Simone Huard est née le 14 février 1903 à Moulins dans l’Allier.
Elle fut avocate, résistante, déportée politique, et s’éteindra en Pologne dans un hôpital de Gniezno le 14 mars 1945, de maladie et d’épuisement.
Simone est la seconde des 4 sœurs Huard qui naîtront et vivront leur enfance au gré des nominations de leur père : l’aînée, Odette, voit le jour en 1901 à Aurillac, Simone en 1903 à Moulins, Marianne et Yvonne à Châlons sur Marne respectivement en 1904 et 1907.
En effet, leur père, Henry Huard, brièvement avocat à la cour d’appel de Paris de 1885 à 1888, embrassera ensuite une riche carrière de haut fonctionnaire et occupera, entre autres, plusieurs postes de Préfet (Allier, Cantal, Marne, Loire) et sera nommé en 1906 Directeur de la Sûreté générale, puis en 1911, Conseiller maître à la Cour des comptes. Il sera également Secrétaire général du Ministère de la Guerre et élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d’Honneur en 1925.
Leur mère, Jeanne Flaud, appartient à une vieille famille de Dinan et leur grand-père, Henri Flaud, ingénieur, inventeur, chef d’entreprise, fut maire de Dinan et élu député des Côtes du Nord en 1871. Pendant son enfance, Simone Huard fréquenta beaucoup la maison qu’il avait fait construire à Dinan, Château Ganne, avec une vue imprenable sur la vallée de la Rance, aujourd’hui devenue la sous-préfecture des Côtes d’Armor.
Ses parents se sont mariés en 1900 à Paris où résidait la jeune mariée, au 40 avenue de Suffren. C’est dans cet appartement que la famille Huard viendra s’installer définitivement probablement lorsque qu’Henry Huard sera nommé Secrétaire général du ministère de l’Intérieur en 1909. C’est à cette adresse que Simone Huard sera arrêtée par la Gestapo en juin 1944.
Elle fait ses études au lycée Racine puis au lycée Duruy. Comme son père, elle se lance dans des études de droit et veut devenir avocate. Elle obtient sa licence en novembre 1924, prête serment le 4 décembre 1924 et est inscrite au Tableau en janvier 1925. Elle entre dans la profession comme collaboratrice de Me Georges Cauchy, un ami de la famille et à l’époque, membre du Conseil de l’Ordre. A son contact, elle apprendra vite et ses compétences juridiques comme son intelligence, sa vivacité d’esprit et sa rapidité d’analyse seront reconnues par ses confrères. Au-delà de son professionnalisme, ceux qui l’ont rencontrée ont aussi perçu une femme de cœur, généreuse dans ses actions et dans son dévouement. Les années tragiques de la guerre lui donneront plus d’une occasion de le prouver.
Début 1942, Simone Huard entre en contact avec son confrère Etienne Nouveau. Ce dernier est très actif au sein du réseau Vengeance de la région parisienne. Ancien combattant de la 1ère Guerre Mondiale où il fut grièvement blessé, Président de la Fédération des amputés de France depuis 1936, Etienne Nouveau sera pendant et après la guerre, très engagé dans les mouvements de combattants et victimes de guerre.
Elle participe avec lui à la création d’un nouveau maquis Vengeance dans la Manche, à Torigni sur Vire où se trouve sa maison de famille paternelle. C’est elle qui contacte le commandant Hamel choisi pour diriger le groupe. Elle assure ensuite la liaison avec Paris. Ce sont ses premières missions dans la Résistance.
Au printemps 1943, Simone est incorporée dans le réseau Cohors-Asturies et rallie les FFC (Forces Françaises Combattantes).
Elle est agent de liaison sous le pseudonyme de « Patricia » ; elle relève les « boîtes aux lettres », fabrique de fausses cartes d’identité. Ses sœurs Marianne et Yvonne (qui ont curieusement le même pseudonyme que Simone) sont également entrées en Résistance dans le réseau Cohors-Asturies. Elles sont plusieurs fois citées dans l’ouvrage de Marie Granet Cohors-Asturies Histoire d’un réseau de Résistance.
Le 1er juin 1944, elle s’engage personnellement auprès du Général de Gaulle :
« Par devant nous et Mahaut représentant le Général de Gaulle, chef de la France combattante a comparu Simone Patricia qui a déclaré reconnaître le Général de Gaulle et le Comité national français comme seuls représentants qualifiés des Français Combattants, et s’engage à leur donner en toutes circonstances un appui actif, fidèle et discipliné dans la lutte pour la libération de la France. »
Au printemps 1944, l’action de la Résistance se fait plus intense et l’ensemble des réseaux est touché par les arrestations de la Gestapo. En mars, Simone Huard leur échappe de peu alors qu’on venait l’arrêter à son domicile 40 rue de Suffren. Elle se cache 2 mois puis, devant le nombre croissant et l’urgence des demandes de renseignements, elle reprend ses activités.
