« J’espère mourir aussi courageusement que j'ai vécu. Mes derniers instants te seront consacrés à toi. Mais que c'est pénible de penser que l'on est encore jeune, que l'on a encore que 33 ans et que l'on est plein de la joie de vivre. »
Le 19 septembre 1941, Michel Rolnikas couche ces derniers mots sur le papier alors qu’il vient d’apprendre, en compagnie de ses confrères Georges Pitard et Antoine Hajje, incarcérés comme lui à la prison de la Santé, qu’ils vont être exécutés le lendemain matin. Fusillés au Mont-Valérien.
Michel s’est battu pour être avocat au barreau de Paris, il s’est donné à sa fonction et à ses convictions jusqu’au bout. Il en est mort.
Michelis Rolnikas est né le 28 janvier 1908 à Plungé, une petite ville du nord-ouest de la Lituanie qui est alors une province de l’empire russe. Ses parents sont juifs. Avant la seconde guerre mondiale, Plungé abritait une communauté juive très importante. En juillet 1941, 1800 Juifs de la ville sont assassinés lors d'une exécution de masse par une unité de la police de sécurité lituanienne, composée de lituaniens sympathisants nazis.
Le père de Michelis est un commerçant aisé, qui exploite une entreprise de tissus à Plungé. Michelis à 3 frères et une sœur. L'un de ses frères sera avocat en Lituanie. Un autre deviendra libraire en Palestine.
Michel fait ses études secondaires au lycée de Kaunas, capitale de la Lituanie. En septembre 1926, il obtient son admission à la faculté de droit de Kaunas. Mais, après une année d’étude, il décide de poursuivre ses études à l’étranger et plus précisément, en France. Il demande l’équivalence de son diplôme d’études secondaires avec le baccalauréat et arrive en France en octobre 1927. Il s’inscrit immédiatement à la faculté de droit et se fait appeler Michel.
Il est passionné par la France et étudie avec ardeur la langue et la culture française. Après deux années d’études, sa décision est prise : il ne retournera pas en Lituanie et restera en France s’il obtient la naturalisation.
Il est licencié en droit le 19 juillet 1930. il est toutefois obligé de rentrer dans son pays natal pour aider son père qui a besoin de lui dans l’entreprise familiale, car son frère ainé doit accomplir son service militaire.
Il revient en France en février 1932 et reprend aussitôt des études. Dans la perspective de préparer un doctorat, il obtient un DES (Diplôme d’études supérieures) en droit privé en novembre 1932, puis un DES d’économie politique en mai 1933. Il ne soutiendra sa thèse de doctorat sur Les syndicats professionnels en URSS qu’en 1936. La thèse sera publiée la même année à la Librairie Technique et Economique.
Certaines sources évoquent le fait qu’il milite à cette époque dans des organisations juives. Sans précision. Sur le site du Mémorial de la Shoah, il est indiqué qu’il milite activement dans l’immigration juive et devient dirigeant de la Ligue d’enseignement marxiste-léniniste juif.
En 1933, résidant depuis plus d’un an en France, il présente une demande de naturalisation. L’enquête à laquelle est soumis tout candidat et la visite médicale donnant satisfaction, le décret qui le fait Français est signé le 9 janvier 1934.
Depuis juillet 1933, il est clerc d’avoué chez Maître Bounin. Il apprend la procédure, étape quasiment obligée pour devenir avocat.
En tant que Français, il doit accomplir ses obligations militaires. Le 20 octobre 1934, il est incorporé au 51ème régiment d’infanterie à Amiens. Il intègre le peloton des EOR (élèves officiers de réserve) à Cambrai et, au mois d’avril 1935, il est affecté à l’Ecole Militaire Préparatoire d’Epinal. Il est libéré en octobre 1935 avec le grade de caporal-chef. Il présente aussitôt une demande d’admission au stage des avocats du barreau de Paris. Dans l’attente, il a trouvé du travail chez Maître Raveton où il occupe la fonction de second clerc.
Sa demande d’inscription au stage est présentée au Conseil de l’Ordre lors de la séance du 19 novembre 1935. Et elle est refusée. Dans sa décision, le Conseil s’appuie sur la loi du 19 juillet 1934 qui dispose qu’un étranger naturalisé ne peut être inscrit à un barreau que 10 ans après le décret qui lui a conféré la nationalité. Le rapport du membre du Conseil de l’Ordre, Georges Wagner, se conclut pourtant par le commentaire suivant : « La loi serait rétroactive à son égard si elle était appliquée. » La décision est d’autant plus injuste que la loi de 1934 prévoit une exception en faveur des personnes qui ont accompli leurs obligations militaires du service actif dans l’armée française. Ce qui est exactement le cas de Michel.
