Portrait_Antoine_Hajje
Carte_postale_adressée_au_Bâtonnier_1939
 
Hajje 1940
 
Hajje Cp Batonnier 1939
 
Hajje article cri peuple 1941
 
Hajje avis presse

Antoine François Joseph Hajje est né le 5 septembre 1904 à Larnaca, ville côtière de l’Ile de Chypre, de parents libanais. Son père est pharmacien. Sa famille paternelle est originaire de Deir-el-Kamar, une ville chrétienne dans la montagne du Chouf au Liban. En 1860, la ville fut entièrement détruite par les Druzes, alors alliés aux musulmans. Elle fut rebâtie par un contingent français envoyé par Napoléon III revendiquant un ancien traité établi en 1523 entre le Royaume de France et l’Empire Ottoman faisant de la France la protectrice des minorités chrétiennes de l'Empire. C’est pourquoi Antoine Hajje présente ses parents comme ressortissants français dans son dossier de l’Ordre. Tout au plus sont-ils protégés français.

Son père, Joseph, né en 1870, et son grand-père, François, né en 1825, natifs de Deir-el-Kamar, sont catholiques. Antoine porte aussi leurs prénoms.
Sa mère s’appelle Sylvia Montovani. Selon le dossier envoyé par le petit-cousin d’Antoine, Xavier Wagner au bâtonnier, elle est originaire de Rovigo, en Vénétie, où sa famille, catholique, est alliée à la famille Contarini, qui a donné des doges à Venise, et à celle des comtes italiens Malfatti.

Antoine débute ses études de droit à la Faculté française du Caire. Il poursuit à la Faculté de droit de Paris. Pendant 6 mois, de décembre 1924 à mai 1925, il travaille comme clerc chez Maître Lot, un avoué de première instance.
Passionné d’études, Antoine obtient deux doctorats, l’un en sciences juridiques, l’autre en sciences économiques et politiques. Sa thèse de doctorat en droit, soutenue en 1926, est consacrée aux locations à long terme et perpétuelles dans le monde romain. Il envisage de passer l’agrégation. C’est l’année où il épouse Ida Soïbelman, une Russe devenue Roumaine du fait du rattachement de la Bessarabie à la Roumanie en 1918.
Il s’intéresse au droit romain et à ses influences sur le droit français. En 1927, il publie Histoire de la propriété seigneuriale en France, les origines romaines aux Editions de Boccard.
Antoine multiplie les collaborations : à la Presse Economique, aux Etudes Criminologiques et à La Revue générale de droit et de législation. De 1924 à 1926, il rédige aussi pour les Jurisclasseurs.
Il passe également un diplôme à l’Institut de criminologie, lequel lui ouvre la Section criminologie des Annales de l’enfance dont il devient responsable. Il est membre de la Société d’Histoire du droit.

Antoine est un esprit curieux, entier, empreint de valeurs humanistes. Comment découvre-t-il la franc-maçonnerie ? Qui l’introduit ? Il est initié le 3 février 1926 au sein de la loge Garibaldi de la Grande Loge de France.
Jusqu’en 1931, il va s’investir complètement, comme il le fait pour tous ses engagements, dans la franc-maçonnerie. Il gravit les échelons et occupe différentes fonctions importantes. Il intervient souvent par des conférences sur des sujets politiques : l’organisation internationale du socialisme, la réforme des conseils de guerre, Lénine, la représentation professionnelle, la police contre la liberté. Il traite aussi des «cultes des sémites païens » et d’Auguste Comte.

Peut-être à l’occasion de visites sa mère, Antoine voyage au Proche-Orient et rend compte de ses expériences dans des causeries maçonniques.

Antoine devient Français par décret de naturalisation du 27 décembre 1927. Début 1928, il s’inscrit au tableau des avocats non exerçants du barreau de Beyrouth. Est-ce par précaution ? Pour affirmer son attachement au Liban ? Il semble qu’il ait envisagé d’enseigner à la Faculté de droit de Beyrouth. N’ayant pas obtenu le poste convoité, il choisit la France.

