Des rues, des stades, des plaques commémoratives, des gymnases, des piscines, des foyers, des clubs, des terrains de sport, des fédérations, des auberges de jeunesse, une station de métro, des salles de spectacles, des centres de loisirs et même une association pour la défense des consommateurs, portent encore aujourd’hui le nom de Léo Lagrange. Le nom résonne, il est familier, il a accompagné des générations de jeunes sportifs et leurs parents. Mais qui est Léo Lagrange ?
Son confrère et compagnon de conférence, Denis Desplanches (1897-1975) , le décrit : « Haut de taille, large d'épaules, la main robuste, l'ampleur du front élevé disant l'intelligence ; le menton, la bouche résolue témoignaient de sa volonté. Il émanait de lui une force attentive et retenue avec, au coin des lèvres et dans le regard, une manière de gentillesse farouche et tendre qui lui valait le cœur de ses amis. »
De son côté paternel, la famille est originaire des Hautes-Alpes. Le grand-père de Léo, François Lagrange, est né en 1839 à Bussière-Boffy. Membre d’une fratrie de 16 enfants, il était gendarme à cheval. Son père s’appelait également François. Lorsqu’il se marie avec Marie Guieu, à Savines-le-Lac dans les Hautes-Alpes, le grand-père transmet le même prénom à son fils unique, le père de Léo. Ce dernier est baptisé François, Aimé, Auguste.
Ce François Lagrange, qui sera le père de Léo, est réformé pour une déformation du thorax, mais versé dans un service auxiliaire de l’armée. Il débute sa carrière comme comptable des Matières des Colonies, en charge de la comptabilité des matières premières. Il va séjourner plusieurs années au Soudan avant de s’installer à Paris. Il occupe d’abord les fonctions de commis à la Préfecture de Police de Paris, puis s’élève dans la hiérarchie jusqu’au poste de chef de bureau. Il est chevalier de la Légion d’honneur. Lorsqu’il était étudiant à la faculté de Bordeaux, le père de Léo était plus littéraire, il avait écrit un recueil de poèmes « Rimes premières » dont il tirait une certaine fierté. En 1899, il a épousé Marie Dehors, une jeune fille de 20 ans qui demeure chez sa mère à Bourg-sur-Gironde. Marie est née de père inconnu. Sa famille est originaire de Clérac, en Charente. La mère de Marie est propriétaire du domaine de Lartaude, à Bourg-sur- Gironde, où la famille Lagrange choisira de s’enraciner. Léo sera particulièrement attaché à cette maison.
François, Léo Lagrange nait le 28 novembre 1900 à Bourg-sur-Gironde, dans la maison de Lartaude. Néanmoins, le domicile familial est à Paris au 17, rue Berthollet, dans le 5ème arrondissement. La famille est issue d’un milieu simple, mais elle connait une certaine aisance matérielle. Léo va faire toute sa scolarité au prestigieux Lycée Henri IV. A l’âge du collège, il est membre des Eclaireurs de France, une association de scoutisme sans engagement confessionnel avec laquelle il va découvrir les joies du camping le week-end et des jeux sportifs de plein air. Il pratique également le football.
Arrivent 1914 et la guerre. Les années de lycée sont marquées par le rationnement, les nouvelles de la guerre, les morts, même si ceux-ci ne touchent pas Léo Lagrange de près. L’ambiance très particulière qui existe dans le pays en guerre enfièvre les esprits des élèves. Après avoir souhaité un armistice pour que cesse la guerre, Léo, emporté par sa volonté d’agir, n’a plus qu’une idée : s’engager. Le 17 août 1918, il se rend dans un bureau de recrutement et signe son engagement. Il est mineur. Son père pourrait s’opposer, mais il connaît son fils : rien ne détournera ce dernier de son objectif une fois sa décision prise.
Le 22 août 1918, Léo est affecté au 32ème régiment d’artillerie qui a pris ses quartiers dans la Marne entre grand Rosay et Noyon. En octobre, il est transféré au 30e régiment d’artillerie, dans l’Aisne. Léo est au front. A 17 ans, il a le temps de connaître l’enfer des tranchées, la boue et le sang, les obus, les corps mutilés. L’armistice est signé peu avant son 18eme anniversaire. En trois mois, il a acquis une expérience de la guerre qui le marque pour la vie. Il est brigadier. N’ayant pas voulu sanctionner pour des faits mineurs des soldats sous ses ordres qui ont l’âge d’être son père, il est puni et muté. Il est démobilisé le 3 novembre 1919.
Son statut d’ancien combattant lui permet de bénéficier de dispositions dérogatoires pour la reprise de ses études. Il obtient son baccalauréat le 11 novembre 1919 et s’inscrit immédiatement en faculté de droit et, concomitamment, à l’Ecole Libre des sciences politiques.