Michel reste second clerc chez Maître Raveton, avoué de première instance. Ne sachant quel est son avenir professionnel, il adhère au syndicat CGT des clercs d’avoué. Il adhère également au Parti communiste, dans le 20ème arrondissement où il demeure. Il ne désarme pas et représente un dossier d’admission en octobre 1936.
Maître Raveton, son employeur, témoigne en sa faveur. Dans son dossier figure une lettre du 16 novembre 1936 dans laquelle l’avoué atteste que « M. Rolnikas remplit encore actuellement avec intelligence et ponctualité ses fonctions ». Il ajoute : « J’ai apprécié ses connaissances juridiques et sa grande faculté d’assimilation. J’ai regretté par contre de ne pouvoir utiliser davantage ses connaissances en langues étrangères (lituanien, russe et allemand) ». La lettre est adressée à Georges Wagner qui semble avoir soutenu Michel dans sa démarche. Wagner intervient auprès d’Etienne Carpentier, autre membre du Conseil de l’Ordre qui sera bâtonnier, pour le remercier de ce qu’il fait pour Michel.
Michel intègre le barreau par décision du 24 novembre 1936, qui l’admet au serment. Il trouve sa première collaboration chez Maurice Juncker, un avocat très engagé dans la défense des droits ouvriers. Lorsque Michel arrive dans le cabinet de Maurice Juncker, celui-ci, qui a 30 ans de plus que son nouveau collaborateur, a déjà une longue carrière politique derrière lui. Membre de la Ligue de défense des Droits de l’Homme, franc-maçon, défenseur de l’éducation populaire, il est dirigeant du Parti d’unité Prolétarienne après avoir été membre du Parti socialiste, puis du Parti communiste. C’est avant tout un militant.
Le cabinet de Maurice Juncker traite des dossiers de droit du travail et plus particulièrement des accidents du travail.
Questionné par l’Ordre comme c’est l’usage sur son collaborateur, Maurice Juncker répond, dans une lettre du 11 juillet 1937, que depuis trois mois Michel, « notre confrère », est devenu le collaborateur de Me Pitard. « Durant le temps qu’il a fréquenté mon cabinet, Me Rolnikas s’est montré assidu. Il m’a rendu de très sérieux services en raison de sa préparation dans une étude d’avoué. J’ai le sentiment que dès maintenant il est en état de diriger utilement le client. »
En effet, Charles Lederman, que Michel connait car ils sont tous les deux membres du Parti communiste, quitte le cabinet de Georges Pitard pour « s’installer », fonder son propre cabinet. A la faveur de ce départ, Michel devient le collaborateur de Georges Pitard, l’avocat communiste le plus renommé et qui est présent dans tous les procès syndicaux. Michel plaide pour les syndicats de la CGT et en particulier, pour la Fédération des Métaux. Il assure également la défense des militants syndicalistes et communistes devant les juridictions prud’homales et pénales.