Comme il a demandé son admission au stage des avocats du Barreau de Paris en novembre 1928, cette inscription au Liban questionne le Conseil de l’Ordre qui désigne l’un de ses membres, Léon Philippart, comme rapporteur. Dans le cadre de sa mission, ce dernier s’enquiert auprès du bâtonnier de Beyrouth de la moralité du postulant. Maître Habib Tabet répond dans une lettre manuscrite du 30 octobre 1928 : «Maître Antoine Hajje qui était inscrit à notre Barreau est digne de tout intérêt. D’une conduite impeccable, il est doué des meilleures qualités. Le Barreau du Liban n’a eu rien à lui reprocher ; au contraire, c’est avec un vif regret que sa demande de supprimer son nom a été acceptée. Il a toujours joui d’une bonne renommée et j’espère que son admission au Barreau de Paris, notre aîné, ne fera que raffermir les liens qui unissent nos deux barreaux comme ils unissent nos deux pays. » Le même jour, il envoie une lettre tapée à la machine au même destinataire : « Nous avons dû accéder avec regret à sa demande car nous comptions sur l’étroite collaboration d’un membre aussi zélé et actif qu’instruit et laborieux. » Le Conseil est extrêmement favorable aux Libanais chrétiens sous protectorat français. Antoine est admis au stage le 13 novembre 1928 et il prête serment le 20 novembre.

Il demeure dans le 14ème arrondissement, chez une sœur de sa mère, et trouve ensuite un petit appartement qui convient mieux à l’exercice professionnel, 8, avenue d’Orléans, puis 35 boulevard Saint-Jacques, dans le même arrondissement.
Normalement, Antoine doit remplir ses obligations militaires avec la classe 29, mais il peut demander un sursis de deux ans. Il choisit, en sursoyant jusqu’en 1930, de suivre les cours de la préparation militaire supérieure pour servir en qualité d’officier. Le 15 octobre 1930, il suspend son inscription au tableau du stage et fait son service militaire d’une durée d’un an. Il est admis au Tableau en 1932 avec effet rétroactif au 15 novembre 1929.

Nouveau tournant idéologique dans le parcours intellectuel d’Antoine Hajje : en 1931, il se rapproche du Secours Rouge International, futur Secours Populaire, dont il devient l’un des avocats avec Georges Pitard et Michel Rolnikas. A la fin de l’année, il démissionne de la Grande Loge de France et présente, au début de l’année 1932, une demande d’adhésion au parti communiste. Accepté, il est envoyé en Syrie pour défendre des militants communistes. De cette expérience nait sans doute une passion pour la Syrie et la cause nationaliste syrienne.

Pendant toutes ses années, la plume d’Antoine ne chôme pas. Il donne une série d’articles à l’Humanité, intitulé « Les crimes de l’impérialisme français ». « Comment en Syrie on assassine les travailleurs », « la Syrie agonise sous la botte française », « L’indépendance et l’unité de la Syrie » illustrent son engagement en faveur des nationalistes syriens, mais il s’intéresse également à d’autres pays au gré de ses interventions, comme avocat de la défense, dans des procès politiques mettant en cause des militants communistes.

Antoine divorce de sa première femme en 1932. Il a rencontré Hélène Everling, une militante communiste, qu’il épouse le 17 mai 1934.

Il se consacre à la lutte contre le colonialisme. Il est secrétaire de la Ligue anti-impérialiste et du Comité de défense des Libertés en Syrie.

Fin août, il est à Sofia, en Bulgarie, pour le compte de l’Association Juridique Internationale (AJI), dont il est membre. L’AJI est une émanation du Komintern, l’internationale communiste, sous le contrôle étroit de Moscou. Il doit se rendre à Plovdiv pour défendre des militants communistes qui risquent la peine de mort. Sur place, il est immédiatement « enlevé » et conduit dans les locaux de la Sûreté bulgare. Dans le compte-rendu qu’il adresse au bâtonnier, il indique avoir été « torturé » pendant 31 heures tandis que ses vêtements et ses bagages, y compris sa serviette professionnelle, étaient fouillés et que des documents lui étaient confisqués. Il est reconduit à la frontière yougoslave sans pouvoir défendre les accusés.

