« Python est mort.
Assassiné par la Gestapo.
Pour justifier ce crime, les Allemands n’ont pas l’excuse de la guerre. Ils ne peuvent prétendre qu’ils défendaient la vie, les communications ou le ravitaillement de leurs troupes. Python ne se livrait à aucune activité clandestine. Il n’appartenait à aucune organisation de résistance. Il meurt victime de son devoir professionnel, pour avoir refusé de livrer le secret qu’un client lui avait confié.
Mort d’avocat. »
Le Palais Libre, l’organe du Front National des Juristes, créé par des avocats communistes, rend un hommage fervent, dans son numéro 6 de mars 1944, à Joseph Python, celui qui incarna jusqu’à en mourir les principes essentiels de la profession d’avocat.
Joseph Python … Il y a tant à écrire sur lui. Le défenseur des petites gens, le député, l’avocat passionné et dévoué, le fondateur de l’Union des Jeunes Avocats, premier syndicat défendant les intérêts jusqu’alors ignorés des jeunes avocats, le membre du Conseil de l’Ordre toujours volontaire, toujours indulgent quand il siégeait dans la formation disciplinaire de l’Ordre, puis, avec la guerre, le défenseur de ses confrères juifs, communistes, résistants, le gardien de leur cabinet … Et plus encore …
Joseph, Henri Python est né le 15 décembre 1883, à Saint-Étienne. Son père, Jean Python, âgé de 26 ans à sa naissance, est clerc d’huissier. Il fera carrière à Clermont-Ferrand et occupera les fonctions d’avoué près du Tribunal civil de Clermont-Ferrand. Il sera également suppléant de la Justice de Paix. La mère de Joseph, Marguerite Forissier, est née 23 ans plus tôt à Sydney, en Australie. Son père, Jean-Baptiste Forissier, ancien élève de l’Ecole des Mines de Saint-Étienne, était ingénieur civil et a beaucoup voyagé.
Joseph, qui porte le prénom de son grand-père paternel, est l’aîné des enfants. Il a quatre frères et sœurs : Antoinette, née en 1885, Jules, né en 1887, qui sera magistrat à la Cour d’appel de Paris, Louise née en 1889 et Henri, né en 1895, qui fera une carrière militaire.
Joseph grandit à Clermont-Ferrand et il fait ses études secondaires au lycée de la ville. Le bac en poche, il s’inscrit à la faculté de droit de Grenoble. Par distraction, il participe à un concours d’éloquence entre étudiants. Le plaisir qu’il y prend et le succès qu’il y rencontre font naître sa vocation d’avocat. Après sa licence obtenue le 25 juillet 1903, il intègre le barreau de Grenoble le 20 septembre de la même année. Il y passe deux ans, dont une consacrée au service militaire, mais sans doute cet énorme travailleur, ce gourmand de la vie s’ennuie-t-il à Grenoble. La capitale l’appelle. Il est admis le 6 novembre 1905 au stage du Barreau de Paris. En effet, les deux années qu’il a passées au Barreau de Grenoble ne suffisent pas à remplir les conditions de formation nécessaires à l’inscription au Tableau des avocats admis à exercer. En novembre 1910, il est admis au Tableau avec effet rétroactif au 6 novembre 1905.
Un article de la revue littéraire Coemedia du 14 septembre 1929 et une conférence de l’AHAV (Association d’Histoire et d’Archéologie du Vingtième arrondissement de Paris) donnée par Jean-Marie Durand rapportent qu’il a soutenu une thèse de doctorat sur « les droits du propriétaire sur les eaux surgissant de son fonds ». Elle n’a pas fait l’objet d’une publication, car elle demeure introuvable.
Son premier dossier, il le plaide devant le conseil de guerre du 14e corps d’armée. Loin d’être impressionné, il trouve que ces juges non professionnels sont consciencieux et attentifs. Lui-même, toujours courtois et jovial, est très apprécié des magistrats. Beaucoup rapporte la gentillesse et l’affabilité de Joseph. Quand on lui demande d’épeler son nom, il s’amuse à répondre : « Comme le serpent ! » Mais c’est pour mieux en rire.
