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Gaston, Henri Weill est né le 9 mai 1886 à Ardres, dans l’arrondissement de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais. Curieusement, de nombreux sites mentionnent Cerderes comme commune de naissance. Outre qu’une telle commune n’existe pas dans le Pas-de-Calais, son extrait de naissance ne laisse aucun doute sur le fait qu’il est né à Ardres où son père, Charles, âgé alors de 36 ans, était receveur de l’Enregistrement et des Domaines, un poste important dans l’administration public.
Charles Weill est né à Bollwiller, près de Mulhouse, dans le Haut-Rhin, en 1850. La présence d’une communauté juive est attestée depuis le 15ème siècle à Bollwiller. Charles exerce ses fonctions de receveur de l’Enregistrement à Lille. Il sera ensuite muté à Belfort, où naitront ses deux autres enfants, et il terminera sa carrière à Paris.
La mère de Gaston s’appelle Anne, Clémence Lévy. Sa famille est également alsacienne. Son père, Salomon Lévy, le grand-père de Gaston, est brasseur à Ribeauvillé, dans le Haut-Rhin.
Clémence a 26 ans lorsqu’elle donne naissance à Gaston. C’est le premier enfant du couple. Un second fils, René, nait en 1889. Clémence accouche d’une fille, Marie Nelly, en 1894. René sera médecin. Nelly sera avocate au Barreau de Paris sous le nom de son mari Gaston Bloch, comme c’est l’usage.
Avant la mutation de Charles Weill à Paris, les enfants Weill grandissent à Belfort. On ignore dans quel établissement, belfortain ou parisien, Gaston a fait ses études secondaires. Il semble qu’il ait obtenu sa licence de droit à Paris.
Gaston est de la classe 1906, c’est-à-dire qu’il est convoqué pour remplir ses obligations militaires l’année de ses 20 ans. Après les examens physiques d’usage, il est rapidement orienté dans les services auxiliaires à cause d’« une myopie supérieure à 7 dioptries ». Il est affecté au 85ème régiment d’infanterie qui est stationné à Cosne-sur-Loire. « Envoyé dans la disponibilité » le 25 septembre 1909, un certificat de bonne conduite lui est accordé.
De 1909 à 1914, il se forme à la procédure en travaillant dans des études d’avoué. Il débute chez Maître Beau, puis chez Maître Peyrat. Il monte en grade et devient second clerc chez Maître Dubourg, puis premier clerc chez Maître Thielland.
Mobilisé en août 1914, sa forte myopie le destine aux emplois auxiliaires. Il sert dans la 24ème section d’infirmiers militaires. Il est ensuite affecté au Train, l’arme qui organise la logistique des autres corps d’armée.
Il est admis le 3 mai 1916 au stage du Barreau de Paris. Dans la lettre du 20 octobre 1920 qu’il envoie au rapporteur de son dossier d’inscription au Tableau, il écrit qu’il a passé un an à Paris, suivant régulièrement les conférences de colonnes, avant de repartir aux armées.
Le 4 novembre 1918, Gaston épouse Enriqueta Block, surnommée Quetta, qui est née en 1894 à Santa Ana au Salvador. Les témoins du marié sont Henri-Robert, bâtonnier de Paris, et Jacques Versillé, entrepreneur en travaux publics. Comment Gaston connait-il Henri-Robert au point que ce dernier soit son témoin de mariage ? Est-il son collaborateur ? Henri-Robert, bâtonnier du barreau de Paris de 1913 à 1919, est alors considéré comme l'un des meilleurs avocats d'assises de sa génération. Ses talents d'orateur lui valent le surnom de « Maître des maîtres de tous les barreaux ».
Côté mariée, le premier témoin n’est rien moins que l’Envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire du Salvador, Miguel Duenas. Le père de Quetta, Constantin Block, est négociant. Sa mère, Emma Goetschel, est décédée.
Gaston et Enriqueta, dite aussi parfois Henriette, auront une fille en mai 1923, Micheline Emma, selon l’état civil.
