Marc Lauer naît le 16 janvier 1901 au domicile familial sis 17 rue de Maubeuge à Paris 9ème.
Il est le fils de Michel Marcus, autrichien naturalisé le 29 août 1892 par décret présidentiel, comptable, marié le 20 novembre 1895 à Hanna Alice Cerf, sans profession. Le couple a déjà deux filles : Germaine, née le 22 mai 1897 (décédée le 31 octobre 1983 à Boulogne- Billancourt) et Simone, née le 29 juin 1898 (décédée le 10 avril 1991 à Paris 16ème).
Du côté de son père, nous n’avons que peu d’information. Plusieurs documents mentionnent leur résidence de France et à Paris dès 1884 (ils habitaient alors rue de Rivoli). Michel Marcus Lauer a effectué son service militaire en 1879 à Paris, au 29e régiment territorial d’infanterie. Aucune mention sur sa fiche matricule n’indique qu’il ait participé à la première guerre mondiale. Sa mère Hannah Alice Cerf est la fille de Aaron Cerf, capitaine du 59e régiment d'infanterie de ligne. En 1855, il s’était brillamment illustré lors du bombardement de Sébastopol, comme le rapporte L’Univers israélite du 26 septembre 1913. Aaron, juif, alsacien lorrain, combattant pour la France, a opté pour la nationalité française en exécution de la loi du 10 mai 1871. En 1913, ce dernier est lieutenant de voltigeurs au 39e de ligne. Les parents d’Hannah se sont installés à Bordeaux, ville de naissance de sa mère (1827), Esther Lameyra. Après le décès de son père Aaron, Hannah et sa mère ont déménagé pour Paris.
De la jeunesse de Marc, aucune information n’a été retrouvée. Après une scolarité probablement dans le 9e arrondissement où il habitait, il étudie les sciences politiques, dont il sera diplômé, puis le droit. Il obtiendra sa licence en 1922. Il souhaite profiter d’un sursis d’appel pour effectuer son service militaire pour passer un doctorat, ce qui lui est accordé.
Dès le 9 février 1923, Maitre Roger Labey, avoué, intercède en sa faveur pour solliciter son inscription au stage. Roger est l’avoué de son père, devenu directeur d’une maison de commerce, la maison Malesky sise 8 Faubourg Poissonnière. Il écrit au bâtonnier pour se porter garant de l’honorabilité de Marc Lauer. II est inscrit au barreau le 18 février 1925 et demande rapidement une suspension de stage pour la durée de son service militaire : il est incorporé en 1925 à la compagnie de météorologie de Saint Cyr.
Les années 1930 furent sans doute difficiles pour lui : son père, âgé de 70 ans, décède au domicile familial en mai 1930, et inhumé au cimetière de Montmartre, dans la sépulture familiale de son épouse située dans le carré israélite. Sa mère meurt 4 ans plus tard en mai 1934.
Le 23 décembre 1939, Marc Lauer est mobilisé comme simple soldat ; il écrit au bâtonnier pour s’excuser de ne pouvoir acquitter ses cotisations, étant dans l’impossibilité d’exercer sa profession. Lorsque lui a été demandé quel confrère pourrait se charger de ses dossiers, il indique que son « confrère et ami Me Jean Levy Hollander, 144 boulevard Haussmann à Paris [qui] a bien voulu se charger gracieusement le soin d'assurer pendant mon absence forcée la surveillance des affaires de mon cabinet ».
Il rejoint comme soldat le 22e C.O.A. (Commis et Ouvriers d’Administration) le 3 septembre 1939 et est affecté à l’inspection générale de l’habillement. Il sera démobilisé le 19 juillet 1940.
Par application de la loi du 10 septembre 1940 sur les tableaux des barreaux, il doit, comme l’ensemble de ses confrères, justifier de sa nationalité avant le 1er décembre 1940.
Marc écrit au Garde des Sceaux et ministre secrétaire d'État à la justice de Vichy pour lui expliquer qu'il est réfugié à Cublac en Corrèze chez Mme Rossi et qu'après avoir été démobilisé par suite d'une maladie grave d'un membre de sa famille, il se trouve empêché de pouvoir personnellement apporter avant le 1er décembre à Monsieur le bâtonnier les pièces justificatives demandées. Dans ces conditions, il croit préférable à toutes fins utiles de transmettre au procureur de la République du Parquet de Brive (Corrèze) -le plus proche de sa résidence actuelle-, les pièces établissant d'une part qu'il est avocat à la cour de Paris depuis 1923 et d'autre part qu'il est de nationalité française à titre originaire. Il fournit une carte d'identité, le livret de famille et le contrat de mariage de ses parents, la dernière carte d’électeur de son père. Il demande au Garde des Sceaux de bien vouloir transmettre ces documents à Monsieur le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris afin de conserver son inscription au tableau du barreau qui date de 1925. Le procureur de la République de Brive atteste également au Garde des Sceaux par une lettre du 21 novembre 1940 de l’authenticité des pièces justificatives et ajoute que le père de Marc, de nationalité autrichienne, naturalisé français par décret du 29 août 1892, a satisfait à la loi sur le recrutement de l’Armée, tout comme son fils. Marc est alors maintenu au tableau.
