A Tunis, le 25 janvier 1878, Alfred Valensi naît de l’union de Joseph Valensi, né le 20 décembre 1844 et d’Émilie Henriette Lévy, née le 25 décembre 1859. Quatre enfants suivront entre 1881 et 1888 : Guillaume (1881-1957), avocat ; Robert (1884 - 1919), médecin ; Théodore (1886 - 1959), avocat, député, écrivain ; Marie épouse Nataf (1888 - 1975).
La branche paternelle d’Alfred descend d’une famille juive originaire de la péninsule ibérique exilée en Toscane à la fin du XVème siècle. Autour du XVIIème siècle comme d’autres familles juives ayant les mêmes origines et le même parcours, une partie des Valensi s’établit en Tunisie, dans le cadre de l’établissement de relations commerciales. Ceux-ci sont d’abord de nationalité italienne avant de devenir tunisiens en 1822 à la suite du traité entre le Grand-Duc de Toscane et le Bey de Tunis.
Cependant, plusieurs deviennent français parce qu’ils travaillent au service de la France et de son gouvernement à l’époque de la domination ottomane, bien avant l’établissement du protectorat français en 1878 : en effet, dès 1790, Gabriel « 1er » Valensi entre au service du Consulat de France comme drogman, c’est-à-dire interprète et homme de confiance. Certains de ses descendants prennent sa suite, ils sont diplomates, consuls, ministres, militaires tandis que d’autres sont avocats, magistrats, médecins, architectes, rabbins.
Du côté de sa mère, Émilie, il est le petit-fils du rabbin Nathan Levy Ashkenasi et l’arrière-petit-fils de Raphaël Levy Ashkenasi dont le frère Judas était le rabbin de la communauté portugaise de Tunis, communauté dont faisait partie les familles Levy, Valensi mais aussi El Haïk, branche de la grand-mère paternelle d’Alfred Valensi.
Alfred est né à Tunis, tout comme ses parents et ses frères et sœurs. Or à sa naissance, son père exerce la fonction de chancelier du consulat d’Autriche-Hongrie à Tunis avant d’en devenir le vice-consul ; il restera 40 ans auprès de l’Empereur d’Autriche : la famille Valensi est donc naturalisée autrichienne, résidant à Tunis.
Comme ses trois frères après lui, Alfred est élève du renommé lycée Carnot de Tunis ; le lycée Carnot dans la diffusion du savoir, inspiré par la France, enseignait la langue française et les valeurs de la République. D’après des distinctions et classements publiés dans la presse de cette période, Alfred apparaît avoir été un élève particulièrement brillant : il est en effet mentionné au Tableau d’honneur du bulletin officiel de l’enseignement public en 1889. Il obtient également le prix de philosophie en 1897 et le prix d’honneur de dissertation philosophique, offert par la municipalité de Tunis cette même année.
Après son baccalauréat, selon un parcours habituel de l’élite israélite tunisienne de l’époque, désirant être avocat devant la justice française en Tunisie, il se rend en France pour obtenir ses diplômes. Il poursuit ainsi ses études à Montpellier où il est inscrit à la faculté de droit. Reçu à chacune de ses années de droit jusqu’à sa licence en 1900, les succès du fils du vice-consul d’Autriche Hongrie sont annuellement relayés par le quotidien, La Dépêche Tunisienne.
Il prête serment devant la Cour d’Appel d’Alger : en effet, la loi du 27 mars 1883 créée en Tunisie un tribunal et six justices de paix mais pas de cour d’appel, le pays étant sous protectorat ; jusqu’en 1941, date de création de cette Cour d’appel, les avocats tunisiens relevaient de la Cour d’appel d’Alger. Le barreau de Tunis a quant à lui vu le jour en 1887 suite à la loi de 1883, fondatrice de la justice française en Tunisie.