Le 15 octobre 1920, Gaston demande son admission au Tableau et exprime le souhait d’avoir Maître Duroyaume comme rapporteur. En juin, il a sollicité un poste de suppléant au juge de paix. N’a-t-il pas assez de dossiers pour vouloir se consacrer au règlement des litiges de la vie quotidienne ?
Pour Gaston Weill, les années 20 et 30 s’écoulent sous les meilleurs hospices professionnels. Manifestement, sa réputation grandit et lui apporte une clientèle nombreuse. Gaston est essentiellement un pénaliste. Il plaide devant le tribunal correctionnel et devant la Cour d’assises.
Les affaires dans lesquelles il intervient occupent les colonnes des journaux : il défend le banquier Antoine-Louis Simon accusé d’avoir dissipé 40 millions de francs ; il est dans le dossier du scandale de la Brigade des jeux pour le commissaire Siraud qui aurait reçu un pot-de-vin d’un bookmaker ; il assiste le « cambrioleur distingué » ; il est l’avocat de Ravissac inculpé pour exercice illégal de la médecine pendant 5 ans ; il plaide pour Max Bloch qui a tué les époux Gutowitz ; pour un gardien de la paix qui a tabassé à mort un homme en état d’ivresse, … .
En 1932, il défend le banquier Thibault accusé d’abus de confiance dans l’affaire des actions de la société Kreuger. En mars 1934, il défend Pigaglio devant la Cour d’appel de Chambéry qui, avec un supposé complice, Voix, est accusé du délit de recel de malfaiteurs pour avoir aidé Stavisky dans sa fuite. Le Parquet, ayant considéré que les deux hommes avaient été insuffisamment condamnés, a fait appel. Gaston plaide avec «  fougue » selon le journaliste qui le cite : « Nous sommes loin ici de tous ceux qui de près ou de loin ont bénéficié des largesses de Stavisky. Ceux-là ne seront jamais connus. Ils ne rendront jamais de compte à la justice. Car on ne connaîtra jamais, dans cette affaire, la vérité vraie. Ne faites pas de ces hommes des victimes expiatoires. »
En 1938, il « occupe » dans l’Affaire des fakirs, une bande d’escrocs qui extorquent des fonds en promettant la bonne aventure : Honoré Azoulay, qui se fait appeler Ybou Marie, Georges Lajuzan est le professeur Olaf, Sarum Maksoudian est le Fakir Birman, … Il défend le vicomte Oppenheim, qui n’est pas vicomte, mais écume les grands hôtels, se fait prêter de l’argent et fuit en laissant ses valises … pleines de briques.
L’Œil de Paris du 7 janvier 1933 se moque gentiment de Gaston Weill dans un petit article intitulé « Pourquoi cet annuaire ? ». L’auteur s’étonne qu’alors que les avocats sortent d’ordinaire des codes ou des revues de jurisprudence de leur serviette à l’audience, Gaston extrait de son porte-document … un annuaire des téléphones ! Les hypothèses les plus folles sont avancées. « En cas d’insuccès, il veut se ménager un appel automatique » ironise un confrère, Henri Espiau. Comme l’écrit le journal, la vérité est moins drôle. Gaston pose l’annuaire sur son pupitre pour rapprocher ses cotes de plaidoirie de ses yeux et pouvoir les lire !
Si cette publicité involontaire lui est favorable, il en est une qui lui vaut les foudres du bâtonnier. En effet, Gaston a fait paraitre un véritable petit encart publicitaire dans Le Péristyle de janvier-février 1933, une feuille de chou consacrée à la Bourse. Dans un encadré, il est indiqué « CONSEIL JURIDIQUE du Syndicat des Commis du Marché en Banque, Me Gaston WEILL, Avocat à la Cour, 3, Rue Jules-Lefebvre (IXe) ». Une enquête est ouverte par l’Ordre : il est contraire à la dignité de l’avocat de se livrer à la publicité.
Contacté par l’enquêteur, Gaston répond que ladite publicité a été faite sans qui l’ait sollicitée et qu’il va la faire cesser. Difficile de croire qu’un tel encadré n’ait pas été demandé … Mais il révèle une grande modernité chez Gaston Weill.
