CAEN Etienne (1885-1979)
Etienne Caen est né le 28 juin 1885 à Epinay-sur-Seine, fils de Léon Caen, ingénieur des Arts et Manufactures (ancien élève de l’école centrale) et Juliette Louis Léon, sans profession. Son père a combattu lors de la guerre de 1870 comme officier, et est titulaire de la Légion d’honneur au titre militaire.
Etienne étudie le droit à Paris, obtient sa licence le 23 juillet 1907 et s’inscrit au barreau de Paris le 29 octobre 1907. Il suspend son stage en 1911 pour exercer chez un avoué (M. Hesse). Parallèlement à son cursus en droit, il étudie les langues étrangères et obtient en 1907 le diplôme d’élève breveté en langue malaise.
Il est élu 3e secrétaire de la conférence en 1912-1913 dans la promotion Labori aux côtés de ses confrères Jacques Barth, Eugène Freminet, Jacques Mimerel, Serge Port, Jacques Silhol, tous Morts pour la France durant la Première Guerre Mondiale.
Etienne Caen, comme la majorité de ses confrères, est mobilisé dès le 4 août 1914. Il rejoint d’abord le 69e R.I. puisqu’il avait en 1913 effectué une période d’exercice dans ce régiment. Il passe ensuite en tant que soldat de première classe au 226e Régiment d’infanterie, et exerce comme agent de liaison. Après 6 mois dans les tranchées, il reçoit une lettre du Bâtonnier datée du 31 décembre qui lui remonte le moral en lui rappelant le Palais : « comme tout cela est loin pour moi et comme cette évocation me laisserait rêveur si je ne m’étais interdit d’autre rêve que celui d’une prompte victoire ». Il est alors sous les obus, « à 1500 m des bavarois ». Il évoque le drame des confrères déjà morts et le dur retour au Palais pour ceux qui reviendront. Son confrère Pollio avec qui il était au régiment a disparu la semaine précédente : peut-être a-t-il été fait prisonnier ? » [Son confère Etienne Marcel Pollio a été effectivement fait prisonnier en Allemagne en décembre 1914 ; il sera rapatrié en France en 1918].
Le 15 novembre 1915, cantonné dans le secteur 128, 269e R.I., il sollicite par écrit son bâtonnier pour lui confier le dossier d’une demande en mariage d’un de ses compagnons de régiment : « mon colonel m’avait chargé de résoudre le problème. Malheureusement, je ne connais plus depuis 15 mois qu’un droit international : le coup de fusil ». Il en profite pour lui parler de sa solitude, ses deux confrères Polliot et Chenu parti du front, l’un blessé, l’autre disparu : « je reste seul intact pour combien de temps ! ».
Il vient de participer à la 3e bataille d’Artois, dans le secteur de Souchez (Pas-De-Calais). Entre le 25 et le 29 septembre 1915, les combats pour reprendre la ville de Souchez et ses environs furent longs et difficiles ; sous une pluie battante, au milieu des tranchées et des boyaux remplis de boue, les poilus ont repris une par une les tranchées ennemies, entre obus et incessants tirs de mitrailleuses. Comme le relate le J.M.O, plusieurs bombardements ennemis attaquent les soldats français, rendant « très difficile les communications et empêchant tout mouvement de troupe dans l’intérieur du village. Les ordres du Colonel ne peuvent parvenir à certaines unités qu’une fois les attaques déclenchées ». C’est durant ces combats qu’Etienne Caen s’est illustré comme agent de liaison, militaire chargé de transmettre ordres et informations au sein de l’armée, en particulier lors d’une opération qui rend impossible l’usage du téléphone : « d’un dévouement et d’un courage éprouvés. N’a pas hésité à porter à maintes reprises des ordres en terrain violemment battu au cours des attaques du 25 au 28 septembre 1915 ». Il a vu deux de ses camarades de liaison « ont été tués à côté de moi » et a été légèrement blessé : « j’ai reçu des éclats, des morceaux de briques », ce qui avec sa citation constitue un « tout sans autre mal qu’un peu de fatigue »… .