Alfred s’inscrit donc au barreau de Tunis en 1902. Âgé de seulement 24 ans, il prolonge son parcours universitaire en préparant un doctorat à Montpellier. Le 3 avril 1905, il est docteur en droit et primé pour sa thèse L’application de la loi du divorce en France, Tendance générale de la jurisprudence, Résultats sociaux, Projets de réforme. Celle-ci est publiée la même année à Paris par Larose et Tenin. Elle présente en 341 pages, une étude de la loi Naquet du 27 juillet 1884 ayant rétabli le divorce sur le seul fondement de fautes précises (adultère, condamnation à une peine afflictive et infamante, excès, sévices et injures graves) constituant un manquement aux obligations conjugales et rendant intolérable le maintien du lien conjugal. Contrairement à ses détracteurs notamment Paul Bourget et Frédéric Le Play qui accusent cette loi d’être responsable de désorganisation familiale accrue, Alfred Valensi par l’analyse de la jurisprudence et des statistiques établit le contraire. Une partie de celle-ci est consacrée à la discussion des résultats sociaux du divorce quant à la natalité, au suicide, à la prostitution, à la criminalité, à la moralité conjugale. En dernière partie, il décortique les projets de réforme à l’étude en s’attachant à signaler leurs lacunes. Si Alfred est partisan de l’extension du divorce par consentement mutuel, il croit prématuré l’introduction du divorce par la volonté de l’un des époux, des mesures plus protectrices pour la femme divorcée et pour les enfants devant être prises plus urgemment.
Ces propositions et son travail seront présentés à l’Académie des Sciences morales et politiques par Charles Lyon-Caen, président de la section de législation, droit public et jurisprudence et Doyen de la faculté de droit de Paris, le 10 mars 1906. Ils seront publiés dans son livre La réforme du Divorce en octobre 1907. Si certaines des propositions qu’il a étudiées et approfondies ont vu le jour, il faudra néanmoins attendre la loi du 11 juillet 1975 pour que le divorce par consentement mutuel soit finalement autorisé.
Partisan de l’égalité des droits de la femme, il écrit en 1908 encore un article sur l’autonomie économique et juridique de la femme mariée, dans la Revue politique et parlementaire. Dans cette même revue, où deux ans auparavant, il publiait le fruit d’un autre cheminement. Son essai intitulé Le Sionisme, paru en 1906, le place comme l’un des pionniers fondateurs du sionisme tunisien et contribue à la diffusion des idéaux de Theodor Herzl dans le Maghreb.
Alfred perd son père en 1909. Ayant suivi des études françaises et étudié le droit français, il demande alors sa naturalisation, ce afin de pouvoir exercer devant les juridictions de ce pays. Il est naturalisé le 16 janvier 1909, par application de l’article 1 du décret présidentiel du 28 février 1899 régissant la naturalisation française en Tunisie : il a plus de 21 ans et justifie de trois années de résidence en Tunisie. Alfred a pu, contrairement à ses homologues juifs tunisiens, obtenir cette naturalisation car il était de nationalité autrichienne. En effet, jusqu’en 1910, les conditions pour devenir français s’avéraient quasiment impossibles pour les avocats juifs tunisiens : ils devaient soit avoir servi 3 ans dans les armées françaises, soit avoir rempli des fonctions ou emplois civils rétribués par le Trésor français, soit avoir rendu des services exceptionnels à la France. En conséquence, entre 1891 et 1910, aucune naturalisation n’a été accordée. Les protestations de ces derniers ont en 1910 conduit à un assouplissement de ces conditions d’acquisition.
Tout en poursuivant sa carrière d’avocat à Tunis, Alfred s’engage sans relâche pour la constitution d’une patrie pour les Juifs. Sioniste orienté politiquement à gauche, il défend le programme économique et social du sionisme dont la nationalisation du sol, l’organisation coopérative de la production, l’égalité des droits civils et politiques de la femme, cette égalité qu’il défend déjà en sa qualité de juriste et d’avocat. A cette époque, il est proche du parti prolétaire sioniste Poalé Zion (Travailleurs de Sion), parti né en Russie, qui adopte le programme du parti socialiste international et dont l’objectif est l’abolition de la société capitaliste et l’établissement d’un état socialiste.
Proche et disciple de Max Nordau qu’il a rencontré alors qu’il était encore étudiant et secrétaire du Groupe des étudiants sionistes de Montpellier, il devient correspondant du journal Die Welt, créé par Theodor Herzl, publié à Cologne, du Neue Judische Korrespondenz publié à Berlin et du Corriere Israelitico publié à Trieste. Parallèlement à sa carrière d’avocat, il commence donc une carrière de journaliste engagé et déjà reconnue. Dès cette époque, Alfred a bien compris que pour le mouvement sioniste, la presse et l’information constituent une arme de mobilisation de l’opinion juive et non-juive.
Au cours de l’année 1910, avec le Grand Rabbin Jacob Boccara et Joseph Brami, il fonde à Tunis, la première organisation sioniste légale, Aghoudat Tsion. Le Rabbin Jacob Boccara sera en août 1911, le premier représentant tunisien au Xème congrès sioniste réuni à Bâle en Suisse.
