« A toutes les époques, on voit se détacher de bonne heure la figure de certains hommes qui, par les dons prodigieux que leur a dispensés la Providence, semblent destines à dépasser tous les autres, à prendre toujours la tête de la génération dont ils font partie. Gilbert Maroger était l’un de ces fils de Roi qui se jouent des difficultés au milieu desquelles les autres hommes se débattent et qui, d’un coup d’ailes, s’élèvent au-dessus des obscurités, des hésitations, des faiblesses, des renoncements et des repentirs ». Jacques Charpentier.
Qui était donc Gilbert Maroger ?
Il est né le 24 octobre 1911 à Montpellier dans une famille protestante plutôt aisée. En effet, son père Jean Paul Emile Amédée Maroger, exerçait la profession d’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, et de président général de sociétés, ; il poursuivait également une carrière politique puisqu’il fut conseiller général et sénateur de l’Aveyron (1939-1945 et 1948-1956) puis conseiller de la République. Lors de son élection au Sénat en 1939, il vote le 10 juillet 1940, à Vichy, les pouvoirs constituants demandés par le maréchal Pétain.
Le grand-père paternel de Gilbert est diplômé de l’Ecole polytechnique (X 1865) et exerce la profession d’ingénieur civil des mines puis de propriétaire-viticulteur-négociant à Nîmes (Gard). Quant à son arrière-grand-père, il était également négociant dans le Gard et fut Lieutenant de mobiles dans la guerre de 1870.
Sa mère, Jeanne Marie Masars de Mazarin déclarée sans profession, était mère au foyer et s’occupait de ses trois fils, dont Gilbert était le cadet. Elle était issue d’une famille de juristes, protestants du Gard. Son père était juge, conseiller à la Cour d'Appel de Nîmes, membre du Conseil Général du Gard et président de la Caisse d'Epargne de Nîmes.
Après une enfance gardoise, Gilbert part faire ses études dans la capitale et intègre le lycée Janson de Sailly où il obtient une triple mention très bien aux bacs Lettres, Philo et Sciences. Gilbert est un élève brillant, couronné par tous les premiers prix. Il sort diplômé de la faculté de droit et de Sciences politiques (Section générale) avec plusieurs mentions et le premier prix de la faculté de droit. En parallèle, il obtient un certificat de licence en histoire à la Sorbonne.
Licencié en droit le 18 juillet 1932, il prête serment en novembre 1932 et débute son stage chez Me Dorville, qui s’était pris pour lui d’une grande affection, avant de partir effectuer son service militaire en 1933. Il est réformé du service le 22 novembre 1933 par suite d’une crise de dysenterie qui l’oblige à quitter Paris pour un long séjour en bord de mer. A son grand désespoir, il ne put être versé dans un service auxiliaire.
Il reprend son service le 16 avril 1934, qu’il accomplit à l’Ecole militaire d’administration de Vincennes comme officier de réserve.
De retour du service militaire en juin 1935, il démissionne du barreau. Il a en effet été chargé d’une mission de la fondation Rockefeller, qui l’envoie étudier en Europe centrale et en Angleterre le problème des matières premières, en accord avec le Centre d’Etudes de politique étrangère.
Sa mission terminée, il souhaite se réinscrire au stage ; les délais normaux d’inscriptions ont désormais été écourtés ; il demande donc son inscription au tableau sous une autorisation spéciale, ce qui ne lui sera pas accordée : il est réadmis au barreau en 2e année de stage en janvier 1938.
Il se consacre dès lors au droit international. Ses travaux sur les matières premières sont publiés en 1937 par le Centre d’Etudes de politique étrangère par l’éditeur Hartmann en 1937 sous le titre La question des matières premières et les revendications coloniales. Examen des solutions proposées.
Gilbert est ambitieux, il veut poursuivre son cursus. Il tente l’agrégation de droit public et est admissible au premier concours en 1938. Il publie dans le même temps sa thèse sur L'Europe et la question coloniale : revendications coloniales allemandes, aspirations coloniales polonaises (Sirey, Thèse de droit à l'Université de Paris, 1938), dans laquelle il s’attache « à l’examen des problèmes politiques et juridiques posés par les demandes que ne cesse de formuler le Reich pour obtenir la restitution de ses anciens territoires d’Afrique et du pacifique, et aussi par la Pologne qui réclame des colonies nécessaires, dit-elle, à son expansion » résume Henri Labouret dans le cinquième numéro de la Revue Politique étrangère en 1938.