Sur ces temps de repos, il se détend en devenant avocat aux conseils de guerre. Durant cette période, la défense n’existe que très rarement et les avocats sont commis d’office. Ainsi, si certains avocats mobilisés ont été désignés au pied levé, d’autres ont demandé à exercer leur métier devant ces juridictions. « Quand on est au repos, c’est une distraction » dit-il à son confrère Charles Maurice Chenu, qu’il recrute dans cette aventure. Charles Maurice et lui se partagent les affaires, et jouissent vraisemblablement d’une excellente réputation, comme en témoigne le poème de leur camarade Louis de Gonzagues-Frick publié dans Les Hommes du Jour du 9 octobre 1915.
Mais à la différence de son confrère Chenu, Etienne Caen a lui assisté aux sentences, dont celle du terrible poteau…
Il intègre ensuite le 13e Régiment d’artillerie jusqu’en 1916 où il bascule au 1e Régiment de Génie, section du camouflage. Il gravit les échelons militaires en devenant Caporal puis sergent en 1918. L’invention du camouflage est due à deux peintres français qui ont eu l’idée de dissimuler leurs canons derrière des toiles peintes aux couleurs de la nature environnante, pour éviter d’être repérer. La première équipe de camouflage est créée officiellement le 4 août 1915. En 1916, l’unité de camouflage, rattachée au 13e Régiment d’artillerie dépendra entièrement du 1er régiment de génie. Elle sera dissoute en décembre 1918.
Il est démobilisé le 11 mars 1919, revient à la vie civile avec une croix de guerre et une carte de combattant (n°532 902) et reprend le chemin du Palais et des audiences. Il poursuit son métier dans les conseils de guerre : il défend en juillet 1919 Marie Goujon, femme Petrot garde barrière, dans un procès du 3e Conseil de Guerre où sont présentés onze accusés, répondant de trahison durant la guerre. Etienne Caen obtiendra l’acquittement de sa cliente.
Il plaide également de nombreuses fois aux assises ou au civil : en 1924, il défend Borel, inculpé d’assassinat, reconnu coupable et condamné à mort ; la même année, il défend devant la 11e chambre correctionnelle le banquier Tognini, directeur fondateur de la Banque nouvelle, qui a pris la fuite en Italie laissant un trou de 5 millions de francs. Il revient en France en se constituant prisonnier. Inculpé d’abus de confiance et d’escroquerie, il est reconnu coupable de détournement par le Tribunal et condamné à 3 ans de prison.
En 1939, il est de nouveau mobilisé comme officier défenseur aux Armées (15e et 9e Armée). Mais il demande sa mise en congés pour raison de santé en février 1940, et souhaite par la suite une mise en congés définitive « avec le désir où je suis de continuer l’exercice de ma profession comme avocat inscrit à notre Barreau ». En 1942, il fait partie des 48 avocats juifs maintenus au Barreau, en vertu de l’arrêt de la Cour de Paris sur les avocats juifs du Barreau et sur l’application du numerus clausus (décret du 16 juillet 1941), parce qu’il était un ancien combattant de 14.
Après la guerre, il poursuit sa carrière d’avocat en plaidant pour de nombreux artistes ; il figurait déjà en 1939 comme conseil juridique de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. Ainsi en 1949, il défend le réalisateur Georges Clouzot devant le petit-fils du compositeur Massenet. En effet, les héritiers de Massenet entendaient garder conserver les droits d’auteur pour la pièce de théâtre « Manon» (opéra-comique en cinq actes de Jules Massenet, 1884). Ils veulent interdire à H.G. Clouzot de d’intituler le film qu’il vient de réaliser « Manon ». Les héritiers seront déboutés de leur demande.
Il travaillera ses dossiers, dans le cabinet qu’il avait fondé dès son stage, au 1 rue Ballu, dans le 9e arrondissement, jusque son décès en 1979.
Cindy Geraci.
Sources et bilbiographie :
- Dossier professionnel Ordre des Avocats.
- Archives de Seine Saint Denis, Acte naissance, 1883-1892. (ESS 1E28).
- Archives de Paris, registre matricule,D4R1 1335 matricule n°734.
- 269 R.I. JM.O. 26N733/8
- Le camouflage pendant la Première guerre Mondiale, une arme qui trompe mais ne tue pas, article de Cécile Coutin.
