« Il avait apporté des terres lointaines de l’Empire, où il était né, un naturel ardent et un esprit plein de fertilité dont ses succès professionnels ont fait la preuve. » Hommage de Marcel Poignard.
Qui était Edward Bracassac ?
La famille Bracassac est originaire de Gironde, et de profession vigneronne : parmi les ancêtres d’Edouard, plusieurs sont tonneliers, vignerons, cultivateurs. Le grand-père paternel était tonnelier, le grand-père maternel était caissier, et la grand-mère blanchisseuse.
Le père d’Edward, Jean-Louis dit Lodoïs, est né en 1876 à Macau en Gironde ; il effectue des études de commerce et sort diplômé de l’école supérieure de commerce et d’industrie de Bordeaux pour laquelle il a obtenu une bourse départementale en 1893. En 1895 il est désigné par le ministre du Commerce pour aller à Sydney et embarque à Marseille le 3 février. Il évoluera comme Inspecteur au Comptoir National d'Escompte de Paris. Il rencontrera en Australie à Sydney la mère d’Edward, Octavie Félicité Petherick, qu’il épousera le 15 décembre 1899. Octavie Félicité, orpheline de mère à l’âge de 10 ans, née en 1875 à Melbourne en Australie, étudie en pension à l'institution des sœurs de l'Assomption à Nouméa. Après des examens d’anglais réussis, rentrée auprès de son père à Sydney, elle devient traductrice anglais-français pour la presse puis enseignante en littérature française à l'Université.
Jean Louis et Octavie s’installent à Madagascar à Diego Suarez en 1902 jusqu’en 1912, date de leur retour en métropole. Madagascar est une colonie française depuis 1897.
Quatre enfants naîtront de cette union :
- Paul Edouard, né le 13 mai 1903 à Diego-Suarez, Madagascar, futur avocat à la Cour d’appel de Paris ;
- Un fils, Lodois né en 1905, à Diego-Suarez, Madagascar, futur ingénieur à l’école central ;
- Un fils, Sidney Jean né en 1910 à Diego Suarez, futur employé de banque ;
- Une fille, future dentiste, née en 1912 à Macau en Gironde.
Edward effectuera donc son début de scolarité à Diego Suarez ; élève brillant, il recevra le 30 décembre 1911 le prix d’honneur aux élèves du Cours scolaire et de l’Ecole européenne, cours secondaire classe de 9e et 10e.
De retour en métropole en 1912, ils s’installent à Macau, où naîtra la petite dernière. Puis s’ils sont domiciliés en 1913 à Nantes, ils se réinstallent à Paris peu avant la Première Guerre mondiale. Jean-Louis sera mobilisé au 140e RIT et terminera la guerre comme adjudant placé sous les ordres du colonel chef de la mission près les armées britanniques. Aucune mention de blessures dans sa fiche matricule.
Edward étudie au lycée Buffon et obtient un baccalauréat latin sciences mathématiques et philosophie. Il poursuit en études de droit dont il est licencié le 24 février 1925, sans avoir auparavant effectué ses obligations militaires (classe 1923, matricule 943). Cet homme d’un mètre 74, aux yeux bleus et aux cheveux châtains, mais aux pouces déformés, a été déclaré inapte et donc exempté de service. Parallèlement à ce parcours en droit, il sort diplômé de hautes études commerciales.
Il s’inscrit au barreau de Paris et est admis le 28 octobre 1926 ; il réside rue du Théâtre, chez ses parents. Il est alors qualifié par l’avoué Edouard Lepage chez qui il effectue son stage, comme un jeune homme sérieux de bonne famille, intelligent et travailleur. Il deviendra ensuite collaborateur de Me Blaisot en 1927 puis de Me Rosenmark en 1929. Après ses diplômes, Edouard se marie le 16 avril avec Louise Renée Vanier (1904-1996), avant de soutenir sa thèse de droit le 23 mai 1928 sur Le Portefeuille des Banques (Président : M. Julliot De la Morandière, Suffrageants : M. Wahl et M. Maurice Picard).
Passionné de droit mais aussi de sport, Edouard est un footballeur amateur et averti. Il s’implique dans cette activité, aux côtés de son confrère Pol Casella. En juillet 1929, il est nommé trésorier de la commission du stade français pour la saison 1929-1930. Cette même année un premier enfant, Claude, voit le jour.
