Roger Louis André Lucien Doublet est né le 28 octobre 1911 à Paris dans le 6e arrondissement.
Il est le fils d’Émile Doublet, avocat à la Cour de Paris et de Gabrielle Defoug, couturière. Ses parents se sont mariés peu de temps avant la Grande Guerre, le 16 juillet 1914. Son frère aîné Jacques était né en 1907. Tous deux furent légitimés, l’aîné par le mariage, Roger à la naissance.
Ses grands-parents paternels étaient tous deux instituteurs et son grand père maternel, gardien de la paix.
Les deux frères sont bien jeunes lorsqu’ils voient leur père partir à la guerre dès la mobilisation générale, le 4 août 1914. Celui-ci restera sur le front jusqu’en mars 1918 laissant ainsi, comme bien d’autres, sa femme et ses enfants en grande difficulté financière et dans la nécessité de solliciter l’aide du bâtonnier. Aide qui leur sera bien sûr accordée.
Après la guerre, Émile Doublet reprend sa place au sein du barreau et Jacques et Roger grandiront dans une famille aimante.
Si Jacques se décide à suivre des études de droit – il fera carrière au Conseil d’Etat – Roger, esprit curieux et cultivé, épris de grand large, choisit la médecine. Il espère ainsi devenir médecin dans la Marine, alliant la vie professionnelle et le bonheur d’être en mer. Mais, réflexion faite, peut-être refroidi par les travaux pratiques, il se tourne vers le droit. Il est licencié en 1933, section finances publiques, et diplômé de l’École de Sciences politiques. Il décide de préparer l’agrégation. En attendant le concours, il s’inscrit au barreau. Il prête serment en novembre 1934 et effectue sa première année de stage au cabinet de son père.
Enfant et adulte de santé fragile, il contracte en 1936 une maladie infectieuse grave qui l’empêche d’exercer pendant plusieurs mois et en 1937, il tombe à nouveau malade et doit momentanément quitter Paris. Ses problèmes de santé ne s’arrêtent pas là puisque fin 1938, il est victime d’un grave accident de voiture qui le tient alité plusieurs mois et c’est son père qui reprendra temporairement ses dossiers.
Le 27 novembre 1939, sans doute à l’occasion d’une permission, il épouse Elisabeth Renée Valentine Roy à La Croix Valmer, dans le Var où elle réside.
Classe 1931, il a accompli son service militaire au 46e Régiment d’Infanterie puis comme élève officier de réserve à Saint Cyr dont il sort avec le grade de sous-lieutenant.
Après l’entrée en guerre de la France le 3 septembre 1939, il rejoint le 332e RI, sous le commandement du lieutenant-colonel Parisey. Ce RI appartient à la 56e Division, positionnée près de Thionville, de décembre 1939 à juin 1940.
En mai 1940, l’offensive allemande s’intensifie dans la région et le 12 juin, après une violente attaque d’artillerie dans le secteur d’Escherange, à quelques kilomètres au nord de Thionville, la 56e Division entame son repli. Les différentes unités vont battre en retraite en ordre séparé vers le centre de la France et la Seine. De nombreux soldats dispersés seront capturés et le 20 juin, c’est le commandant de la 56e Division, le général Mierry, qui sera fait prisonnier en Saône et Loire.
L’Armée allemande a envahi la Belgique, le Luxembourg, pourtant neutre, et les Pays-Bas.
En France, le 14 juin 1940, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées. Elles vont poursuivre leur offensive vers l’Ouest et le Centre. Entre mai et juin 1940, entre 8 à 10 millions de personnes s’enfuient vers le Sud sur les routes de France. C’est l’exode.
La situation militaire est considérée somme intenable par les autorités françaises et le gouvernement s’est replié sur Bordeaux. Le 17 juin 1940, le Maréchal Pétain, nouveau chef du gouvernement, s’adresse aux Français : il accepte la défaite, appelle à cesser les combats et demande l’armistice. Le 18 juin, ce sera l’appel du Général de Gaulle à poursuivre les combats pour une France libre. Même si ce dernier est peu entendu à ce moment-là, il n’en demeure pas moins que la situation est complexe pour l’armée française qui ne sait pas vraiment si elle doit déposer les armes, l’armistice n’étant pas encore signée. Ainsi des combats vont continuer en divers endroits pour retarder l’avance des forces allemandes et italiennes, notamment le long de la Loire, à Lyon et dans les Alpes.
C’est dans ce contexte que l’on retrouve, le 19 juin, Roger Doublet à Roanne, sans bien savoir quel a été son périple depuis le nord-est de la France. Il se présente à la caserne Combes pour signaler sa présence. Le chef de bataillon Magne, Commandant du 2e bataillon du 131e RIR (régiment de réserve chargé de garder les lignes arrières) et Commandant d’armes de Roanne l’affecte provisoirement au 131e RIR et le charge de la défense du Pont de Villerest, un des derniers accès permettant de traverser la Loire, la plupart des autres ponts ayant été dynamités pour freiner l’armée allemande.
Il rejoint alors le pont et prend contact avec plusieurs gardes territoriaux. Puis, vers 19h, va s’attabler à quelques mètres, au café Poliat, pour écrire une lettre à son épouse. Quelques minutes plus tard, arrivent sur l’autre rive de la Loire, des patrouilles allemandes en side-car qui entreprennent de passer le pont.
Un garde territorial tire. Le lieutenant Doublet se précipite hors du café et visé par les soldats Allemands dissimulés de l’autre côté du pont, il est mortellement frappé. Il meurt peu après. Le garde territorial Auguste Damet, 44 ans, est également abattu. La fusillade fera une mort collatérale, une habitante de Villerest, Madame Leffi, tuée par ricochet.
L’armistice fut signée 3 jours après leur mort, le 22 juin.
Roger Doublet sera inhumé dans le cimetière de Villerest et c’est l’adjoint au maire de la commune qui écrira en juillet au bâtonnier Charpentier pour l’informer du décès et de ses circonstances. Il lui demandera de bien vouloir « prévenir avec tous les ménagements voulus la famille du Lieutenant Doublet ». En revanche les autorités militaires, en octobre 1940, n’avaient toujours pas officiellement informé sa famille du décès de Roger Doublet. Son corps sera exhumé le 22 août 1940 et rendu à sa famille.
Le bâtonnier Charpentier évoquant la fin tragique de Roger Doublet lui rendra hommage ainsi qu’à tous ceux qui sont tombés comme lui à la veille de l’arrêt des combats :
« Plus cruelle est encore la perte de ces dernières victimes de la guerre qui, après avoir triomphé de tous les dangers, succombent au moment où elles arrivaient au terme de leurs épreuves. »
Mme Doublet était enceinte de leur premier enfant et devait accoucher en novembre.
Son père, survivant de la guerre de 14-18, décède en 1942. Quelques jours avant sa mort, il avait souhaité que lors de la rentrée de la Conférence où seraient prononcés les discours, il soit simplement dit ceci : « Émile Doublet a appartenu au barreau pendant 42 ans et a honoré sa profession mais son plus grand honneur fut d’avoir donné à la France un fils dont voici la citation :
332e Régiment d’Infanterie
Doublet (Louis-Roger-Lucien-André), lieutenant de réserve : officier d'une bravoure et d'un allant remarquable. Chargé le 19 juin 1940 de la défense du pont de Villerest sur Loire près de Roanne, a été mortellement blessé au combat. Croix de guerre avec palme. »
Frédérique Lubeigt.