Léon-Maurice Nordmann est né le 18 février 1908 au domicile de ses parents, 38, rue des Sablons dans le 16ème arrondissement de Paris. Son père, Joseph, se déclare courtier en banque au moment de sa naissance. Léon est issu d’une lignée de juifs alsaciens, implantée depuis le 17ème siècle à Hegenheim, dans le Haut-Rhin. A l’origine fripiers, puis marchands de bétail, les ancêtres de Léon sont aussi des rabbins. Son arrière-grand-oncle, MoÏse Nordmann, était rabbin d’Hegenheim. Son grand-père paternel, Léon, dit Léo, à qui il doit sans doute son prénom, était rabbin libéral à Paris.
Il a un arrière-grand-père commun, Bernard, avec Joseph, dit Joë, Nordmann, cousin éloigné de Léon, qui deviendra, comme lui, avocat et résistant.
La mère de Léon-Maurice, Suzanne Lévy, a 22 ans lorsqu’il nait. Elle n’exerce pas de profession. Elle donnera naissance à deux filles Antoinette et Claudie, et à un autre garçon, Roger.
Léon connait une enfance heureuse. Il fait ses études secondaires au Lycée Janson-de-Sailly et s’inscrit ensuite à la faculté de droit.
Il obtient sa licence le 5 juillet 1928 et demande aussitôt son inscription au stage du barreau de Paris. Il sollicite que Pierre Masse soit son rapporteur.
Il prête serment le 12 juillet 1928, mais souhaite remplir ses obligations militaires avant de s’engager dans la carrière d’avocat. Il demande aussitôt la suspension de son stage pour effectuer son service militaire.
Il se réinscrit au « petit » tableau (celui des stagiaires) le 19 novembre 1932 et devient le collaborateur de Jean-Paul Coulon, lequel est issu d’une grande dynastie républicaine, dont Eugène Pelletan est un représentant fameux. Coulon a d’abord connu une carrière dans la magistrature, il a été premier Président de la Cour d’appel d’Orléans, puis président de chambre à la Cour de Paris, et après avoir été conseiller général du canton de Saujon, en Charente-Inférieure, il y demeure conseiller municipal. Cet engagement politique ne peut que séduire le jeune Léon qui est lui-même déjà investi dans le Parti socialiste.
Questionné par le bâtonnier sur son jeune collaborateur, Jean-Paul Coulon lui répond le 26 mai 1933 :
« Monsieur NORDMANN vient tous les matins à mon cabinet avec une extrême ponctualité. Je lui ai confié l’étude d’un certain nombre de dossiers et je me suis efforcé de le faire plaider le plus souvent que cela m’a été possible.
Je ne saurais que faire très sincèrement l’éloge de ce jeune confrère qui, à la suite d’un stage chez l’Avoué et l’Agréé, possède déjà une sérieuse pratique juridique. Il fait preuve de la plus vive intelligence et de l’esprit le plus méthodique et le plus ponctuel. Je suis certain qu’il est appelé à réussir dans notre profession. »
En 1933, le suicide par noyade de Joseph Nordmann, le père, ruiné par la crise, bouleverse la famille. Cette dernière doit quitter l’hôtel particulier du 6 de la rue Louis-David pour emménager dans un appartement boulevard Arago. Léon se trouve chargé de famille à 25 ans : outre sa mère, son jeune frère Roger et ses deux sœurs, dont la dernière est âgée de 6 ans, sa grand-mère paternelle occupe également l’appartement familial. La responsabilité est écrasante.
L’objet du Club des Biquets est très sérieux : chacun prête serment « de ne jamais, sauf en cas de force majeure, refuser l’invitation d’un d’entre eux à goûter au Thé Caddy, à l’ombre de Saint-Julien-le-Pauvre, d’assurer les appels du patron d’ « un biquet » à qui la fortune offrirait des occupations plus folâtres et de dîner tous ensemble, une fois par mois, la composition du menu ne devant dépendre que de leurs économies réunies puis divisées par dix », rapporte son amie Lucienne Scheid dans l’hommage qu’elle rendra à Léon-Maurice en 1946.