Mais Edouard semble être nostalgique de Madagascar. Il démissionne du Barreau de Paris le 6 juin 1930 pour s’inscrire à Majunga comme avocat défenseur. Si de son côté, il a la certitude d’être en règle, le barreau parisien ne partage pas cet avis. En effet, le Conseil de l‘Ordre l’omet du tableau par sa décision du 10 mars 1931. Edouard écrit le 15 avril 1931 au bâtonnier pour faire opposition à cet arrêt par défaut rendu par le Conseil de l’Ordre le 10 mars 1931.
Edouard est donc convoqué devant le Conseil. « A la vérité votre convocation me surprend, je vous avais adressé ma démission au mois de février de l’année dernière ». « Je suis effectivement parti de Paris le 13 mars 1930 et depuis le mois d’avril 1930 je suis avocat-défenseur à Majunga. Mes anciens patrons Maître Rosenmark et Maître Blaisot avec lesquels je suis resté en relations suivies vous fourniront le cas échéant toutes les explications que vous comptiez me demander et que je regrette fort de ne pouvoir vous fournir moi-même de vive voix » (Lettre écrite de Majunga le 1er avril 1931). Il poursuit en disant que « La décision du conseil est motivée par ce fait que je ne me suis pas libéré d’une somme de 300 frs pour cotisations échues ». Il n’a jamais reçu de demande du Secrétaire du Conseil. Il leur fait parvenir la somme due et les prie de régulariser sa situation. Le différent est réglé. Edouard exerce à Madagascar jusqu’en 1934, s’occupant majoritairement d’affaires commerciales. Côté personnel, sa fille Monique, née en 1932 vient compléter la famille.
Il revient avec sa famille à Paris en 1934 et se réinscrit au barreau de Paris. Le 30 octobre 1934, le rapporteur en charge d’examiner le dossier de réinscription s’adresse au Premier président de la Cour d’Appel de Madagascar et au Procureur général, chef du service judiciaire de la Colonie ; ils attestent par courrier que M. Bracassac a exercé ses fonctions avec probité et qu’il n’a jamais l’objet de peine disciplinaire quelconque. Avant Madagascar, Edward a collaboré avec leur confrère Rosenmark qui en a fait le plus grand éloge. Il remplit toutes les conditions, il n’y a donc aucune objection à cette inscription. Il réside alors Place Violet dans le 15e arrondissement. Il devient le collaborateur de Me Adrien Maillet.
En 1939, peu avant la guerre, Edouard change d’adresse ; il réside au 27 rue Casimir Périer. Il n’a pas tout à fait abandonné sa clientèle de Madagascar. En effet, il écrit en juin au bâtonnier pour solliciter, pour lui et l’Ambassadeur de Grande Bretagne à Paris, une autorisation d’intervenir auprès du ministère des Colonies pour l’un de ses clients résidant à Madagascar, étant l’objet d’un arrêté d’expulsion. Le bâtonnier s’adresse au Procureur de la République, qui demandait des informations sur le dit client, pour expliquer qu’Edward ne peut fournir les coordonnées du ce dernier, en raison de l’obligation du secret professionnel.
Lors de la mobilisation, à 36 ans et père de deux enfants, il tente de s’engager par deux fois, alors qu’il avait été réformé du service militaire ; deux fois il est refusé. Il s’engage alors volontairement comme simple soldat, et est encore non affecté lors de l’envoi du questionnaire de mobilisation de 1939. Il est au moment de l’exode réfugié avec sa famille dans la région de Périgueux en Gironde.
Il intègre le réseau Delbo-Phoenix, créé en 1942, à l’initiative du service de la sureté de l’Etat belge à Londres, comme agent de renseignements et chef de secteur. Il s’engage avec Paul Talluau (pseudo « Andromaque »), chargeant Paul de recruter des agents dans un vaste secteur côtier s’étendant du Cotentin au Pas-de-Calais.
D’abord implanté à Paris, le réseau de renseignements belge nommé « Delbo » (pseudonyme de son créateur Émile Delannoy) disposait de 21 secteurs dont Saint-Malo, Niort et Le Mans. Ce réseau transmettait aux Alliés toute information militaire concernant l’implantation et les actions des forces allemandes pour être codée et envoyée vers l'Angleterre. En six mois, le secteur du réseau « Delbo» est bien implanté et presque exclusivement limité au Nord-Cotentin. Début 1943, il s’étend dans la région de Saint-Lô où leur priorité devient la lutte contre la réquisition des travailleurs. Edward sera chargé de créer le réseau dans le secteur Cherbourg-Le Touquet.