La Pensée Libre de février 1942 revient sur ces années de travail acharné : « Jeune encore – il n’avait que 32 ans – Rolnikas avait acquis, au contact de Pitard, une connaissance approfondie du droit ouvrier. Il en a exposé les principes dans des brochures et des articles très appréciés des ouvriers. Il plaidait beaucoup et montrait beaucoup de talent. »
Il écrit beaucoup. Des chroniques de droit du travail dans L’Humanité et La Vie Ouvrière. En 1938 et 1939, il publie chaque semaine un article de vulgarisation juridique dans l’Humanité dans sa chronique intitulée « Saviez-vous que … ? ». Dans La Vie Ouvrière, ses articles sont plutôt axés sur le droit de la famille : Protection de l’enfance et légitimation adoptive, l’action en recherche de paternité …
Si le cabinet Pitard défend les militants, il a aussi vocation à leur faire connaitre leurs droits, y compris dans leur vie familiale. Le Palais Libre n°1 de mai 1943, qui rend hommage dans la rubrique « Nos martyrs » à Pitard, Hajje et Roknikas, dresse un tableau de Michel pendant ces années de collaboration avec Georges Pitard :
« Parmi ceux-ci ? Michel Rolnikas est l'un des plus proches : tout jeune, déjà mûri par le travail. Le travail ? Certes, mais aussi le désir de la justice. Il est communiste. Pour lui, cela veut dire courir inlassablement les prisons., les audiences correctionnelles, les cabinets d'instruction, les audiences prud'homales, où aux côtés de son patron, Pitard, Il apprend son métier. Le voici à la barre, ardent, consciencieux, passionné pour la défense de ceux qui luttent pour un monde meilleur. Un bon sourire derrière ses lunettes, le front haut sous son épaisse chevelure, la carrure puissante, le geste rond, il est encore si jeune, il aime tant à rire ! Entre deux affaires, il parle des beaux dimanches, des promenades à bicyclette, des soirées sous la tente au bord de la rivière fraîche. »
A ses débuts, Michel habitait 22, rue des Envierges, dans un petit appartement comprenant 2 pièces, qu’Etienne Carpentier avait visité en 1936 pour apprécier ses facultés à recevoir un client. Il a déménagé 43 avenue Gambetta, dans le 20ème arrondissement. Il y vit depuis 1935 avec Isabelle Bussereau, une militante communiste qui est son grand amour. Michel s’était marié en 1930 avec une polonaise, Fayga Feldman, peut-être rencontrée dans ses années de militantisme juif. Il en a divorcé en 1938.
Il est mobilisé le 24 août 1939 et immédiatement incorporé au 37ème Régiment d’Infanterie de Forteresse, 3e compagnie d'engins, une unité militaire spécialisée dans la défense des fortifications de la ligne Maginot. Dès le 30 août, il est sur le secteur de Bitche, dans les Vosges. Le 30 octobre, il écrit au bâtonnier pour l'informer qu’il a été rappelé sous les drapeaux et qu'il a demandé à Mademoiselle Berthe Weisenzang de prendre en charge son cabinet pendant son absence.
Durant le mois de février 1940, l’état-major l’affecte à la Compagnie Radio-Gonio de la 8ème Armée en qualité d’interprète du fait de sa connaissance de l’allemand. Michel parle aussi un peu russe. Il occupe les fonctions de chef de poste d’écoute à Saint-Louis et Ranspach dans le Haut-Rhin.
Dans la lettre datée du 18 octobre 1940 qu’il adresse à Maître Demolliens pour justifier de sa situation par rapport à la loi du 11 septembre 1940 qui restreint l’accès des juifs à la profession d’avocat, Michel indique que sa compagnie a quitté le Territoire de Belfort dans la nuit du 14 au 15 juin pour Besançon. La Compagnie a traversé le Doubs, le Jura, l’Ain, l’Isère et l’Ardèche pour arriver, le 23 juin dans l’Hérault où Michel a été démobilisé le 5 août. Il a aussitôt regagné Paris.
Le rapporteur signale dans le questionnaire édité par l’Ordre en application de la loi du 11 septembre 1940 que Michel a « servi dans une unité combattante ; parait en outre très dévoué à la France au point de vue national ». Michel reprend son activité au service des militants. Il a quitté le cabinet de Pitard pour fonder son propre cabinet 43, avenue Gambetta. La période est difficile malgré le Pacte germano-soviétique signé en 1939. Les militants syndicaux sont poursuivis et la propagande communiste est interdite.
Avec Georges Pitard et Antoine Hajje, il assume la tâche écrasante de défendre à Paris et en province les milliers de résistants et syndicalistes persécutés. Il se dépense sans compter, allant voir les emprisonnés, plaidant de tout son cœur, malgré la menace qui pèse sur lui. Charles Lederman raconte : « c’est à partir de ce moment-là qu’il a pu donner toute sa mesure en assurant avec un courage exemplaire la défense des militants communistes et de tous ceux qui faisaient appel à lui quand ils étaient poursuivis sur les ordres de Vichy. »
La Défense, l’organe du Secours Populaire, du 13 juillet 1945 rappelle cette période tendue, dangereuse où Michel se donnait entièrement à sa vocation :
« Jeune avocat plein de talent, déjà très écouté au Palais. Lieutenant de zouave, cité plusieurs fois durant la lutte contre l’invasion de 1940, Rolnikas ne se bornait pas à la défense juridique. Il agissait. Il déroba le cachet du tribunal militaire allemand de Paris. Maintes fois, il arrivait à la Santé, sa serviette et ses poches bourrées de sandwiches, de sucre, de chocolat, de cigarettes, pour les inculpés affamés et aussi des journaux interdits, malgré les interdictions et les menaces du directeur de la prison. »
Plaider devant les juridictions est une prise de risque. Les magistrats veulent complaire à Vichy et à l’occupant. Les principes généraux du droit sont bafoués quotidiennement. L’arbitraire est la règle. Ceux qui osent s’opposer, même au titre de la défense comme c’est leur profession, savent qu’ils peuvent être arrêtés à tout moment.