Il est rapidement membre des Jeunesses Socialistes et milite avec la conviction et l’ardeur qu’il met déjà en toutes choses. Côté familial, il a toujours baigné dans une ambiance de radicalisme et de laïcité. En janvier 1921, il adhère à la SFIO. Lors du Congrès de Tours, qui a eu lieu l’année précédente et qui a vu la scission entre la SFIO et le nouveau Parti communiste, Léo a pris la mesure de son engagement et il a renoncé au romantisme révolutionnaire qui justifie tous les moyens par le but à atteindre.
Dans un de ses derniers discours, lors du congrès socialiste de Nantes le 29 mai 1939, il précisera encore la position à laquelle il a toujours été fidèle : « là où il n’y a pas de vérité, là où il n’y a pas de justice, là où il n’y a pas de respect de la dignité de la personne humaine, il n’y a pas place pour le socialisme libérateur. » Suit une critique du bolchévisme et des méthodes totalitaires. « Si j’avais à faire le procès du bolchevisme, si je voulais montrer ce que pour des hommes comme moi, qui ont toujours été fidèles dans leur jeunesse au socialisme, marque leurs divergences avec les communistes, c’est que nous, nous n’acceptons pas que n’importe quel moyen soit mis au service de la lutte pour un idéal, si noble qu’il soit. »
Fin juin 1922, il passe ses examens avec succès. Le 24 juin, il obtient sa licence en droit et le lendemain, le certificat de Sciences Pénales avec un mémoire sur « L’exercice de l’action publique sous la Révolution française ». Un sacré sujet à même de forger des convictions chez un jeune juriste.
Léo a rapidement été convaincu que la défense des plus humbles trouvait son efficacité devant les juridictions pénales. Son confrère et ami, Samuel Spanien, témoignera : « De l’avocat, il avait ce fond de révolte nécessaire contre la pression sociale qui pèse parfois si lourdement sur le justiciable désarmé ; c’est pourquoi il se sentait plus à l’aise à la barre des juridictions répressives que dans les prétoires de justice ou de seuls intérêts matériels sont débattus.»
Léo demande son inscription au stage du barreau de Paris le 9 novembre 1922 et prête serment le 14 novembre. Il indique installer son cabinet 17, rue Berthollet, dans le domicile familial. Le rapporteur qualifie les locaux de « corrects » pour l’exercice professionnel.
Comme tout étudiant en droit, Léo a fait quelques classes chez un avoué, Maître Deloison, afin de se familiariser avec la procédure.
Le 18 novembre 1924, il épouse Madeleine Weiller, qu’il a rencontré à l’université où elle suivait les mêmes cours que lui. Madeleine est née à Saint-Dié, dans les Vosges, 5 jours avant la naissance de Léo. Le père de Madeleine, le docteur Louis Weiller, s’est vu attribuer la Légion d’honneur en 1920 pour les soins qu’il a dispensé aux blessés pendant la guerre. La famille de Madeleine, tant du côté paternel que du côté maternel, est de vieille ascendance alsacienne et a pris le nom de Weiller en application du décret de Napoléon imposant à chaque Français un nom de famille transmissible.
Madeleine a suivi le même cursus que Léo. Ils sont inséparables et profondément unis. Madeleine a été admise au stage le 19 octobre 1922. Elle est avocate et exerce avec Léo à partir de leur mariage.
L’année 1925 est riche en évènements pour Léo.
Son enthousiasme et son dévouement sont remarqués au Parti socialiste. Il est élu membre de la Commission permanente administrative de la SFIO.
Exercice quasi-incontournable à l’époque, le concours de la Conférence des avocats stagiaires ne peut que tenter ce jeune homme en quête d’absolu. C’est comme si la guerre, l’immersion même courte dans cette tragédie sanglante, lui avait donné un appétit de vivre pleinement, de s’engager totalement dans chacune de ses entreprises. Il s’est inscrit au concours de la Conférence du Stage qui se tient sous l’égide du bâtonnier Aubépin et est élu 6ème secrétaire. Ce n’est pas l’un des rangs prestigieux de la Conférence, mais cette élection révèle ses aptitudes oratoires.
Enfin, pour couronner l’année, le 16 septembre 1925, Léo devient père d’un petit garçon, Serge.
Son exercice professionnel est dédié au service des blessés des poumons et des gazés de la guerre. C’est par dizaines que se rendent dans son cabinet ceux qui n’ont plus qu’un temps limité de vie. Léo se bat pour voir reconnaître à ces malheureux une pension, un titre de pupille de la nation, un secours.
