DOUBLET Emile (1878-1942)
Né en 1878 en Charente Inférieure, de parents instituteurs, Emile Doublet effectue ses études de droit à Paris. Licencié, il obtient en 1905 son diplôme de docteur en droit avec sa thèse sur « La dation en paiement » à l’Université de Paris. Il s’inscrit à l’Ordre des Avocats le 19 octobre 1900.
Il plaide de nombreuses fois en Cour d’Assises et au tribunal correctionnel, défendant des enfants mineurs reconnus coupables de divers crimes et larcins.
Il se marie le 16 juillet 1914, peu avant le début du conflit, avec Gabrielle Louise Defoug (1878-1965), couturière ; lors de cette union, deux enfants nés en 1907 et 1911 seront reconnus pour légitimation : Jacques Emile Roger Jean né le 14 août 1907 et Roger Louis André Lucien né le 28 octobre 1911.
Comme plusieurs de ses confrères, Emile Doublet est mobilisé dès le 4 août 1914 et jusqu’au 1er mars 1919, date de sa démobilisation. Il intègre le 123e Régiment d’Infanterie. Il siège avec son régiment d’abord dans le Nord puis franchit la frontière belge fin août. Il se replie début septembre à 5 km au Nord-Ouest de Provins au Château de la Houssaye. Il se déplace dans le secteur de Craonne, pour terminer l’année 1914 dans les tranchées de Moussy-Verneuil-Beaulne. Les conditions sont déplorables : les tranchées ne sont que des fossés pleins de boue, sans abri et sans boyau praticable (Historique du 123e Régiment d'Infanterie). Emile Doublet est nommé caporal le 8 décembre 1914. De janvier à novembre 1915, le 123e R.I. va évoluer dans le secteur de Cerny où il va connaître tous les engins des tranchées allemandes (grenades, torpilles…) et de nombreux bombardements.
Emile Doublet exprime dans sa correspondance de 1914 avec son confère et ami de longue date, André Berthon, une profonde tristesse quant à sa candidature pour devenir officier d’administration restée sans réponse. André Berthon est également mobilisé comme officier d’administration à l’ambulance n°5. Ce dernier écrit donc au bâtonnier à ce sujet (Lettre d’André Berthon au Bâtonnier, 16 mars 1915) pour lui demander d’appuyer cette demande. Il explique que cette candidature n’a pas été transmise au ministère comme elle aurait dû. Il rajoute également que l’état de santé d’Emile Doublet « est très délicat qui lui aurait permis d’être réformé si il avait demandé à passer au conseil de réforme ». Il précise que son confrère est père de deux enfants et « sans fortune », « ce sont hélas la situation de beaucoup de ceux qui tombent chaque jour ». Et le bâtonnier est informé de cette situation familiale puisque Mme Doublet lui a écrit dès décembre 1914, sur les recommandations de son mari, pour solliciter une aide.
Le 12 juillet 1915 Emile Doublet est affecté à la 1ere Compagnie du 138e Régiment Territorial. Sur l’insistance de sa femme, il écrit depuis le secteur où il cantonne au Bâtonnier pour lui demander son appui concernant un emploi de commis-greffier ou rapporteur aux Conseils de guerre. Son ami André Berthon dès son retour à Paris pour une permission était allé appuyer cette demande au Ministère, sans succès. Emile Doublet a déjà plaidé plusieurs fois en conseil de guerre grâce à son confrère Colin, du temps où il était cantonné à Verdun. « Depuis la mobilisation, j’ai plaidé plus de cinquante fois devant les Conseils de guerre » (Lettre d’Emile Doublet au Bâtonnier 12 juillet 1915). Il ne comprend d’ailleurs pas pourquoi ses confrères Moro-Giafferi et Bergère sont commis-greffier et pas lui : « je passe ma vie dans les cabinets d’instructions et les audiences correctionnelles et criminelles ; il est évident que j’ai acquis quelques pratiques ». Il complète son propos lors d’une autre lettre le 17 juillet remerciant chaleureusement le Bâtonnier : il a rencontré son confrère Dorville qui l’a éclairé sur les deux supérieurs en charge de son dossier.
Il espère bientôt avoir une permission pour aller embrasser les siens et se rendre au Palais : j’aurai là-bas un devoir douloureux à accomplir, celui d’aller saluer les noms des amis héroïques morts au champ d’honneur. L’un deux Paul Viven laisse des orphelins particulièrement intéressants ». Permission qu’il a obtenue quelques temps plus tard.