En 1942, Edward récolte de nombreux renseignements. Mme Evelyne Bromberger témoigne de son activité avec Edward. Ce dernier est chargé de monter un service et demande à Mme Bromberger son aide. Celle-ci, le connaissant depuis de longues années, accepte. Elle réunit des documents importants comme les feuilles de route des trains se dirigeant vers l’est, via l’une de ses amies, des renseignements et des échantillons de l’arsenal de Lorient, sur un important dépôt d’essence à Cey la Foret et les transmets à Edward. En lien avec une agent de la direction du mouvement Libération, elle recueille des statistiques de toutes natures de prélèvements faits en France par les Allemands. En rapport avec le secrétaire du commissariat central du 18e et du 2e, elle transmet à Edward les indications et les endroits fortifiés par les Allemands et les listes des attentats commis contre eux. Edward se charge de la transmission en Angleterre.
Le réseau est éventé par les Allemands en mai 1943, les planques parisiennes sont découvertes et le quartier général est déplacé à Niort. Delbo devient alors Delbo-Phenix. Avec son groupe reconstitué, Edward reprend son activité en octobre 1943 : il s’occupe du trafic ferroviaire, des identifications d’unités, des mouvements de troupes, des emplacements de rampes de lancement des V1, toujours dans le secteur Normandie.
Fin novembre 1943, un aviateur, rescapé de bombardement est recueilli dans une ferme des environs de Bricquebec. En effet, l’avion de Reginald Overwijn, aviateur de la Royal Air Force, est abattu le 26 novembre 1943 au-dessus du Cotentin. Il en réchappe et est pris en charge par Paul Talluau, qui l’interrogera, étant le seul à parler anglais. Caché d’abord à Cherbourg, il est transféré clandestinement à Paris au domicile d’Edouard, dans le quartier de l’Opéra. Ce dernier le confiera ensuite au réseau d’évasion « Marie-Claire », qui lui permettra de rentrer chez lui en Angleterre.
Peu de temps après, un avion utilisé par le groupe pour les transmissions tombe aux mains des Allemands. Cet avion portait une liste du personnel du groupe, liste heureusement chiffrée que les Allemands ne parvinrent pas à déchiffrer. Signe prémonitoire…
Début janvier 1944, le réseau franco-belge Delbo Phenix s’écroule : plusieurs arrestations sont opérées par la police parisienne. Un premier agent est arrêté le 9 janvier. Edward aurait alors pu fuir, mais c’était avouer et exposer sa famille aux représailles. Il reste. Il est à son tour arrêté par deux agents de la Gestapo à son domicile le 12 janvier 1944 à 8h du matin, en présence de sa femme Louise. Les agents visitent tout l’appartement, font fonctionner le poste de TSF et lisent tout le courrier. Elle demande à un des agents ce qu’on reproche à son mari : « Madame c’est très grave. On lui reproche de faire partie d’un groupe de résistance ».
« Ils ont quitté le salon à 10 heures moins le quart » et elle est avisée à midi par la police allemande que son mari est à Fresnes. Elle informe l’Ordre dès le lendemain et charge Joseph Haennig d’une éventuelle défense. Il informera lui-même le bâtonnier.
Dès le 21 janvier, son confrère Pol Casella est commis par l’Ordre pour administrer et surveiller le cabinet de Bracassac, 27 rue Casimir Périer. Car pour gagner sa vie, Edward poursuivait ses activités d‘avocat en s’occupant avec dévouement et un parfait désintéressement de tous les français qui étaient inquiétés pour activité anti-allemande. Avant la guerre, Pol Casella, ancien prisonnier de 1940, s’était occupé des équipes juniors et cadets du Stade français. Edward était son ami d’enfance, ils se connaissaient depuis 25 ans et pratiquaient une activité sportive commune, le football. Après la guerre Pol demandera à l’Ordre de porter secours à sa veuve et ses enfants.
« Pendant tout le temps de sa détention en France nous n’avons jamais eu l’autorisation de correspondre malgré mes nombreuses recherches » témoignera Louise. Edward reste emprisonné à Fresnes du 12 janvier au 28 mars. L’instruction menée par les autorités allemandes ne parvient pas à établir sa culpabilité. Mais ils le tiennent, et ne le lâchent pas. Il est transféré à Compiègne.
La veille de sa déportation, sa femme se rend à Compiègne pour lui porter un colis mais les Allemands ne l’acceptent pas en raison d’un départ le lendemain. Louise veut voir Edward, elle dort donc à Compiègne et « le 6 avril de 6 heures à 9 heures, j’ai assisté au triste défilé de tous ceux qui partaient pour l’Allemagne. J’ai vu mon mari qui faisait parti du dernier convoi et à son côté était Paul Talluau ».