Les historiens Pierre Cardon et Claudine Cardon-Hamet révèlent que son nom figure, aux côtés de ceux de Maurice Boitel, Bloch, Jérôme Ferrucci, Antoine Hajje, Georges Pitard, et Georges Sarotte, sur une liste d’avocats à contacter par les militants communistes, en cas d’arrestation. Ils mentionnent un rapport de police datant du 5 février 1941 qui fait état de la saisie de cette liste sur laquelle figuraient ces noms.
Le Pacte germano-soviétique est brisé le 22 juin 1941. Michel sait qu’il va être arrêté. Il a appris qu’un confrère communiste venait de l’être. Il veut mettre en ordre ses dossiers avant de passer dans la clandestinité. Il n’en a pas le temps. Les avocats communistes sont arrêtés le 25 juin. Michel est cueilli au petit matin chez lui par la police française et emmené à la Préfecture de police de Paris. Puis, les avocats sont remis aux autorités allemandes.
Avec Pitard, Hajje et d’autres militants arrêtés, il est transféré au Frontstalag 122, à Royallieu, près de Compiègne. Il va y rester jusqu’au 19 septembre 1941.
L’ancienne caserne de Royallieu a été aménagée en camp de concentration pour les ennemis de l’Allemagne et dénommée Frontstalag 122. Résistants, militants syndicaux et politiques, juifs, civils arrêtés dans des rafles, ressortissants étrangers … Le Frontstalag 122 est une réserve d’otages à portée de main de la capitale. Jean-Jacques Bernard, le fils de Tristan Bernard, qui y fut interné pendant un an a raconté dans son livre Le Camp de la mort lente, Compiègne 1941-1942 le traitement terrible qu’infligeaient les Allemands aux prisonniers. L’une des pires tortures était la famine que les occupants faisaient subir aux internés.
Le 3 juillet 1941, Michel cosigne avec ses confrères Pitard, Hajje et Boitel, une lettre au bâtonnier Charpentier pour l’informer de leur arrestation, des conditions illégales de celle-ci et lui demander d’intervenir auprès des autorités allemandes. Ils rappellent qu’ils n’ont fait qu’exercer leur métier au service de leurs clients.
Le bâtonnier Jacques Charpentier ne peut que réagir. Un bâtonnier ne peut laisser arrêter les membres de son ordre. Son devoir est de les défendre. Il écrit au Garde des sceaux, Joseph Barthélémy, un avocat qu’il connait bien. Il proteste contre les arrestations et les perquisitions illégales qui ont suivies dans les cabinets des 4 avocats arrêtés.
Le bâtonnier rappelle fermement que ces avocats n’ont fait qu’accomplir les actes de leur fonction et nn'ont pas manifesté des opinions politiques, quand bien même défendaient-ils des communistes.
Le 23 juillet, Michel et ses confrères relancent le bâtonnier pour signaler leur situation inchangée et rappeler que c’est leur seule intervention devant les juridictions pénales pour la défense d’inculpés politiques qui a motivé la mesure dont ils sont l’objet. Ils lui font part de la demande de l’Autorité allemande de les voir « produire, dans le plus bref délai, des documents officiels prouvant que nous n’avons pas pris part à des actions d’un caractère communiste ».
Jacques Charpentier s’est également adressé à l’ambassadeur de France auprès des Allemands, Fernand de Brinon, dès le 10 juillet. Ce dernier lui répond le 26 juillet 1941, que les 4 avocats arrêtés « avaient été reconnus comme des militants communistes » et que des enquêtes sont en cours pour déterminer « dans quelle mesure les avocats plaidant d’habitude pour les membres du parti communiste pouvaient être considérés comme exerçant une action professionnelle normale, les protégeant contre les interdictions et les mesures administratives ordonnées depuis peu ».