Naturellement, habitué à être dans les meilleurs, il se présente au prestigieux concours de la Conférence du stage en 1939, sans se faire annoncer et sans aucune préparation. Il s’impose par sa lucidité et sa maturité, et par une maîtrise « étonnante chez un jeune homme de son âge » dira le bâtonnier Charpentier ; il est élu à l’unanimité Premier secrétaire. Dans son discours de premier secrétaire, le dernier qu’il prononcera dans la bibliothèque des avocats, il évoque un fils arraché à sa mère, tué par la guerre, non pas pour « s’apitoyer sur une douleur sans égale, mais pour glorifier l’âme des conquérants, les trophées des vainqueurs ! » (Marcel Poignard). En tant que Secrétaire de la Conférence, il sera récompensé de deux prix pour l’année 1942-1943, le prix Albert Laval et le prix Lachaud.
Puis vient la guerre. Gilbert est mobilisé dès 1939 comme lieutenant d’administration dans l’amirauté française. Il est affecté au blocus, comme l’indique le bibliothécaire Boucher à Emile Laffon. Mais son souhait est d’obtenir une affectation dans une unité combattante. En mai 1940, au moment de la déroute il est affecté à l’aviation, trop tard pour que cette mutation soit effective. Il est démobilisé en août. Un poste au cabinet du Garde des Sceaux lui est proposé : il le décline mais accepte une mission à titre bénévole pour participer à l’étude et à la préparation des textes législatifs et règlementaires. Peu de temps après, il entre en fonction au cabinet du secrétariat général au gouvernement français en Afrique (sous les ordres du Général Weygand). Il effectue un grand séjour en Tunisie et au Maroc. Il sollicite sa demande de congés à l’Ordre via son père. Le 11 décembre, il est nommé directeur du cabinet du gouverneur Chatel en Afrique du Nord française. Chatel est le second du général Weygand à la Délégation générale du Gouvernement en Afrique du Nord française.
Il se passionne pour les problèmes de l’Afrique et ceux de l’Empire. En 1941, il évoquera lors d’une rencontre à Alger avec Roger Seydoux, directeur de l’Ecole libre de sciences politiques, la possibilité de créer une annexe de cette école. Elle sera créée en 1942 en partenariat avec l’université d’Alger. Gilbert y donnera quelques cours et s’installera à Alger, « dans une villa à côté du Palais du gouvernement, au milieu des fleurs et des palmes ».
Entre temps, Gilbert est revenu en France pour valider son agrégation. Lors de son passage à Paris, il s’entretient avec son bâtonnier à ce sujet, lui faisant part de ses doutes sur ce concours qui venait d’ouvrir.
A-t-il le temps de le préparer ? Certes le délai était court mais le bâtonnier Charpentier lui dit de se présenter, ce qu’il fait. Et il réussit. Et rentre à Alger où il trouve le temps long ; il attend son heure en s’occupant par ses passions la poésie, les livres et la musique. A mesure de la Libération du territoire, Gilbert juge que son devoir est de réendosser son uniforme. Il veut combattre, être dans l’action.
En 1944, il réalise son ambition de s’engager dans une unité combattante, un régiment de chars, le 5eme chasseurs d’Afrique. Puis un ordre du général de Lattre l’affecte à la liaison avec le 6eme groupe d’Armée Américaine. En mars 1945, il obtient sa réintégration dans son char du 5eme chasseur d’Afrique (5e RCA, appartenant à la 1ere DB), au moment de l’entrée de l’Armée de Lattre en Allemagne.
Gilbert est heureux. Il entre en Allemagne, « debout sur son char couvert de trophées ». Le 5e RCA franchit effectivement le Rhin le 6 avril, et arrive, après Baden Baden, Tuttlingen, le Danube et Ulm, à Biberach le 13 avril. Il accomplit son devoir de servir la France et ses idéaux. Un soir il avait écrit à une de ses cousines, qui venait d’apprendre la mort de son fils dans le maquis : « Je crois moins que jamais qu’il puisse exister sur terre un sacrifice inutile, si ce sacrifice est volontaire. Ce n’est pas que l’humanité, notre bonne vieille fourmilière, sache tirer grande leçon de ces exemples : mais il est si nécessaire d’affirmer qu’il est d’autres exigences que celles de la patience ! Je ne sais pas s’il y a une survie, mais je crois que les actes, les actes de foi comme les actes de ferveur, vivent et demeurent quelque part à jamais dans l’attente d’on ne sait quel rachat ». Ce sacrifice volontaire lui sera fatal.
Gilbert stationne dans la région du Bade-Wurtemberg, entre les villes de Durnau, Saulgau et Pfullendorf. Il effectue des missions de renseignements, n’hésitant pas à s’exposer dans les liaisons auprès des éléments engagés, notamment devant Hohenwettersbach le 6 avril 1945. Après avoir terminé une mission à Saulgau, rejoignant le régiment stationné à Biberach, le 24 avril à 10h du matin il est pris dans une embuscade à l’entrée du village de Durnau et tué par balles.