Edward est déporté le 6 avril 1944, par le dernier des quatre grands convois pour Mauthausen, avec 1485 autres êtres humains, parmi lesquels 1363 français. Ce convoi était majoritairement composé de résistants, notamment des membres de groupes de réception d’armes parachutées et filières d’évasion, principalement issus des départements bretons, de Loire-Inférieure, de l’Aisne, du Nord ou du Jura. Arrivés au camp le 8 avril, les 1 363 Français subissent alors les formalités d’usage et sont placés pour quelque temps en quarantaine. Edward n’a sur lui que deux papiers d’identité, mais se débrouille rapidement pour trouver un crayon et une carte qu’il envoie à Octavie au mois d’août.
La plupart de ces déportés fonderont le Kommando de Melk. Le 21 avril, un premier transfert de 500 détenus, comprenant 406 Français, dont Edward, quitte le camp central pour cette nouvelle annexe. Edward sera affecté au commando de travail de l’usine d’armements Steyr puis le 15 septembre, au commando de travail Linz III, dans les usines d’armements du groupe industriel d’Hermann Goering. Pierre Chagues, compagnon de captivité, avec qui il travaillait, dira à son retour qu’Edward avait très bon moral « et remontait toujours les camarades, c’est lui qui annonçait toujours les bonnes nouvelles », ce qu’un autre de ses compagnons exprimera également : « ce que je veux surtout vous dire c’est le moral incomparable qu’il eut toujours ».
Selon un autre camarade de captivité, Georges Degois, déporté politique comme lui, Edward est mort le 7 mai au camp de Linz au cours de son transport de l’infirmerie du camp à l’hôpital de Linz, des suites d’un flegmon à la gorge (inflammation infectieuse).
C’est par ses compagnons de camp que la nouvelle de sa mort arrive à la capitale. Leurs témoignages sont unanimes : il fut « l’âme de la résistance au camp et qu’il se dépensa dans le secours aux affligés, aux faibles, aux défaillants soutenant les uns et les autres par son exemple et ses exhortations ».
« C’était un homme de grand cœur, très cultivé et qui voyait loin… je perds un grand ami », complétera un autre rescapé.
Quant au bâtonnier Charpentier, il est officiellement informé en juillet 1945 de la disparition de son confrère. Il avait entendu circuler de « sinistres nouvelles » sur le sort d’Edward mais espérait qu’elles étaient inexactes :
« Notre confrère, en pleine jeunesse et en pleine force de son talent, était de ceux qui eussent occupé une place importante au palais. Il y possédait beaucoup de sympathies et de solides amitiés. Il laissera parmi nous d’immenses regrets. Sa mort, au service de la Patrie honore l’Ordre comme le pays tout entier ».
Cindy GERACI.
Cité à l’Ordre du corps d’armée, décision n°43. :
« Merveilleux agent de renseignement en T.O. Est parvenu par son courage et sa ténacité à former un excellent secteur. Ardent patriote n’a cessé de payer de sa personne jusqu’au jour de son arrestation. Arrêté le 12 janvier 1944 et déporté, est décédé au camp de Mauthausen ». Croix de guerre 1939 avec étoile de Vermeil.
Croix de chevalier de l’Ordre de Léopold avec palme.
Croix de guerre 1940 avec palme pour le royaume de Belgique.
Nommé lieutenant à titre posthume en 1947.
J.O. 8 juillet 1948 : Citation à l’Ordre de la Nation à titre posthume.
Mention « Mort en déportation » arrêté du 05/11/2013
Homologué F.F.C et titre de déporté résistant.
Dossier administratif d'Edouard Bracassac.
Archives Historiques de la Défense :
Vincennes :
- Edouard Bracassac : GR 16P 86922. le portrait est conservé dans ce dossier.
- Evelyne Bromberger : GR 16 P 92424
- Paul Palluau : GR 16P 561374.
- Réseau Delbo-Phenix : 17P112.
Registre du camp de concentration de Mauthausen : AC 26 P 1132
Archives de Paris :
Table alphabétique des registres matricules, D3R1 280, 1923, 2e bureau.
Généanet :
Arbre généalogique des familles Bracassac-Petherick par mb33340.
Gallica-BNF :
La petite Gironde, 24 janvier 1895 : son père Sydney.
L’Impartial de Diégo Suarez, 2 janvier 1912.
Le Journal, 15 janvier 1929. : Accident de voiture lorsqu’il était dans un taxi.
Le Réveil de la Côte Ouest, 17 novembre 1932.
Madagascar, 25 mai 1932 : naissance de Monique.
L’Echo des sports, 26 juillet 1929 : trésorier du foot du stade français.
Le journal de Madagascar, 15 juillet 1948 : cérémonie d'hommage.
Combat, 15 juillet 1948 : cérémonie d'hommage.