Ce contact quotidien avec les laissés-pour-compte de la Grande guerre, ceux, les rescapés dont le corps est déchiré, la gueule cassée, celles qui ont perdu un mari au champ d’honneur, leur soutien financier, et qui restent seule avec un ou plusieurs enfants, accroît son empathie pour les plus modestes. Il côtoie la misère, la précarité, la souffrance. Il sait que chaque dossier qu’il plaide a un impact sur une existence. Chaque plaidoirie est action. L’action. Il lui voue un culte, comme avocat et plus tard, comme homme politique. Agir. Ne pas se résigner. Tenter d’œuvrer pour que demain soit meilleur.
Le spectacle des clients mutilés, souffrants, qui encombrent la salle d’attente de son cabinet le fait haïr la guerre. Il enracine en lui sa volonté de toujours lutter pour la paix.
En 1926, Léo et Madeleine rencontre le couple Malraux. C’est Clara Malraux qui contacte Léo, par l’intermédiaire d’amis communs, pour qu’il défende André accusé de vols d’objets antiques. Une amitié forte et constante nait entre les 2 hommes, que seul le décès de Léo rompra.
Léo Lagrange se mêle au bouillonnement de la vie intellectuelle parisienne des années 1930 et rencontre nombre d'écrivains, historiens, artistes et savants. Devenu rédacteur au journal Le Populaire, publication officielle de la SFIO, il rend compte, dans sa chronique, de l'actualité judiciaire.
Sa demande d’inscription au Tableau est acceptée le 6 mars 1928 avec effet au 6 mars 1923. Son cabinet est installé 3 rue de la Mission Marchand dans le 16ème arrondissement. Le rapporteur est Alexandre Millerand, ancien président de la République de 1920 à 1924, socialiste et avocat. Ce sont déjà ses relations politiques qui transparaissent dans le choix de ce rapporteur. Madeleine n’est pas en reste. Sa demande d’inscription au Tableau est datée du même jour et elle bénéficie de l’accueil du même rapporteur, le président Millerand.
Léo se partage entre son cabinet et son activité politique.
Son ardeur et son énergie l’ont fait remarquer par Paul Faure, le secrétaire du parti, qui l’apprécie beaucoup et le pousse à prendre des responsabilités. Léo est désigné candidat socialiste aux élections législatives en 1928, dans le XIe arrondissement de Paris, secteur de la Folie-Méricourt. Il fait campagne dans les préaux d’école. Le résultat ne lui est pas favorable : il est devancé par le candidat communiste et c’est finalement le candidat de droite sortant qui est réélu.
Léo en a tiré une expérience. Il a fait ses armes. Une circonscription attribuée à un vieux militant socialiste se libère en vue des élections législatives de 1932. Ce dernier ne souhaite pas se représenter. Léo est investi pour conquérir le siège de député de la 1ère circonscription d’Avesnes, dans le Nord. Elle est détenue depuis 1928 par Louis Loucheur, un homme d’affaires important, six fois ministre et originaire du département.
Léo n’hésite pas à mettre ses forces dans ce combat. Dès janvier 1930, il loue un pied-à-terre dans la banlieue d’Avesnes et organise ses premières réunions publiques. Il plaide pour le désarmement et met l'accent sur la nécessité, pour la classe ouvrière, d'être instruite et organisée si elle veut diriger un jour. Au fil des réunions, des rencontres et des débats qui se succèdent, Léo Lagrange défend les idées socialistes.
Lors du premier tour des élections, qui a lieu le 1er mai 1932, il arrive largement en tête des candidats. Le 8 mai 1932, il est élu député.
En sa qualité de membre inscrit du groupe socialiste à l’assemblée, il est nommé, avant d’être élu secrétaire, à la commission de l’Armée et à la commission de la législation civile et criminelle. C’est un député actif, qui travaille ses dossiers. En qualité de secrétaire de la commission de l’Armée, il dépose une proposition de loi en faveur des anciens prisonniers civils de la guerre. Il s’interroge sur l’Armée et admire les thèses sur L’Armée de métier d’un certain colonel de Gaulle qu’il rencontre à plusieurs reprises.
Ses interventions sont fréquentes. Il positionne fermement son parti dans les débats budgétaires et ne craint pas d’exprimer fortement son indignation à la tribune sur les sujets qui défrayent la chronique judiciaire : le scandale de l’Aéropostale en juillet 1932, l’affaire Stavisky en 1934, les grèves du textile dans les régions d’Avesnes et de Fourmies, le chômage, …
Son allocution sur les affaires Stavisky produit un tel effet qu’il est nommé rapporteur de la commission d’enquête chargée de rechercher les responsabilités dans ces affaires.
