BELLIER Maurice (1879-1938)
Né à Melun en 1879, d'un père huissier, Maurice Bellier devient docteur en droit à 21 ans avant de faire son apprentissage chez un avoué de Melun. Il s'inscrit au Barreau de Paris en 1910 et devient le collaborateur de Me Maurice Quentin (1870-1955), président du Conseil général de la Seine.
Il exerce particulièrement dans les Audiences civiles.
Son frère de Maxime Bellier était également avocat stagiaire à Paris mais est décédé prématurément en 1936.
Il est mobilisé dès le 6 août 1914 suite à l'appel à la mobilisation, d'abord au 231e RI puis au 246e RI de ligne. Il participe aux campagnes de l’Aisne et de l'Artois. Il obtient les grades successifs de sergent et de lieutenant avant de devenir adjudant en 1915. Pour son baptème du feu, son lieutenant du 246e se rappelle que sa toute première semaine Maurice Bellier "pataugea dans la boue profonde et collante qui plus que les balles faisaient rager les soldats. Je vois encore Bellier avec le bas de sa capote gluant de boue et lui battant les mollets". Le lendemain il avait compris : "il avait simplement coupé le bas gênant de sa capote et lancé une nouvelle mode pratique pour habiter les tranchées" (Lettre du lieutenant du 246e R.I. lors du décès de Maurice Bellier, 1938).
Il reste 9 mois en Artois sur le plateau de Lorette-Souchez-Mont Saint Eloi, cote 132, où il s'illustre en faisant preuve de sang froid lorsqu'il aide son supérieur à amener toute sa compagnie jusque la ligne de feu tout en assurant constamment la liaison sous de violents bombardements, ce qui lui vaut une citation à l'Ordre du régiment.
Après 8 mois de mobilisation, il entretient une correspondance avec son bâtonnier Henri Robert et lui écrit qu'il a rencontré plusieurs de ses confrères lors son périple, notamment Missoffe et Michel Pelletier. Il explique que les relations avec l'ennemi sont parfois suprenantes : "mais chose étrange, les boches nous renseignent parfois quand ils ont reçu en quelques endroits que nous appellons "une bûche" ils se mettent à bombarder sans rime ni raison une partie de notre secteur. Beaucoup de bruit pour pas grand chose ! Ca sent la rage du lutteur qui mord la poussière" (Lettre au Bâtonnier, 9 mars 1915).
Il sollicite également un poste de sous-lieutenant des conseils de guerre aux armées et explique que son métier d'avocat lui apporte une grande considération de la part de ses supérieurs. Il obtiendra ce statut d'avocat commis d'office aux conseils de guerre en mars 1915 où il vient d'être désigné par sa division pour plaider le cas échéant : «histoire sans doute ne ne pas oublier ce qu'est une plaidoirie » écrit-il ! Il défendit à leurs demandes, trois lieutenants de son Régiment contre lesquels un Supérieur avait transmis une plainte en Conseil de guerre. Le motif était grave, ce qui leur valut de passer 40 jours en cellule avant le procès. Maurice Bellier plaida remarquablement et leur obtint l'acquittement ! Cette affaire lui a permis de terminer la guerre comme officier de renseignements. Ses camarades le considéraient comme un excellent juriste, juste et bon « comprenant et excusant certaines faiblesses passagères » (Lettre au Bâtonnier, 18 mars 1915).
En mai 1915, il participe aux attaques d’Ablain Saint Nazaire dans le Pas-de-Calais. Il y rencontre son ami pharmacien Albert Salmon (inventeur de la pastille Salmon), futur directeur de l'entreprise Cooper et beau-frère de son collaborateur Me Quentin. Le projet de ces hommes était de se regrouper au sein d’une coopérative afin de rendre disponible à la population les produits de santé du quotidien dans une pharmacie proche de chez elle. Ils éditent un bulletin auquel Maurice Bellier a collaboré. Une entrevue brève, relatée dans la revue Cooper de 1926 :
Le 17 juillet 1915, il envoie une carte militaire au Bâtonnier Henri Robert pour le remercier de l'avoir cité au Tableau : il précise qu'il était dans la même compagnie que son confrèrePierre Carcanagues (MPLF en janvier 1915), dont il ne savait pas, jusque récemment, ce qu'il était devenu. Il poursuit la guerre avec le 231E RI dans le secteur du Soissonnais, du bois de Beaumarais, Craonne, Corheny jusqu'à sa dissolution. Il rejoindra ensuite au 246e. La guerre se fait longue et ses camarades et lui attendent le moment où ils devront collaborer à l'effort décisif.
La fin de 1915 lui fut éprouvante : il s'estime chanceux d'avoir été épargné durant les derniers combats. Lors d'un combat, il a, avec ses camarades, retiré de la zone dangereuse leur capitaine grièvement blessé malgré les feux de barrages ennemis ; ils ont assuré son transport au poste de secours et repris aussitôt leur place dans la tranchée, ce qui lui vaut une autre citation.