Au début de l’année 1910, Joseph Python bat la campagne auvergnate : il se présente aux élections législatives sous l’étiquette radical-socialiste, pour la mandature 1910-1914 dans le Puy-de-Dôme, la région où ses parents se sont installés et vivent. Il bat le député sortant et est élu. Il participe activement dans presque toutes les commissions parlementaires : travaux publics, chemin de fer, pension civile, réforme judiciaire… il intervient sur des propositions de loi, s’intéresse également aux problèmes agricoles et aux questions judiciaires et militaires.
En 1914, malgré cette activité intense, il n’est pas réélu. Il conserve néanmoins le virus de la politique : il est plusieurs fois candidat, sous l’étiquette républicain indépendant, à l’élection municipale de Paris dans le quartier des Epinettes (17e arrondissement). En 1924, il est en tête de la liste républicaine d’action sociale et de défense agricole, mais ne sera pas élu.
Côté vie privée, de nombreuses gazettes font l’annonce de son mariage, le 10 novembre 1913 à l’église de la Trinité. Sa femme, Germaine William, est veuve d’André Ivers, un Danois, vice-consul du Danemark à Rouen. Le père de Germaine s’appelle Brokmann Vicenti William, il se déclare propriétaire. Germaine se fait appeler Yvonne bien que ce prénom ne figure pas sur son acte de naissance.
Lorsque le premier conflit mondial se déclenche, Joseph Python est sergent. Il est nommé dans l’infanterie au grade de sous-lieutenant à titre temporaire et affecté au 141ème régiment d’infanterie. Blessé à la tête par un éclat d’obus le 13 septembre 1914 à Fontenoy, dans l’Aisne, il est affecté au service de la photographie aérienne. Son courage et son dévouement lui vaudront deux citations.
La revue Coemedia du 14 septembre 1929, qui lui consacre un long article dans sa rubrique « Maîtres et Jeunes du palais », le surnomme « le Charmeur des Cours d’assises ». En effet, il plaide souvent devant les Assises pour sauver la tête de ses clients. Les affaires sont aujourd’hui oubliées, mais les procès ont défrayé la chronique, lui assurant une belle notoriété : Morin, un des auteurs de l’attaque du rapide 16, Thomas, voleur de la célèbre châsse d’Ambazac, Devronde, qui avait tué sa femme et l’amant de cette dernière, Lochet, complice de Toqué dans la grande affaire de La Gazette des Ardennes, Bets, assassin de la rentière de l’avenue du Maine, Aubry, l’ingénieur chimiste qui espionnait pour les Américains, Leclerc, assassin d’une dactylographe, Madame Lefebvre, qui avait assassiné sa belle-fille sur le chemin de la Solitude, aux fortifications de Lille, Madame Bruey, qui avait asphyxié son mari à Aulnay-sous-Bois … Beaucoup ont échappé à la guillotine grâce à l’éloquence de Joseph Python.
Amoureux des lettres et des arts, il défend de nombreux artistes, musiciens ou chanteurs, congédiés sans indemnité de préavis ou sans que leur dédit soit payé. Il intervient dans le litige qui oppose la Société des Amis de la tour Eiffel et la Société des Auteurs. Visionnaire, il prédit la multiplication des litiges relatifs au droit d’auteur « en raison de l’inévitable développement de la radio-diffusion qui est appelée au plus bel avenir ».
Joseph Python, qui plaide beaucoup, est un familier des couloirs du palais, à l’époque, un vrai lieu de rencontre. Il côtoie, à l’occasion des audiences, les jeunes confrères, stagiaires ou jeunes avocats fraîchement inscrits au « Grand Tableau », l’inscription à ce « Tableau » consacrant la fin du stage et le droit d’exercer à part entière tandis que les stagiaires figurent sur le « Petit Tableau ».
Joseph est un homme sensible, humain. Tous ceux qui l’ont connu ont loué sa générosité, son empathie, que ce soit avec ses clients ou avec ses confrères. Il ne peut demeurer indifférent à la situation des jeunes du Palais. En effet, les premières années sous la robe noire sont consacrées à l’apprentissage sous le contrôle d’un maître de stage. Il n’est pas d’usage de rémunérer les stagiaires. L’Ordre et la plupart des avocats en exercice considèrent qu’ils sont payés par la formation qu’ils reçoivent.
Venu de sa province auvergnate, sans fortune, sans relations, Joseph a connu les difficultés du stage, état qu’il a surmonté par le travail et le courage.