Tous tinrent leur serment jusqu’à ce que la guerre les sépare. 4 Biquets n’en revinrent pas.
Puis Léon-Maurice rejoint rapidement le cabinet de Maître Charles Pomaret. Outre ses activités d’avocat à Paris, Charles Pomaret est député de la Lozère, rédacteur en chef de Renaissance Politique et il contribue à de nombreux journaux dans la mouvance républicaine-socialiste. C’est un spécialiste du droit administratif.
La participation au concours de la Conférence du Stage est un moment fort de la vie des jeunes avocats. Léon-Maurice a le bonheur d’être élu 11ème secrétaire de la Conférence de la promotion 1936-1937. Son amie Lucienne Scheid est élue 1ère secrétaire. André Weil-Curiel est 6ème et Paul Mathely 12ème. Le 11ème, c’est le « gardien du Temple » de la Conférence, celui qui veille à ce que ses traditions soient respectées.
Léon-Maurice est admis au « grand » Tableau, le tableau des avocats qui ont accompli leur stage, le 29 mars 1938. Son stage terminé, il pouvait « s’installer », mais il reste dans le cabinet de Charles Pomaret, dont il est le principal collaborateur.
En août 1938, Pomaret est nommé Ministre du Travail dans le gouvernement Daladier. C’est tout naturellement que Léon-Maurice devient son chef de cabinet, preuve de la confiance qu’il a gagné auprès de son patron. Cette fonction politique concrétise l’intérêt que Léon-Maurice a toujours porté à la politique.
A la fin de son année de « Conférence », lorsque les successeurs sont désignés, Léon-Maurice confie à Lucienne Scheid avec tristesse : « Notre jeunesse est finie ».
En effet, les nuages s’amoncèlent sur l’Europe. Ils ont pour noms Anschluss, Münich, Hitler, Mussolini … La guerre est imminente.
Léon-Maurice, dont la réputation de travailleur acharné est acquise, est sur tous les fronts : celui du cabinet de Pomaret qu’il développe et dirige et celui de son engagement socialiste. Adhérent de la SFIO en 1924, dès l’âge de 16 ans, Léon-Maurice est de tous les combats internes pendant 15 ans, assumant des responsabilités au sein du Parti socialiste. Pacifiste dans les années 30, il évolue, confronté à la montée des dictatures fascistes, vers une politique de fermeté fondé sur une défense nationale et des alliances.
Après sa mort, le groupe Jean Jaurès rendra hommage au « membre de la Commission exécutive » de la fédération SFIO de la Seine, rappelant que « sous des dehors un peu chétifs se cachait une énergie fougueuse qui imprégnait son éloquence rapide et serrée ».
Le 6 mars 1939, Léon-Maurice soutient sa thèse de doctorat en droit sur « Le contrat d’opération chirurgicale ».
Lorsque la guerre est déclarée, quelques mois plus tard, il croit pouvoir enfin réaliser un vœu qui lui est cher : être un vrai combattant, défendre la Patrie avec les armes. Il demande à servir dans une unité combattante. Malheureusement, il est affecté dans une compagnie de météorologie dépendant du ministère de l’Air. Pendant 7 mois, son unité est stationnée à Doncourt, en Lorraine. Léon-Maurice, amer, se sent inutile.
Démobilisé au cours de l’été 1940, il reprend le chemin du Palais, déterminé à poursuivre le combat contre l’Occupant honni.
La résistance des avocats nait de manière très informelle. Elle résulte d’une révolte individuelle, d’un refus de se soumettre à l’inconcevable Occupation ressentis par quelques individus au Palais, d’amitiés ou d’un vécu antérieur commun qui forge un noyau, et d’un bouche-à-oreille qui attire ceux qui veulent résister. Ainsi se constitue le Groupe des Avocats qui se rattachera rapidement au réseau du Musée de l’Homme.