Elle est arrêtée chez elle le 15 juin 1944 et transférée immédiatement à Fresnes.
Elle occupe une cellule en compagnie de plusieurs autres détenues politiques et notamment Mme de Larminat, résistante âgée de 74 et amputée d’une jambe. Celle-ci a témoignée de l’assistance affectueuse apportée par Simone Huard, de son altruisme spontané et de son patriotisme :
« Je suis heureuse de pouvoir affirmer toute la valeur morale de Simone Huard qui n’a jamais faibli devant les brimades de ses geôliers et a toujours gardé son amour-propre de Française. Je salue en elle une meilleure résistante que j’ai connue. »
Elle était toujours disponible pour soutenir le moral de ses codétenues, malgré sa santé qui se dégradait.
C’est dans un état d’affaiblissement physique qu’elle fut conduite avec ses compagnes de détention à la gare de Pantin le 15 août 1944 et embarquée dans ce qui fut le dernier convoi de déportés politiques au départ de Paris. Au total 1.654 hommes et 546 femmes.
Un voyage de 5 jours et 5 nuits de cauchemar entassés dans des wagons à bestiaux dans une chaleur étouffante et avec un seau d’eau par wagon, c’est-à-dire pour environ 70 à 77 personnes. Après un premier transbordement en raison d’une voie coupée par un bombardement, ils vont rester près de 13 heures dans un tunnel où les prisonniers suffoquent car la chaudière du train était restée en fonctionnement et que la fumée refluait dans le tunnel et à l’intérieur des wagons. Une fois arrivés à Weimar, les hommes sont débarqués vers un autre train en direction du camp de Buchenwald et les femmes poursuivent vers celui de Ravensbrück. Elles sont immatriculées avec les numéros 57000 et suivants.
Simone Huard et ses compagnes arrivent à Ravensbrück le 21 août. Viendront ensuite le camp de Torgau puis celui de Königsberg. De longs mois de privations et de souffrances.
Plusieurs témoignages de rescapées évoquent ce calvaire.
L’histoire de Gabrielle Weidner, jeune adventiste résistante, est relatée par une de ses amies rescapées des camps. Arrivée par le même train, elle vivra ce qu’a très certainement vécu Simone. Elle aussi sera envoyée après quelques semaines à Torgau, puis Königsberg :
« "21 août arrivée à Ravensbrück. Déshabillées. Bain. Habillées d'une chemise, d'une culotte, d'une jupe marquée d'un X, désignant le statut de prisonnière…/… les privations, le froid, les travaux forcés, les traitements souvent inhumains des camps de concentration. Les gardiennes SS considèrent les prisonnières comme "un troupeau d'animaux". De Ravensbrück Gabrielle est transférée à Torgau, puis à Königsberg. A Königsberg la directrice du camp est particulièrement sévère. "Elle disait que Ravensbrück avait été trop doux et qu'elle allait dresser les prisonnières", raconte l'amie de Gabrielle. La nourriture est insuffisante, le froid est terrible. L'état de santé de Gabrielle se détériore de plus en plus. »
Gabrielle Weidner mourra au matin du 15 février dans le camp libéré.
A Torgau, Simone Huard est affectée à l’atelier de polissage des obus, polissage au papier de verre, dans une atmosphère irrespirable et toxique. Avec ses compagnes elles ralentissent volontairement les cadences. En représailles elles sont envoyées au camp de Königsberg.
Le camp de Königsberg/Oder (ou Petit Königsberg) est situé près de la Baltique et en octobre 1944 environ 250 Françaises y sont envoyées. C’est un camp très dur, situé près d’une forêt et d’un « plateau » sur lequel se déroulaient des opérations de terrassement pour la construction d’un terrain d’aviation. Les prisonnières s’y rendaient dès l’aube après un appel qui pouvait s’éterniser plus de 2 heures, debout dans le froid. Elles revenaient à la nuit tombante après une journée glacée par les vents et une longue marche épuisante pour s’écrouler sur une paillasse humide et grouillante de vermine sans couverture dans un dortoir non chauffé.
Michèle Agniel et Suzanne Guyotat, résistantes, déportées avec le dernier convoi, évoquent l’effondrement de leur corps ; pour la première, en trois mois les femmes étaient devenues méconnaissables, « quasiment des squelettes ». La seconde dira d’elle-même qu’au bout de quelques mois « elle n’est plus qu’un petit personnage mourant de froid et de faim, grelottant de fièvre et couvert de vermine. »
En décembre, l’organisme de Simone n’en peut plus : l’épuisement, la faim, le froid, les brimades.