Courant mai 1911, Alfred est à Paris pour une affaire familiale particulière et d’importance. Sa présence parisienne, aux côtés de ses frères, Théodore et Guillaume, est mentionnée dans les journaux du printemps de 1911. La presse relaye en effet sur plusieurs semaines, l’affaire des décorations dont l’un des protagonistes n’est autre que Guillaume Valensi. Ce dernier défendu par Vincent de Moro-Giafferi, est brièvement incarcéré pour être mêlé à un trafic de délivrance de diplômes et de décorations dont celles de l’Ordre du Nicham-Iftichar, premier ordre tunisien dont Gabriel Valensi, l’oncle était le secrétaire général. Cette dernière décoration honore les membres de la famille Valensi et notamment Alfred et ses trois frères, Guillaume, Robert et Théodore. L’affaire est jugée en juillet 1912 en l’absence de Guillaume, lequel reconnu dément et interné, a bénéficié d’un non-lieu. Il sera néanmoins sanctionné disciplinairement par le barreau de Paris qu’il quittera finalement pour celui de Pontoise.
Deux années plus tard, en avril 1914, défendu par le même Vincent de Moro-Giafferi, un autre des frères d’Alfred, Robert Valensi, également interné au moment de son procès, est quant à lui, déclaré coupable de tentative d’escroquerie pour avoir établi des certificats médicaux sans examen clinique et de faux certificats. Il est condamné à six mois de prison avec sursis. Nous ignorons si cette condamnation a déterminé Robert Valensi à s’engager volontairement pour la France en octobre 1914. Toujours est-il que nommé médecin aide major, il portera sans relâche secours aux blessés. Il décédera le 25 avril 1919 à Oran en Algérie, de maladie contractée en service. Trois fois blessé, trois fois cité, il sera médaillé de la croix de guerre avec palmes, tout comme son cousin Jean David Valensi, lieutenant au 55e RI, mort au combat en 1915 à Meurival (Aisne) et décoré de la Légion d’honneur.
Durant les années de la Grande Guerre, Alfred semble avoir échappé à la mobilisation et être vraisemblablement resté en Tunisie. Aucun élément ne permet de retracer son existence durant cette période. La déclaration de guerre a entraîné la proclamation de l’état de siège et la censure de nombreux journaux en Tunisie mais cette dernière n’ayant jamais déclaré la guerre aux empires centraux est restée neutre. De nombreux tunisiens ont toutefois été enrôlés pour défendre le sol français. Or, seuls les musulmans étaient mobilisables et non les israélites en raison des règles du protectorat français, ces derniers paraissaient alors épargnés par le conflit. Cette disparité a créé de fortes tensions entre ces deux communautés, aboutissant à des émeutes et pillages antijuifs dans différentes villes de Tunisie qui ne s’apaiseront qu’après la fin du conflit mondial. Cependant, les bouleversements induits par le conflit mondial signent le véritable début du mouvement national tunisien qui s’opposera au colonialisme français et aux militants sionistes tunisiens pour les décennies suivantes.
Au sortir de la Grande Guerre, Alfred poursuit plus que jamais son engagement pour le sionisme dans un contexte plus pacifique et un peu plus favorable politiquement pour la population juive tunisienne.
Le 2 novembre 1919, à l’occasion du deuxième anniversaire de la déclaration de Balfour, dans le local d’Aghoudat Tsion, Alfred prononce un discours : il souligne l’importance de la déclaration de Lord Arthur Balfour du 2 novembre 1917 qui marque une étape fondamentale dans la création d’Israël. En sa qualité de président d’Aghoudat Tsion et aux noms de ses membres, il adresse un télégramme de gratitude au ministre des Affaires étrangères du Royaume Uni.