La même année, il participe activement aux débats qui précèdent le vote de la loi sur la dissolution des groupes de combat et milices privées. Il attaque violemment le gouvernement et son chef, Pierre Laval, qu’il traite de « mauvais génie de la nation ». Léo ignore à quel point il est visionnaire …
Il suffit de lire la presse de cette époque pour constater que les débats sont rudes, violents, les propos agressifs, voire outrageants. La qualité d’avocat de Léo, qui plus est secrétaire de la Conférence, en fait un féroce débatteur. Jean Joly, dans son Dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940, rapporte que Léo n’est pas avare de formules et de slogans, « simplistes peut-être, mais à l’effet percutant, tel que : « Du pain aux chômeurs et des cordes pour les voleurs. »
Lors des élections législatives de 1936, Léo se présente à nouveau dans « sa » circonscription. Les résultats montrent qu’il a réussi son implantation. Il a accru son avance sur les autres candidats et l’emporte facilement sur son adversaire au deuxième tour, le 3 mai 1936.
La France a voté Front Populaire.
Léon Blum, le premier des socialistes, est appelé par le président de la République, Albert Brun, à constituer un gouvernement. Les communistes soutiennent, mais refusent de participer. Le 4 juin 1936, Léo est nommé sous-secrétaire d'État aux Sports et à l'Organisation des Loisirs auprès du ministre de la Santé publique, Henri Sellier.
Des Loisirs ? La droite ricane et se gausse de ce ministère qu’elle renomme « de la paresse ». L’Action Française parle de ministère de la Fainéantise.
Tout est à créer pour ce ministère nouveau. Un défi qui ne peut que plaire à Léo qui adore prendre à bras le corps un dossier et lui apporter ses solutions. La page blanche ne l’intimide pas, elle l’exalte et le stimule.
Léo confie la gestion de son cabinet à son ami Samuel Spanien. Madeleine le rejoint au ministère pour l’assister.
Léo, qui aime et pratique le sport, est ambitieux pour la jeunesse. Son programme est de lui assurer les bienfaits de la vie en plein air : camping, auberges de jeunesse, vie sportive et saine, hygiène du corps et de l’esprit. Le romantisme socialiste imprègne les idéaux de Léo.
Dans son projet de décret pour la création du Brevet Sportif Populaire, il décrit la nécessité de l’éducation physique : « Les conditions de travail modernes qui tendent à éliminer l'effort proprement physique au profit des gestes automatiques, le développement continu des moyens de transport mécaniques, la passivité croissante de la vie quotidienne, l'augmentation des heures de loisirs, inemployées ou mal employées, sont de nature, s'ils n'ont pas de contrepartie active, à provoquer une nette dégénérescence de l'être humain. »
Il dédaigne la pratique des sports réservée à une élite, incompatible selon lui avec la notion de culture physique étendue et généralisée telle qu’elle existait dans le monde antique. Ce « sport spectacle », restreint « à un nombre relativement petit de privilégiés » et qui ne présente un agrément que pour ceux qui y assistent est contraire à la pratique qu’il veut instaurer au bénéfice du plus grand nombre.
Il aime à répéter : « Aux jeunes, il ne faut pas tracer un seul chemin, il faut ouvrir toutes les routes. »
Il s'emploie immédiatement à développer les loisirs sportifs, touristiques et culturels. A peine installé dans son ministère – un appartement 18, rue de Tilsitt dans le 17ème arrondissement, près de l’Etoile, il charge les préfets de recenser les différents stades, terrains de jeux, piscines et autres structures sportives existantes ainsi que les campings.
Dès la 1ère année de son mandat, il fait réaménager 253 stades, piscines et terrains de jeux. Il lance également des chantiers pour la réalisation de nouveaux équipements, avec obligation d’en laisser la jouissance aux établissements scolaires. Le sport doit entrer dans toutes les écoles et à tous les niveaux. Les jeunes, à la campagne et à la ville, doivent disposer d’un stade à proximité. Neuf stades sont en chantier autour de Paris, dans les villes à forte concentration ouvrière où le besoin est le plus vif.
Son objectif est de pourvoir à un équipement sportif complet sur tout le territoire.
Il créé un Conseil Supérieur des Sports chargé de superviser toutes les fédérations qui agissaient en ordre dispersé et institue le Brevet sportif à trois échelons pour stimuler et entretenir le goût de la pratique du sport. Il organise et hiérarchise cette pratique.
