Odette Marthe Fernande Mayer voit le jour, le 13 novembre 1911, au 40, rue Rochechouart situé dans le IXème arrondissement de Paris.
Elle est la fille unique d’Albert Mayer (1878-1938), né à Paris de parents originaires de Forbach en Moselle et de Léa Grosz ou Gross (1886-1969), née à Paris, d’un père né à Budapest et d’une mère née à Varsovie, tous deux naturalisés français. Son père, Albert est bijoutier comme son propre père, Léopold, comme son cousin Alfred Van Cleef lequel dès 1906 s’installe au 22, place Vendôme pour y fonder la célèbre maison de joaillerie Van Cleef & Arpels, Arpels étant le nom de ses associés et de son épouse Esther, également liée à la famille Mayer. Sa mère, Léa travaille avec son mari à la réalisation de bijoux.
Odette grandit à Paris entourée de ses grands-parents maternels, Gabriel et Clara Gross qui habitent sous le même toit que leur fille et leur beau-fils. La famille déménage de la rue Rochechouart au 13 rue Taylor dans le Xème arrondissement puis s’installe définitivement au 66 rue Condorcet dans le IXème arrondissement.
Licenciée en droit, le 2 juillet 1932, Odette demande son admission au Barreau de Paris et prête serment le 24 novembre 1932. Elle vient d’avoir 21 ans et devient la collaboratrice de Joseph Étivant, avocat spécialisé en droit du travail et rédacteur dans de nombreuses revues parmi lesquelles Patrons et Artisans, Employés et Ouvriers dont il est le fondateur et Questions Prud’homales et ouvrières.
En 1938, année du décès de son père, elle quitte le 86, rue d’Assas où se situait le cabinet de Joseph Étivant pour s’installer à son compte au 66, rue Condorcet, au domicile familial où elle poursuit son activité professionnelle. Ses clients sont notamment le Syndicat des ouvriers boulangers de la Seine pour lequel elle plaide régulièrement devant la section des industries chimiques et de l’alimentation du conseil de prud’hommes de la Seine. Diverses affaires ont animé la presse concernant la défense de ce syndicat qualifié de « cégétiste » par certains journaux de l’époque.
En mai 1940, en pleine guerre, c’est d’une autre affaire dont on parle, celle de deux communistes « moscoutaires » qu’Odette défend aux cotés de sa consœur Georgie Myers, devant le 3ème Tribunal militaire.
Au début de l’automne 1940, sollicitée par l’Ordre, comme l’ensemble des avocats du Barreau de Paris, pour satisfaire aux nouvelles dispositions imposées par le gouvernement de Vichy, Odette justifie de sa nationalité française à titre originaire, comme étant née d’un père français, en conformité avec la loi du 10 septembre 1940, réglementant l’accès au Barreau. Odette peut donc poursuivre son exercice professionnel, ce qu’entérine le Conseil de l’Ordre, lors de sa séance du 1er octobre 1940. Cependant, souffrante à cette époque, elle se retire quelques temps à Ormes dans l’Eure pour se reposer et ne revient à Paris que par intermittences.
Si la loi du 3 octobre 1940 portant sur le statut des Juifs n’affecte pas l’exercice des avocats juifs à défaut de réglementation particulière, celle du 2 juin 1941 prévoit un numérus clausus. Concernant la profession d’avocat, le décret du 16 juillet 1941 interdit désormais aux Juifs de représenter plus de 2% du nombre des avocats non Juifs des barreaux dans le ressort de chaque cour d’appel. Malgré l’avis favorable du rapporteur du Conseil de l’Ordre pour son maintien, la cour d’appel de Paris, le 13 février 1942, décide le retrait du barreau d’Odette Mayer.
En février 1942, Odette comme 216 autres de ses confrères parisiens, ne peut plus exercer son métier.
Dénoncée, elle est arrêtée par la Gestapo, le 3 juin 1942 puis internée dans le camp des Tourelles dans le XXème arrondissement de Paris. Le camp des Tourelles est le seul camp d’internement implanté dans Paris durant toute la période de l’Occupation. Ouvert d’abord pour enfermer des hommes étrangers déclarés indésirables, ce camp emprisonne ensuite des communistes et à partir de 1941, principalement des femmes. Plusieurs témoignages d’internés rapportent la vie difficile qu’Odette a vécu dans ce camp : composé de deux bâtiments, un pour les hommes, un pour les femmes, entourés de fils barbelés, des conditions d’hygiène sévères car il n’y avait que trois toilettes par bâtisse ; de nombreuses privations de nourriture et un accès limité à l’eau ; elle fut également contrainte de porter l’étoile jaune depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance allemande du 29 mai 1942.