Outre que cette absence de rémunération génère une sélection sociale rigoureuse et cruelle, elle choque par le fait qu’elle réduit les stagiaires à de la main-d’œuvre qualifiée corvéable à merci et qui, pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des parents pour les entretenir, connaissent des difficultés matérielles indignes de la profession d’avocat. Traiter ainsi la jeunesse du barreau est contraire aux principes essentiels de la profession. Joseph Python, viscéralement empreint de ces principes, ne peut rester indifférent. Le système doit évoluer. Avec quelques amis, il bâtit le projet de créer une association qui défendrait les intérêts des jeunes avocats, avec l’objectif de leur obtenir un statut, de favoriser une solidarité entre eux et faciliter leur intégration dans la profession.
Le 22 décembre 1922, la salle d’audience des référés du Palais de justice de Paris se prête à la première assemblée de la nouvelle association. Les jeunes avocats sont présents pour assister à l’événement et marquer leur soutien aux confrères plus âgés qui veulent défendre leurs intérêts. Ils sont également présents pour rencontrer d’autres stagiaires et partager leurs préoccupations. Cette réunion est en soi extraordinaire, puisque pour la première fois, les jeunes avocats s’organisent et revendiquent une place qui leur était déniée jusqu’à ce jour.
Les statuts de l’association sont votés et un bureau élu. Joseph Python, l’un des inspirateurs du projet, est président-fondateur, Édouard Tercenet occupe le poste de président. Le vice-président est Roger Mettetal. Kadmi Cohen, lui aussi membre fondateur, est secrétaire général. Enfin, une femme, Mademoiselle Taupain, gérera la trésorerie.
L’Union des Jeunes Avocats est pragmatique et efficace : elle annonce qu’elle entend collaborer avec d’autres associations professionnelles existantes, notamment le Cercle d’Etudes Professionnelles du Barreau et l’Association Nationale des Avocats inscrits en France, ancêtre de l’actuelle CNA, la Confédération Nationale des Avocats. Lors de cette première séance, dont l’ordre du jour est déjà bien rempli, une commission est élue afin de formaliser les revendications des jeunes avocats. Il a fallu batailler, les anciens n’aimant pas les revendications des jeunes, les interprétant comme un manque de respect. Le projet a rencontré l’hostilité. Joseph Python est allé plaider auprès du bâtonnier Albert Salle, faisant valoir la dureté des conditions économiques des jeunes dans une France qui paye encore le prix du premier conflit mondial. Son combat a porté ses fruits : l’UJA est créée avec la bénédiction de l’ordre qui lui concède même un local, minuscule cagibi à l’entresol de l’escalier de la Buvette.
Python est partout.
Il est au Palais où il plaide quotidiennement.
Il est président-fondateur de l’UJA.
Il est président de La Musette, une revue artistique et littéraire des originaires du Massif central.
Il est président de l’Union Fraternelle des Blessés de la Grande guerre.
Il est le conseiller juridique du cercle « Arts et Lettres ».
Il anime une rubrique « La belle affaire judiciaire » sur Radio Tour Eiffel.
En octobre 1934, il participe à la création d’un nouveau club littéraire, artistique et mondain, « le club des Champs-Élysées » et assure la première causerie.
Il prête son concours à l’organisation de l’élection annuelle de « Mademoiselle PARIS » au profit de « la Tutélaire », une association de secours à l’enfance malheureuse fondée par un avocat, Henri Rollet, ce qui lui vaut, en novembre 1934, les foudres du bâtonnier, celui-ci ne trouvant pas digne qu’un avocat monte sur scène, même pour appeler aux dons !
Il est membre de tout un tas d’associations culturelles ou savantes.
Et il multiplie les conférences et les causeries. Les thèmes sont variés, mais gardent une unité : l’artiste Marie Laparcerie, la femme au Palais de justice, l’adultère, le statut des enfants adultérins, le chantage sentimental, … Il n’a pas une minute à lui et il aime ce rythme trépidant. Son cabinet ne désemplit pas. Il emploie 4 collaboratrices et une secrétaire. Le soir, il dîne au restaurant, va au spectacle. C’est un mondain au sens où il aime les gens. Il goûte les rencontres. C’est un bon vivant, toujours de bonne humeur et le sourire aux lèvres.