Le 1er août, le bâtonnier envoie à chacun de ses confrères la même lettre accompagnée de la même attestation affirmant que chacun, dont Michel Rolnikas, « exerce honorablement sa profession » et « qu’il ne lui a jamais été signalé qu’à l’intérieur du Palais, il ne se soit jamais livré à une propagande d’ordre communiste ». Il conclut que la défense d’individus poursuivis pour propagande communiste « ne consiste que dans l’accomplissement d’un devoir professionnel ».
Le 11 septembre, le bâtonnier s’enquiert auprès de Fernand de Brinon des suites de l’enquête que ce dernier a ordonnée. Il insiste sur le fait que les avocats internés n’ont fait qu’exercer leur profession.
Le 16 septembre, l’officier allemand Wilhelm Scheben est abattu de deux coups de révolver, boulevard de Strasbourg à Paris. Le général Otto von Stülpnagel, gouverneur militaire de Paris, a publié, le 22 août 1941, une ordonnance prévoyant l’exécution d’otages à la suite d’actes de résistance.
Le 19 septembre, Georges Pitard, Antoine Hajje et Michel Rolnikas sont conduits à la Prison de la Santé où leur sont annoncées leurs exécutions pour le lendemain matin.
A l’aube du 20 septembre, au Mont-Valérien, avec 7 autres prisonniers, ils sont exécutés par fusillade.
Le Palais Libre n°1, de mai 1943, dans la rubrique « Nos martyrs », restitue les derniers moments des avocats condamnés :
Le 25 juin 1941, au petit matin, Pitard, Rolnikas et leur ami Hajje furent saisis par des policiers français., entraîné dans un camp de concentration de la Gestapo. Leur crime ? Être resté des avocats fidèles à leur mission, devant l'ennemi comme aux jours paisibles, des avocats sans peur et sans reproche.
Ce crime, ils devaient le payer de leur vie.
Un jour de septembre, ils furent alignés côte à côte au poteau. Les yeux grands ouverts - Ils avaient refusé le bandeau -ils sont morts pour l'honneur de notre profession., nous léguant le dépôt sacré de leur mémoire à honorer et à venger. »
Le 21 septembre 1941, une affiche jaune orne les murs de la capitale. On peut y lire :
« AVIS – Le 16 septembre 1941, un lâche assassinat a été à nouveau commis sur la personne d’un soldat allemand. Par mesure de répression contre ce crime, les otages suivants ont été fusillés :
1. Pitard, Georges de Paris
fonctionnaire, communiste
2. Hajje, Antoine de Paris
fonctionnaire, communiste
3. Rolnikas, Michelis (juif) de Paris
propagateur d’idées communistes
4. Nain, Adrien, de Paris,
auteur de tracts communistes
5. Peyrat, Roger …. »
Ils sont douze sur la liste.
Leur qualité d’avocat est déniée aux trois premiers. Fonctionnaire pour les uns, propagateur d’idées communistes pour Michel dont la qualité de juif est rappelée … Sans doute la profession d’avocat suscite-t-elle des sympathies qu’il est jugé inutile de réveiller auprès de la population ?
Ou peut-être la mention « avocat » suggèrerait-elle que les fusillés ont été justement abattus pour avoir défendu d’autres personnes ?
Cette absence de la qualité d’avocats sera soulignée par le représentant de l’accusation française lors du procès de Nuremberg, pendant l’audience du 24 janvier 1946, lorsqu’il évoquera la mémoire des 3 avocats fusillés.
Michel Rolnikas est enterré d’abord au cimetière parisien d’Ivry, avec ses confrères et amis, puis transféré en 1950 au cimetière du Père Lachaise.
Sa mémoire est restée vivace.