À l’origine, Léon-Maurice, André Weil-Curiel, un « frère » de Conférence, et Albert Jubineau, tous trois socialistes, fondent, dès l’automne 1940, le groupe des Avocats socialistes. C’est avec Weil-Curiel et René Georges-Étienne, un autre camarade socialiste, que se constitue le groupe de résistance des Avocats. Léon-Maurice est dans l’action et fixe les objectifs. Il faut informer, recruter, collecter des renseignements et les transmettre à Londres.
Léon cherche à recruter dans le milieu judiciaire. Ainsi, dès septembre 1940, il convainc et met à contribution l’avocat René Sanson et son épouse Colette, installés à Vichy, qui fourniront au secteur Vildé du réseau du Musée de l’Homme des renseignements « de première main » sur le gouvernement de l’État français.
Il rédige également des tracts et les diffuse. Il est l’auteur de « De Gaulle sauve l’honneur » ou encore d’un autre tract qui reproduit les engagements républicains et libéraux proclamés, avant la guerre, par Joseph Barthélémy, ancien avocat au barreau de Paris, professeur de droit, devenu ministre de la Justice de Pétain.
Le 11 novembre 1940, il est à l’initiative du dépôt, avec d’autres confrères, d’une gerbe de fleurs accompagnée d’une carte de visite au nom du général de Gaulle au pied de la statue de Georges Clémenceau sur les Champs-Élysées.
Le groupe des avocats, avec à leur tête André Weil-Curiel et Léon-Maurice Nordmann, profitent de leur bonne connaissance du Palais de justice pour se rencontrer dans une galerie retirée de la Cour de cassation où ils peuvent échanger des informations et des consignes. Voir des avocats en robe s’entretenir au sein du Palais n’a, en soi, rien qui puisse attirer l’attention … La couverture est parfaite.
En décembre 1940, le cabinet de Léon-Maurice Nordmann est perquisitionné. Il sait que la police allemande le recherche et il décide de quitter Paris pour rejoindre Londres. Boris Vildé, l’un des « savants » fondateurs du réseau du Musée de l’Homme, lui recommande Albert Gaveau, une recrue d’octobre 1940, active et débrouillarde, à qui il a rapidement donné la responsabilité d’agent de liaison. Albert Gaveau doit accompagner Léon en Bretagne et trouver pour lui une filière de passage vers l’Angleterre.
Ce que Boris Vildé ignore, c’est qu’Albert Gaveau a été recruté par le SD (Sicherheitdienst), le service de renseignement allemand, et qu’il est un agent double livrant des informations sur le réseau et sur ses membres. Son action traitresse sera la cause de l’arrestation de la plupart des fondateurs du réseau et de sa décapitation, même si ce dernier perdurera grâce à l’action, entre autres, de Germaine Tillion.
Le 30 décembre 1940 la police française, à qui le propriétaire des locaux de l’aéro-club d’Aubervilliers a signalé une activité suspecte, opère une perquisition et n’a aucun mal à trouver la ronéo utilisée pour tirer les tracts ainsi que divers papiers compromettants. Le petit groupe d’aviateurs est arrêté et soumis à des interrogatoires, il désigne rapidement André Weil-Curiel et surtout Léon-Maurice Nordmann comme les organisateurs de l’entreprise.
Léon sait qu’il ne peut plus être utile à Paris et qu’il doit fuir.
Le 13 janvier 1941, Léon Maurice Nordmann et Albert Gaveau se retrouvent Gare Montparnasse pour se rendre en Bretagne afin de passer en Angleterre. Lors d’un arrêt à la gare de Versailles-Chantiers, des policiers allemands montent dans le train et arrêtent Léon tandis que Gaveau n’est pas inquiété.
Dans la voiture de police qui le ramène vers Paris, il tente de s’échapper lors d’un ralentissement. Les policiers tirent. Il est blessé à la cuisse et repris.
Il est incarcéré à la prison du Cherche-Midi. Le Tribunal Militaire Allemand ne le juge que pour des faits de distribution de tracts, dont la publication Résistance. Il prend toute la responsabilité des actions à sa charge pour dédouaner les jeunes du Club d’Aviation. II est condamné à deux ans de prison.