Du secteur de Craonne, il se retrouve à combattre à Verdun puis sur le chemin des Dames où il restera 15 mois de 1916 à 1917. Il obtient le grade de sous-lieutenant sur le front de Verdun avec deux citations puis celui de lieutenant en 1917 en Champagne, où son régiment, le 246e, est décimé par les gaz. Dans la nuit du 11 au 12 novembre, relate le J.M.O (26N 727 /3), le VI/246 relève en première ligne sur ses emplacements le V/246. Il est composé de la 21e Compagnie du Capitaine Lurienne qui prend position à droite ; de la 21E Cie du lieutenant Jouannot à gauche et de la 23E Cie sous les ordres du lieutenant Bellier en réserve. Le 13 novembre entre 20h et 22h30 de violents bombardements ont lieu sur le plateau des Casemates et les pentes nord du plateau : des obus explosifs toxiques – gaz vésicant – obus à voix jaunes- sont lancés par l'ennemi. Le régiment est fortement éprouvé par ces obus spéciaux ; cela a nécessité l'évacuation de 500 hommes intoxiqués – atteints principalement aux yeux et aux poumons- parmi lesquels Maurice Bellier. Au cours de ce bombardement, la protection individuelle s'est effectuée normalement au moyen des masques des marques M2 et des Tissot mais le faible éclatement des obus spéciaux, couvert par l'éclatements des obus explosifs a du être perçu trop tard par les hommes qui n'ont fait usage du masque qu'après avoir respiré une certaine quantité de gaz. Maurice Bellier rejoint l'arrière pour environ six mois avant de repartir au front. Il termine la guerre en combattant à Montdidier lors de la contre-offensive de Mangin.
Il est démobilisé le 22 février 1919. Titulaire de la croix de guerre avec étoile de bronze puis 2e étoile de bronze, la Légion d'honneur lui est remise par le Ministre de la Guerre en 1925.
Après la guerre, les anciens du 246e RI ont fondé une amicale des anciens et lui ont confié la présidence : "Très dévoué, les services qu'il a rendus après guerre aux anciens combattants du 246e RI ne se comptent plus" (Lettre du lieutenant du 246e R.I. lors du décès de Maurice Bellier, 1938).
Il s'éteint en 1938 à l'âge de 59 ans, victime d'une crise cardiaque.
"Adieu Bellier" écrit son ancien lieutenant du 246 R.I.
Cindy Geraci.
DOUBLET Emile (1878-1942)
Né en 1878 en Charente Inférieure, de parents instituteurs, Emile Doublet effectue ses études de droit à Paris. Licencié, il obtient en 1905 son diplôme de docteur en droit avec sa thèse sur « La dation en paiement » à l’Université de Paris. Il s’inscrit à l’Ordre des Avocats le 19 octobre 1900.
Il plaide de nombreuses fois en Cour d’Assises et au tribunal correctionnel, défendant des enfants mineurs reconnus coupables de divers crimes et larcins.
Il se marie le 16 juillet 1914, peu avant le début du conflit, avec Gabrielle Louise Defoug (1878-1965), couturière ; lors de cette union, deux enfants nés en 1907 et 1911 seront reconnus pour légitimation : Jacques Emile Roger Jean né le 14 août 1907 et Roger Louis André Lucien né le 28 octobre 1911.
Comme plusieurs de ses confrères, Emile Doublet est mobilisé dès le 4 août 1914 et jusqu’au 1er mars 1919, date de sa démobilisation. Il intègre le 123e Régiment d’Infanterie. Il siège avec son régiment d’abord dans le Nord puis franchit la frontière belge fin août. Il se replie début septembre à 5 km au Nord-Ouest de Provins au Château de la Houssaye. Il se déplace dans le secteur de Craonne, pour terminer l’année 1914 dans les tranchées de Moussy-Verneuil-Beaulne. Les conditions sont déplorables : les tranchées ne sont que des fossés pleins de boue, sans abri et sans boyau praticable (Historique du 123e Régiment d'Infanterie). Emile Doublet est nommé caporal le 8 décembre 1914. De janvier à novembre 1915, le 123e R.I. va évoluer dans le secteur de Cerny où il va connaître tous les engins des tranchées allemandes (grenades, torpilles…) et de nombreux bombardements.
Emile Doublet exprime dans sa correspondance de 1914 avec son confère et ami de longue date, André Berthon, une profonde tristesse quant à sa candidature pour devenir officier d’administration restée sans réponse. André Berthon est également mobilisé comme officier d’administration à l’ambulance n°5. Ce dernier écrit donc au bâtonnier à ce sujet (Lettre d’André Berthon au Bâtonnier, 16 mars 1915) pour lui demander d’appuyer cette demande. Il explique que cette candidature n’a pas été transmise au ministère comme elle aurait dû. Il rajoute également que l’état de santé d’Emile Doublet « est très délicat qui lui aurait permis d’être réformé si il avait demandé à passer au conseil de réforme ». Il précise que son confrère est père de deux enfants et « sans fortune », « ce sont hélas la situation de beaucoup de ceux qui tombent chaque jour ». Et le bâtonnier est informé de cette situation familiale puisque Mme Doublet lui a écrit dès décembre 1914, sur les recommandations de son mari, pour solliciter une aide.
