« Artiste, écrivain, avocat distingué, Lucien Haas excelle dans les branches diverses où s’exerce son activité.» écrit son confrère Salanson dans un portrait qu’il dresse de Lucien Haas dans Les Echos Parisiens du 20 janvier 1925.
« Mais comment ne réussirait-il pas, l’avocat qui écoute avec soin celui qui le consulte, qui devient son guide sûr à travers les dédales de la procédure et qui sait attirer à lui l’attention du magistrat pour un exposé clair et précis, une argumentation serrée, toute de vérité, où le fait s’éclaire à la lumière toujours étincelante des règles du droit et des décisions de la jurisprudence ? Lucien Haas était de ceux-là. Il réussit.», s’exclame le bâtonnier Henri-Robert 3 ans plus tard dans un nouvel article consacré à Lucien Haas dans La Vie Judiciaire du 10 décembre 1928. Et sous la plume du bâtonnier Henri-Robert, dont l’art oratoire et le prestige sont salués régulièrement dans la presse, le compliment n’est pas mince.
En un peu plus de 15 ans d’exercice, Lucien Haas s’est fait une place de choix au sein du barreau de Paris. Ses qualités professionnelles sont unanimement reconnues.
André, Lucien Haas est né le 30 janvier 1876 au domicile de ses parents, 2, boulevard de Strasbourg à Paris, dans le 10ème arrondissement. Son père, Nathan, bien que né à Rouen, est issu d’une vieille famille juive alsacienne implantée à Colmar. Gaspard, puis Meyer Marc, puis Jacques, puis Nathan, le père de Lucien, sont colporteurs, marchands bijoutier-horloger de père en fils. Nathan Haas a 26 ans lorsque son fils nait.La mère de Lucien, Céline Léonie Léontine Loeb, est âgée de 24 ans lorsqu’elle donne naissance à son fils. Elle est déclarée sans profession. Son père, Nathan Loeb, est ébéniste 54 rue de La Roquette. La mère de Céline, Adèle, est lingère. Elle est née Haas. Adèle est la sœur de Jacques, le grand-père de Lucien. Par conséquent, les parents de Lucien, Nathan et Céline, sont cousins germains.
Du côté des Loeb, on vient de la Hesse, en Allemagne. C’est Nathan, l’ébéniste, qui s’est installé le premier à Paris, dans le quartier du Faubourg Saint-Antoine, qui était alors le quartier des ébénistes. Il a inspiré son gendre Nathan.
Lucien Haas, dans un formulaire de l’Ordre, déclare pourtant que son père était marchand de drap à Colmar. Entre colportage de bijoux et horloges et artisanat, la famille est relativement modeste. Le parcours de Lucien n’en est que plus éclatant. Il fait honneur au mérite républicain.
Lucien est fils unique. Il a choisi d’utiliser son deuxième prénom, Lucien, plutôt que le premier, André.
Fait-il ses études secondaires au lycée Colbert, rue de Château Landon, le plus proche de chez lui ? Il n’y a nulle trace du lieu de ses études secondaires dans son dossier.
Lucien entame des études de droit.
En 1896, année de ses 20 ans, il est convoqué pour accomplir ses obligations militaires. Il habite encore avec ses parents, 22 rue Taylor, toujours dans le 10ème arrondissement. Il demande d’abord à être dispensé en sa qualité d’étudiant préparant un doctorat en droit. Le 13 novembre 1897, il est néanmoins affecté au 45ème régiment d’infanterie comme soldat de 2ème classe. Il effectue presqu’un an de service et est renvoyé dans ses foyers le 17 septembre 1898 avec un certificat de bonne conduite.
Le 18 mars 1902, à 10 heures, Lucien soutient sa thèse de doctorat en droit dont l’intitulé est « Les droits de la mère ». Elle est dédiée à ses parents. Abordé sous l’angle de la maternité, le statut de la femme est au centre de cette thèse brillante et surtout audacieuse. Lucien y trace pour la première fois l’histoire du féminisme. Plus exactement, on qualifierait aujourd’hui cet exposé d’histoire de la femme en tant que mère, même si, comme il l’écrit lui-même, c’est cette fonction qui a dicté le statut de la femme à travers les âges.