Fin août 1915, Emile Doublet se trouve dans le secteur d’Ormesson dans la Marne, pour quelques jours de repos à l’arrière. Les allemands en prenant la suite ont tout incendié ; son confrère André Berthon arrivé une demi-heure après la bataille n’oubliera jamais le spectacle de ce village en feu ! Son estomac ne va pas bien, il est de triste humeur. Il se rappelle de sa permission d’où il est revenu dans un état moral « lamentable » laissant sa femme et son jeune fils malade. Il candidate désormais à un poste de sous-lieutenant en gendarmerie et remercie le Bâtonnier de lui avoir adressé les certificats nécessaires. Il hésite toutefois à entamer la procédure suite à l’échec des précédentes (officier d’administration puis commis-greffier).
Il rejoint le 209e Régiment d’Infanterie Territoriale le 10 novembre 1915, où il devient sergent au début de l’année 1916.
Sa troisième requête est enfin acceptée en 1918 et il est nommé sous-lieutenant dans la territoriale à titre temporaire, et affecté au 225e Régiment d’infanterie. Ce titre se transforme définitivement en sous-lieutenant par décret du 18 août 1918. Il devient enfin le 30 septembre 1918, lieutenant de l’Armée de Terre.
Il est cité à la Division d’infanterie 21 du 26 février 1918 : « au front depuis le début, s’est signalé par ses sentiments élevés, son esprit de devoir et sa haute compétence. A remarquablement assuré le fonctionnement de son service notamment dans des circonstances très délicates, difficiles et parfois périlleuses ». Il obtient la croix de guerre avec étoile d’argent.
Il est appelé à l’Etat-Major du gouvernement militaire en mars 1918 et y restera jusque sa démobilisation le 1er mars 1919.
Il reprend le chemin du Palais où il plaidera jusque quelques mois avant sa mort le 25 novembre 1942.
En 1931, il est rescapé d’un impressionnant accident de train, qui fit la une de tous les journaux. Il était passager du train Rapide 23 qui a déraillé en gare d’Etampes, faisant huit morts et 35 blessés. Il a été légèrement blessé à l’abdomen et à la tête. Au moment du choc, il se déplaçait pour atteindre le wagon-restaurant en vue du 2e service : « mais une secousse nous a inquiétés et nous avons tenté de savoir ce qui se passait. Je n’ai pas eu le temps de voir. Le train stoppait au milieu d’un fracas de vitres et de bois écrasé ». Il est allé ensuite se reposer quelques instants dans un hôtel de la ville avant de rentrer à Paris (Paris-Soir, 21 mars 1931).
En 1939, il se présente aux élections de l’Ordre des avocats pour être membre du Conseil, mais n’est pas élu.
En juillet 1942, quelques mois avant sa mort, il plaide encore et défend Albert Aubreton et sa femme pour vol de viande (L’Oeuvre, 13 juillet 1942).
Lors de son décès, il avait demandé que lors du discours de rentrée où est prononcé l’éloge des avocats défunts, soit dit ceci : « Emile Doublet a appartenu au barreau pendant 42 ans et honoré sa profession. Son plus grand honneur fut d’avoir donné à la France un fils » (Lettres de Jacques Doublet au Bâtonnier, 5 décembre 1942 et 15 février 1945) : Louis Roger Lucien André Doublet, lieutenant de réserve, est mort pour la France en 1940 : « officier d'une bravoure et d'un allant remarquable ». Chargé le 19 juin 1940 de la défense du pont de Villeret sur Loire près de Roanne, il a été mortellement blessé au combat.
Cindy Geraci.
MISSOFFE Michel (1887-1974)
Né le 9 juin 1887 à Brest, d’un père professeur agrégé, il étudie au lycée Carnot de Paris puis au lycée Michelet de Vanves, avant de poursuivre des études de droit et de lettres. Il est licencié en droit le 3 novembre 1908 et admis au barreau de Paris.
Engagé volontaire dans l’armée en 1905 comme aspirant, Michel Missoffe devient sergent au 132e R.I. en 1907 passé dans la réserve, puis sous-lieutenant de réserve.
Il se marie en 1907 avec une femme « ravissante », Liliane de Sonis, descendante du Maréchal de Russie Prince Michel Koutouzov.