Signe de sa réussite et gage de nombreux dossiers, Gaston est l’avocat de plusieurs associations ou syndicats : la Fédération des Associations de fonctionnaires, le Groupement des Commissaires et inspecteurs de la Sûreté, le Syndicat des Commis du Marché en Banque …
Dans Paris-Midi du 19 décembre 1934, Gaston Weill est interviewé dans le cadre de l'affaire de l'inspecteur Bonny, qui défraye la chronique judiciaire. Le Ministre de l'Intérieur a suspendu le traitement que ce dernier percevait dans l'attente de son jugement Le journaliste questionne « Me Gaston Weill, qui est une compétence en la matière, puisqu’avocat du Groupement des Commissaires et Inspecteurs de la Sûreté » sur la légalité de la mesure. Gaston répond :
« Au terme d'une législation nouvelle, lorsqu'un fonctionnaire a donné lieu à des observations, pour inconduite notoire par exemple, le ministre de l'Intérieur peut suspendre immédiatement son traitement et le renvoyer devant le Conseil de discipline. C'est donc une mesure d'attente qu'il peut incontestablement employer lorsque les faits reprochés sont graves et évidents. Je ne peux rien vous dire sur le cas Bonny, mais sachez que pareille aventure est arrivée à Mariani, le « policier gangster »de Lille, qui fut aussitôt arrêté, suspendu et privé de son traitement. »
Le 13 septembre 1939, Gaston Weill écrit au bâtonnier pour l’informer qu’il n’est pas mobilisable et qu’il se met donc à la « disposition pleine et entière » de l’Ordre.
Le mois de juillet 1940 le trouve logé à l’hôtel, avec sa femme et sa fille Emma Micheline (c’est ainsi qu’il l’écrit), à Ahun dans la Creuse. Gaston écrit au bâtonnier, le 24 juillet, pour s’inquiéter des affaires qu’il a laissés en souffrance à Paris tant « en police correctionnelle » que concernant des fonctionnaires de police dont il est conseil. Il lui demande un ordre de mission qui lui permettra de se déplacer et de rentrer à Paris.
Un certificat lui permettant d’obtenir un sauf-conduit du sous-préfet et des autorités militaires lui est envoyé dès le 29 juillet.
Comme tous les avocats parisiens, Gaston Weill est contraint de répondre au questionnaire pris en application de la loi du 11 septembre 1940 qui exige une filiation française pour demeurer inscrit au barreau. Gaston fait état de la naissance française de son père.
Toutefois, la persécution contre les juifs se durcit. Le décret du 16 juillet 1941 impose un numérus clausus de 2% d’avocats juifs aux barreaux. Les exceptions concernent les anciens combattants. Le nom de Gaston ne figure pas dans la liste de 47 noms, établie par le Conseil de l’Ordre, d’avocats juifs dont le maintien au barreau de Paris est recommandé pour leurs « mérites exceptionnels ».
Par application de l’arrêt de la Cour d’appel du 12 février 1942, qui met en œuvre le décret, Gaston Weill cesse de figurer au Tableau.
Le 24 février 1942, le Procureur général transmet au bâtonnier de Paris une requête de Gaston Weill par laquelle il demande à être relevé des déchéances de la loi du 2 août 1941 lui interdisant d’exercer sa profession. L’article 8, que la requête vise, prévoit deux exceptions : avoir rendu à l’Etat français des services exceptionnels ou avoir une famille établie en France depuis au moins cinq générations et qui a rendu à l’Etat français des services exceptionnels.
La requête n’est pas restée dans le dossier de l’Ordre. Mais la « pelure » qui fait office de double de la lettre du bâtonnier du 18 mars 1942, relayant l’avis du Conseil de l’Ordre y figure. Elle indique que le Conseil a voté qu’il n’avait pas d’objection au maintien de Gaston Weill au Barreau.
Gaston Weill ne sera pas réintégré au Barreau de Paris.