En 1920, plusieurs organismes sionistes tunisiens dont Aghoudat Tsion qui s’intéressent aux problèmes sociaux, économiques et politiques vécus par la communauté juive de Palestine et la diffusion de l’hébreu moderne s’unifient. Malgré les différences et les appartenances à divers courants nationalistes socialistes ou nationalistes révisionnistes ou encore religieux ou indépendants, à l’initiative d’Alfred Valensi et de Joseph Brami est créée une fédération sioniste officielle, la Histadrout tunisienne. Alfred en sera le premier président jusqu’en 1925, présidence qui le conduit à faire de multiples déplacements et rencontres loin de la Tunisie :
- il est à Paris en juin 1920, pour conférer au Palais de la Mutualité devant la Ligue palestinienne des droits de l’Homme et du citoyen aux côtés notamment d’Anatole de Monzie, sénateur républicain socialiste, Yvon Delbos, journaliste radical-socialiste, Georges Dumoulin de la C.G.T., Justin Godart, avocat, député radical-socialiste, Pierre Renaudel, dirigeant de la S.F.I.O., Alphonse Aulard, historien, radical-socialiste, cofondateur de la ligue des droits de l’Homme. Bien d’autres conférences suivront dont celles annoncées dans la presse : en janvier 1923, à Tunis, Alfred accueillera son confrère Fernand Corcos du barreau de Paris et membre de la ligue des droits de l’Homme, ayant rallié depuis peu le camp sioniste. En 1926 par l’Union universelle de la jeunesse juive à Paris, auront lieu plusieurs débats sur « Le sionisme résout-il la question juive ? », « La crise économique en Palestine » pour lesquels les orateurs sont outre Alfred, ses confrères Léonce Bernheim, Fernand Corcos et Yvonne Netter, Henri Marx et le rabbin Louis Germain Lévy. En 1929, à Paris, Alfred donnera des conférences sur « Le mouvement national de la jeunesse juive ».
- il est à Carlsbad, rattachée à la Tchécoslovaquie depuis le Traité de Saint Germain de 1919, où, entre le 1er et le 14 septembre 1921, il prend part au XIIème congrès sioniste. Premier congrès organisé après la fin de la guerre, après la déclaration de Balfour, la fin de la gestion de la Palestine par la puissance ottomane et les pogroms d'Europe orientale, il précède également le mandat sur la Palestine conféré par la Société des Nations en 1922 au Royaume-Uni. Il y est décidé l'établissement des infrastructures nationales du futur État d’Israël ainsi que l'élargissement de l'implantation en Terre d'Israël. Il y est confirmé la création de l’organisme central financier sioniste mondial.
- un mois plus tard, il est à Paris où il épouse le 27 octobre 1921, à l’âge de 43 ans, Marcelle Ginsburg de 20 ans sa cadette. En présence de sa mère, Henriette Lévy veuve Valensi, des parents médecins de Marcelle, Simon Ginsburg et Sophie Weinberg et de leurs témoins, le docteur Michel Weinberg, oncle de la mariée et le peintre, David Junès, le mariage est officialisé à la mairie du XIVème arrondissement avant d’être célébré religieusement au Temple de la rue Buffault dans le IXème arrondissement. C’est un « mariage sioniste » titre Le Peuple Juif dans son édition du 4 novembre 1921. En effet, le docteur Simon Ginsburg est président de la société Assidath-Sion et ancien secrétaire général de la Fédération Sioniste Française (F.S.F.), laquelle fédération édite Le Peuple Juif dont Alfred Valensi est l’un des principaux collaborateurs depuis 1919. Il faut ajouter que la jeune Marcelle Ginsburg, diplômée de l’école d’agronomie de Tunis, nourrit le ferme espoir d’exercer ses talents d’ingénieur agricole sur les terres de Palestine.
Dans ces années post guerre, Alfred, qui vit à Tunis avec son épouse et son fils, Raphaël, né le 7 juillet 1924, introduit en Tunisie les mouvements de jeunesse sioniste tels que le Ha-Shomer ha-Tsaïr qui sera suivi en 1933 du mouvement révisionniste Betar appelé à devenir la base de l’impulsion sioniste future en Tunisie. Il organise également des collectes pour la fertilisation des terres en Palestine.
Au fil de la consultation des journaux et revues tels : Paris-Soir, Le Christianisme social, La Revue de la solidarité sociale, Le Populaire, Le Quotidien, Le Peuple juif, L’Écho sioniste, L’Univers Israélite, La Vie juive, Les Nouvelles, La Vérité, Menorah, La Terre promise, les Annales coloniales, Chalom… il ressort des nombreux articles dont il est l’auteur ou mentionnant son nom et ses actions, une énergie rare et une détermination exceptionnelle de ce dernier pour la cause sioniste. Cette énergie et cette détermination le suivent à Paris où fin 1925, il s’installe définitivement, tout en conservant des liens étroits avec la communauté tunisienne israélite qu’il représentera devant le XVIème Congrès sioniste à Zurich en août 1929.