Il est élu en 1913 vice-président de la Conférence Tocqueville « où je défendais avec fougue les opinions les plus réactionnaires » explique-t-il dans ses mémoires de Combattant.
Passionné par les lettres et la littérature, il est aussi écrivain public et publie régulièrement des articles dans l’hebdomadaire La Vie parisienne ; certaines de ses pièces sont également mises en scène dans les théâtres.
Lorsque la guerre éclate, il exerce depuis 6 ans au Barreau et se dit être un homme heureux.
Il part le jour de la mobilisation le 3 août : « Je quittais un Paris soudain privé de moyens de transports, sous le double signe de l’élégance et de l’amitié. Mais c’était fini « du temps des équipages » et, dans le train trop lent qui m’emmenait vers l’est, fier de mon uniforme neuf, n’ayant de la guerre qu’une conception esthétique et sportive, je partais joyeux et fier de me battre, ne rêvant que de gloire et de victoire ». Il rejoint le 26e R.I. comme lieutenant à titre temporaire.
Le 4 août, il est cantonné à Nancy où il rencontre quelques connaissances : Jacques Bertin et Denis, Villenave et Jacques Charpentier (confrères, sergents) ; Charles Chenu (fils du bâtonnier) et André Du Fresnois (confrères, simples soldats). La bataille du 25 août qu’il qualifie de « plus aveugle » et de « plus sanglante » lui fait prendre conscience de la réalité de la guerre : son régiment perd plus de la moitié des hommes et son colonel est blessé. « Brisé physiquement et moralement, je vous envoie ces quelques lignes hâtives. Dix-huit officiers sont tués ou blessés. Chenu [Charles Maurice son confrère mobilisé] a eu une balle dans la tête. Un miracle m’a sauvé au milieu des obus et des balles » écrit-il à sa famille (Confession d’un combattant (Lorraine et Artois), 1914-1915, Plon, 1935). Le 28 août, il est nommé au commandement de la 21eme compagnie, mais décline « la responsabilité de conduire une compagnie avec toutes les difficultés de la comptabilité, du ravitaillement, du matériel me semblait trop lourde et j’aurais éprouvé un vrai déchirement sensible à quitter les hommes avec qui je m’étais battu ».
Michel Missoffe est sur le front, dans les tranchées ; il décrit des conditions de vie et des scènes quotidiennes difficiles et cruelles : « Il y a quelque chose de dramatique, c’est de voir des cadavres au milieu des vignes et des champs de blé ! les symboles de vie auprès des images de morts. Ah ! le petit vin de Lorraine ! la récolte ne sera pas riche cette année ! Il fait pourtant un temps superbe, un temps de partie de plaisir, et, au fond, puisque nous avançons, c’en serait une si, depuis tant de jours, nous ne couchions pas au milieu des cadavres qu’on ne peut enterrer, ni même enlever ». Il évoque les nuits sans sommeil, les nuits glacées, les jours interminables sans pouvoir se déchausser, les intempéries, etc.
Il est blessé une première fois le 13 septembre 1914 au bois de St Paul (à l’Est de Nancy). Lorsqu’enfin ravitaillé, il s’apprête à prendre quelques aliments quand l’ennemi tire sur eux trois obus de gros calibres « les gros noirs ». Il sort couvert de terre du trou ouvert par l’explosion, les deux hommes de garde tués. Son sabre était en bouillie, la main gauche en sang mais rien de cassé, même pas un doigt, l’éclat d’obus ne lui ayant fait qu’une légère blessure au médius ». Hors de question pour Michel Missoffe d’aller à l’ambulance ou de quitter la compagnie. Le docteur Mangien lui fait un pansement.
En octobre 1914, il est cantonné dans le Pas-de-Calais. Depuis que son capitaine a été blessé à Vimy, il dirige la 24e compagnie composée de 300 hommes. Poste qui lui sera affecté quelques jours plus tard comme lieutenant. Il est fier d’être porte-drapeau du 237e régiment à la place de son confrère Henri de Pimodan, avec lequel il passe une nuit : « ce sont les hasards de la guerre ! Ensemble nous avons partagé un peu de poulet froid (grâce à mon cuisinier avisé) et du pain d‘épice. Ce fut mon seul repas durant 24 heures ».
[NDRL : Henri, né un an après Pierre, capitaine au 237ème régiment d’infanterie, tombe devant Arras, à Saint-Laurent-Blangy. Il a également appartenu au barreau de Paris, mais avait interrompu son stage].