Son engagement professionnel de tous les instants le conduit à être candidat à l’élection au Conseil de l’Ordre de juillet 1939. Il est élu, et bien élu, dans un Conseil qui comprend 4 bâtonniers : le bâtonnier en exercice, Jacques Charpentier, et les bâtonniers Payen, Fourcade et Thorp. Le secrétaire du Conseil est … Xavier Vallat, qui fera sa notoriété comme Commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy. La guerre puis l’Occupation rendront impossible de nouvelles élections. Aussi le bâtonnier Jacques Charpentier, qui prend ses fonctions en 1938, restera en poste, comme tous les membres du Conseil élus en 1939 jusqu’en 1945.
En 1939, Joseph est enrôlé, à sa demande car il est atteint par la limite d’âge, dans le 220e régiment régional de travailleurs. Il est encore transféré dans l’aviation. Le 1er mai 1940, il annonce avec fierté au bâtonnier qu’il vient d’être promu au grade de capitaine. Il gardera toujours précieusement son uniforme de capitaine aviateur.
L’Avenir de Cannes et du Sud Est du 30 mars 1945 rapporte que le général d’Astier de la Vigerie, « chef » de Joseph, lequel voulait rejoindre le général de Gaulle à Londres, lui aurait intimé de reprendre son « poste » au Palais où il serait plus utile. Toutefois, Yvonne Python qui a envoyé, en 1946, un dossier nourri et très documenté sur son mari au bâtonnier Marcel Poignard, n’évoque pas du tout cette affiliation.
Eu égard à sa qualité de membre du Conseil de l’Ordre, le bâtonnier Charpentier lui confie la mission d’organiser la défense devant le Tribunal d’Etat et les Sections Spéciales de la Cour. Rude et dangereuse besogne. Il n’y a pas un avocat qui ignore que cette défense expose à des représailles des autorités allemandes. L’avocat défenseur est considéré comme le complice de son client. C’est la peur au ventre que les avocats vont plaider devant ces juridictions. Jacques Charpentier sait à qui il confie cette mission. Dans ses Mémoires, parues en 1949 sous le titre Au service de la liberté, il évoque Joseph Python : « Je n’ai pas rencontré d’homme plus incapable de refuser un service. Pour toutes les besognes, il était volontaire : les humbles, les fastidieuses, les accablantes, les périlleuses. Il est mort victime de son devoir professionnel.»
Joseph Python est chargé de désigner les commis d’office. Bien souvent, il assure lui-même la défense des malheureux. Il va les visiter en prison. Il se rend même à Compiègne à plusieurs reprises voir ses confrères emprisonnés pour leur remonter le moral. Il défend indifféremment communistes, gaullistes, résistants. Comme il le faisait avant la guerre, il donne de sa personne. Point de défense tiède pour se protéger. Il défend complètement, passionnément.
Il plaide pour Jean Catelas, un militant communiste, qui a, dans une lettre ouverte aux cheminots, harangué ceux-ci pour qu’ils luttent « contre les traîtres et les lâches » et œuvrent à la libération de la France.
Le 7 septembre 1941, le régime de Vichy crée le Tribunal d’État, juridiction d’exception comme les Sections Spéciales, pour juger les opposants politiques dans un esprit de collaboration. Après l’attentat du 21 août 1941 contre l’aspirant Moser, les Allemands réclament l’exécution de six communistes. Catelas, arrêté en mai, est condamné à mort par ce tribunal le 21 septembre 1941, quoiqu’ait pu faire son défenseur, Joseph Python. Le 24 septembre, au petit matin, Jean Catelas gravit l'échafaud dressé dans la cour de la Santé, en chantant La Marseillaise. Python est présent. Il voit la lame de la guillotine tomber. Nul doute qu’il a les larmes aux yeux.
Le 16 septembre 1941, une semaine auparavant, il était au Mont-Valérien où l’on fusillait trois avocats parisiens, trois confrères qu’il côtoyait depuis des années, contre ou avec lesquels il avait plaidé peut-être … Sûrement même. Trois avocats communistes, arrêtés le 25 juin 1941, qui avaient continué à plaider la cause de militants syndicalistes et communistes poursuivis : Georges Pitard, Michel Rolnikas et Antoine Hajje. Joseph les a défendus avec dévouement, passion, comme on défend des membres de sa famille. La famille judiciaire.