Le 26 janvier 1926, Alfred Valensi est admis au barreau de Paris, après avoir exercé 24 ans au barreau de Tunis « avec honneur et probité », selon les termes de l’exéat émanant du bâtonnier de Tunis, rapportés par Arnaud Fraisse, membre du Conseil de l’Ordre, dans son rapport concluant à l’admission du nouvel impétrant.
Avec son fils et son épouse, il fixe son domicile au 48 rue de la Clef à Paris dans le Vème arrondissement où il y exerce son métier d’avocat désormais à la Cour d’appel de Paris, avant d’emménager au 130 boulevard Brune dans le XIVème puis au 43, avenue Ernest Reyer dans le XVème où il habitera seul, les époux Valensi ayant depuis 1930 des domiciles séparés sans pour autant jamais divorcer.
Dans un contexte d’inquiétude grandissante pour le sort des juifs d’Europe, la publication en 1930 du second Livre blanc britannique prévoyant pour la première fois, de limiter l’immigration des Juifs en Palestine et instituant une priorité à l’emploi de la population arabe et ce même au sein des entreprises juives, suscite une réaction virulente des institutions sionistes mondiales. Cette publication inscrit un tournant majeur dans l’engagement sioniste d’Alfred. Dans son article intitulé l’Angleterre et le sionisme publié le 6 janvier 1931, en qualité de vice-président de Fédération Sioniste Française, il dénonce publiquement l’anéantissement de la Déclaration de Balfour par la position prise par les Britanniques.
A cette même époque, il devient proche de Vladimir Jabotinsky, adepte du sionisme révisionniste en réaction à la politique antisioniste du mandataire anglais, chef de la tendance la plus nationaliste au sein du sionisme et la plus hostile à la gauche sioniste. Ce dernier défend un État juif étendu sur la Palestine, le libéralisme économique et politique. S’il ne rejette pas la coopération avec le Royaume-Uni, il souhaite son aide pour ériger un « Mur d’acier », c’est à dire une armée juive pour lutter contre la résistance arabe et imposer le sionisme en Palestine.
Finalement, Alfred rejoint les rangs révisionnistes, reprochant à la gauche sioniste dont il avait pourtant longtemps porté les idées, son acceptation d’une situation de subordination vis-à-vis du Royaume-Uni, annihilant l’idée d’un État d’Israël indépendant et fort. Dans ses positionnements, il se gardait cependant de toute allusion à la population arabe de Palestine. Mais fondamentalement, à ce moment, il est conscient de l’extrême urgence dans laquelle se trouvent les communautés juives d’Europe. L’antisémitisme et les persécutions se multiplient, les politiques de discrimination économique s’intensifient depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, il faut agir sans attendre. Il adhère à la stratégie de Vladimir Jabotinsky consistant à mettre en place au plus vite l’évacuation vers la Palestine de centaine de Juifs qui se trouvent en danger de mort, quelles que soit les capacités d’absorption du pays et nonobstant les limitations imposées par les Britanniques. L’évacuation massive imaginée par le chef des révisionnistes, ne pourra néanmoins voir le jour du fait de divergences entre sionistes et de la révolte arabe en Palestine amenant les Britanniques à restreindre plus encore l’immigration juive pour à partir de 1939 (Troisième Livre blanc), définitivement fermer les portes de la Palestine aux réfugiés au moment le plus critique.
A partir de septembre 1939, le temps n’est plus aux divergences politiques et stratégiques entre les différents courants sionistes sur l’interventionnisme britannique. Alfred Valensi ne reste pas moins engagé dans la cause sioniste et contre le nazisme.
Si en février 1941, le Conseil de l’Ordre décide de son maintien au tableau de l’Ordre des avocats de Paris ayant apporté les justificatifs à son maintien, en conformité à la loi du 11 septembre 1940 visant les avocats étrangers, en février 1942, il en est définitivement exclu par application de la loi de juin 1941 dite « Second statut des juifs ». L’avis « exercice honorable de la profession » émis par le Conseil de l’Ordre n’est pas retenu. Il est ainsi noté dans son dossier ordinal : « Le 12 février 1942, Mr Valensi Alfred a cessé de figurer au Tableau par application de l’arrêt de la Cour de Paris du 12 février 1942 ».
A compter de cette date il n’est donc plus avocat ; son frère Théodore Valensi, non plus : ce dernier a déjà été arrêté en août 1941 lors des rafles des intellectuels et parce qu’il figurait sur la liste des personnalités établie par les autorités d’occupation, en raison de ses nombreuses conférences et prises de position sur l’hitlérisme et ses exactions ; il sera déporté au camp de travail de l’île d’Aurigny d’où il sera libéré par les alliés en 1944. Guillaume l’autre frère, a également perdu le droit d’exercer et sera interné à partir de 1942.