Paul Vienney, avocat communiste, lui rend hommage dans La défense du 8 juillet 1949, l’associant au souvenir d’Antoine Hajje :
« L’un et l'autre nous venaient - géographiquement et socialement- de loin. Ils avaient dû franchir beaucoup d'obstacles pour parvenir à s'imposer dans ce barreau parisien si fermé, si cloisonné et si traditionnellement hostile à tout ce qui n'appartient pas à son propre milieu que n'y pénètre pas qui veut. En écrivant cela, je pense en particulier à Rolnikas qui, lorsqu'il s'inscrivit au stage, n'avait pour toute recommandation qu'une admirable thèse de doctorat sur le syndicalisme en Union Soviétique, c'est à dire exactement le contraire de ce qu'il fallait pour lui ouvrir toutes grandes les portes du Palais. L'un et l'autre finirent cependant à les forcer, et de chacun d'eux, j'ai gardé le souvenir de la grande flamme qui les brûlait, de leur talent, de leur jeune et ardent désir de servir jusque dans les plus modestes causes la grande pitié humaine dont ils débordaient. »
La veille de leur exécution, les condamnés eurent le droit d’écrire une dernière lettre à leur proche. Michel s’adressa une ultime fois à sa compagne, Isabelle Bassereau :
« C’est pour la dernière fois que je t’écris. Lorsque cette lettre te parviendra, je ne serai plus en vie et tu l’auras probablement appris par les journaux. (…) Dis à mes amis qu’une balle aura percé mon cœur mais que l’on ne m’aura pas arraché l’idéal qui m’animait, pas plus que mon amour pour toi. Tu as enrichi ma vie à plusieurs points de vue. Si cette vie m’était devenue chère, plus digne d’être vécue depuis que je t’ai connue, pourquoi faut-il qu’elle soit abrégée si cruellement ?
A notre dernière entrevue, à Royallieu, tu m’as promis d’être courageuse. Il est vrai que nous n’envisagions pas du tout ce dénouement fatal de ma situation. Mais je te prie une dernière fois d’être courageuse, de supporter ce coup terrible avec vaillance, et de chercher ta consolation dans le bonheur des autres, dans le bonheur de la collectivité tel que je le concevais et que je le conçois encore.»
Isabelle Bassereau entamera des démarches pour que l’activité résistante de Michel soit reconnue, mais celles-ci n’aboutiront pas, faute de persévérance peut-être.
Une plaque a été apposée sur l’immeuble du 43, avenue Gambetta. Elle mentionne à tort que Michel a été fusillé le 22 octobre 1941 à Compiègne.
Questionné par Yves Jouffa, Charles Lederman, dans une lettre du 23 juillet 1980, rapporte ses souvenirs de Michel Rolnikas. Sa dernière phrase est éloquente : « Ce sont là les souvenirs qui me restent d’un camarade qui, comme avocat, a donné à l’Ordre l’un de ses titres de fierté. »
Souvenons-nous de cet avocat qui débordait de la grande pitié humaine et qui cherchait, modestement et généreusement, son bonheur dans celui de la collectivité, dans celui des autres.
Michel Rolnikas, au-delà de ses choix politiques, est resté par son extraordinaire dévouement au plus près de la vérité de l’avocat.
Michèle Brault.
Médaille de l’Ordre de la Libération par décret du 24 avril 1946.
Mention Mort pour la France attribuée par l’ONAC de Caen en date du 13 septembre 2011.
Dossier administratif :
Rapport en vue de son admission (1936, non daté).
Lettre au bâtonnier du 30 octobre 1939.
Lettre de Michel Rolnikas à Maître Demolliens du 18 octobre 1940.
Questionnaire en application de la loi du 11 septembre 1940.
Lettre de Georges Pitard, Maurice Boitel, Antoine Hajje et Michel Rolnikas au bâtonnier du 3 juillet 1941.
Lettre du bâtonnier du 10 juillet 1941 à Fernand de Brinon.
Lettre du bâtonnier du 10 juillet 1941 au Garde des Sceaux.
Lettre de Georges Pitard, Maurice Boitel, Antoine Hajje et Michel Rolnikas au bâtonnier du 23 juillet 1941.
Lettre du bâtonnier du 1er août 1941 à Michel Rolnikas.
Lettre du bâtonnier du 11 septembre 1941 à Fernand de Brinon.
Lettre de Charles Lederman à Yves Jouffa du 23 juillet 1980.
Le Palais Libre n°1, mai 1943.
Archives historiques de la Défense :
Vincennes :
Michel Rolnikas : 16P 518796
Mémoire des hommes :
Dictionnaire biographique du Maitron :
Memorial Find a grave : Michel Rolnikas, portrait.
Déportés politques à Auschwitz :
Gallica-Retronews :
Journal officiel de la République française, 14 janvier 1934.
L'Université libre, 23 septembre 1941.
Le Réveil populaire, 27 septembre 1941.
La Pensée Libre, février 1942.
L'Humanité, 22 septembre 1944.
La DéfenseLa Défense, 13 juillet 1945.
La Défense : organe de la Section française du Secours rouge international, 8 juillet 1949.
Ce soirCe soir, 21 septembre 1951.
Plaque commémorative :
Musée de la Résistance en ligne