Il examine le statut de la mère légitime, puis celui de la femme divorcée et enfin, celui de la mère naturelle pour démontrer, citant le grand juriste Raymond Saleilles, « que tout bien considéré, en fait et dans la réalité, les droits de la mère… sont méconnus ou non avenus ». A l’aube d’un siècle où la femme est une mineure dans le couple, ne dispose pas de ses moyens financiers, ne vote pas et n’a pas d’autorité sur ses enfants, Lucien affirme avec force l’égalité entre l’homme et la femme.
« Justifier ses revendications en raison, c’est admettre l’égalité de l’homme et de la femme, c’est conclure que la puissance paternelle n’est pas l’apanage exclusif du père.
À l’heure actuelle, la démonstration est faite.
Par le jugement, l’intelligence et l’activité, la femme est au même niveau que l’homme.
La physiologie, l’histoire, la philosophie, toutes les sciences enfin concourent à prouver que les lois de
la nature sont communes aux deux sexes.
En face de l’homme, l’égalité de la femme est certaine.
Cette parité n’est pas moins établie entre le père et la mère. »
Sa thèse, argumentée, juridique et précise, conclut sur la nécessité d’instaurer l’égalité dans le couple dans l’intérêt de l’enfant. Il défend également le statut de la « fille mère » qui doit pouvoir bénéficier de droits « indemnitaires » afin d’élever son enfant.
Il faut gagner sa vie. Les parents de Lucien ne peuvent l’entretenir. Lucien suit le chemin habituel des étudiants en droit : pendant plusieurs années, il est clerc de notaire au sein de l’étude de Maître Léon Vallée, notaire, dont les bureaux sont situés 204, boulevard Voltaire.
Le 7 mai 1907, il demande son admission au stage. Il demeure 1, rue Hippolyte Lebas. Le rapporteur est Henri-Robert, qui n’est pas encore bâtonnier. Ce dernier prend, comme c’est l’usage, ses renseignements auprès de l’employeur de Lucien. Maître Léon Vallée lui répond aussitôt :
« En réponse à votre lettre du 4 de ce mois, je m’empresse de vous faire savoir que Me Lucien Haas qui a été 3ème, 2ème, puis 1er clerc en mon étude, m’a constamment donné pendant son stage, entière satisfaction ; c’était un clerc laborieux, très scrupuleux, aimant à étudier les questions de droit qui se présentaient, prudent en affaires ; s’il avait poursuivi la carrière notariale comme je le lui conseillais, il me paraissait avoir toutes les aptitudes et les qualités morales pour remplir très utilement et très honorablement ses fonctions. Je n’ai eu qu’à me louer de sa probité, de son caractère et de sa franchise. »
De son côté, Henri-Robert relate, dans La Vie Judiciaire du 10 décembre 1928, le souvenir qu’il a gardé de cette mission :
« Il y a une vingtaine d’années, désigné par le Conseil de l’Ordre comme rapporteur de Me Lucien Haas qui avait demandé son admission au Barreau de Paris, je reçus la visite de notre futur confrère. Son attitude retint longtemps mon attention. Il apparaissait comme étant d’une très grande modestie, mais on sentait en l’écoutant parler qu’il avait de la ténacité, de la volonté, un grand désir de marquer sa place dans notre barreau parisien, par un travail continu et un respect absolu de nos règles. »
Le 24 janvier 1907, Lucien épouse, à Lille, Jeanne Alice Weill. Il a 31 ans, la mariée en a 22. Le père de Jeanne, Moïse Weill, est un négociant lillois. Il est originaire d’Alsace, comme la mère de Jeanne, Jenny Mary Lévy. Le 4 avril 1908 nait leur enfant unique, Claude Raymond. C’est l’occasion pour Lucien de manifester sa fantaisie. Le faire-part de naissance est si original, présenté comme un bulletin de naissance officiel, qu’il est reproduit dans le Bulletin de la société archéologique, historique et artistique du 1er novembre 1908.