Être Juif et rester à Paris sous occupation allemande est devenu terriblement dangereux. Raphaël et sa mère ont depuis début 1941, déjà quitté Paris et ce, à la demande d’Alfred. Ce dernier reste seul à Paris, sans sa famille mais avec sa détermination et son énergie qui ne faiblissent pas malgré une santé plus difficile : à 63 ans, il souffre de rhumatismes, séquelles d’un grave accident de voiture dix ans auparavant. Alfred Valensi ne voulait pas bouger de la capitale parce qu’il avait « encore une tâche à remplir et parce qu’un capitaine de navire n’abandonne jamais un navire en danger » rapportera bien plus tard un proche de son fils Raphaël.
Au printemps 1941, le jeune Raphaël, âgé de 16 ans qui passe déjà son bac et sa mère, Marcelle Ginsburg épouse Valensi se trouvent à Marseille en zone non occupée, où une partie de la famille Valensi résidait.
A ce stade, il convient d’expliquer l’action de Marcelle Ginsburg épouse Valensi qui a certainement justifié d’autant la demande d’Alfred Valensi de voir sa famille quitter Paris pour se mettre plus à l’abri. Marcelle Valensi depuis le début de la guerre sous la couverture d’assistante sociale auprès du dispensaire « La Mère et l’Enfant » fait partie d’un réseau parallèle clandestin, le « Comité Amelot » qui s’occupe d’aider les juifs en détresse. Dès les premières arrestations, le comité, avec ses assistantes sociales, vient en aide aux familles, distribue des subsides aux nécessiteux, leur procure des faux papiers d’identité et recherche des lieux d’accueil pour les enfants. C’est ainsi que Marcelle, officiellement détachée comme assistante sociale de la Croix-Rouge est venue en aide au Rabbin Élie Bloch en distribuant des colis de vivres et de vêtements et a contribué à la libération de jeunes enfants et d’adolescents. Ces initiatives, elle les poursuivra de Marseille jusqu’au 25 décembre 1942, date à laquelle elle tombe en pleine rue terrassée par une crise cardiaque. Elle est enterrée à Marseille, mais repose, depuis 1967, au cimetière de Bagneux dans les Hauts-de-Seine.
Quelques semaines seulement après ce décès, le 23 janvier 1943, à 7h du matin, Alfred Valensi est arrêté par la police française, à son domicile parisien, 8, square Henri Delormel dans le XIVème arrondissement. Le lendemain, il écrit du camp de Drancy où il est interné sous le matricule 18996, au bâtonnier pour l’informer de son arrestation.
Après un transfert du camp de Drancy à celui de Beaune-la-Rolande près de Pithiviers dans le Loiret, le 9 mars 1943, Alfred est de retour à Drancy le 23 mars 1943 sur ordre de Heinz Röthke qui est avec Theodor Dannecker, l’un des principaux responsables de la déportation des Juifs de France de 1940 à 1944. Ce dernier, en vue de l’organisation du prochain convoi de déportation au départ de Drancy, a demandé au préfet de police, de transférer tous les juifs français non mariés à des Aryens, internés au camp de Beaune-la-Rolande. Deux jours plus tard, Alfred prend place dans le convoi n°53 à destination du camp d’extermination de Sobibor en Pologne.
A bord de ce convoi qui part de la station Le Bourget-Drancy, le 25 mars 1943, se trouvent parmi les 1008 déportés, les victimes de la rafle de la rue Sainte Catherine à Lyon du 9 février 1943 dont Simon Badinter, père de Robert Badinter et des résistants, également 13 déportés qui parviendront à s’échapper après que l’un deux, Sylvain Kaufmann, ait limé le plancher de son wagon.
En 1945, la famille n’avait aucune nouvelle d’Alfred. Son frère Guillaume fait paraître une annonce de recherche dans Le Figaro du 6 juin 1945.
L’acte officiel de décès, fixant la date du 30 mars 1943 n’a été dressé administrativement que le 25 mars 1947. Le lieu n’a été définitivement fixé à Sobibor que le 29 mars 2001 après qu’il a été formellement établi par le travail de Serge Klarsfeld que le convoi n°53 avec ses passagers a abouti au camp d’extermination de Sobibor et non à Lublin-Maïdeneck.