Le 15 décembre 1941, alors qu’il visite des clients à la prison de la santé, il voit des hommes en armes auprès de grands fourgons et des prisonniers qu’on emmène. Parmi eux, Gabriel Péri, journaliste à l’Humanité clandestine, député communiste qu’il a assisté et défendu devant le Tribunal Militaire allemand. Il a juste le temps de lui serrer la main avant que Péri ne soit bousculé vers un fourgon. Deux heures plus tard, ce dernier est fusillé au Mont-Valérien. Le même jour, on apprend que deux avocates qui ont plaidé pour des communistes, Odette Moreau et Renée Mirande-Thomas, ont été arrêtées. Elles seront déportées à Ravensbrück, puis Mauthausen, dont elles reviendront toutes les deux par miracle.
Parallèlement, avec le sens de sa responsabilité de membre du Conseil de l’Ordre et surtout par confraternité, il s’occupe des cabinets de ses confrères juifs, déportés ou en fuite, et reçoit leur famille. Ce comportement, insupportable et suspect pour les autorités, lui vaut d’être arrêté chez lui en avril 1943. On lui reproche d’avoir plaidé les dossiers d’un avocat juif en fuite et d’avoir réservé à l’absent une part des honoraires, lui fournissant ainsi des subsides. Il est retenu et interrogé toute la journée, mais relâché le soir même après un sérieux coup de semonce. La Gestapo lui signifie qu’il n’est qu’en liberté provisoire. Il doit cesser de s’occuper des ennemis du peuple allemand.
Après cette arrestation, il se rend au Cannet pour faire une pause et reprendre des forces pour continuer à mener ses combats d’avocat. Le 26 avril 1943, il prend des dispositions pour que son cabinet soit protégé et demande qu’il soit confié à son confrère André Berthon, bien introduit, semble-t-il, à Vichy. Il précise qu’en cas de difficultés avec les autorités d’occupation, son confrère et collègue du Conseil de l’Ordre, Fernand Mouquin, doit prendre la défense de Berthon et s’adjoindre un autre confrère.
Rentré à Paris, Python, fidèle à lui-même, poursuit ses activités. Renoncer, c’est déserter. C’est trahir ceux qui ont placé leur confiance en lui. Son plus grand sujet d’inquiétude est le nombre de dossiers traités dans son cabinet et dont il craint la saisie.
Le 4 juin, il est de nouveau arrêté par la Gestapo et emmené rue des Saussaies. On lui reproche de ne pas avoir dénoncé la présence d’un aviateur anglais chez un de ses clients. Le client en question, un sieur Dubois, artiste dramatique et organisateur en Belgique de tournées théâtrales, a été arrêté pour tentative d’extorsion et détention d’un deuxième jeu de cartes d’alimentation. Incarcéré à la santé, il a demandé à Joseph Python d’être son avocat. A l’occasion d’une visite au parloir, Dubois a confié à Python qu’il hébergeait chez lui un aviateur anglais.
Lors d’une audition devant le juge d’instruction, Dubois a répété cette information et le juge a, comme Joseph Python, gardé le secret. Par la suite, lors d’un interrogatoire de la Gestapo, Dubois aurait fait allusion à l’hébergement de ce pilote et aurait déclaré qu’il s’en est vanté auprès de Joseph Python afin d’obtenir ses bonnes grâces ainsi que celles du juge. Toujours est-il que l’on reproche à Joseph Python de ne pas avoir rapporté aux autorités la confidence de son client. En d’autres termes, de ne pas avoir violé le plus sacré des devoirs de l’avocat, le secret professionnel. L’interrogateur rappelle à Joseph Python qu’il a donc « enfreint l’ordonnance dont le texte a été récemment reproduit dans les journaux français, en aidant ce pilote à se soustraire à nos recherches » et qu’il encourt « la peine de mort pour ne pas avoir révélé la confidence » qui lui a été faite.
La réponse de Joseph Python est ferme : « Je déclare très nettement que l’idée ne m’en est pas venue un instant à l’esprit. Je connaissais l’ordonnance, mais je me savais lié par le secret professionnel, et, outre le remord de faire fusiller par ma dénonciation un client qui s’était confié à moi en tant qu’avocat, je commettais, au regard de la loi française, un délit, punissable de six mois de prison, je me faisais radier de notre ordre, et j’avais le sentiment de m’être déshonoré. » L’interrogatoire est clos par l’annonce qu’il va être fusillé. Le soir même, il est incarcéré à Fresnes. Il ne sera plus interrogé ni entendu une seule fois jusqu’à sa libération.