Lucien aime les livres et l’art. Bibliophile, il s’est choisi un ex-libris qui explique clairement qui il est : « avocat, Parisien, et aime sans distinction marquée les quatre-z-arts : la peinture, la sculpture, l’architecture et la gravure, qui sont le soleil de son existence morale », rapporte le même Bulletin du 1er juillet 1910.
Le 30 octobre 1912, il dépose son dossier d’admission au tableau. Il est toujours domicilié 1, rue Hippolyte Lebas, dans le 9ème arrondissement. Son inscription au grand Tableau est votée par le Conseil de l’Ordre avec effet rétroactif au 7 mai 1907, date de son inscription au stage.
1912 est l’année où Lucien acquiert une certaine notoriété grâce aux dossiers qui lui sont confiés. L’Argus du 9 juin 1912, sous le titre Responsabilité des communes, rapporte la condamnation de la Ville de Sceaux que Lucien a obtenu pour une jeune fille blessée à l’œil par un feu d’artifices organisé par la ville. Lucien est également impliqué dans le dossier Jeanne Weber, une affaire qui défraye la chronique judiciaire depuis plusieurs années. Jeanne Weber, surnommée par la presse « L’Ogresse de la Goutte- d’Or » est accusée d’avoir étranglé une dizaine d’enfants, dont les siens. Elle a été acquittée grâce au talent d’Henri-Robert. Elle a récidivé. Lucien intervient pour le mari de Jeanne Weber, lequel demande le divorce.
Lucien est plutôt un spécialiste du droit commercial comme le montreront ses futures publications.
Le 5 juillet 1914, La Libre Parole, qui n’est plus dirigée par Edouard Drumont, l’antisémite forcené, mais qui a pris un tournant catholique, publie, sous le simple titre « Leurs noms », la liste des Francs-Maçons de Paris et de la banlieue parisienne. Lucien y figure, avec sa qualité d’avocat, son adresse rue Hippolyte Lebas et le nom des deux loges auxquelles il appartient : L’Economie Sociale, à Paris, et Germinal à Joinville-le-Pont.
Comment Lucien a-t-il vécu cette révélation, lui qui est plutôt discret et concentré sur son activité professionnelle ?
Fin juin 1914. L’archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo. Les puissances européennes se mettent en branle les unes après les autres dans la marche vers la guerre. La France décrète la mobilisation générale le 1er août 1914.
Lucien est affecté au 15ème régiment d’infanterie territoriale. Les régiments d’infanterie territoriale regroupent les hommes de 34 à 48 ans, trop vieux pour être en première ligne, mais qui sont chargés de tâches utiles telles que garde-voie, organisation de garnisons d’étape, services de garde, patrouilles… Le 15ème RIT est rassemblé à Laon. Le 4 août, Lucien rejoint le corps. Après minuit, 31 officiers, 2 807 hommes de troupe et 20 chevaux embarquent à la gare en trois détachements. Le régiment cantonne à Haudainville, au sud-est de Verdun et est employé à des travaux de défense des forts.
Les premiers accrochages avec des patrouilles allemandes se produisent dans la plaine de la Woëvre le 8 septembre. Le régiment est toujours affecté à des travaux de défense, mais certains éléments sont mis en première ligne, entre Broville et Herméville. Le régiment reste dans le même secteur pendant l’année 1915, subissant des bombardements.
Le 18 janvier 1916, Lucien est réformé par la Commission de réforme de Nantes pour « Neurasthénie ». La Commission de réforme de Saintes confirme la décision le 9 mai 1916. Lucien a alors 40 ans. Il en faut beaucoup pour être réformé … les tires-au-flancs sont sévèrement punis. Lucien doit se trouver dans un état d’épuisement tel qu’il a convaincu les autorités médicales militaires. Il se retire, pour recouvrer ses forces, Villa des Fauvettes, avenue des Semis, à Royan.