En septembre 1934, il défend des « indigènes » à Alger accusés de participation à une manifestation. En mars 1935, il se rend à nouveau en Syrie, mais ses « menées subversives » anti-françaises lui sont reprochées. Le Haut-Commissaire de France au Levant, Damien de Martel, le fait expulser. Le ministère de l’Intérieur envisage même d’engager à son encontre une action en déchéance de la nationalité.

En 1935, il plaide, au côté de Robert-Jean Longuet, pour les militants de l’Etoile Nord-Africaine, une association suscitée par le parti communiste pour développer son influence chez les travailleurs nord-africains, accusés d’avoir participé aux massacres de Constantine. Robert-Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx, met en application les préceptes de Marcel Willard, un avocat communiste qui domine le groupe des avocats communistes et donne les consignes du Komintern sur le mode de défense. Inspirée par la « Lettre de Lénine sur la défense », la philosophie, si l’on peut dire, préconisée par Marcel Willard est l’usage du prétoire comme tribune politique. Il ne s’agit pas de se prêter à la défense bourgeoise, mais de la mettre en cause, quitte à provoquer une condamnation sévère du client. C’est la défense de rupture.
Antoine pratique-t-il ce type de défense ? On a peine à l’imaginer.

L’Univers Israélite du 26 juin 1936 rend compte d’un meeting organisé à Paris, par l’Etoile Nord-africaine et auquel participe Antoine Hajje. Intitulé « Un meeting antisioniste », l’article évoque d’abord les «coups de gueule » de l’estrade et des hurlements de la salle composée de « neuf dixièmes au moins » d’Arabes. Puis les attaques contre les juifs en Palestine ou dans les pays arabes fusent. Les interventions sont rapportées : « On entendit encore G. Godron, délégué radical, Midol, député communiste, et enfin Me Antoine Hajje, avocat à la Cour, à l’éloquence spirituelle et persuasive de qui nous nous plaisons à rendre hommage. Il fit une belle conférence et fut un des rares orateurs arabes à exposer avec le maximum de force convaincante ses sympathies pour Israël et l’appel mystique et irrésistible qui a ramené ce peuple sur la terre de ses ancêtres. Les souffrances des Arabes que l’on a évoquées tout à l’heure ne sont rien en regard des souffrances des Juifs, dit-il. Ne nous laissons pas fasciner par la Palestine, il y a d’autres terres arables dans le monde. Miracle du verbe ! Il récolta, lui aussi, des applaudissements enthousiastes. Il est vrai qu’il ne se fit pas faute de blâmer les méthodes sionistes. »

Antoine est délégué de l’AJI en Egypte, au Liban et en Syrie. Il participe aussi à la campagne pour la défense d’Edgard André, militant communiste assassiné à Hambourg, et de Rakosi, détenu dans les prisons fascistes hongroises.

Il est membre du Conseil juridique des syndicats de la Seine. Avec les autres avocats qui y appartiennent, il défend des militants poursuivis pour grève ou manifestations. Il donne également de nombreux articles sur le droit du travail à La Vie ouvrière. Il a pu s’adjoindre l’aide d’un collaborateur, Me Gesta.

Antoine est mobilisé le 4 septembre 1939 et incorporé comme soldat de 2ème classe au 57ème régiment d’Infanterie Coloniale. Il participe à la campagne d’hiver dans la Sarre. Nommé caporal, il est chef de groupe de voltigeurs. Le 14 mai 1940, il est affecté en renfort au 7ème Régiment d’infanterie coloniale et participe aux Batailles de la Somme et de l’Oise. Le 6 juin, il est blessé et évacué vers l’hôpital militaire de La Roche-sur-Yon. Il y reste jusqu’au 19 juin, date à laquelle on lui accorde une permission de convalescence de 8 jours. Antoine y renonce et se met à la disposition de son régiment. Il est versé dans la 35ème Compagnie qui occupe des positions défensives entre Rochefort et Saintes. L’Armistice le renvoie dans ses foyers le 26 juin 1940.

