Jean, Jacques Oestreicher est né le 12 mars 1913 à Paris dans le 20e arrondissement.
Son père Gaston Henri Oestreicher est « publiciste », terme un peu « ancien » pour désigner un journaliste. Avant la guerre, il collaborait au journal hebdomadaire Le Guide économique et financier.
Le 5 décembre 1911, Gaston épouse Cécile Hélène Jeanne Patet, fille de Joseph et Héloïse Patet.
Jean Oestreicher se trouve donc issu d’une famille paternelle d’origine juive et d’une famille maternelle qui ne l’est pas.
Son grand-père paternel, Jacob, né en 1853 dans le Duché de Bade (comme son propre père Joseph) était commissionnaire en marchandises. Jacob rencontre Rosalie Franck, née en 1860 à Sarreguemines en Moselle et ils se marient en 1880 à Paris. La guerre de 70 les avait sans doute poussés vers la capitale. Nous pouvons en effet supposer que Jacob et Rosalie ont quitté la Lorraine après la guerre de 1870 et le Traité Franco-allemand du 10 mai 1871 qui cédait à l’Allemagne l’Alsace et la Lorraine. On retrouve d’ailleurs dans leur acte de mariage la présence de Joseph, son père, de son oncle Simon et de son frère Henri. Tous sont installés à Paris. Jacob sera naturalisé français en 1905.
Néanmoins, contrairement à ses sœurs nées à Paris, Gaston Oestreicher naitra en 1885 à Vaucouleurs dans la Meuse, un territoire demeuré français. Il fera la guerre de 14-18 et sera décoré de la croix de guerre.
Après avoir vécu rue du Dr Paquelin dans le 20e arrondissement, Gaston et Cécile s’installent dans le 17e arrondissement, 13 Bd de Courcelles. C’est à cette adresse que leur fils Jean résidera jusqu’à son mariage et y aura son adresse professionnelle.
Jean Oestreicher fait ses études au lycée Voltaire, puis au lycée Carnot et s’inscrit ensuite à la Faculté de Droit de Paris où il obtient sa licence en juin 1933. Mais il tombe malade quelques temps après, ce qui ralentit la poursuite de ses études.
En 1935, il prend un poste d’instituteur suppléant dans le département de la Seine, à la Courneuve, à Aubervilliers, puis à Drancy. Entre temps, il a poursuivi ses études de droit et obtenu un doctorat en avril 1937 avec une thèse soutenue en décembre 1936 consacrée à « La pensée politique et économique de Diderot ».
Durant ces années, Jean Oestreicher a également une vie politique active, sans doute inspirée par son père, sympathisant du Parti communiste. Lui, sera un militant actif des Jeunesses socialistes, section du XVIIe arrondissement. Dès le début de 1936, il participe à la création du mouvement trotskyste des Jeunesses socialistes révolutionnaires (JSR) et collabore à la rédaction du mensuel Révolution. En 1939, il adhère au Parti socialiste ouvrier et paysan. Entre temps, il est appelé sous les drapeaux et incorporé au 3e Régiment de tirailleurs marocains, d’octobre 1936 à octobre 1937.
En janvier 1939, il quitte l’enseignement pour entrer comme collaborateur chez Me Maurice-Hersant, avocat aux Conseils.
Lorsque la France et la Grande Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne, il est mobilisé et rejoint le 3e Régiment de tirailleurs marocains jusqu’à décembre 1939 où il est évacué à la suite d’un accident. Il est officiellement démobilisé le 1er septembre 1939. Il réintègre dans la foulée le cabinet Hersant.
Il prête serment le 28 novembre 1940, et à partir de janvier 1941, il est également collaborateur chez Me Paul Biot.
Parallèlement, il rejoint le groupe « Liberté » dont il diffuse la presse clandestine.
En octobre 1943, il adhère au mouvement C.D.L.R (Ceux de la Résistance) sous le pseudonyme de Lorrain et contribue à la réorganisation de groupes de la région parisienne de ce mouvement. Il participe également à l’organisation des milices patriotiques du XVIIe, dirige un centre de faux papiers et organise la diffusion de la presse clandestine comme « Franc-Tireur », « Combat », « Libertés ».
Il reste bien sûr avocat. Et de 1942 à 1944, il sera le défenseur de plusieurs résistants devant les Tribunaux de Vichy, notamment des activistes trotskystes. Ses origines juives paternelles ne semblent jamais avoir été évoquées à l’Ordre. Son nom, qui a vraiment une consonance alsacienne, ne figure dans aucune des listes d’avocat juif établies par l’Ordre. Il ne s’est probablement pas déclaré considérant qu’il n’était pas concerné par la loi du 2 juin 1941, n’ayant que 2 grands-parents juifs. Par ailleurs, sa mère n’est pas juive et son père, sympathisant communiste, s’était probablement éloigné de la religion. Lui-même va convoler avec une femme non juive, Madeleine Delarocques, qu’il épouse le 6 janvier 1944 à la mairie du XIe arrondissement. Agée de 30 ans comme lui, elle est professeur d’anglais. Elle mettra au monde une petite fille, après sa disparition.
