal de la Marne au Rhin entre Gondrexange et Arzviller (au sud de Sarrebourg). C'est le 18 juin que Bonnevay a été blessé d'un éclat d'obus au ventre ; il devait se trouver dans les environs de Nitting (N-E de Lorquin). Sur ce point des précisions pourront être apportées plus tard par les officiers actuellement en captivité, notamment le Colonel Combet, Commandant le 37e RI, le Commandant Lafon (12 boulevard Haussmann) et le lieutenant Pierre Picard (87 rue de Monceau) blessé légèrement à la jambe le 10 juin également. Le 37 RI a subi ce jour-là de lourdes pertes. Après avoir été sommairement panser au poste de secours, Bonnevay a été transporté, en même temps que de nombreux blessés, à l’ambulance du G.S.D, hâtivement organisé à Saint-Guérin où les médecins ont jugé son état désespéré. Le Dr Jamet s'est tout particulièrement occupé de lui. Comme nous devrions retraite encore, les blessés ont été évacués à nouveau. Je me trouvais avec le Lieutenant Picard et d'autres camarades près de la voiture sanitaire où l'on a hissé la civière portant Bonnevay. C’est là que je l'ai vu pour la dernière fois. Il n'était pas mort mais un des médecins qui dirigeait l'évacuation a déclaré le soir ou le lendemain qui n'avait pu supporter ce nouveau transport. Ou l'a-t-on dirigé ? Sans doute sur Badonviller ou sur Schirmeck. Le Dr Jamet serait peut-être plus précis que moi sur ce point. Il est récemment rentré de captivité et demeure Square Got près de la porte de Vincennes. L'aumônier qui a assisté Bonnevay à l'ambulance de Saint-Guérin est l'abbé François Girard (Chaillé-les-Marais,Vendée). Il doit être encore prisonnier en Allemagne mais son frère l'abbé Girard curé de Saint Philibert de Bonnaire (Vendée) m'a promis de le prévenir quand il serait rentré. Telles sont les indications que j'aurais voulu, dès mon retour de captivité, donner à la Famille Bonnevay, avec les plus grands ménagements et ne m’interdisant de parler de la blessure. Je n’ai trouvé au 82 que la concierge et je l'ai prié (en lui recommandant la plus grande discrétion) de me prévenir quand un membre de la famille serait à Paris. J'ai procédé ainsi depuis mon retour pour un grand nombre de camarades tués ou prisonniers. Le seul doute qui subsiste en moi malgré tout, et qui m'interdit d'être catégorique c'est que si j'avais vu Bonnevay mourant, je ne l'ai pas vu mort de mes propres yeux. Ses camarades blessés, eux aussi, ne dissimulaient pas leur chagrin de le savoir ainsi atteint. Un capitaine notamment (dont je n'ai malheureusement pas noté le nom) m’a donné sur les conditions dans lesquelles Bonnevay a été blessé, que Picard doit connaitre. Beaucoup de braves sont tombés dans ces combats, entre le canal et la lisière des Vosges, du 17 au 22 juin. Je pleure des amis bien chers et je m’associe de toute mon âme à la douleur des familles connues ou inconnues qui n’ont même pas la consolation de saluer les fruits de tels sacrifices et de savoir où exactement sont leurs morts. Ce n'est pas, je le sens bien, un apaisement suffisant pour ceux qui pleurent de penser ou de savoir que certaines formations - c'est le cas de celle à laquelle appartenait votre ami - ont sauvé l'honneur et se sont couverts de gloire aux yeux mêmes de l'ennemi en refusant de s'associer à la capitulation de l'Armée. Notre 43e Corps d'Armée s'est battu deux jours de plus … ».
Le 20 juin 1942, Pierre Bonnevay obtient la mention Mort pour la France, la légion d’honneur et la croix de guerre avec étoile d'argent - Citation à l'ordre de la division à titre posthume : « Officier courageux et dévoué, a été pour son chef de bataillon un auxiliaire précieux au cours des violents combats des 17 et 18/06/1940. A été mortellement blessé le 20/06/1940 », le Général DEUTZ.
En décembre 1945, pour la rentrée du barreau, un éloge est prévu. Pour ce faire, un certain nombre de renseignements sont demandés par la famille à ceux qui le connaissait bien. Maître Paul Appleton, avocat parisien et ami de Pierre, ne peut se plier à cet exercice difficile, étant lui-même frappé par la mort d’un membre de sa famille. Il transmet néanmoins quelques notes de Laurent pour ce discours de rentrée. Le même jour, Maitre Boussan Dufour écrit au bâtonnier pour lui donner les renseignements nécessaires à l’écriture de cet hommage. Après avoir raconté son parcours de combattant, elle donne quelques informations sur la personnalité de Pierre : « En dehors de son activité au palais, Pierre Bonnevay s'occupait de plusieurs œuvres sociales et en particulier de celles qui groupaient les lyonnais. Il avait un très grand talent de comédien et consacrait toutes ses loisirs à la préparation de spectacles qu’il organisait en tenant le rôle principal. Ceci étonnait bien souvent ses amis car sa modestie excessive et sa très grande réserve, qui paraissait presque atteindre à la timidité, ne permettait pas d'imaginer lorsqu'on ne l'avait pas constaté par soi-même de quelle autorité et de quel talent il faisait montre sur la scène. Il tenait du reste à cacher soigneusement ses œuvres de charité mais tous ceux qui l'ont connu profondément se souviennent avec émotion de son dévouement inlassable et de la bienveillance avec laquelle il accueillait toute demande de service… »…
Cindy Geraci / Géraldine Berger-Stenger.
Citation à l'ordre de la division à titre posthume :
« Officier courageux et dévoué, a été pour son chef de bataillon un auxiliaire précieux au cours des violents combats des 17 et 18/06/1940. A été mortellement blessé le 20/06/1940 », le Général DEUTZ.
Mort pour la France.
Croix de guerre avec étoile d’argent.
Légion d’honneur à titre posthume le 20/06/1942.
Dossier administratif de Pierre Bonnevay :
Diplôme licence de droit 25 mai 1925.
Lettre de Pierre Bonnevay au bâtonnier, 21 février 1940.
Ordre Général n°91 du 26 juin 1940.
Lettre de Bonnevay au bâtonnier, 31 octobre 1940.
Carte de Appleton au bâtonnier, 31 octobre 1940.
Lettre du Pasteur Emmanuel La Gravière à Madame Boussand Dufour, 22 novembre 1940.
Lettre de Paul Appleton au bâtonnier, 5 septembre 1945.
Lettre de Me Boussand Dufour au bâtonnier, 5 septembre 1945.
Discours de Marcel Poignard à la mémoire des avocats morts pour la France, 11 juillet 1945.
Archives de Paris
Table alphabétique matricule militaire 2e bureau liste principale D3R1 280 : Matricule n°547
Généanet
Jean Marie Marcel JOMARD, Les Jacquet de Saint Nizier d’Azergues - A la seconde guerre mondiale 1940, p.38.
Arbre généalogique : https://gw.geneanet.org/patber33?n=bonnevay&oc=&p=pierre
Tombe de Pierre Bonnevay : https://www.geneanet.org/cimetieres/view/7132443/persons/?individu_filter=BONNEVAY%2BPierre
Mémorial Genweb
Dictionnaire biographique du Maîtron
Gallica
Journal des débats politiques et littéraires, 22 janvier 1938
Bibliographie