Lucien doit probablement reprendre son exercice d’avocat à Paris après quelques mois. Il n’a d’autres revenus que ceux de son exercice professionnel. Est-ce lié à un manque de dossiers ? Le 5 juin 1919, le Parquet demande des renseignements à l’Ordre sur Maître Haas. Lucien soumet sa candidature à un poste de suppléant de juge de paix. Le juge de paix est alors une personnalité élue chargée de régler les litiges de la vie quotidienne à l’amiable. Il n’a parfois aucune qualification juridique, d’où l’intérêt d’un suppléant qui est professionnel du droit. Lucien est affecté, dès 1919, à la justice de paix du 17 arrondissement.
Il rédige également une importante étude sur les dommages de guerre intitulée La réparation des dommages causés par la guerre. La rigueur et le caractère complet de l’étude le font désigner président d'une commission chargée de fixer les indemnités de ceux qui ont souffert dans leurs intérêts.
En 1920, Lucien publie son premier ouvrage juridique en collaboration, Les impôts en France, chez Giard et Cie, éditeurs rue Soufflot. Il signe l’étude avec un confrère, Benjamin Monteux, avocat comme lui « à la Cour de Paris ». Le livre fait l’objet de recensions élogieuses. « Leur livre est clair, concis, à la portée de tous, représentants de l’administration des finances comme aussi nouveaux imposés. À tous, il rendra de grands services. », commente la Revue bibliographique des ouvrages de droit, de jurisprudence, d’économie politique, de science financière et de sociologie du 1er juillet 1920.
Son expérience du juge de paix suppléant lui vaut d’être porté à la présidence d'une commission arbitrale des loyers. La connaissance pratique de la matière qu’il acquiert lui permet de publier un nouvel opus en 1922 intitulé simplement La Législation des loyers.
Les publications vont se suivre : Le Renouvellement des baux, en septembre 1926, puis la même année, une brochure sur Les rapports des bailleurs et des locataires de locaux d’habitation, en 1930, Ce qu’il faut savoir sur l’achat et la vente des fonds de commerce chez Stock.
Lucien fait également des excursions dans des domaines moins juridiques. En 1931, il livre pour le Touring Club de France un petit livre sur Ce qu’il faut savoir pour voyager « en chemin de fer, en automobile (Code de la route), à bicyclette, en avion, et … » à la Librairie Stock.
Lucien collabore aussi à divers journaux dans lesquels il fait part de ses suggestions sur les améliorations à apporter aux projets de loi. Pour La Vie Judiciaire, il réalise des interviews d’avocats et de magistrats dans « un style vif et attirant ». Ses écrits sont « agréables à lire, caustiques et spirituels », écrit Henri-Robert.
Il participe à des causeries ou des conférences. Ses sujets sont assez éclectiques. Il s’intéresse à tout, le sérieux et le léger. En 1924, il donne une causerie sur « la situation financière de la France » devant la section du 9ème arrondissement de la Ligue des Droits de l’Homme.
Grand amateur d’art, une fois sa journée au cabinet terminée, il furète sur les quais, chez les antiquaires pour trouver l’objet rare. C’est un connaisseur de l’Antiquité. Mais il sait la valeur d’un meuble, d’un tableau, d’un objet. N’a-t-il pas remis au musée du Barreau l’une de ses trouvailles, un dessin anonyme représentant le portrait de l’avocat Jean Simon Aved de Loizerolles ?
Il est apprécié de ses confrères. L’ancien bâtonnier Henri-Robert n’a-t-il pas exprimé le souhait « qu’une distinction méritée lui soit accordée » ?
C’est chose faite le 22 juillet 1929. Un décret le nomme chevalier de la Légion d’honneur pour les services rendus en sa qualité d’avocat et de juge de paix suppléant du 17ème arrondissement de Paris.