Antoine peut être inquiété par la promulgation de la loi du 11 septembre 1940 qui réserve l’accès au barreau aux personnes de nationalité française « à titre originaire, comme étant né d’un père français ». Une exception est prévue pour les anciens combattants. Appliquant consciencieusement cette loi, l’Ordre questionne les membres du barreau sur leur nationalité. Antoine répond avec précision et développe sur les liens du Liban avec la France. Surtout, il décrit longuement son parcours d’ancien combattant qu’il justifie avec son livret militaire et deux certificats de présence au corps. Le rapporteur conclut qu’il répond aux prescriptions de la loi du 11 septembre 1940. Antoine reprend le chemin du Palais et de ses engagements.
Il s’applique alors, avec ses confrères communistes, dont Pitard, Boitel et Rolnikas, à défendre les militants syndicaux ou politiques poursuivis du fait de la dissolution du parti communiste ou pour faits de grève ou de résistance. L’ambiance devant les juridictions est terrible. Chaque défenseur sait qu’il risque des représailles en prenant la défense des ennemis du régime en place.
Les troupes de l’armée allemande envahissent l’URSS le 21 juin 1941, mettant fin ipso facto au Pacte germano-soviétique. Les communistes, « alliés » d’hier, deviennent la cible prioritaire.

La Défense, le journal de la section française du Secours Rouge International, datée du 8 juillet 1949, publie l’hommage de Paul Vienney, avocat communiste, qui rend hommage à ses confrères. La scène, qu’il décrit et qui se déroule le lendemain de l’invasion allemande, est saisissante. Le lecteur est dans le couloir du Palais à côté de ce groupe d’avocats en robe, parmi lesquels Antoine Hajje.

« Mon dernier souvenir de Pitard date du 22 juin 1941, au lendemain de l'agression contre l'U. R. S. S. Nous nous étions retrouvés à quelques-uns - Boitel, Ferrucci, Hajje, Pitard et moi, c'est-à-dire tout ce petit noyau d'avocats qui se partageait alors la tâche ingrate de défendre nos camarades de la Résistance — devant la 12* Chambre du tribunal correctionnel où j'assistais ce jour-là Gabriel Péri. Rolnikas était absent. De lourdes menaces pesaient sur nous. La question se posait de savoir pendant combien de temps encore le gouvernement nous laisserait la liberté de nous exprimer à cette merveilleuse tribune qu'était pour nous la barre du tribunal. Nous nous demandions s'il était préférable de passer à la clandestinité pour aider au dehors nos camarades emprisonnés, ou de maintenir notre présence à leurs côtés jusqu'à notre propre arrestation. Chacun donna son avis selon son tempérament, ses réactions personnelles. Je revois encore Boitel, placide et méditatif, Ferrucci, bref et tranchant comme à son ordinaire, Hajje, impétueux et combatif qui optait pour la continuation de la lutte à visage découvert, et Pitard qui penchait au contraire vers la clandestinité mais se demandait avec angoisse comment il pourrait continuer à servir ceux qui l’avaient appelé à l’aide et ce qu’il adviendrait d’eux après ce retrait qu’il considérait comme un abandon»

Paul Vienney poursuit son hommage et éclaire la personnalité d’Antoine :

« Je connaissais moins intimement Antoine Hajje et Michel Rolnikas qui appartenaient à une autre génération que la mienne mais dont j'avais toujours admiré la flamme, le dynamisme et ce goût de l'action qui devaient faire d'eux pendant les années difficiles de 1940-1941, les amis et les défenseurs incomparables de tous nos compagnons de lutte contre l'oppression. L'un et l'autre nous venaient — géographiquement et socialement — de loin. Ils avaient dû franchir beaucoup d'obstacles pour parvenir à s'imposer dans ce barreau parisien si fermé, si cloisonné et si traditionnellement hostile à tout ce qui n'appartient pas à son propre milieu que n'y pénètre pas qui veut. (…) L'un et l'autre finirent cependant à les forcer, et de chacun d'eux, j'ai gardé le souvenir de la grande flamme qui les brûlait, de leur talent, de leur jeune et ardent désir de servir jusque dans les plus modestes causes la grande pitié humaine dont ils débordaient. »