Les débuts de son ministère sont marqués par l’organisation des Jeux Olympiques de Berlin et de Barcelone. Les jeux olympiques de Barcelone, dits Olympiades populaires, sont supposés être le contrepoint de ceux de Berlin, organisés par l’Allemagne nazie. Les épreuves officielles qualificatives pour ces Olympiades populaires se déroulent le 4 juillet 1936 au stade Pershing à Paris. Léo Lagrange préside en personne ces journées. À travers leur club, la FSGT (Fédération sportive et gymnique du Travail), ou individuellement, 1 200 athlètes français s'inscrivent à ces olympiades antifascistes.
Toutefois, lors du vote de l’Assemblée nationale, le 9 juillet 1936, sur la question de la participation de la France aux Jeux de Berlin, la gauche entière, parti communiste compris et à la seule exception de Pierre Mendès-France, s’abstient tandis que la droite vote pour. Les sportifs français iront à Berlin. Certains se rendent à Barcelone, mais ils ne pourront concourir. En effet, en raison du coup d’Etat de Franco, les Olympiades populaires sont annulées.
Le gouvernement du Front Populaire a octroyé 2 semaines de congés payés aux salariés. Léo veut leur offrir les moyens de quitter la ville, de profiter du bon air et de l’exercice physique. Il démarche les entreprises de transport et obtient la création du billet populaire de congés annuels qui accorde 40 % de réduction sur les transports ferroviaires. 4 jours après sa nomination, il a envoyé une circulaire pour encourager et impulser le mouvement des auberges de jeunesse dans le but d’accueillir les jeunes en congé. Il rend visite aux syndicats d’initiative, aux hôtels. Ce sont les premiers départs vers la neige avec les trains spéciaux sur lesquels il a même obtenu 60% de réduction et les tarifs réduits sur les téléphériques. Des croisières populaires voient également le jour en Méditerranée sous son égide.
Le ministère de Léo fait la promotion tous azimuts des sports et en particulier, du tennis, du cyclotourisme, du canoë, … Il fait reconnaitre officiellement le naturisme.
Léo ne néglige pas l’intellect. Il veut également offrir la culture. Il démarche encore des musées, des théâtres pour obtenir des billets à tarif réduit pour « les congés payés ». Le ministère soutient des troupes de théâtres comme le « Théâtre du Peuple » de la CGT, la « Roulotte des quatre saisons », théâtre ambulant, ou le Théâtre antique d’Orange. Il protège également le mouvement « Jeune science ». Léo expérimente le prêt d’œuvres du Louvre à des musées de province. Son ministère encourage la création de « clubs de loisirs », ancêtres des maisons de la jeunesse et de la culture, l’idée inspirera son ami Malraux plus tard. Dans ses cartons, il a encore le projet de créer des cinémathèques et des bibliothèques ambulantes sous forme de bus. Il n’aura pas le temps de le réaliser ce projet.
Après la démission du gouvernement du Front Populaire, Léo conserve son ministère dans le cabinet Camille Chautemps, qui lui a ajouté logiquement l’Education physique. Chautemps démissionne le 18 janvier 1938. Léon Blum lui succède et Léo le retrouve, dans les mêmes fonctions, le 13 mars. Le 10 avril 1938, le deuxième gouvernement Blum démissionne. Léo retrouve son siège de député.
Son engagement en faveur du sport demeure intact. Il préside le Centre laïque des auberges de jeunesse et l’Office du sport scolaire.
En moins de 20 mois, il a réalisé une œuvre extraordinaire
Le 30 septembre 1938, les accords de Münich sont signés par Daladier, le nouveau président du Conseil, entérinant l’annexion de l’Autriche et laissant la part belle à la volonté hégémonique et annexionniste de Hitler. Léo Lagrange se range résolument dans le camp anti-munichois. Il est favorable à un effort d’armement de la France et soutient les thèses du colonel de Gaulle.
En février 1939, il cofonde l’association Les Amis de la République française dont l’objet est de faire aimer la France et de la défendre.
A la déclaration de guerre, Léo Lagrange a 39 ans. Ancien combattant de la Grande guerre et parlementaire, il n’est pas mobilisable. A Daladier qui veut lui confier un Commissariat général à la Préparation militaire, il répond : " Le pouvoir appartiendra à ceux qui se seront battus et qui en sortiront vivants ". Il choisit de se battre. Non pas pour le pouvoir à venir, mais pour défendre la France, son peuple, la République auxquels il est viscéralement attaché.
Le 3 septembre 1939, Léo Lagrange écrit dans l’Avenir : " Si Hitler a choisi la guerre, si de sa main, il veut mettre le feu au bûcher sur lequel flambera notre civilisation, il faut qu’il sache que nous défendrons notre pays sans forfanterie, mais sans faiblesse, et que nous irons jusqu’au terme le plus dur de notre devoir. La France veut être libre. ".