Le 12 juillet 1915 Emile Doublet est affecté à la 1ere Compagnie du 138e Régiment Territorial. Sur l’insistance de sa femme, il écrit depuis le secteur où il cantonne au Bâtonnier pour lui demander son appui concernant un emploi de commis-greffier ou rapporteur aux Conseils de guerre. Son ami André Berthon dès son retour à Paris pour une permission était allé appuyer cette demande au Ministère, sans succès. Emile Doublet a déjà plaidé plusieurs fois en conseil de guerre grâce à son confrère Colin, du temps où il était cantonné à Verdun. « Depuis la mobilisation, j’ai plaidé plus de cinquante fois devant les Conseils de guerre » (Lettre d’Emile Doublet au Bâtonnier 12 juillet 1915). Il ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ses confrères Moro-Giafferi et Bergère sont commis-greffier et pas lui : « je passe ma vie dans les cabinets d’instructions et les audiences correctionnelles et criminelles ; il est évident que j’ai acquis quelques pratiques ». Il complète son propos lors d’une autre lettre le 17 juillet remerciant chaleureusement le Bâtonnier : il a rencontré son confrère Dorville qui l’a éclairé sur les deux supérieurs en charge de son dossier.
Il espère bientôt avoir une permission pour aller embrasser les siens et se rendre au Palais : j’aurai là-bas un devoir douloureux à accomplir, celui d’aller saluer les noms des amis héroïques morts au champ d’honneur. L’un deux Paul Viven laisse des orphelins particulièrement intéressants ». Permission qu’il a obtenue quelques temps plus tard.
Fin août 1915, Emile Doublet se trouve dans le secteur d’Ormesson dans la Marne, pour quelques jours de repos à l’arrière. Les allemands en prenant la suite ont tout incendié ; son confrère André Berthon arrivé une demi-heure après la bataille n’oubliera jamais le spectacle de ce village en feu ! Son estomac ne va pas bien, il est de triste humeur. Il se rappelle de sa permission d’où il est revenu dans un état moral « lamentable » laissant sa femme et son jeune fils malade. Il candidate désormais à un poste de sous-lieutenant en gendarmerie et remercie le Bâtonnier de lui avoir adressé les certificats nécessaires. Il hésite toutefois à entamer la procédure suite à l’échec des précédentes (officier d’administration puis commis-greffier).
Il rejoint le 209e Régiment d’Infanterie Territoriale le 10 novembre 1915, où il devient sergent au début de l’année 1916.
Sa troisième requête est enfin acceptée en 1918 et il est nommé sous-lieutenant dans la territoriale à titre temporaire, et affecté au 225e Régiment d’infanterie. Ce titre se transforme définitivement en sous-lieutenant par décret du 18 août 1918. Il devient enfin le 30 septembre 1918, lieutenant de l’Armée de Terre.
Il est cité à la Division d’infanterie 21 du 26 février 1918 : « au front depuis le début, s’est signalé par ses sentiments élevés, son esprit de devoir et sa haute compétence. A remarquablement assuré le fonctionnement de son service notamment dans des circonstances très délicates, difficiles et parfois périlleuses ». Il obtient la croix de guerre avec étoile d’argent.
Il est appelé à l’Etat-Major du gouvernement militaire en mars 1918 et y restera jusque sa démobilisation le 1er mars 1919.
Il reprend le chemin du Palais où il plaidera jusque quelques mois avant sa mort le 25 novembre 1942.
En 1931, il est rescapé d’un impressionnant accident de train, qui fit la une de tous les journaux. Il était passager du train Rapide 23 qui a déraillé en gare d’Etampes, faisant huit morts et 35 blessés. Il a été légèrement blessé à l’abdomen et à la tête. Au moment du choc, il se déplaçait pour atteindre le wagon-restaurant en vue du 2e service : « mais une secousse nous a inquiétés et nous avons tenté de savoir ce qui se passait. Je n’ai pas eu le temps de voir. Le train stoppait au milieu d’un fracas de vitres et de bois écrasé ». Il est allé ensuite se reposer quelques instants dans un hôtel de la ville avant de rentrer à Paris (Paris-Soir, 21 mars 1931).
En 1939, il se présente aux élections de l’Ordre des avocats pour être membre du Conseil, mais n’est pas élu.
En juillet 1942, quelques mois avant sa mort, il plaide encore et défend Albert Aubreton et sa femme pour vol de viande (L’Oeuvre, 13 juillet 1942).
Lors de son décès, il avait demandé que lors du discours de rentrée où est prononcé l’éloge des avocats défunts, soit dit ceci : « Emile Doublet a appartenu au barreau pendant 42 ans et honoré sa profession. Son plus grand honneur fut d’avoir donné à la France un fils » (Lettres de Jacques Doublet au Bâtonnier, 5 décembre 1942 et 15 février 1945) : Louis Roger Lucien André Doublet, lieutenant de réserve, est mort pour la France en 1940 : « officier d'une bravoure et d'un allant remarquable ». Chargé le 19 juin 1940 de la défense du pont de Villeret sur Loire près de Roanne, il a été mortellement blessé au combat.
Cindy Geraci.
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