- Gallica, Borel, assassin de Noisy
- La Presse, 30 novembre 1919
- Le XIXe siècle, 29 juillet 1919 : Onze accusés condamnés à mort par le 3e conseil de guerre. Il est avocat de Marie Goujon, femme Petrot garde barrière ; elle est acquittée.
- Gallica, Affaire banquier Togini directeur de la banque nouvelle
- Gallica, L’affaire du comptoir des intérêts privés : 11e correctionnelle.
- Le Matin 7 janvier 1942 : Liste des avocats juifs du barreau de Paris
- Gallica, Affaire H.G. Clouzot, 1948-1949. Manon est un film français daté de 1948 et sorti en 1949, avec Cécile Aubry, Serge Reggiani, Michel Auclair et Gabrielle Dorziat :
FRANK Jacques (1896-1942)
Jacques Frank est né le 18 mai 1896 à Neuilly-sur-Seine. Son père, Sigismond Jules, à 38 ans à sa naissance et exerce la profession de journaliste. Sa mère, Alice Thérèse Cahn, est sans profession. Elle a 34 ans, Jacques est son 4ème enfant. La famille demeure 90, boulevard Bineau, puis déménagera, toujours à Neuilly, 6, avenue du Château.
Jacques fait sa scolarité au lycée Carnot, à Paris. Dès l’obtention de son baccalauréat, en 1913, il entre comme petit Clerc chez Maître Cortot, avoué, tout en entamant ses études de droit. Son frère, Lucien, y est déjà principal.
Arrive l’été 1914 et la déclaration de guerre. Jacques, étudiant en droit, est encore trop jeune pour être appelé. Il le sera en avril 1915.
Il est incorporé le 7 avril 1915, comme soldat de deuxième classe, dans le 48e régiment d’infanterie, qui a son casernement à Guingamp et est principalement composé de Bretons. Il rejoint Joinville-le-Pont le 11 avril 1915 et est envoyé sur le front, « aux armées », le 29 novembre 1915.
Son régiment a déjà été engagé dans la bataille de la Meuse, puis dans la première Bataille de la Marne. Jacques le rejoint lorsqu’il est installé dans la plaine de la Champagne, près de Souain. Le régiment participe à la stabilisation du front et occupe un secteur vers la ferme des Wacques jusqu’au bois Sabot. À partir du 21 décembre 1915, le régiment est engagé dans la première Bataille de Champagne.
À partir de la fin du mois de juin 1916, le régiment est transporté par camion dans la région de Verdun où il est rapidement engagé dans la première Bataille de Verdun, vers le bois d’Haudromont et la côte de Froideterre, puis il se bat vers Thiaumont. La fin de l’année 1916 voit le régiment occuper un secteur vers Tahure et La Courtine. Le 23 décembre 1916, Jacques Frank est nommé caporal.
À partir du 1er mars 1917, il suit les cours des élèves officiers aspirants de Saint-Cyr. Très rapidement, il va monter en grade, révélant sa valeur. Il est nommé au grade de sergent le 20 juin 1917, puis aspirant le 20 juillet de la même année au 248ème Régiment d’infanterie qu’il rejoint à nouveau le 5 août 1917.
Le 14 septembre 1917, alors que son régiment occupe un secteur vers le Mont Cornillet et qu’il participe à une action, il est blessé par l’éclatement d’une charge de cheddite, un explosif à base de chlorate utilisé par l’armée française.
Fin septembre, le régiment se replie sur Bar-sur-Aube pour un repos mérité. Mais dès la mi-octobre, transporté dans la région de Verdun, il va participer à des engagements violents les 25 et 29 octobre et les six et neuf novembre dans ce qui est la deuxième Bataille offensive de Verdun.
Jacques n’est pas malheureux. Il est amoureux.
Il écrit régulièrement à celle qui va devenir sa femme et qu’il a rencontré, lorsqu’ils étaient enfants, à l’école communale de Neuilly. Suzanne. Ce même mois de septembre 1917, avant sa blessure, il espère « un petit coup de Trafalgar » qui lui permettra d’obtenir une permission exceptionnelle pour aller la voir. Au plus fort de la guerre, il constate : « pour l’instant, je vois tout en rose. »
Cet amour le porte. En juillet 1918, s’adressant toujours à celle qu’il appelle « mon amour adoré », il écrit : « comme toujours, je suis passée au travers des balles et des obus sans une égratignure. »
Les citations qu’il recueille montrent que ce n’est pas faute de courage et d’audace qu’il est – relativement – épargné. Son chef de bataillon le qualifie de « spécialiste des liaisons périlleuses et aventurées » et mentionne qu’il « dépasse toujours sa mission avec une audace inouïe ».