Immuablement fidèle à ses convictions, Léo rejoint volontairement le corps des élèves officiers de réserve de Poitiers dans le but de combattre. La formation dure trois mois. Le 1er janvier 1940, il est affecté au 61ème régiment d’artillerie de Metz en qualité de sous-lieutenant. Son unité est en première ligne. C’est un régiment hippomobile, les pièces d’artillerie sont déplacées par les chevaux. Faiblesse face à la motorisation de l’armée allemande. La politique attentiste du gouvernement l’inquiète, la débâcle de mai 1940 le désespère et l’enrage contre ceux qu’il appelle les planqués, les réactionnaires. Il appelle à la contre-offensive.
Le 19 mai, il écrit à sa femme Madeleine : « Ma petite Mad chérie, c’est le grand baroud. Nous maintiendrons. Je ne désespère pas, au contraire. Tout doit être sauvé. Nous ferons tout notre devoir. (…) Nous sommes comme toujours à la hauteur de notre tâche et nous sauverons notre pays. (…) Sois confiante et courageuse. Les lettres ne seront peut-être pas nombreuses, mais j’écrirai aussi souvent que je pourrai. (…) L’arrière doit tenir. J’ai confiance. Léo. »
Le 6 juin 1940, il accomplit une mission de reconnaissance sur les bords du canal de l’Aisne, aux environs de Brienne, à quelques 15 kilomètres au nord de Reims. L’objectif est de préparer la destruction de l’usine d’Evergnicourt, une papèterie transformée en place forte depuis laquelle les Allemands mitraillent les fantassins français. La mission est reportée au 9 juin. Léo est volontaire.
Les bombardements allemands frappent régulièrement les lignes françaises. Une offensive très importante de la Wehrmacht est envisagée. Charles Henry, calculateur au poste central de tir du 61ème, rapporte le comportement de Léo Lagrange le soir du 8 juin :
« Lorsqu’il me dit « il faut que je me lève tôt, vers 4h00 du matin je crois, pour aller rejoindre les lignes des biffins », je lui ai alors répondu « et bien mon lieutenant vous n'allez pas avoir votre compte de sommeil ». Puis nous avons fait allusion à l'éventualité d'une attaque violente de la Wehrmacht puisque plusieurs signes le laissaient prévoir.
Lagrange l'envisageait sans crainte, sachant qu'elle se produirait tôt ou tard. Cet homme de 40 ans qui n'était nullement obligé de rejoindre un régiment de première ligne a fait preuve jusqu'au bout d'un courage calme et tranquille. Et j'ai gardé pour lui une admiration sans borne comme pour tous ceux qui se sont battus à un contre cinq, contre un adversaire infiniment mieux armé, doté de chars et d'une aviation de combat. Nos fantassins ont été admirables et il n'y a pas eu que des pleutres en 1940. »
Le 9 juin à l’aube, l’offensive de l’Aisne est déclenchée. Les bombes allemandes tapissent le sol. L’un des officiers de liaison écrit qu’il y a « une telle fumée de poudre dans la vallée qu’il est impossible d’y voir à 5 m ». Léo poursuit sa mission d’officier de liaison entre les différents groupes et de reconnaissance. Avec deux compagnons, le sous-officier Jacques Chéron et le capitaine Cherpitel, Léo se rend aux lisières est du bois de Pissoy à l’ouest de Brienne. L’objectif est de relever les données des emplacements des pièces de 155 mm qui tireront sur l’usine d’Evergnicourt. Léo Lagrange a-t-il été surpris par les bombardements ?
Charles Henry, calculateur au poste central de tir du 61ème, relate ce jour dans son carnet : « L’horreur commence. Les avions nous bombardent pendant des heures ainsi que l’artillerie. Nous restons presque tout le temps dans les tranchées d’Auménancourt. A midi, accalmie. L’après-midi, cela reprend de plus belle. Les bombes tombent à quelques mètres de nous. C’est terrifiant. Le lieutenant Lagrange et Chéron sont manquants. » Les supérieurs du lieutenant Lagrange s’inquiètent de son sort. Le bruit court que « Monsieur Lagrange », car c’est ainsi que ses hommes l’appellent, a été blessé au bras et soigné au poste de secours de Brienne-sur-Aisne avant d’être évacué vers l’arrière.
Le 10 juin, l’ordre de repli est donné pour défendre la vallée de la Vesle. Léo Lagrange est introuvable.
En janvier 1941, un cantonnier heurte, près d’Evergnicourt, un talus sur lequel est plantée une croix faite de deux branches de noisetiers ornée d’une plaque de bois mentionnant : Léo Lagrange, classe 1920, recrutement de la Seine.