Une compagne anonyme, rencontrée dans la prison de Fresnes et devenue dans cette épreuve une amie, la retrouva à Königsberg alors qu’elles avaient été séparées à Ravensbrück. Dans son témoignage, elle évoque l’état de santé de Simone :
« Jusqu’en décembre Simone endura tout sans broncher, mais l’hiver se fit quotidiennement plus âpre et le froid ajouté aux privations et à la fatigue eurent beau jeu sur un organisme déjà malade. A partir du 15 décembre, on vit périodiquement Simone à l’infirmerie. Une enflure généralisée provoquée par des troubles cardiaques, la condamnait à une immobilité de quelques jours mais aussitôt celle-ci disparue il lui fallait reprendre pelle, pic et pioche et retourner remplir les wagonnets de sable.
Admise moi-même à l’infirmerie vers Noël, j’ai eu souvent l’occasion d’y voir Simone et chaque fois j’ai admiré son courage et sa philosophie envers elle-même, sa sollicitude et son inlassable patience envers son entourage. »
A partir du 12 janvier 1945, l’offensive soviétique va déferler dans la plaine polonaise. Fin janvier, l’armée russe est toute proche du camp de Königsberg. Les prisonnières ne sont pas vraiment au courant de ce qui se passe mais lisent l’inquiétude sur le visage de leurs geôliers. Malgré les -25°, leurs cœurs se réchauffent et le soir du 31 janvier, elles assistent à une débandade des gardiens et gardiennes affolés. Le lendemain, elles trouvent le camp vide de tout allemand, gardien, officiers, SS, tous avaient disparus. Elles se crurent libres, cherchèrent à manger, de quoi se réchauffer. Mais des patrouilles réapparurent de façon sporadique jusqu’au 3 février date à laquelle des SS revinrent avec ordre d’évacuer au plus vite les prisonnières valides vers Ravensbrück. Celles qui n’avancent pas assez vite sont fusillées sur place. Ils abandonnent les mourantes et les invalides qui se trouvaient dans l’infirmerie et y mettent le feu en lançant des grenades incendiaires.
Que fait alors Simone Huard ? Pendant la formation d’une colonne évacuant le camp, elle échappe à la surveillance des soldats et retourne au camp :
« Sans souci de sa fatigue, des représailles qu’elle peut encourir si les SS s’aperçoivent de son évasion, elle vient nous aider à sortir les malades de l’infirmerie menacée par le feu, les calme, les rassure, et cherche un nouvel abri. Que ce soit la nuit ou le jour elle sera toujours là pour rendre service. »
Malheureusement, ces derniers efforts de solidarité et de courage l’ont menée au bout de sa résistance physique et elle est terrassée par une violente crise cardiaque. Cette fois-ci, elle devra s’aliter sans grand espoir de rémission.
Dans la nuit du 4 au 5 février, les combats font rage autour du camp. Au matin, les soldats russes trouveront une trentaine de rescapées du convoi d’octobre, squelettiques et misérables, plusieurs mourantes ou malades, françaises, polonaises, ukrainiennes.
L’opération d’évacuation se fait au gré des camions d’approvisionnement qui repartent à vide. Des petits groupes de 5 ou 6 femmes sont transportées dans ces véhicules non bâchés, le plus souvent sous la neige, les malades enroulées dans une couverture. Simone Huard voyage ainsi pendant plusieurs semaines avant d’atteindre un premier centre de secours à Gniezno, en Pologne. Elle est dans un état pitoyable : son corps enfle et désenfle, elle souffre des reins et des jambes, ne peut plus se lever, contracte une dysenterie.
Le médecin décide alors de l’hospitaliser, le voyage de retour va s’arrêter là. Le moral retrouvé à la libération du camp, l’espoir de retrouver la France, cela va s’estomper peu à peu malgré les draps propres, les couvertures, la sollicitude des infirmières et les visites d’un de ses confrères prisonniers de guerre qui vient d’être libéré d’un oflag. Me Favrot restera 15 jours à Gniezno et passera de longs moments à ses côtés. Ensemble ils parlent de la vie au Palais. Elle était heureuse d’évoquer les souvenirs du barreau. Jamais une plainte, jamais d’apitoiement sur son sort. Mais ces forces déclinent rapidement, elle se sait maintenant condamnée et sans espoir de retrouver les siens. Le soir de son départ, ils ont une dernière conversation.
« Elle avait conservé toute sa lucidité, son courage a été admirable, pas une plainte, pas un blâme, seulement un grand désir de paix, la certitude que toute lutte était vaine …/… Vers 6h elle me parla encore, quelle fin édifiante, quel courage, puis petit à petit sa respiration devint plus calme et elle s’endormait sans un seul mouvement. »
Elle meurt quelques heures plus tard, le 14 mars 1945.
Une grande partie des déportés rescapés évacués par l’Armée Rouge fut dirigée par étape vers le port d’Odessa pour embarquer vers Marseille. Trois bateaux ramenèrent ainsi près de 6000 déportés.
Frédérique Lubeigt..