La vie s’écoule. Heureuse, semble-t-il. Lucien à la satisfaction d’une vie professionnelle épanouie et réussie, il bénéficie de la reconnaissance de ses pairs … ce qui n’est pas rien. Son fils Raymond se marie en 1936. Il épouse une avocate, Juliette Richner, qui devient rapidement la collaboratrice de Lucien. Le père de Juliette, Léon Richner, est ingénieur des Mines. Un petit-fils, Gilbert, nait en 1937. La quiétude cesse avec le claquement des bottes hitlériennes qui s’intensifie.
Le 2 septembre 1939, la guerre est déclarée. Lucien a été réformé et il a 63 ans. En revanche, Raymond est mobilisé.
Les Haas ont déménagé et habitent désormais 4, rue du général Cordonnier à Neuilly-sur-Seine. Lucien y a installé son cabinet. Ils ont également fait l’acquisition d’une longère à La Sanzie, sur la commune de Coudray-Macouard, près de Saumur.
Après la drôle de guerre, c’est la débâcle. L’exode. Est-ce à ce moment que Lucien et Jeanne Haas se sont réfugiés dans leur maison de La Sanzie, avec leur petit-fils ?
En tous cas, Juliette Richner-Haas tient le cabinet à Neuilly.
Lucien répond très exhaustivement au questionnaire de l’Ordre qui met en application la loi du 11 septembre 1940 qui réserve l’appartenance aux barreaux aux personnes possédant la nationalité française « à titre originaire, comme étant né d’un père français ». Une dérogation est prévue pour les anciens combattants de 1914 et 1939.
Lucien pourrait se contenter de faire valoir la nationalité de son père, Nathan, Français, né à Rouen de père français. Il pourrait aussi mentionner simplement sa qualité d’ancien combattant de 14. Mais comme beaucoup de juifs astreints à prouver leur nationalité française, sujet sensible pour ces réprouvés, il ajoute que son père a fait la campagne de 1870 et a été fait prisonnier à la bataille du Mans, que son grand-père appartenait à la Garde Nationale et il joint sa carte de combattant, la carte d’électeur de son père, documents militaires, liste électorale et liste des jurés du département de la Seine de 1884 sur laquelle figure son père. Le rapporteur conclut, laconique : « M. Haas justifie qu’il est né d’un père français. »
Hélas, cette sélection n’est que le commencement du goulot d’étranglement qui se met en place pour éliminer les juifs, d’abord de toute vie professionnelle et sociale, puis de toute existence. Le 16 juillet 1941 est promulgué le décret qui règlemente l’accès des juifs à la profession d’avocat. Il institue un numerus clausus de 2%, comprenant les anciens combattants, et autorise le Conseil de l’Ordre à proposer des dérogations.
Lucien, dont la vie professionnelle a été si accomplie et qui remplit la condition d’ancien combattant, est-il inquiet ? Nul doute que le sort réservé aux juifs doit le toucher et l’angoisser, surtout pour sa belle-fille qui continue d’exercer à Paris.
Le 8 septembre 1941, nouveau coup dur pour Lucien qui n’a jamais eu d’engagement public, ni politique ni associatif, et qui a simplement cultivé son jardin d’avocat. Le Journal Officiel de la République française divulgue la « Liste, par obédience, des noms des dignitaires (autres gradés et officiers des loges) de la franc-maçonnerie ». Lucien est de nouveau mentionné. Il est membre du Grand Orient de France et a atteint le 30ème degré. Les deux loges auxquelles il collabore sont la Loge Persévérance et la Loge Le Chantier des Egaux.
Décembre 1941 : une ordonnance préfectorale du 10 décembre exige l’imposition du mot « Juif » à l’encre rouge sur les papiers d’identité et la carte d’alimentation. Le 16 décembre a lieu la « Rafle des notables », l’arrestation de centaines de bourgeois juifs, avocats, magistrats, chefs d’entreprise, médecins, etc., tous Français et sans histoires. Parmi les avocats, nombreux sont ceux que Lucien connait.