Deux semaines plus tard, le 18 juin 1942, le camp de Drancy ne contenant que 934 hommes pour remplir le convoi n° 3 prévu pour le 22 juin 1942 à destination d’Auschwitz-Birkenau en Pologne, 66 femmes dont Odette sont choisies par le chef de la Gestapo, Theodor Dannecker. Le jour J, 1000 personnes sont entassées dans des wagons de marchandises pour 2 jours de voyage, parmi elles, deux avocats parisiens Marcel Skop et Robert Bilis, Odette, Annette Zelman, Raja (Raïssa) Kagan née Rappoport, Claudette Bloch née Raphaël (connue plus tard sous le nom de Bloch-Kennedy). Cette dernière de retour de déportation en juin 1945 annoncera le décès d’Odette à sa mère, Léa Mayer, et écrira à la suite au Bâtonnier :
« Monsieur le Bâtonnier,
Je puis, comme vous l’a indiqué Maître Nez, vous informer du décès de ma compagne Odette Mayer. Cependant, je vous signale tout de suite que quoique j’en ai fait part à Madame Mayer, elle-même, je tiens à ce qu’une grande discrétion soit gardée à ce sujet car sa grand-mère ne veut pas encore croire son malheur.
Odette Mayer qui avait été astreinte à faire des travaux de terrassements absolument démesurés pour la force physique d’une femme qui avait été soumise comme toutes les femmes internées à Birkenau, c’est à dire, coups, privations de nourritures et surtout d’eau, logement dans des cases infectes, station debout pendant d’innombrables heures, était arrivée dans un état de maigreur et de faiblesse, qu’elle a été choisie un jour pour être conduite à la chambre à gaz. Elle était en pleine conscience, elle m’a chargée de commissions pour sa mère et s’est résignée avec une grande noblesse d’âme en songeant qu’elle mourrait pour la France. Elle était admirable de courage et de simplicité dans cette résignation… »
Le décès d’Odette est mentionné à la date du 1er août 1942 à Birkenau en Pologne soit un peu plus d’un mois après son arrivée au camp, le 24 juin 1942.
En souvenir de sa fille disparue, une commémoration fut organisée par sa mère, le 7 novembre 1945, au cimetière du Montparnasse, en présence des membres du Barreau, de ses confrères et amis proches dont Joseph Étivant, Marc Nez, S. Jacquelin. Le nom d’Odette a été gravé sur la tombe familiale située carré 25, division 11, où repose désormais à côté des siens, sa mère Léa Mayer née Gross, décédée en 1969.
Aline Hamel-Martinet.
Aucune citation connue.
Dossier administratif d'Odette Mayer :
- Lettre de Jacquelin, secrétaire du Conseil des Prudhommes au bâtonnier, 13 juillet 1945.
- Lettre du membre du Conseil de l'Ordre au préfet de police, 19 décembre 1945.
- Lettre de Claudette Bloch, compagne de déportation au bâtonnier, s.d.
- Lettre de Léa Mayer, mère d'Odette au bâtonnier, s.d.
- Correspondance de Me Nez au bâtonnier, 1945.
Service historique de la Défense
Caen :
Odette Mayer : AC 21 P 514 693. Le portrait d'Odette Mayer présenté est conservé dans ce dossier.
Mémoire des hommes : Base des morts en déportation (1939-1945), Odette Mayer
Yad Vaschem
La liste des déportés du convoi n°3 du 22 juin 1942
Mémorial de la Shoah
Ordonnance du 29 mai 1942 : Port de l’étoile Jaune
Raya (Raïssa) Kagan née Rappoport
Mémorial GenWeb
Archives de Paris
1910, Acte de Mariage d’Albert Mayer et Léa Grosz : 10M 322 (page 2)
1911, Acte de naissance Odette Mayer : 9N 162 (page 21)
1926, 10, Porte Saint Martin – Recensement : D2M8 248 (page 591)
1931, 10, Porte Saint Martin – Recensement : D2M8 393 (page 559)
1936, 09, Rochechouart – Recensement : D2M8 579 (page 138)
1938, Décès d’Albert Mayer le 30 avril, à Paris : 9D 156 (page 14)
Gallica-BNF
1909, Madame Albert Mayer bijoux, Chronique des arts et de la curiosité : 17 avril 1909
1937, Le Fraternel (organe mensuel de l’union des boulangers) : 1er décembre 1937er1er décembre 1937
1938, Le Peuple : 21 mai 1938
1938, Action Française : 21 mai 1938
1938, Le Jour : 1er juin 1938er1er juin 1938
1938, La voix de la boulangerie (bulletin officiel de la fédération des syndicats patronaux de la boulangerie de Seine et Oise) : 1er juin 1938er1er juin 1938
1940, L’Action Française : 5 mai 1940
1945, Le Figaro : Annonce du décès d’Odette Mayer : 19 juillet 1945
Autres
Wikipédia : Van Cleef & Arpels
Wikipédia : Raja Kagan
Wikipedia : Annette Zelman
Geneanet : Tombe famille Mayer
Camp des Tourelles
Les camps d'internement français 1939-1944 : camp des Tourelles
Projet numérique des étudiants de RLFR 305 (Williams College) : camp des Tourelles
Bibliographie
Claudette Bloch-Kennedy, Simone Franck-Floersheim : Claudette : Auschwitz-Birkenau 1942-1945 : Recherche en laboratoire, 2002
Témoignages sur Auschwitz : Récits par le Dr B. Krewer, Claudette Bloch, J. Furmansk, les Drs Désiré Haffner et Golse, Mme Kleinowa, etc. Avant-propos de Claudette Bloch. Préface de Jean Cassou. Dessins de François Reisz
Raya Kagan, Des femmes dans le bureau de l’enfer, édité et présenté par Serge Klarsfeld