Plus curieux, il est indiqué dans la lettre du Procureur général que Gaston est « actuellement interné administratif ». A-t-il été arrêté ? Dans quelles circonstances ?
Son neveu, Etienne Bloch, fils de sa sœur Nelly, intentera une action, 50 ans après la mort de Gaston, pour récupérer les modestes avoirs déposés sur les comptes bancaires en Suisse de sa mère et de son oncle. Lors de l’instruction, il indiquera que Gaston et Henriquetta Weill ont été arrêtés chez eux, 3, rue Jules Lefebvre dans le 9ème arrondissement, et déportés.
Le site Arolsen Archives qui est un centre de documentation en ligne sur les persécutions nazies et les déportés indique que Gaston Weil (avec un seul l), né le 9 mai 1886 à « Aidre », était interné à Beaune-la-Rolande…
Quels ont été les derniers mois de Gaston ?
Le 23 septembre 1942, à 8 heures 55, le 36ème convoi de déportation de juifs prend le départ de la gare du Bourget-Drancy avec pour destination le camp d’extermination d’Auschwitz. On compte parmi les déportés 644 hommes, 342 femmes, 200 enfants et 14 autres personnes non identifiées. Plus de la moitié d'entre eux sont de nationalité française. Parmi eux, Gaston Weill.
Ce convoi emporte aussi René Blum, 64 ans, frère de Léon Blum, Benjamin Schatzman, 65 ans, chirurgien-dentiste et auteur d'un journal sur la Shoah, père de l'astrophysicien Evry Schatzman, Maurice Weill-Raynal, 56 ans, avocat parisien, frère d'Étienne Weill-Raynal, homme politique français, Aron Finkielkraut, 65 ans, et Terner Finkielkraut, 60 ans, les grands-parents du philosophe et académicien Alain Finkielkraut … Des intellectuels de valeur. Des familles aussi.
Le cauchemar du voyage commence. Un seau par wagons pour les besoins, pas de nourriture et peu d’eau. La promiscuité, l’angoisse, la peur …
Le train passe par Epernay, Châlons-sur-Marne, Bar-le-Duc … Paris s’éloigne. La frontière est franchie. Metz, Sarrebrück, Francfort, Dresde … puis les territoires anciennement polonais jusqu’à Auschwitz.
Les mots sont impuissants, inutiles, pour décrire l’impensable, l’inimaginable.
Quelle est l’espérance d’un avocat très myope de 56 ans sur la rampe d’arrivée d’Auschwitz ? Gaston est déclaré décédé le 28 septembre 1942. Par convention, 5 jours après le départ du convoi de Drancy.
Henriqueta Block, veuve Weill, est enterrée le 28 juillet 1953 au cimetière du Montparnasse. Qu’est devenue Micheline Emma Weill ?
Le 23 février 1944, Nelly Bloch, la sœur de Gaston, qui s’est réfugiée à Grenoble, est arrêtée avec sa fille Francine et transférée à Drancy. Elle monte dans le convoi n°69 le 2 mars 1944. Ni elle ni sa fille ne reviendront.
Gaston Weill, Nelly Weill épouse Bloch, un frère, une sœur, deux avocats au barreau de Paris. Deux déportés membres d’une même famille sur la plaque commémorative du Palais de justice.
Michèle Brault.
 

Lettre du Parquet au bâtonnier, 15 juin 1920.

Lettre de Gaston Weill au bâtonnier, 20 octobre 1920.

Note du 15 février 1933 et article du Péristyle.

Lettre de Gaston Weill,13 septembre 1939.

Lettre de Gaston Weill au bâtonnier, 24 juillet 1940.

Lettre de l’Ordre, 29 juillet 1940.

Questionnaire en application de la loi du 10 septembre 1940.

Lettre de Gaston Weill, 1er novembre 1940.

Lettre du bâtonnier, 18 mars 1942.

Décision du 31 mars 2005 du Claims Résolution Tribunal (Holocaust Victim Assets Litigation)

Archives de Paris :

D4R1 1364, fiche matricule, n°250.

Gallica :

Le Populaire, 30 avril 1929 (vicomte Oppenheim).

Le Journal, 29 juillet 1933.

L’Œil de Paris, 20 janvier 1934.

Le Petit Dauphinois, 9 mars 1934 (affaire Pigaglio).

Le Petit Provençal, 19 novembre 1934.

Paris-Midi, 19 décembre 1934.

Monument aux morts, mairie du 9e arrondissement de Paris.

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