Un officier allemand corrobore la découverte. Il a inhumé le 9 juin 1940 le corps d’un officier français dont les papiers étaient ceux d’un député ancien ministre.
C’est seulement le 17 février 1941 que l’information parvient à Madeleine Lagrange. Les mois d’incertitude et d’angoisse cèdent la place au chagrin.
L’homme à la probité exemplaire, le passionné de justice, le socialiste humaniste fait l’unanimité dans la presse. Les témoignages affluent sur cet homme qui laisse une empreinte durable sur tous ceux qui l’ont approché.
L’abbé Lagarde, l’aumônier, du 151ème RI, écrit à Madeleine Lagrange : « Ce qui m'attirait vers le lieutenant Léo Lagrange, c'était sa grandeur d'âme. Il comprenait et il était noble dans tous ses sentiments dans un milieu qui était plutôt porté à lui reprocher son passé. Il était devenu sympathique et cela sans rechercher, sans flatter, sans faire de concession, en étant tout simplement lui-même. Pas d'ambition, mais le désir de bien faire et d'être en règle avec sa conscience. »
Le général De Gaulle écrit lui aussi à Madeleine dès qu’il apprend le décès de Léo : « On parle du souvenir de Léo Lagrange, mais comment l’oublierait-on ? Comment oublierait-on (…) ce représentant du peuple ouvrant son esprit et portant son labeur et son éloquence aux fraternelles idées, ce combattant des premiers instants tombés à l’ennemi en défendant la terre natale et la liberté contre la pire invasion que connut notre pauvre monde. Moi qui l’ai connu, c’est-à-dire estimé et aimé, je veux lui rendre témoignage. »
Même son ennemi politique, Charles Maurras, s’incline devant lui dans l’Action Française du 20 février 1941. Après avoir critiqué son engagement politique, il poursuit « Mais indépendamment du vrai, et mis à part son utilité politique, restent les forces morales du courage et du dévouement, reste la mâle conformité de l'action et de la conduite de la vie aux idées que l'on a prises pour loi personnelle et c'est ce qui mérite éternellement le respect. (…) Un des caractères de cette guerre est d'avoir été faite en général par ceux qui ne l'avaient pas voulue et voulue par ceux qui ne l'ont pas faite. Monsieur Léo Lagrange fait une dérogation glorieuse au contraste ironique illustré par Jean Zay et tant d'autres ! Léo Lagrange ayant voulu la guerre, l’a faite et bien faite : il y est resté. Nous le saluons.
(…) C'est pourquoi ce n'est pas son « idéal » que nous acclamons comme le font ses collègues politiques sous prétexte que c'est à cet idéal que s'enflammait son patriotisme. Non, le patriotisme n'a pas besoin d'un idéal, socialiste ou royaliste, pour s'enflammer, car il naît de lui-même, du sang et du sol paternel. Ce qu'il faut saluer - dans un esprit de patriotisme très supérieur au parti- c'est le suprême sacrifice de la vie fait sur le sol qu'il s'est agi de défendre. »
André Malraux lui rend hommage le 8 juin 1945 lors d’une soirée commémorative à la Salle Pleyel : « Il est mort dans la fidélité, il est mort dans le courage, dans la recherche de la vérité et dans la dignité. (…) Mais, avant que tout ceci ne soit mêlé comme les galets, au rythme éternel de l’oubli, je voudrais résumer ce qu’ont dit ceux qui m’ont précédé et vous demander, si ce nom est jamais prononcé devant vos enfants, lorsque vous en aurez dit ce que vous en savez, d’ajouter simplement au nom de tous ceux qui sont venus ici, au nom de tous ceux qui sont sur cette tribune : «Ce combattant aima le Peuple de France, lui fut fidèle pour le meilleur et pour le pire, dans la vie et jusqu’à la mort», et d’ajouter aussi quelque chose de plus simple : «C’était un homme que nous aimions.»