Il est enfermé dans une cellule de 10 m² avec trois autres prisonniers, des jeunes de 18 à 25 ans. Joseph a presque 60 ans. À partir de la mi-août, son état se dégrade rapidement. L’angoisse qui l’étreint chaque fois que la porte s’ouvre et qu’il craint qu’on vienne le chercher pour l’exécuter a épuisé son cœur. Il étouffe. Par crises, son cœur s’affole, bat trop fort, irrégulièrement. Son corps, et en particulier ses extrémités, enfle démesurément. Il n’arrive plus à se mouvoir. Il n’arrive plus à respirer. Aucun soin ne lui est donné.
Un jour, il s’écroule dans un état comateux. Ses compagnons de cellule obtiennent à grand-peine, après plusieurs heures, qu’un infirmier vienne le voir. Ce dernier lui enfourne de force une dizaine de pilules dans la bouche, puis se retire. Python va rester moribond, incapable de se lever, pendant 15 jours. Les protestations de ses codétenus finissent par déclencher une réaction. Les Allemands viennent dans la cellule pour emmener Joseph au Lazaret de la Santé. Ils remettent Joseph debout à coups de poings. Ils veulent lui faire porter son paquet, il s’écroule. On permet alors un détenu de l’accompagner le long des couloirs jusqu’au Lazaret. Pieds nus, Joseph titube, tombe. Menacé, remis brutalement debout, c’est un calvaire. Joseph supplie qu’on le laisse mourir sur place.
Depuis son incarcération, sa femme lui envoie des colis avec des vêtements propres. Le linge lui est retourné, taché de sang. Elle multiplie les démarches pour le voir, pour obtenir sa libération. Le 4 octobre, elle a enfin l’autorisation de le visiter. « Lorsque je l’aperçus, je compris, de suite, qu’il était irrémédiablement perdu. Courbé en deux, enflé jusqu’à mi-corps, les pieds et les mains doublées de volume, il paraissait plus que centenaire. Gelé, vêtu en forçat, il devait faire dans cet état la corvée d’eau et le ménage pour lui et ses deux camarades de cellule, dont un se mourait (un nommé Gascogne, chef de la résistance de Pau). Le dentiste de la prison, faisant fonction de médecin, lui ponctionnait les poumons tous les cinq ou six jours ; on prélevait chaque fois 1,5 litre à 2 litres de liquide pleural, plein de sang. »
Le 11 octobre, alors qu’elle vient pour une troisième visite, Madame Python est informée sur place qu’elle peut emmener son mari. Joseph est emporté sur une civière par la Croix-Rouge jusqu’à son domicile, 26, Boulevard Raspail. Il souffre en permanence d’étouffements. La position allongée lui est insupportable. Il ne peut dormir. Il est obsédé par ses dossiers, par les clients qu’il a abandonnés. Afin de l’éloigner de son cabinet, sa femme le fait transférer, fin novembre, dans leur maison du Cannet. Les sourires, la gaieté, la joie de vivre qui faisaient Joseph Python ont disparu. C’est un homme brisé. Du bon vivant aux rondeurs sympathiques ne reste qu’un vieillard maigre et émacié, au regard fixe et fiévreux.
Joseph Python reste néanmoins très préoccupé par les missions qu’il s’était donné au soutien des confrères « absents de Paris ». Il écrit au bâtonnier, le 16 décembre 1943, qu’il a mis à profit ses « loisirs pour revoir les innombrables commissions relatives à la recherche de dossiers » appartenant à ces confrères. « Pour certains, j’ai échoué et j’ai, tant dans l’intérêt de ces confrères que dans celui de leurs clients, scrupule d’avoir perdu près de six mois par suite de mon incarcération et de ma grave maladie, et de ne pouvoir ici poursuivre mes recherches ». Il annonce son retour à Paris pour le 15 mars, soucieux de reprendre du service.