Au début du mois de janvier 1942, le Conseil de l’Ordre se réunit, sous la présidence du bâtonnier Jacques Charpentier, pour établir, en application du décret du 16 juillet 1941, la liste des confrères juifs à maintenir au tableau, bien que non combattants ou victimes de guerre, « en raison du caractère éminent de leur mérite professionnel ». Une liste de 47 noms est établie, largement reprise par la presse. Le nom de Lucien Haas est retenu, ce qui n’est pas surprenant au regard de sa carrière, de sa rigueur morale et de ses contributions doctrinales. La liste est envoyée, pour approbation, au ministère de la justice à Vichy. Joseph Barthélémy, le Garde des sceaux, est un constitutionnaliste réputé et surtout, un ancien avocat au barreau de Paris qu’il connait bien. Le ministère ne donnera aucune suite à cette liste.
Lucien habite, avec Jeanne et Gilbert, à La Sanzie. Raymond est prisonnier de guerre en Allemagne, à Elsterhorst dans la Saxe, au Stalag IV-D où il a peut-être croisé René Bondoux, l’un des confrères de son père, lui aussi prisonnier de guerre jusqu’en 1941, date de sa libération.
Lucien apprend que des scellés vont être apposés sur son appartement. Le 5 juin 1942, il écrit aussitôt au bâtonnier :
« Monsieur le Bâtonnier,
Permettez-moi d’attirer votre bienveillante attention sur ma situation personnelle. Souffrant, je réside au Coudray-Macouard (Maine-et-Loire) dans une petite propriété qui m’appartient.
Je viens d’être prévenu que l’autorité occupante aurait l’intention d’apposer les scellés à mon appartement sous le prétexte que je n’y habite plus depuis quelques mois. (…)
J’ose espérer que vous voudrez bien seconder de votre haute autorité les efforts que je tente en ce moment pour conserver l’usage de mon appartement et du mobilier qui le garnit et où ma collaboratrice, Me Richner Haas, ma belle-fille, reçoit mes clients. »
Il n’y a pas trace dans le dossier de l’Ordre de la suite donnée à cette démarche. Ni du sort de l’appartement.
Le 3 septembre 1942, Lucien et Jeanne Haas sont arrêtés par les Allemands dans leur maison. Leur arrestation s’inscrit dans une opération d’envergure orchestrée dans le département du Maine-et- Loire.
Le 9 août 1942, Louis Darquier de Pellepoix, se défausse et répond qu’il doit s’adresser aux autorités d’occupation.
Le 24 septembre 1942, alors que Lucien et sa femme sont à Drancy depuis plus d’un mois, Sylvain Lévy, qui l’ignore toujours, sollicite l'intervention de Pierre Laval, le président du Conseil, auprès des autorités d'occupation pour faire libérer sa nièce et son époux.
« Monsieur le Président,
Je, soussigné Sylvain Lévy, chevalier de la Légion d’honneur, président honoraire du Syndicat des Négociants en Houblons d’Alsace et de Lorraine, domicilié à Haguenau et replié à Digne, Hôtel du Grand Paris, ai l’honneur de vous signaler ma nièce, Madame Jeanne Weill épouse André Lucien Haas ainsi que son mari ledit André Lucien Haas, avocat à la cour, chevalier de la Légion d’honneur, âgés respectivement de 67 et 58 ans, les deux français de vieille souche, ayant leur domicile avenue du général Cordonnier à Neuilly-sur-Seine et maison de campagne au Coudray-Macouard (Maine et Loire) qui ont été arrêtés par ordre des autorités occupantes et emmenés vers une destination inconnue. Depuis, aucune nouvelle les concernant n’est parvenu à la famille. »
La réponse lui parvient dans une lettre du 22 octobre 1942 signée par Pierre Laval :
« Je vous informe, que dans les circonstances présentes, il ne me semble pas opportun d’intervenir auprès des autorités d’occupation, celles-ci m’ayant fait connaître que les demandes de libération des internés ne devaient plus leur être transmises. »
Le sort de Lucien et Jeanne Haas est scellé. Comme celui de quasiment tous les juifs arrêtés.
Le 31 juillet 1943, après presque un an passé dans les baraquements de Drancy, Lucien Haas et sa femme Jeanne montent dans le convoi n°58 qui les emmènent vers Auschwitz.