Il est ensuite incarcéré à la prison de Romainville, puis au Fort de Villeneuve-Saint-Georges où son frère Roger lui apporte des livres et de la nourriture. Avec d’autres détenus, il tente de s’évader, mais il est très faible et ne parvient pas à remonter un fossé. Il doit retourner dans sa cellule.
Début 1942, Gaveau a fait « tomber » toutes les têtes du réseau du Musée de l’Homme. Le chef d’accusation n’est plus « propagande ennemie », mais « intelligences avec l’ennemi », accusation beaucoup plus large et grave qui emporte un risque de condamnation à mort. Le procureur près de la Cour Martiale Allemande associe Léon-Maurice au groupe des accusés au motif qu’il a remis 5000 francs à un ami (en l’espèce, André Weil-Curiel) pour se rendre en Angleterre, infraction qualifiée dans le droit allemand d’« assistance à un ennemi du peuple allemand ». La condamnation précédente a été jugée insuffisante.
Pendant l’instruction du dossier, les accusés sont soumis à des interrogatoires. Agnès Humbert, une survivante du Réseau, rapporte que des taches de sang furent retrouvées sur le linge de Léon-Maurice Nordmann. Est-ce les signes de la torture ou sa blessure à la cuisse ? Un autre des résistants arrêtés, Anatole Lewitsky, revient le visage en sang des interrogatoires qu’il a subi.
Une chose est sûre : personne n’a parlé. Aucun n’a livré un nom.
Léon-Maurice est le seul juif. Il a rompu depuis l’enfance avec toute pratique religieuse. Lucienne Scheid confie qu’il n’avait pour foi que la République. Le journaliste du Populaire, Louis Lévy, écrit dans son livre paru en 1946, La France est une démocratie, que Léon-Maurice Nordmann était « un avocat jeune et brillant, mince, nerveux, toujours en mouvement (qui) a donné tout son être à son parti et à son pays ». Point de religion. Peut-être les Allemands lui renvoient-ils cette judéité qu’il ressent peu ? Rien ne peut scinder la solidarité qui existe dans ce groupe. Toutefois, devant le Capitaine Ernst Roskothen qui préside le Tribunal allemand, Léon déclare qu’il a travaillé contre Hitler parce qu’il est « français, juif et socialiste ». S’il n’a jamais été intéressé par le judaïsme, Léon-Maurice, confronté à la haine des Allemands pour les juifs, n’est pas homme à renier ses ancêtres et son histoire. Avec provocation et courage, il affirme sa judéité.
Le procès est organisé en janvier 1942. Les accusés sont incarcérés à Fresnes où se tiennent les audiences. Près d’un an après son premier procès, Léon-Maurice comparait avec les membres du réseau du Musée de l’Homme, dont Boris Vildé et Anatole Lewitsky. Son confrère et ami, René Georges-Etienne, a été arrêté à son domicile en janvier 1941 et siège, lui aussi, dans le box des accusés.
Lors de l’interrogatoire de personnalité, les notes prises par Joseph Haennig révèlent que Léon s’est fiancé en 1939 et que sa fiancée est décédée dans un accident en 1940.
Pour préparer ce second procès, Léon prépare un mémoire de 23 pages à destination de son avocat commis d’office, Joseph Haennig, lequel n’a pas accès au dossier. Toute l’habileté rhétorique et la stratégie de défense de l’avocat s’expriment dans ce texte brillant.
Léon-Maurice juge inutile de nier son implication, qui est déjà avérée, mais développe longuement sur la « stérilité », l’inefficacité et le caractère dérisoire de l’action entreprise, qu’il limite à une quinzaine de jours. Il insiste sur les liens purement amicaux qui ont présidé à son engagement, de façon à effacer tout caractère politique et organisé à celui-ci. Toutefois, tout en écartant une hostilité de principe au peuple allemand, il affirme la dimension patriotique de son engagement et son admiration pour De Gaulle pour légitimer le principe de résistance.