Le 2 janvier 1944, il ne manque pas d’adresser sa cotisation de 50 francs à « l’Entraide Confraternelle des Avocats du Barreau de Paris ». Avocat toujours … Joseph Python n’assiste pas, le 19 janvier 1944, à la réunion des Colonnes convoquées par le conseil de l’Ordre pour entendre lecture d’une communication des autorités allemandes à tous les avocats et qui leur enjoint de dénoncer leur client si celui-ci détient sans autorisation des armes ou du matériel de guerre. Le communiqué précise que les tribunaux allemands qui ont à juger de ces affaires appliquent le droit pénal allemand et que celui-ci délie du secret professionnel au regard du devoir impérieux de dénoncer de tels faits.
Maurice Garçon, fameux avocat, raconte, dans son journal 1939 – 1945, la colère ressentie à l’écoute du communiqué, non seulement parce que l’Ordre, représenté par son bâtonnier, indique qu’il va faire part de son « émotion », mais parce que l’ordonnance touche à l’essentiel :
« J’ai eu, écoutant cela, l’impression que je recevais un soufflet. Du moins, j’en ai senti le vent. Jamais humiliation pareille ne m’a été imposée. Comment un avocat peut-il encore exercer honorablement sa profession ?
(…) L’avocat est un confident nécessaire. L’essence même de sa profession est la confiance et il n’y a plus de confiance possible si le secret peut, sous quelque prétexte que ce soit, être révélé par son dépositaire.
(…) Que je regrette que mes enfants ne soient élevés ou plus jeunes. Je quitterai cette robe qui fait mon orgueil depuis 30 ans et que j’ai honte de porter maintenant qu’on peut la soupçonner de n’être plus pure.
Je ne sais quelle contenance tenir. Peut-être devrais-je afficher l’ordonnance dans mon salon d’attente. Je marquerai ainsi l’indignité de mon Ordre, mais du moins les gens seraient prévenus qu’ils ne doivent pas me faire de confidence. »
Joseph rend son dernier souffle le 27 janvier 1944.
Son ami et confrère, Raymond de Rienzi, présent à ses obsèques, rappelle la valeur de son sacrifice solitaire :
« Cet ancien combattant, qui n’avait jamais haï, qui n’avait jamais tué, a pourtant succombé en soldat et en héros. Relativement facile est la mort dans la fureur – ou la résignation collective – des batailles. Mais risquer délibérément sa vie, tout seul, presque en silence, et la perdre pour un idéal inconnu des foules, voilà qui est plus difficile, et sans doute d’une autre qualité !
Or, Maître Joseph Python, avocat à la cour, est mort pour ce qu’il y a de plus sacré chez nous et qui s’appelle le secret professionnel. »
Tout son caractère, qui explique le dévouement qu’il manifestera toujours à ses confrères, est résumé dans le Palais Libre de mars 1944 :
« Il n’était pas seulement bon, mais candide. Il ne savait pas voir le mal. À travers 40 ans de vie judiciaire et politique, il avait conservé intactes une miraculeuse jeunesse de cœur. Il avait une sensibilité presque féminine. Au souvenir d’un ami, au récit d’un acte héroïque, sa voix se brisait et des larmes montaient à ses yeux. »
Le 16 décembre 1947, le secrétaire général de l’Union Fraternelle des Blessés de Guerre écrit au bâtonnier Ribet pour l’informer du projet « grandiose » qu’a conçu l’association : donner le nom de Joseph Python à une rue de Paris. Il rappelle que Python était le président de l’association : « Nous l’avons pleuré et le pleurerons toujours, car il jouissait de l’estime et du respect de tous ». Une rue du 20ème arrondissement, près de la Porte de Bagnolet, porte aujourd’hui son nom.
Un an après sa mort, le 27 janvier 1948, le Palais lui rend hommage dans la 1ère chambre de la Cour d’appel de Paris.
Laissons l’auteur de l’hommage du Palais Libre de mars 1944 résumer ce qu’est un avocat, l’avocat qu’a été Joseph Python :
« Avocat, il était jusqu’au fond de l’âme, avec entrain, avec passion, avec foi. Il n’en est pas qui ait autant plaidé. Jamais un client ne le sollicitait en vain. Il les accueillait tous, les bons et les mauvais, les innocents et les coupables, les riches et les pauvres. Et à tous, il apportait le même dévouement. Il n’était pas de ces aristocrates de la barre qui représentent leurs clients du bout des lèvres. La cause qu’il avait acceptée de défendre devenait la sienne. Il se jetait à corps perdu dans la bagarre, avec sa bonne foi, sa générosité, ses élans d’indignation et de douleur. Il était de ceux qui suivent leur client après la condamnation, qui les accompagne jusqu’à l’échafaud. »
Et affronte l’incarcération et la mort pour protéger cet « idéal inconnu des foules », ce devoir sacré, le bien le plus précieux de l’avocat : son secret professionnel.