Le durcissement de la législation par les lois de 1941 en décidera autrement. Ainsi, par décision en date du 12 février 1942, la Cour de Paris arrête une liste dans laquelle sont inscrits les noms d’avocats juifs appelés à cesser l'exercice de leur profession dans le délai de deux mois à partir de la notification conformément aux dispositions de l'article 8 du décret du 16 juillet 1941. Le nom de Marc figure sur cette liste et il est donc radié du Tableau de l’Ordre.
Il adresse alors au bâtonnier une requête, transmise ensuite au parquet général, en vue de protester. Il forme une demande en vue d'être relevé des interdictions prévues par l'article premier de la loi du 2 juin 1941 et ce, en vertu des dispositions de l'article 8 de ladite loi ; effectivement, sa famille maternelle était établie en France au début du 19e siècle, ce qui ce qui correspondait aux critères de l’article 8 : ceux dont la famille est établie en France depuis au moins cinq générations et a rendu à l’Etat des services exceptionnels. Il estime donc que qu'il a été porté à tort sur la liste supervisée et qu'il aurait dû tout au moins être sursis à statuer jusqu'à ce que ces circonstances lui aient permis de constituer un dossier régulier.
La réponse du Procureur général Raoul Cavarroc est toutefois sans appel : « Je vous prie de bien vouloir confirmer au pétitionnaire que les dispositions du décret du 16 juillet 1941 ne permettent le maintien des avocats juifs dans l'exercice de leur profession que lorsqu'ils ont justifié de l'une des conditions prévues par l'article 3 de la loi du 2 juin 1941. Il est prévu de sursis que pour les avocats prisonniers de guerre ». Il précise que la requête de Marc ne peut faire office de preuve pour sa réintégration au barreau : « en attendant la décision à intervenir c'est à bon droit qu'il a fait l'objet d'une mesure d'élimination ». Il lui demande de lui envoyer une requête sur « papier timbrée » avec tous les documents « établissant les services exceptionnellement rendus par sa famille en France depuis 5 générations, les copies d'actes qu’il a transmis paraissent suffisantes en l'état pour établir tout au moins dans la ligne maternelle cet établissement depuis 5 générations ».
La pression augmente à la fin de l’année 1942. Une note du Préfet de Corrèze du 3 novembre 1942 interroge le bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris pour savoir si « Maitre Lauer et toujours inscrit comme avocat à la Cour de Paris. S'il a été radié, je voudrais bien savoir à quelle date ». Il est précisé dans cette lettre que « l'intéressé, israélite, est réfugié à Cublac en Corrèze », ce qui semble laisser entrevoir un funeste sort à Marc. Le bâtonnier répond par courrier le 28 novembre suivant que Marc a dû cesser l’exercice de ses fonctions par arrêt en date du 13 février 1942 […] dans le deuxième mois de la notification du dit arrêté par application de la loi du 2 février 1941. En conséquence, M. Lauer n'est plus inscrit au tableau de l'ordre depuis le 13 avril dernier ».
Réfugié à Cublac en Corrèze, chez Madame Chelat, il est radié au tableau le 12 février 1942 en application des lois de Vichy.
En février 1943, un administrateur provisoire des biens laissés à l’abandon par Marc est nommé par ordonnance du tribunal civil de la Seine, dans l’immeuble du 17 rue de Maubeuge. Un inventaire du mobilier « appartenant à M. Lauer qui est israélite et ancien avocat au barreau de Paris » a été établi par un huissier et un commissaire-priseur. Au cours de cette opération, de nombreux dossiers professionnels ont été découverts ; un membre du Conseil de l’Ordre fut alors désigné pour la restitution de ses dossiers, qui ont été transportés chez Maître Francis Decaux, administrateur judiciaire au tribunal civil de la Seine.