Sur son acte de décès, la date de sa mort est erronée ; il est mentionné, tout comme dans la citation qu’il a reçu que Gilbert à été tué le 23 avril. Un télégramme daté du 28 mai 1945 et adressé au secrétariat général des Anciens combattants au maire de Boulogne donne la même indication. La famille habitait avant-guerre à Boulogne, d’où l’envoi au maire de Boulogne. En 1945, la famille est domiciliée à Paris, au 23 quai d’Orsay. Le lieutenant Luc Chevalier, officier de l’Etat civil du 5eme RCA, rectifie cette information erronée en expliquant dans une lettre adressée au ministre des Anciens combattants qu’il est impossible que Gilbert soit décédé le 23. En effet, Pfullendorf a été pris par des éléments du régiment le 22 avril 1945 en fin d’après-midi et le village a été abandonné par ces mêmes éléments le 23 au début de l’après-midi. Le lieutenant Luc Chevalier s’est toujours transporté « personnellement sur les lieux où avaient été tués les gradés et chasseurs du régiment ». L’acte de décès est rectifié auprès des autorités après la guerre. De même, il est indiqué qu’il aurait été inhumé au cimetière militaire de Strasbourg, ce que corrige le lieutenant Chevalier par courrier le 1er mai 1945, reconnaissant son erreur. Gilbert est inhumé au cimetière divisionnaire de la 1ere division blindée de Biberach (pays de Wurtemberg, Allemagne) Rangée I Tombe 1.
Gilbert Maroger, 33 ans, avocat, mort pour la France, « le dernier de tous : il clôture cette liste funèbre et glorieuse » des avocats parisiens morts pour la France (bâtonnier Marcel Poignard, 1946).
« Parmi nous au Palais, nous l’avons trop peu connu car il aura passé parmi nous comme un météore. Il laissera le souvenir de l’une des plus pures gloires de notre jeunesses et d’une immense espérance fauchée en sa fleur ». Jacques Charpentier.
Cindy Geraci.
- Croix de guerre avec étoile de Vermeil
- Bronze star Metal à titre posthume
Citation :
Général Koenig, cité à Ordre de l’Armée à titre posthume :
« officier de réserve d’une qualité rare et animé d’un grand désir de servir. A quitté volontairement un grand Etat-Major Allié pour venir servir dans un Régiment.
A assuré avec intelligence pendant la campagne d’Allemagne les fonctions d’Officier de renseignements n’hésitant pas à s’exposer dans les liaisons auprès des éléments engagés notamment devant Hohenwettersbach le 6 avril 1945.
A été mortellement blessé le 23 avril aux environs de Mittelbiberach.
La présente citation comporte l’attribution de la croix de guerre avec étoile de Vermeil ».
Dossier administratif :
- Discours de la conférence du stage, 1939.
- Lettre du père de Gilbert, 20 octobre 1940.
- Discours du Pasteur 17 mai 1945.
- Citation militaire.
Bibliographie :
Emile Laffon, Correspondance 1917-1957, Paris, Glyphe, 2008.
Discours du Bâtonnier Poignard à la Mémoire des avocats à la Cour de Paris morts pour la France (1939-1945), 11 juillet 1946, Paris, Imprimerie du Palais, 1946.
Service historique de la défense :
Caen : AC 21 P 81867
ECPA_Images défense :
Des chars légers Stuart M5 A1, perçus par le 5e RCA (régiment de chasseurs d'Afrique) de la 1re DB (division blindée), sont parqués dans un champ en bordure d'une route à proximité de Blida.1943. référence TERRE 54-1010
Généanet :
Publications personnelles :
La question des matières premières et les revendications coloniales. Examen des solutions proposées (Centre d'Etudes de Politique Etrangère, Hartmann, 1937)
L'Europe et la question coloniale : revendications coloniales allemandes, aspirations coloniales polonaises (Sirey, Thèse de droit à l'Université de Paris, 1938)
Les Vulnérables, roman posthume, avec une lettre liminaire du Génréral de Lattre de Tassigny et une préface de Thérèse Aubray, (1947, Colbert)
Bibliographie :
Gilbert Maroger. L'Europe et la question coloniale. Revendications coloniales allemandes, aspirations coloniales polonaises, [compte-rendu de Henri Labouret], Politique étrangère Année 1938.
Anthologie des écrivains morts à la guerre 1939-1945 : Gilbert Maroger.
Site du Sénat : Jean Maroger
Historique succinct du 5e chasseurs d’Afrique, par le Lieutenant colonel Henri Azema