Citation à l’ordre de l’Aéronautique du 31 mai 1916 :
« Grièvement blessé dans l’infanterie au début de la guerre, a été versé dans l’aviation est chargé du service de photographie d’une armée. Fait preuve en toutes circonstances d’initiative éclairée et de dévouement. Guidant et coordonnant les efforts de tous, arrive à des résultats remarquables »
Citation à l’ordre de la Division du 31 mars 1918 :
« Officier de l’armée territoriale, toujours volontaire pour l’émission de photographies à l’intérieur des lignes ennemies. Est allé, sans protection, en particulier les 9 et 13 mars 1918, au-dessus de la deuxième position ennemie dans une région fréquentée par l’aviation de chasse adverse »
Croix de guerre 14-18.
Chevallier de la Légion d’honneur à titre militaire.
Médaille de l’Ordre de la Libération par décret du 24 avril 1946.
Citation à l’Ordre de la Nation à titre posthume du 7 juillet 1948 :
« Arrêté par l’ennemi à raison du dévouement à la défense des prévenus politiques, traduits devant les tribunaux d’exception, il se refuse à violer le secret professionnel.
Subit une détention pénible qui brise ses forces physiques.
Libéré, il meurt quelques semaines plus tard. »
Lettre de Joseph Python au bâtonnier, 1er mai 1940.
Echanges de correspondance entre Joseph Python et l’Ordre à propos de « Mademoiselle PARIS », novembre 1934.
Dossier envoyé au bâtonnier Marcel Poignard par Madame Yvonne Python, 23 janvier 1946.
Lettre de Joseph Python, 26 avril 1943.
Lettre de Joseph Python au bâtonnier, 16 décembre 1943.
Discours de Raymond de Renzi lors des obsèques de Joseph Python, 27 janvier 1944.
Lettre de l’Union Fraternelle des Blessés de guerre au bâtonnier Ribet, 16 décembre 1947.
Le Palais Libre n°6, mars 1944.
L’Avenir de Cannes et du Sud Est, 30 mars 1945.
Généanet :
Archives départementales du Puy de Dôme : registre matricule classe 1903 Vol. 5, n° 2001 à 2230.
Archives Historiques du Service de la Défense :
Mémoire des Hommes
Gallica :
La Musette, 1er septembre 1910.
L’intransigeant, 27 avril 1926.
Journal des mutilés, réformés et blessés de guerre, 1er mai 1926.
L’Intransigeant, 19 juillet 1926.
Le Matin, 31 octobre 1926 (affaire Lefebvre).
La Parole libre, 5 février 1927 annonce les radios programmes.
L’Intransigeant, 10 juin 1928.
Coemedia, 14 septembre 1929.
L’Intransigeant, 4 novembre 1933 (procès du prix Goncourt).
Le Petit Journal, 27 mars 1934 (affaire d’espionnage).
La Presse, 13 octobre 1934.
Paris municipal : défense des droits de Paris, 4 septembre 1938 (élections Conseil de l’Ordre).
L’Aurore, 27 janvier 1948.
Le Figaro, 22 décembre 1949.
Rue Joseph Python : Bulletin municipal officiel de la ville de Paris. Délibérations des assemblées de la Ville de Paris et du Département de la Seine. Conseil municipal de Paris, 11 mai 1956.
Bibliographie :
La revue d’Auvergne du 1er janvier 1914 : membre de la société des amis de l’université (ancienne société d’émulation de l’Auvergne).
Page Facebook de l’UJA sur son centenaire et article des Echos Parisiens du 10 janvier 1923
Jean Marie Durand, Joseph Python avocat, fondateur de l’Union des jeunes avocats et résistant. Le parcours d’un homme de conviction militant des libertés républicaines et des droits de la défense, Bulletin de l’AHAV, 23 mars 2006.