Servir la cause des opprimés, des défavorisés. Tel est l’idéal qui anime Antoine Hajje. La répression ne tarde pas. Antoine est arrêté 4 jours après, le 25 juin 1941, à son domicile. Il retrouve dans le fourgon qui le mène à la Préfecture de police ses confrères Maurice Boitel, Georges Pitard, Michel Rolnikas, communistes comme lui, et qui se sont aussi illustrés dans la défense devant les tribunaux allemands ou Sections spéciales des militants ouvriers ou résistants déférés devant ces juridictions. Nul n’ignore la couleur de leur engagement politique.
Après un relevé d’identité et de religion par un officier allemand, dans un immeuble de l’avenue Matignon, les avocats sont emmenés au camp de Royallieu, près de Compiègne. L’ancienne caserne de Royallieu a été aménagée en camp de concentration pour les ennemis de l’Allemagne et dénommée Frontstalag 122. Résistants, militants syndicaux et politiques, juifs, civils arrêtés dans des rafles, ressortissants étrangers … Le Frontstalag 122 est une réserve d’otages à portée de main de la capitale. Géré par la Wehrmacht, l’armée régulière allemande, il est aussi un camp de transit vers les camps d’extermination allemands ou polonais. Les prisonniers vivent dans des conditions de saleté et de quasi-famine, quoi que le régime soit moins sévère pour les « politiques » que celui subi par les Juifs du « Camp C » qui sont véritablement affamés.

Le 3 juillet 1941, alors qu’il est emprisonné au camp de Compiègne depuis près de 10 jours, Antoine Hajje cosigne, avec Maurice Boitel, Georges Pitard et Michel Rolnikas, une lettre écrite au bâtonnier dans laquelle ils relatent les circonstances identiques de leur arrestation et leurs conditions de détention. Lettre extrêmement formelle, très juridique, où les lacunes de la procédure sont mises en évidence … comme si ce rappel du droit pouvait être un outil face aux autorités allemandes …

« Les soussignés », comme ils se désignent, dénoncent l’absence de procès-verbal, d’interrogatoires. Bref, ils dénoncent la violation de tous leurs droits. Ils ne comprennent pas pourquoi ils sont incarcérés. Ils font officiellement une demande d’intervention, « au nom des Droits de la Défense », au bâtonnier et au Conseil de l’Ordre, affirmant que « Sans activité politique, ils ont accompli leur devoir d’avocats, en assurant pour toutes sortes d’infractions et de litiges la défense qui leur était demandée par des clients de toutes catégories et ce, dans le respect absolu de la Loi et des règles de la Profession ».

Le bâtonnier Jacques Charpentier réagit. Il adresse, le 10 juillet 1941, une lettre à Fernand de Brinon, l’ambassadeur de France auprès de l’Allemagne, Délégué général du gouvernement français dans les Territoires occupés, très en cour auprès des autorités d’occupation, pour attirer son attention sur l’incarcération des 4 avocats. Il confirme que « ces quatre avocats avaient été chargés de plaider pour un certain nombre de personnes poursuivies pour propagande communiste. Mais ce n’était là que l’exercice régulier de leur profession. Quelles que puissent être les opinions politiques de ces quatre avocats, il n’est pas à ma connaissance qu’ils aient exercé une activité politique. Je crois pouvoir affirmer qu’en tous cas, dans l’intérieur du Palais de Justice, ils ne se livraient à aucune propagande. » Il lui demande d’intervenir pour qu’une enquête soit menée afin qu’ils soient remis en liberté si elle leur est favorable.

Le même jour, il écrit au Garde des Sceaux, Joseph Barthélémy, qui est aussi un confrère de son Barreau, pour dénoncer les conditions illégales dans lesquelles « 4 de mes confrères » ont été arrêtés et leurs cabinets perquisitionnés sans qu’ils soient prévenus et hors la présence d’un membre du Conseil de l’Ordre. Il élève « une véhémente protestation contre une arrestation ainsi pratiquée par la police française ». Il insiste sur la distinction nécessaire entre la défense d'un client et le soutien à sa cause, les avocats n’ayant fait qu’accomplir les actes de leur profession.