Après avoir ainsi discrédité et ramené à des proportions infimes les actes qu’il a pu accomplir, il conclut que la condamnation requise – le procureur a requis la peine de mort – est disproportionnée par rapport aux faits qui lui sont reprochés.
Les débats ont lieu à huis clos pendant six semaines. Les prévenus sont déjà condamnés.
René Georges-Etienne, camarade de combat de Léon-Maurice, témoigne du courage et de l’intelligence de ce dernier :
« Il fit tout pour sauver ceux de nos camarades, plus heureux que lui, contre lesquels aucune preuve n’avait pu être trouvée et qui avaient pu résister à la procédure des aveux spontanés. Et il y réussit puisque après 13 mois de détention préventive, cinq d’entre eux furent acquittés faute de preuve.
Peut-être même Léon-Maurice eût-il pu sauver sa vie, sinon sa liberté ?
Mais Léon-Maurice préféra dégager le sens de son action et il le fit magnifiquement.
Au Président qui lui demandait si, en facilitant le départ d'un de nos confrères en Angleterre, il avait voulu s'associer à une action anti-allemande ou simplement lui rendre un service amical - c'était là l'un des principaux fondements juridiques de la redoutable accusation d'intelligences avec l'ennemi - Léon-Maurice répondit : « Je savais parfaitement qu'il s'agissait d'un agent du général De Gaulle et j'étais en plein accord avec lui. »
Au Commissaire du Gouvernement qui lui demandait s'il savait qu'il risquait ainsi la peine de mort, Léon-Maurice répondît : « La mort ? Mais on la risque tous les jours sur les champs de bataille ! Or, je considère que nous sommes toujours en guerre avec vous.»
(…)
… Je quittais alors l'audience avec l'impression terrible qu’à cet instant précis, Léon-Maurice avait signé son arrêt de mort. »
Le 17 février 1942, 10 accusés, dont 3 femmes, sont condamnés à mort. Léon-Maurice Nordmann est du nombre, avec Boris Vildé, Anatole Lewitsky, Pierre Walter, Jules Andrieu, Georges Ithier et René Sénéchal, qui n’a que 19 ans. Les 3 femmes sont graciées et déportées en Allemagne.
Le 20 février, le bâtonnier Charpentier adresse un recours en grâce aux autorités, appelant l’attention sur le fait que Léon-Maurice Nordmann « est un avocat distingué et parfaitement honorable auquel aucun reproche ne peut être adressé sous le rapport professionnel. Il jouit de l’estime de ses confrères. Il est de plus chargé de famille et sa disparition laisserait notamment dans le dénuement le plus complet sa jeune sœur dont il est le soutien.
Je me permets dont de recommander à la bienveillante attention des autorités compétentes le recours en grâce de M. Nordmann. Une mesure de clémence produirait une heureuse impression dans les milieux judiciaires et contribuerait à l’apaisement des esprits. ».
Le 23 février au matin, Léon et ses compagnons sont informés qu’ils seront fusillés l’après-midi au Mont-Valérien.
Dans une ultime lettre à ses frère et sœurs, Léon-Maurice écrit : « Je n’ai pas eu la chance d’aller au feu, mais j’avais encore un devoir de Français et d’homme libre à accomplir. (…) C’est en soldat que je veux mourir. »
Sa dernière lettre, datée du 23 février, écrite au crayon bleu sur du mauvais papier, est destinée à son bâtonnier :
« Mon avocat me dit à l’instant que vous avez bien voulu faire une démarche en ma faveur. Je me permets de vous en remercier profondément. Je dois cependant mourir.
Je voudrais que vous sachiez qu’en ce moment, comme dans tous ceux qui ont précédé, je tâche d’être digne de notre robe, dont le port a été pour moi un grand honneur.
J’ai, comme je vous l’ai peut-être déjà écrit, entendu devant la plaque de bronze de notre bibliothèque des paroles courageuses et fières auxquelles je me suis efforcé de faire écho. J’ai essayé de faire mon devoir pour mon pays. J’espère que mon sacrifice ne sera pas inutile. J’y puise à l’heure présente, comme dans toutes celles de ma détention, un précieux et complet réconfort. »
Le prêtre qui les accompagne de Fresnes au Mont-Valérien rapporte que les condamnés montraient tous un bon moral et même de l’humour. La légende, diffusée par René Georges-Etienne, veut que Léon-Maurice ait même entonné « Le fiacre », une chanson qu’il réservait aux réunions du Club des Biquets.