Le nom d’Alfred Valensi est gravé sur le mur du Mémorial de la Shoah, dalle n°47, colonne n° 16, rangée n°2.
Aline Hamel-Martinet.
Officier de l’Ordre du Nicham-Iftichar
-questionnaire de la loi du 11 septembre 1940.
- lettre du procureur général de la Cour d'appel de Paris, 15 janvier 1942.
- certificat de radiation du barreau, 12 février 1942.
-lettre au bâtonnier depuis Drancy, 1er février 1943
Service historique de la Défense :
Base des morts pour la France de la Première Guerre Mondiale : Robert Valensi
Base des morts pour la France de la Première Guerre Mondiale : Jean David Valensi
Base des morts en déportation (1939-1945) : Alfred Valensi
Caen : 21 P 546 065.
Yad Vaschem
Convoi 53 de Drancy, Camp, France à Sobibor, Camp d'extermination, Pologne, départ le 25/03/1943
Mémorial de la Shoah
Mémorial GenWeb
Archives de Paris
1920, Acte de Mariage Marcelle Ginsburg et Alfred Valensi, 27 octobre 1921 : 14M 274 (page 10)
1936, 14, Plaisance – Recensement : D2M8 625 (page 167)
1937, 43, avenue Ernest Reyer 14e : [D4M2 876] - Fichier des électeurs de Paris | 1921 – 1939
1947, Acte de décès d’Alfred Valensi : 14D 457 (page 26)
1967, Cimetière de Bagneux, 14/09/1967 (transfert cercueil de M. Valensi de Marseille) : RJ19671967_01 (page 17)
Archives des Alpes de Haute Provence
1898, Acte de naissance de Marcelle Ginsburg : VALENSOLE 1883 1902 1MI15/1715 (page 310)
Gallica-BNF
Bulletin officiel de l’enseignement public, 15 mai 1889 : Tableau d'honneur, Alfred Valensi
La Dépêche tunisienne, 3 juillet 1887, : Prix de philosophie, Alfred Valensi
La Dépêche tunisienne, 28 juillet 1898 : Faculté de droit de Montpellier, Alfred Valensi
La Dépêche tunisienne, 24 juillet 1899 : Faculté de droit de Montpellier, Alfred Valensi
La Dépêche tunisienne, 23 juillet 1900 : Faculté de droit de Montpellier, Alfred Valensi
La vie montpelliéraine, 30 juillet 1905 : Alfred Valensi (Prix de thèse)
Revue politique et parlementaire : Le Sionisme par Alfred Valensi
La Réforme sociale, 1er juillet 1906 : Thèse : Application de la loi du divorce en France
Journal officiel, 14 mars 1906 : Académie des Sciences, séance du 10 mars 1906
Revue du notariat, 1er janvier 1907 : L’application de la loi du divorce en France
La Lanterne, 28 octobre 1907 : Annonce parution de La réforme du divorce par Alfred Valensi
Le Temps, Librairie, 13 mai 1908 : L’autonomie économique et juridique de la femme mariée
L'Afrique du Nord illustrée, 17 octobre 1908 : Joseph Valensi (décès)
Le Christianisme social, 20 mai 1910 : Le Sionisme par Alfred Valensi
Le Journal, 19 avril 1911 : « Le trafic des décorations »
Le Journal, 4 juin 1911 : Guillaume Valensi sort de prison
Le Matin, 4 juin 1911 : Les inculpés de l’affaire des décorations en liberté provisoire
La Liberté, 6 juin 1912 : « Le trafic des décorations, fin de l’instruction » »
L’Ouest-Éclair, 24 juillet 1912 : « L’art de faire des décorés » audience devant la 9e ch. corr.