Le 23 juillet 1941, les 4 avocats écrivent de nouveau au bâtonnier pour lui signaler que leur situation est inchangée, qu’il est indéniable que c’est leur seule intervention devant les juridictions pénales pour la défense d’inculpés politiques qui a motivé la mesure dont ils sont l’objet et ils lui font part de la demande de l’Autorité allemande de les voir « produire, dans le plus bref délai, des documents officiels prouvant que nous n’avons pas pris part à des actions d’un caractère communiste ».

Le 26 juillet, Fernand de Brinon répond au bâtonnier qu’il a « demandé immédiatement aux autorités allemandes – et en l’espèce, à l’Ambassade d’Allemagne – d’intervenir à leur sujet ». Il poursuit : « Il m’a été répondu que c’est d’après les renseignements parvenus à la connaissance des autorités d’occupation que ces quatre avocats avaient été reconnus comme des avocats communistes. On m’a assuré, d’autre part, que des enquêtes approfondies étaient actuellement en cours pour savoir qui étaient les propagandistes qui devaient être internés et dans quelle mesure les avocats plaidant d’habitude pour des membres du parti communiste pouvaient être considérés comme exerçant une action professionnelle normale, les protégeant contre les interdictions et les mesures administratives ordonnées depuis peu. »

Le 1er août, le bâtonnier adresse à Antoine Hajje, comme il l’a fait à ses confrères et camarades, la copie de la réponse de Fernand de Brinon et joint un certificat confirmant que Antoine Hajje « exerce honorablement sa profession » et « qu’il ne lui a jamais été signalé qu’à l’intérieur du Palais, il se soit jamais livré à une propagande d’ordre communiste ». Il conclut que la défense d’individus poursuivis pour propagande communiste « ne consiste que dans l’accomplissement d’un devoir professionnel ».

Le 11 septembre 1941, le bâtonnier relance Fernand de Brinon sur le sort des enquêtes menées sur ses confrères et il réitère leur absence de toute activité politique au sein du Palais de justice, espérant la levée des mesures prises contre eux.

Le 16 septembre, l’officier allemand Wilhelm Scheben est abattu de deux coups de révolver, boulevard de Strasbourg à Paris. Le général Otto von Stülpnagel, gouverneur militaire de Paris, a publié, le 22 août 1941, une ordonnance prévoyant l’exécution d’otages à la suite d’actes de résistance. Le 20 septembre, Georges Pitard, Antoine Hajje et Michel Rolnikas sont conduits à la Prison de la Santé où leur est annoncée leur exécution pour le lendemain matin.

Dans la nuit qui précède l’exécution, à 1h30, Antoine Hajje adresse une ultime lettre au bâtonnier :

« Je viens d’arriver du Camp de Royallieu avec nos confrères Pitard et Rolnikas, au quartier allemand de la Prison de la Santé.
Un officier nous a notifié que par ordre de l’autorité supérieure nous serons fusillés ce matin comme otages.
Nous avons protesté, mais vainement.
Nous allons à la mort, satisfaits d’avoir, en toutes circonstances, accompli notre devoir, tout notre devoir.
Nous sommes frappés par la fatalité, et la fatalité est, hélas, injuste.
Nous mourons prématurément, mais c’est pour la France.
Nous en sommes fiers.
En vous adressant ce mot, je dis adieu à une profession que j’ai aimée ; j’aurai été, jusqu’à la fin, le défenseur de la dignité humaine et de la vérité. »

A l’aube, Antoine Hajje, ses deux confrères et 7 autres condamnés, la plupart communistes, sont conduits au Mont-Valérien et sont fusillés.

Le 21 septembre 1941, sur l’ordre du général Von Stülpnagel, des affiches jaunes bordées de noir sont collées sur les murs de Paris, dans le métro et envoyées à la presse régionale. L’affiche infâme dénonce le « lâche assassinat » commis sur la personne d’un soldat allemand et annonce la mesure de répression déjà exécutées :

« Les otages suivants ont été fusillés :

1. PITARD, Georges, de Paris.
Fonctionnaire, communiste
2. HAJJE, Antoine, de Paris
Fonctionnaire, communiste
3. ROLNIKAS, Michelis (juif) de Paris
Propagandiste d’idées communistes.
4. NAIN …. »

Les deux avocats communistes que sont Hajje et Pitard sont présentés comme des fonctionnaires. Rolnikas, lui qui est juif, est un « propagandiste ». Leur qualité d’avocat leur est enlevée, déniée. Il est possible, voire probable, que les autorités allemandes aient craint que l’exécution d’avocats soit mal perçue par la population.