En août 1918, il se distingue à plusieurs reprises dans la troisième Bataille de Picardie, ce qui lui vaudra encore une citation.
Le 14 septembre 1918, son régiment, dans le but d’organiser un secteur vers Hinacourt et l’ouest de Vendeuil, combat près de Grivillers, de Popincourt et en particulier, près du Canal Crozat, la première section du canal de Saint-Quentin.
Jacques est volontaire pour une mission de renseignement. À la tête d’un groupe d’autres volontaires, il doit se porter au niveau des lignes ennemies pour repérer leur organisation afin de faciliter un assaut ultérieur. Jacques, dont la bravoure exceptionnelle est louée par ses supérieurs, s’élance malgré des tirs de barrage importants des batteries ennemies. Il avance, déterminé, quoi qu’il en coûte, à rapporter le renseignement. Il passe même les lignes ennemies. Mais un obus empêche son retour.
Ce sont ses compagnons qui le ramènent, moribond.
Grièvement blessé, Jacques a terminé sa guerre. Il est évacué sur l’hôpital de Rouen. Son corps est couvert de plaies. Les éclats d’obus se sont nichés dans ses hanches et dans la région du pubis. Le nerf sciatique droit est coupé. Il a un éclat d’obus dans le poumon.
Il est résigné et satisfait. Il a fait son devoir. Mourir pour la France…
Opéré cinq fois par un chirurgien parisien, Jacques Frank survit. Des années de soins et de convalescence l’attendent. Il ne pourra prêter serment d’avocat qu’en avril 1924.
Il est parti à la guerre jeune étudiant en droit enthousiaste et patriote, il a servi dans l’armée en soldat héroïque, il en revient extrêmement diminué avec, comme l’écrit son ami Maurice Alléhaut, les incommodités physiques d’un vieillard.
La suite de son parcours durant la 2e Guerre mondiale : Jacques Frank.
Michèle Brault
Citations
Cité à l’ordre n°536 du 248ème Régiment d’Infanterie le 21 août 1918 :
« Jeune officier très brave d'un entrain remarquable, qui a pris part à de nombreux coups de main. Le 21 juillet 1918, à la tête d’un groupe participant à une opération, à pénétrer dans les lignes ennemies, nettoyer la ligne qui lui était assignée, a ramené un prisonnier et du matériel. »
Cité à l’ordre n°16 687 du 22 avril 1919 :
« Officier d’un allant et d’une bravoure remarquables. Le 4 août 1918, a exécuté en plein jour avec un groupe de volontaires un coup de main particulièrement audacieux sur un point occupé par l’ennemi est situé à plus de 1500 m de nos lignes, s’en est emparé et s’y est maintenu malgré une forte réaction de l’artillerie lourde ennemie. »
Nommé au grade de chevalier de la Légion d’honneur le 22 avril 1919 :
« Jeune officier d’une bravoure exceptionnelle. Après s’être de nouveau distingué dans les affaires des 16 et 17 août 1918, est parti le 7 septembre 1918 pour effectuer à la tête d’un groupe de volontaires une liaison importante qui, au cours de l’exécution, s’était (illisible), n’a pas hésité à dépasser les limites de sa mission pour aller chercher au plus fort des barrages ennemis le renseignement qui devait permettre à son régiment de s’engager ultérieurement dans les meilleures conditions. Les revenus criblés de blessures. 1 blessure (illisible). Deux citations. La citation ci-dessus comporte la Croix de guerre avec palmes. »
Décorations
Chevalier de la Légion d’honneur
Croix de guerre avec palmes
Etoile de bronze
Etoile d’argent
Sources ODA
Discours de Maurice Alléhaut, AG de la Conférence du stage, 1954.
Archives des Anciens Combattants du Palais.
Autres Sources
Archives départementales des hauts de Seine, acte de naissance, E_NUM_NEU_N1896 - 1896 1896
Archives de Paris, D4R1 1918, matricule 5607.
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