Léon-Maurice est enterré le soir même, avec ses 6 compagnons, dans le cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (division 39, ligne 4, n°44).
Le 23 février 1943, des avocats défilent en robe devant le monument aux morts du palais. Silencieux, ils commémorent le premier anniversaire de l’exécution de Léon-Maurice Nordmann.
Dans son numéro 2 de juillet 1943, le Palais Libre, la publication clandestine du Front National des Juristes animé par un groupe d’avocats communistes, dont Joë Nordmann, le cousin de Léon-Maurice, le faire revivre quelques instants :
« Léon-Maurice Nordmann, vous le rappelez-vous ? Binoclé, souriant, presque timide, courant les concerts et les soirées littéraires, enlevant à force d’éloquence une place de secrétaire à la Conférence du Stage, travaillant ferme, en bon avocat, pour faire vivre ses frère et sœurs dont il est le seul soutien. Il est timide, mais ardent. Son orgueil de Français et d’Alsacien se révolte devant l’occupation de la Patrie. Léon-Maurice Nordmann ne discutera plus dans les couloirs la façon dont Charles Munch dirige la 9ème symphonie… Devant le conseil de guerre ennemi, il fit une défense hautaine, revendiquant pour lui seul la responsabilité de ses actes. Admirable de bravoure jusqu’au dernier instant, il a pris place dans la phalange silencieuse des centaines d’Alsaciens tombés pour la liberté de la petite et de la grande patrie sous les balles du peloton d’exécution. »
Sans doute, ces lignes émouvantes sont-elles dues à Joë, le cousin éloigné qui partage avec lui des racines familiales et alsaciennes.
Le 23 février 1946, le Mouvement National Judiciaire organise une cérémonie commémorative dans la 1ère chambre, la plus prestigieuse, de la Cour d’appel pour honorer la mémoire de Léon-Maurice.
Le 1er août 1946, Paul Mathely, qui fut le « 12ème » de la promotion 36-37 de la Conférence du stage écrit au bâtonnier pour lui demander de participer à un comité de fondation d’un prix Léon-Maurice Nordmann qui réunit déjà plusieurs amis, dont Lucienne Scheid et René Georges-Etienne. Ce prix sera remis à l’avenir au 11ème secrétaire.
Plusieurs rues portent son nom en hommage : l’une dans le 13ème arrondissement de Paris, deux autres à La Garenne-Colombes et à Bry-sur-Marne, une école également à Paris.
Dans son ouvrage « Au commencement de la résistance», étude sur le réseau du Musée de l’Homme, l’historien Julien Blanc rappelle le contexte dans lequel s’inscrivit l’engagement de Léon-Maurice : « A travers les figures héroïques de Boris Vildé et de ses camarades fusillés au Mont-Valérien, à travers les figures lumineuses de Germaine Tillion et de ses camarades rescapées des geôles allemandes, « ceux du Musée de l’Homme » occupent une place à part dans le panthéon de la désobéissance : pionniers efficaces et déterminés, immédiatement sur la brèche, martyrs sereins face à une répression qui les broya sans pitié, ces femmes et ces hommes incarnent aussi, dans la mémoire collective, le premier sursaut d’intellectuels de haut vol face à l’occupant. »
Léon-Maurice fut l’un de ses héros. Son dernier souhait était que l’on garde, au Palais, un amical souvenir de lui. Il fut largement comblé pendant et après les années de guerre.
Le temps fait son œuvre, même au sein du Palais où nous aimons cultiver notre histoire. Ne laissons pas le souvenir de Léon-Maurice Nordmann s’éteindre. Il mérite notre confraternelle admiration pour ce qu’il nous apprend sur la force des convictions et le courage.
Michèle Brault.