Le Petit Journal, 24 juillet 1912 : « Le trafic de décorations »
Gazette du Palais : Tribunal correctionnel de la Seine (9e Ch.), Jugement du 24 juillet 1912ee
Dictionnaire illustré de la Tunisie : Choses et gens de Tunisie, 1912 : Les Valensi de Tunisie
L’Écho sioniste, 10 février 1913 : « Israël au travail »
L’Univers israélite, 18 avril 1913 : Extrait d’un article paru dans la Dépêche Tunisienne
Revue de la solidarité sociale, 1er août 1913 : Le mouvement sioniste par Alfred Valensi
L'Univers Israélite, n°55, 26 septembre 1913 : Le cercle « Hebraea » et la Revue Hébraïque
Action Française, 30 avril 1914 : « Chez les Valensi » (Condamnation R. Valensi)
L’Univers israélite, 11 février 1916 : Robert Valensi (Citation)
L’Univers israélite, 18 mai 1918 : Robert Valensi (Citation)
Le Gaulois, 3 juin 1919 : Robert Valensi (Décès)
Le Peuple juif, 24 octobre 1919 : livres et brochures « Sion et Liberté » A. Valensi
Le Peuple Juif, 19 décembre 1919 : 2e anniversaire de la déclaration de Balfour
Le Peuple Juif, 24 janvier 1919 : Simon Ginsbourg, v-président Fédération Sioniste Française
Le Populaire, 1er juillet 1920 : « Contre les pogroms et la réaction antisémite » grand meeting
L’Univers israélite, 9 juillet 1920 : A propos d’A. Valensi
Les Nouvelles, 21 septembre 1921 : « Le peuple de la bible » par J. Ranzet
Le Peuple juif, 4 novembre 1921 : Mariage de Marcelle Ginsburg et Alfred Valensi
L’Univers Israélite, 21 octobre 1921 : Mariage de Marcelle Ginsburg et Alfred Valensi
La Vérité, 12 janvier 1923 : Conférence par Fernand Corcos à Tunis
Le Quotidien, 2 novembre 1926 : Union universelle de la jeunesse juive (annonce d’un débat)
La Terre Promise (bull. officiel Keren Kayemeth Leisraël), 13 août 1926 : liste dons
La Terre Promise (bull. officiel Keren Kayemeth Leisraël), 25 octobre 1926 : liste dons
Paris-Soir, 4 avril 1927 : Chalom : A. Valensi : Théodore Reinach et l’histoire des Israélites
La Terre Promise (bull. officiel Keren Kayemeth Leisraël), 1er janvier 1928 : A. Valensi
Les Annales coloniales, 18 juillet 1929 : Annonce du XVIe Congrès Sioniste (août 1929)
Istamboul, 6 janvier 1931 : "L’Angleterre et le sionisme" par Alfred Valensi
Paris-Soir : 12 septembre 1941
Le Figaro, 6 juin 1945 : Demande d’information sur A. Valensi par G. Valensi
Tableau d’honneur, morts pour la France, guerre de 1914-1918 (page 931) : Robert Valensi
Retronews
L'Univers israélite, 8 février 1929 : Conférences mensuelles A. Valensi
Bibliothèque numérique de l’alliance israélite universelle
La Gazette d’Israël, 14 juillet 1949 : Hommage à A. Valensi et publication de son article paru dans la Dépêche Tunisienne, le 2 avril 1913, le 2 avril 1913
Archives familiales
Portrait d'Alfred Valensi.
Portrait de Joseph Valensi.
Autres
Filae :
Décret de naturalisation d’Alfred Valensi 16 janvier 1909
Décret de naturalisation de Théodore Valensi 12 février 1910
Décret de naturalisation de Guillaume Valensi 12 novembre 1904
Recrutement Robert Valensi 1914
Légion d’honneur Jean David Valensi
Geneanet :
Wikipédia :
Assemblée Nationale :
Harissa.com :
La communauté livournaise de Tunis
La communauté israélite portugaise
Alfred Valensi : naissance du sionisme tunisien
Fernand Corcos :
Marcelle Valensi :
AJPN.org : Marcelle Valensi
Lamaisondesevres.org : Marcelle Valensi
Vrid Memorial : Marcelle Valensi
Bibliographie
Alfred Valensi : Sion et liberté, Forgotten Books, 2022
Alfred Valensi : L'application de la loi du divorce en France : tendance générale de la jurisprudence, résultats sociaux, projets de réforme, Montpellier 1905
Paul Lévy : Élie Bloch, être juif sous l’occupation, Geste Éditions, 1991
Les migrations hispaniques d’hier et d’aujourd’hui
Aux origines du lycée Carnot, le collège Saint Louis
Archives ouvertes HAL :
Éric Gobe, Les avocats juifs pendant le protectorat français de Tunisie.
Claude Hagège, Bernard Zarca, "les juifs et la France en Tunisie, les bénéfices d’une relation triangulaire", Mouvement social, 2001/4, n°197, éditions la Découverte.
Ali Noureddine, "La Cour d’appel de Tunis, une création tardive (juin 1941)". Extrait de La justice française et le droit pendant le protectorat en Tunisie, Nada Auzary-Schmaltz, Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2007.