L’Université Libre du 23 septembre 1941, publication clandestine communiste, rend hommage aux 3 avocats « qui ont vécu et travaillé selon l’exemple de ceux qui furent avocats pour lutter contre l’injustice et pour défendre les opprimés ». Elle fustige « la lâche perfidie qui caractérise les nazis » qui a dissimulé leur qualité d’avocat.


Deux ans plus tard, le deuxième numéro du Palais Libre, de juillet 1943, pour évoquer sa figure de martyr, fait revivre Antoine :

« Voici, - efflanqué dans sa robe lustrée, longue silhouette, visage ascétique aux grands yeux brillants, les cheveux rares et frisés, un sourire illuminant ses lèvres pâles, HAJJE, né sous le ciel pur des montagnes de Syrie, d’une famille catholique, Français par choix et aimant son pays avec la chaleur d’une foi réfléchie. Il est communiste comme ses amis PITARD et ROLNIKAS. L’intolérance à l’injustice, une sorte de passion de la dignité le brûlent. Il luttait au sein de l’Association Juridique Internationale contre la barbarie hitlérienne avant la guerre. Paris livré, il plaidait tous les jours à la barre des chambres correctionnelles pour ceux à qui est imputé le crime de lutter contre l’ennemi. »

Après sa mort, sa femme Hélène et ses proches publient une affichette rendant hommage à Antoine. Le texte fait référence à Dieu et rappelle qu’Antoine « était une âme noble et chevaleresque, capable de tous les dévouements, de tous les sacrifices ». Est reproduit une strophe d’Hymne, un poème de Victor Hugo extrait des Chants du Crépuscule :

Ceux qui, pieusement, sont morts pour la Patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie
Entre les plus beaux noms, leur nom est le plus beau,
Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère,
Et, comme ferait une mère,
La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau.

En 1954, le nom d’Antoine Hajje est donné à une rue du 15ème arrondissement de Paris.

Son nom figure parmi les plus beaux noms, ceux des avocats morts pour la France.

Michèle Brault.

 Médaille de la Résistance par décret du 24 avril 1946.

Dossier de Xavier Wagner (petit-cousin) au bâtonnier.
Lettres de Maître Habib Tabet, bâtonnier de Beyrouth, à Léon Philippart, 30 octobre 1928.
Rapport de Léon Philippart, MCO, 1928.
Note d’Antoine Hajje à Pierre de Chauveron.
Lettre de Georges Pitard, Maurice Boitel, Antoine Hajje et Michel Rolnikas au bâtonnier du 3 juillet 1941.
Lettre du bâtonnier à Fernand de Brinon, 10 juillet 1941.
Lettre du bâtonnier au Garde des Sceaux, 10 juillet 1941.
Lettre de Georges Pitard, Maurice Boitel, Antoine Hajje et Michel Rolnikas au bâtonnier, 23 juillet 1941.
Lettre de Fernand de Brinon au bâtonnier, 26 juillet 1941.
Lettre du bâtonnier à Antoine Hajje, 1er août 1941.
Lettre du bâtonnier à Fernand de Brinon, 11 septembre 1941.
Lettre d’Antoine Hajje au bâtonnier, 20 septembre 1941

Service Historique de la Défense :

Base des fusillés du Mont Valérien, base des morts en déportation, base des médaillés de la Résistance.

Caen : AC 21 P 461 199

Memorial Genweb :

Fiche individuelle  Antoine Hajje

Dicitionnaire biographique du Maîtron :

HAJJE Antoine, Joseph, François - Maitron

Gallica :

La Défense, 1er mai 1936.

L’Univers israélite du 26 juin 1936

L’Université Libre, 23 septembre 1941

Le Palais Libre n°2, juillet 1943

Le Défense du 8 juillet 1949

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