Marc est arrêté à Cublac le 31 mars 1944 par un détachement allemand de la division Brehmer et interné le 1er avril à Drancy sous le matricule 19 505 ; il y arrive avec une somme de 135 francs comme l’indique son carnet de fouille conservé au mémorial de la Shoah. Il est déporté un mois plus tard, le 15 mai 1944 par le convoi n°73, à destination des Pays Baltes. Le convoi 73, composé de 878 personnes, uniquement des hommes, parmi lesquels le père et le frère de Simone Veil, entassés dans 15 wagons à bestiaux, sous une chaleur accablante, fut le seul convoi à destination de la Lituanie et de l’Estonie vraisemblablement pour faire travailler les déportés dans des constructions rattachées à l’organisation Todt.
22 d’entre eux en reviendront en 1945 dont Henri Zajdenwergier, qui témoigne lors d’une interview au quotidien Libération en 2009 des conditions de voyage : « Nous sommes restés trois jours dans le train, sans sortir. A l'intérieur du wagon, sans fenêtre, un homme, Roland Dalem, tentait d'organiser la vie. Il distribuait la nourriture, essayait de nous sécuriser. Par son charisme, il nous faisait du bien ». Lors du premier arrêt au fort n°9 de Kaunas, les déportés n'ont aucune idée d'où ils se trouvent. La moitié des wagons sont alors détachés, environ 600 hommes débarqués. « Il n'y avait personne, pas même la Gestapo. On a compris que les nazis eux-mêmes ne savaient plus tellement ce qu'ils faisaient », confie Henri au journaliste. Les allemands emprisonnent certains hommes au fort, en fusillent d’autres dans la forêt avoisinante de Praviéniskès. Henri poursuivra le chemin jusqu’en Estonie.
Le voyage de Marc s’arrête lors de cette halte à Kaunas-Reval, le 18 mai, après près de 2000 kilomètres parcourus. Il meurt deux jours plus tard, le 20 mai 1944, probablement fusillé par balle. Les 600 hommes déportés à Kaunas sont tous morts ; les 22 survivants étaient ceux qui avaient été emmenés en Estonie.
Par décision en date du 24 novembre 1962, la mention « mort pour la France » lui est décernée par le Ministre des anciens combattants et victimes de guerre. Il faudra attendre le 3 juillet 1993 pour que la mention « mort en déportation » soit apposée à côté de son nom.
Mort pour la France.
Mention Mort en déportation : J.O. 3 juillet 1993 (page 9480).
Dossier administratif de Marc Lauer :
Questionnaire lettre de Lauer au bâtonnier du 23 décembre 1939 concernant sa mobilisation et son absence.
Lettre de Lauer au Garde des Sceaux, 20 novembre 1940.
Lettre du Procureur de Brive la Gaillarde au garde des Sceaux, 21 novembre 1940.
Fiche d'application de la loi du 11 septembre 1940.
Lettre du bâtonnier au procureur, 16 mai 1942.
Lettre du procureur de la cour d'appel de Paris au bâtonnier, 21 mai 1942.
Lettre du procureur général de la cour d'appel de Paris au procureur de la République de Brive, 21 mai 1942.
Note de la préfecture de police au bâtonnier, 3 novembre 1942.
Courrier du bâtonnier au préfet, 28 novembre 1942 sur la cessation d’activité de Marc Lauer.
Archives de Paris
Acte de naissance Germaine Lauer : 1897, N 9, V4 E 8833.
Acte de naissance Simone Lauer : 1898, N 9, V4 E 8844.
Acte de décès de Michel Lauer : Décès, 9 D 148.
Mariage de Michel Lauer et Hannah Cerf : V4E 8265, acte n°915.
Registre matricule : Matricule 773 D4R1 2288
Matricule de son père n°379 : D4R1 700
Mémorial de la Shoah
Généanet
Transcription du décret de naturalisation (AD.75 cote Vbis4i2/5)
Sépulture famille CERF : Michel Lauer est inhumé au cimetière de Montmartre dans la sépulture de la famille de son épouse (CERF), Division 003 (section Israélite).
Dictionnaire biographique du Maîtron
Gallica
Aaron Cerf : Bulletin des lois de la République française du 1er juillet 1872.
L’Univers israélite du 26 septembre 1913.
Décès de la mère de Marc : La France judiciaire, 31 mai 1934 ; Le Matin, 10 mai 1934.
Décès du père : L‘Univers israélite, 16 mai 1930
Convoi n°73 :
Nous sommes 900 français, site consacré au convoi 73
Cité scolaire Albert Chatelet à Douai
Stèle au père Lachaise : Wikipédia
Yad Vashem