Léon Blum, qui est malade, ne peut assister à cette manifestation qu’il devait présider. Il envoie aux organisateurs une lettre pour apporter son témoignage : « Jusqu’au dernier moment, j'avais espéré qu'il me serait physiquement possible de quitter ma chambre. C'est pour moi un véritable crève-cœur de m'y sentir enfermé - comme dans une prison nouvelle- alors que tout m'appelait au milieu d'eux. C'est qu'en effet pour moi Léo Lagrange ne représente pas seulement l'ami - l'ami dont la jeunesse véhémente et fougueuse éclatait soudain dans les débats de notre groupe parlementaire et de nos congrès, l'ami dont nous cherchions le regard ardent et sombre et la forte poignée de main, l'ami dont nous connaissions les convictions passionnées et intransigeantes et dont nous avions vite deviné la tendre délicatesse du cœur. Il est pour moi le symbole de cette jeunesse héroïque qui, par l'offrande ou le sacrifice de sa vie, a sauvé la France de l'esclavage et de la honte. Il est, si je puis dire, un des chefs posthumes de la génération à qui est remis l'avenir de notre pays. »
Les mots sont dits : grandeur d’âme, conscience, idées fraternelles, fidélité, noblesse, désir de bien faire, courage, vérité, dignité. Léo Lagrange a été de tous les combats pour la dignité humaine. Il incarne un humanisme tourné vers le plein épanouissement de la personne humaine. Jamais idéologue obtus, il lutte pour l’avènement d’une société juste, heureuse et fraternelle.
Sa vie, si brève et si riche, illustre cette volonté de transformer le monde, de l’améliorer. La pensée doit se matérialiser en action. A travers la recherche passionnée et intransigeante de la justice, dans sa quintessence, Léo Lagrange a accompli une belle œuvre, digne de l’humanité dans ce qu’elle a de meilleur.
Il a initié un mouvement qui se poursuit encore. On comprend mieux pourquoi tant de lieux, tant de bâtiments portent encore le nom de cet homme exceptionnel. Qu’il ne soit pas oublié !
Laissons un avocat, Denis Desplanches, 8ème de sa promotion de Conférence du stage, avoir le dernier mot, dans l’hommage qu’il rend à Léo : « Car être avocat, ce n'est pas seulement savoir le droit, ce n'est pas seulement pénétrer l'enchevêtrement ou les détours d'un litige, ce n'est pas seulement exposer avec clarté, démontrer avec force, convaincre avec émotion, ce n'est pas seulement peiner, jour après jour, sur le sillon des tâches judiciaires. Savoir, jugement, talent, trois fois heureux celui qui les possède ! Mais celui-là même ne sera pourtant jamais avocat si, avant tout, il ne sent pas battre parfois, à coups pressés, une sorte de fièvre de justice au bleu de son poignet. »
Cette fièvre de justice a irrigué tout le bleu des veines de Léo Lagrange.
Michèle BRAULT
Cité à l’ordre de l’armée par décret du 22 octobre 1941 :
« Officier de liaison d'un dévouement absolu et d'un courage sans pareils. A rendu, comme observateur avancé, les plus grands services à l'infanterie de la division. Est tombé mortellement frappé le 9 juin 1940 à son poste de combat au sud de l'Aisne au moment où il se préparait à détruire l'usine d’Evergnicourt occupée par l'ennemi. A été cité. »
Croix de guerre avec palme
Chevalier de la Légion d’honneur (JO du 2 novembre 1941, rectifié JO du 23 novembre 1941)
Dossier administratif :
- Questionnaire en application de la loi du 11 septembre 1940.
- Lettre du colonel Louis Bouchacourt, 29 novembre 1940.
- Lettre du chef d’escadron Fort au beau-frère de Léo Lagrange, 18 décembre 1940.
- Lettre de Louis Duparc à Madeleine Lagrange, 22 février 1941.
- Lettre de Madeleine Lagrange au bâtonnier, 2 décembre 1941.
- Bulletin des secrétaires de la Conférence du stage de 1965, discours de Denis Desplanches.
Dictionnaire biographique du Maitron :
Léo Lagrange, notice par Justinien Raymond, (version 6/10/2010 modifiée le 2/12/2022).
Ministère des Sports :
Discours à la jeunesse du 10 juin 1936
Association historique 15-1 juin 40 :
Portrait provenant de ce site.
Assemblée nationale :
Gallica :
Hommage de Charles Maurras à Léo Lagrange, L'Action française, 20 février 1941.
Règlement du brevet sportif populaire et du brevet sportif européen, 1946.
Brevet sportif populaire / Sous-secrétariat d'État des sports, loisirs et éducation physique ; préface de M. Léo Lagrange,...par le capitaine André Clayeux,...sans date.
Bibliographie :
Jean-Louis Chappat, Les Chemins de l’espoir ou Combats de Léo Lagrange, Editions Fédération Leo Lagrange, 1983.
Delmas Corinne, Léo Lagrange. un député du Nord inspirateur du loisir populaire éducatif, dans Grandes figures sportives du Nord Pas de Calais, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d'Asqc, 2022.
Site littéraire d'André Malraux : discours prononcé le 8 juin 1945, salle Pleyel, à l'occasion de la commémoration de Léo Lagrange.
Mémoire de guerre, article de 2022 : Léo Lagrange
Tombe de Léo Légrange : photographie provenant du blog de Jean Jacques Thomas.