A leur arrivée, ces deux personnes âgées « inutiles » sont immédiatement gazées. Par convention, Lucien Haas est déclaré décédé le 5 août 1943.
Raymond, toujours prisonnier en Allemagne, leur envoie régulièrement des cartes postales adressées à : M. et Madame André Lucien Haas Drancy camp d’internement Ex M ch.3 Seine
De : Lieutenant C.R. Haas prisonnier 340 Allemagne. La dernière est du 12 mars 1944 :
« Toujours sans nouvelles de vous, mes très chers parents, et même pas certain que mes cartes vous parviennent. D’excellentes lettres de J qui a beaucoup d’affaires en ce moment, est fatiguée, mais va bien. Elle s’est occupée du déménagement de ses amis cordonniers qui ont sous-loué leur habitation pour faire des économies sur leur train de vie. Gilbert, en digne fils de son père, s’est payé une scarlatine et retourne seulement maintenant en classe. Jacques, qui vit chez Berthe m’écrit une longue lettre et vous envoie ses amitiés. Les Dutois-Millot ont perdu leurs petite fille 5 ans péritonite. J’espère que vous avez toujours aussi excellente santé, moral que moi. Bientôt, je pourrai vous embrasser comme je vous aime. »
A son retour de captivité, Raymond, comme beaucoup comme lui, fera paraitre une annonce pour rechercher ses parents. Sans succès, bien sûr.
Lucien et Jeanne Haas ne sont pas oubliés au Coudray. Il a fallu du temps pour qu’une plaque qui rappelle leur arrestation soit apposée sur leur maison dans laquelle ils s’étaient réfugiés. Mais elle l’est maintenant.
Lucien Haas n’est pas plus oublié au Barreau de Paris. Et ne le sera jamais. Son nom est gravé dans le bronze de la plaque commémorative de la bibliothèque de l’Ordre et dans la pierre de la stèle de la Salle des Pas Perdus dans le Palais de justice de l’Ile de la Cité. Son visage et son histoire sont inscrits dorénavant dans la mémoire des avocats du barreau de Paris.
Michèle Brault.
Chevalier de la croix de la Légion d'Honneur, 22 juillet 1929.
Dossier administratif André Lucien Haas :
Lettre de Maître Léon Vallée du 6 juin 1907
Les Echos Parisiens, journal des 3 palais, n°2, 20 janvier 1925.
La Vie judiciaire n°34, 10 décembre 1928.
Questionnaire de 1940.
Lettre de Lucien Haas du 4 octobre 1940.
Lettre de Lucien Haas au bâtonnier du 5 juin 1942.
Service Historique de la Défense-Caen
André Lucien Haas : AC 21 P 460 885.
Mémoire des hommes
André Lucien Haas.
Archives de Paris
Fiche matricule : D4R1 871, classe 1896, matricule 321.
Mémorial de la Shoah
DXXXIII_66 Haas André Lucien : Postkarte adressé à M. et Madame André Lucien Haas Drancy camp d’internement Ex M ch.3 Seine
CII73: Lettre du commissaire général aux questions juives Vichy à Sylvain Levy, oncle de Jeanne Weill épouse André Haas.
DXXXIII-67 et DXXXIII-68 : lettres de C.R. Haas à ses parents 14/12/1943 et 17/01/1944.
XLII-42 : Lettre à Monsieur Pierre Laval chef du gouvernement Vichy 24 septembre 1942.
Généalogie
Cercle de généalogie juive : famille Haas.
Généanet : plaque commémorative de Campénéac.
Gallica / Retronews
Bulletin de la Société archéologique, historique & artistique le Vieux papier, 1er novembre 1908.
La Libre Parole, 5 juillet 1914.
Le Quotidien, 21 octobre 1923 : article de Lucien Haas sur la loi sur les accidents de travail.
La Quinzaine critique des livres & des revues, 25 octobre 1930.
Revue des lectures, 15 juillet 1931.
L'Echo d'Alger, 10 février 1932 : affaire Lady Owen.
Autres sources