En mars 1944, il entre en contact avec André Thirion, membre du Comité Directeur du CDLR, pour l’organisation des combats destinés à préparer l’insurrection de la Région parisienne. À ce titre, il est nommé lieutenant le 1er juin 1944 et va participer à l’insurrection de Paris.
À l’approche des troupes alliées vers Paris, la capitale vit dans une atmosphère incandescente. Bien que l’insurrection ne fasse pas partie des plans des alliés, le Comité National de la Résistance tapisse les murs d’un ordre de mobilisation générale. Le 19 août, la Préfecture de Police devient le 1er « bastion » de la Résistance. Les mairies d’arrondissement deviennent des objectifs de reconquête. Le matin du 20 août, elles sont occupées par la Résistance. Jean Oestreicher qui a pris une part active à la prise de la Mairie du 17e.est désigné maire adjoint par le comité de Libération de l’arrondissement, aux côtés du tout nouveau maire Eugène Grésillon. Ce dernier évoque dans un courrier les derniers moments partagés avec lui avant sa disparition :
« J’ai connu M. Oestreicher dans la clandestinité sous le nom de LORRAIN. Il a fait partie à cette époque du Comité local de Libération où il représentait la C.D.L.R (Ceux de la Résistance).
En ma qualité de Président de la Libération, j’ai reçu l’Ordre le 18 août 1944 de prendre la mairie du 17e arrondissement et d’organiser l’insurrection.
Le 19 août au matin « Lorrain » était à nos côtés et c’est là que j’ai appris que Lorrain était Jean Oestreicher avocat à la Cour. Il était à mes côtés, a pris part au combat, tout particulièrement dans le quartier des Batignolles en même temps que je l’avais chargé de l’organisation du tribunal que j’ai immédiatement constitué à la mairie.
Le 20 août au soir M. Oestreicher a quitté la mairie sur une bicyclette qu’il avait emprunté à notre ami ROY, industriel, représentant le comité de la Libération, le Front national .../… »
André Thirion, attesta également de ces évènements et du départ de la Mairie de Jean Oestreicher porteur d’un brassard et des insignes de son commandement. Il semblerait qu’il ait été envoyé en mission de liaison.
C’est au cours de ce trajet à bicyclette que sa trace fut perdue et malgré des enquêtes poussées, sa disparition resta inexpliquée. Sa famille passa une annonce de recherche dans divers journaux dès le 29 août :
« Le maire adjoint du XVIIe arr. a disparu le 20 août. M' Jean Oestreicher, avocat à la Cour, maire adjoint du XVIIe arrondissement a disparu après avoir quitté la mairie, le 20 août, à 20 heures. Communiquer tout renseignement susceptible d’intéresser sa famille à : Laborde 06-54. »
Tout d’abord considéré comme déporté, il a été assez rapidement admis qu’il avait été fusillé par l’occupant ou assassiné par des miliciens. Malgré les recherches son corps n’a jamais été retrouvé.
Jean Oestreicher a obtenu la médaille de la Résistance à titre posthume.
Léo Hamon, avocat et grand résistant, auprès de qui Jean Oestreicher combattait dans la Résistance, a veillé à ce que la mémoire de son jeune confrère soit célébrée : c’est en grande partie grâce à ses efforts que Jean Oestreicher a obtenu la médaille de la Résistance et a été cité à l’ordre de la Nation. C’est également à l’initiative de Léo Hamon qu’une rue de Paris porte le nom de Jean Oestreicher depuis 1985, proche de la porte Champerret dans le XVIIe arrondissement.
Frédérique Lubeigt.
Médaille de la Résistance à titre posthume par décret du 15/06/1946 (JO 11 juillet 1946).
Citation à l’ordre de la Nation 13 août 1948, Journal officiel, 17 et 31 août 1948 :
« Oestreicher (Jean-Jacques), adjoint honoraire au maire du 17e arrondissement. Jeune avocat à la cour d’appel de Paris, se donne tout entier à l’œuvre de libération du pays. Son intense activité le fait bientôt désigner comme responsable C.D.L.R. pour le 17e arrondissement et en fait un des promoteurs des mesures prévues pour la libération de Paris. Le 19 août 1944, il est nommé maire adjoint du 17e arrondissement par le comité local de libération. Mais le 20 août 1944, il disparaît glorieusement au cours d’une périlleuse mission. »
Dossier administratif :
Lettre de Me Léo Hamon, Président de la Commission de l’Intérieur au Bâtonnier, 13 juillet 1948.
Lettre de M. Oestreicher père au Bâtonnier, 2 novembre 1944.
Service historique de la Défense :
Titres, homologations et services pour faits de résistance
Base des médaillés de la résistance
Vincennes : GR 16P449079.
Dictionnaire biographique du Maîtron :
OESTREICHER Jean, Jacques dit REMONTET Jean par Louis Bonnel
Gallica :
Annonce de recherche publiée par la famille : Libération, 29 août 1944
Autres sources :
INA La Libération de Paris : 1ers combats / 1944 France Libre Actualités
Wikipedia : Rue Jean Ostreicher 75017 Paris https://fr.wikipedia.org/wiki/Rue_Jean-Oestreicher
Bibliographie :
Marie Granet « Ceux de la Résistance » Les Éditions de Minuit, Paris, 1964 - Persée : Compte-rendu Persée - Pierre Stibbe.