Le 27 décembre 1914, après avoir passé le 24 avec plusieurs de ses amis (Pierre Cherest, Mithouard, Chassaigne-Goyon (Missoffe le connaissait par la conférence Mollé-Tocqueville) et son confrère Louis Lagache (mort de maladie en 1917), il se trouve dans la tranchée, vers Carency. Le lieutenant-colonel Mathis lui demande de passer à son poste, près des onze arbres et l’accueille avec « le visage bouleversé d’un magistrat honnête obligé d’annoncer à des innocents (qu’ils sauraient innocents) leur condamnation à mort ». Michel Missoffe s’oppose à son ordre : les hommes sont physiquement et moralement hors d’état de faire une attaque qu’ils savent voués au plus sanglant échec, alors que celui-ci vient de lui demander de faire sortir une section. Mais le lieutenant-colonel ne veut pas que les jeunes alpins du commandant Stirn se croient lâchés par les fantassins. Missoffe assume et répond qu’il sortira le 1er de sa tranchée, même si l’ordre lui est donné de rester avec ses trois sections. Il répond à son supérieur avec audace « Laissez-moi dans ces heures tragiques […] juge de mon devoir. J’ai toujours répété que j’étais heureux de me battre, que je ne craignais pas la mort. Le moment est venu de le prouver ». Avant de partir attaquer, il demande de faire venir le Père Combier, jésuite et sergent, pour lui demander la dernière absolution.
A deux heures et demi, il grimpe sur le parapet et part au combat. Il voit presque mourir dans ces bras son camarade Albertus, une balle dans la tête. Il regagne la tranchée française 6 heures plus tard, avec son ami, qu’il retrouvera début 1915 à l’hôpital, sauvé mais paralysé toute sa vie. Il sera proposé le 31 décembre pour une citation à l’ordre de l’armée, qui lui procure de la joie. Cette citation « apparaissait comme la consécration la plus haute » [la croix de guerre n’existait pas encore] : « officier plein d’énergie et de bravoure a vigoureusement et personnellement enlevé sa compagnie au moment de l’attaque des tranchées allemandes de Carency le 27 décembre 1914 » (Ordre de la 70e division n°30 du 7 janvier 1915).
Fin 1914, il est cantonné à Maisnil-Bouché dans le Nord-Pas-De-Calais. Il rencontre son confrère et ami Pierre Taittinger, officier de cuirassiers, affecté au groupe cycliste. Il est également convoqué au poste de commandement du corps d’armée à la villa d’Acq où il est reçu par le général Philippe Pétain. Le 1er janvier 1915, il a ordre de se rendre « dans les tranchées du mouvement de terrain 124 au S.-E. de Carency, pour y remplir une mission donnée par le commandant de l’armée ».
Le dimanche 10 janvier, il reçoit une balle dans la figure à la hauteur de l’œil droit, alors qu’il faisait une tournée dans la tranchée avec un lieutenant du génie : « une seconde me suffit pour me rendre compte, que si je saignais abondamment, j’avais toute ma lucidité, et accompagné par l’infirmier-ténor Paulet, je me rendis à pied à l’ambulance ». Le médecin-chef lui propose une évacuation vers l’intérieur par crainte de complications, il accepte et prend le train sanitaire à Aubigny. Il veut saisir l’occasion de revenir à Paris, embrasser les siens… et, après avoir fait jouer quelques relations, il sera accueilli à l’Hôpital Astoria par la baronne de Lasseur. Après 8 jours dans cet hôpital, « fatigué de jouer au héros », il veut revenir en Artois et retrouver sa compagnie. Son retour volontaire et très inattendu au front, sans passer par le dépôt, apparaissait aux uns comme une leçon intempestive, et aux autres comme une bravade. Il est cité à l’ordre du jour et proposé pour le grade de capitaine. « En six mois de campagne c’était beaucoup pour un seul homme ! » écrit-il.
Il est affecté à la 21e. Courte durée. Le 9 février il change de bataillon et nommé au commandement de la 17e compagnie (la première compagnie du régiment) où il restera pendant près d’un an.
L’année 1915 est marqué par plusieurs événements dont la mort de son frère au front au mois de mars, laissant derrière lui une veuve et trois enfants. Michel Missoffe est très affecté, ce qui le fait réfléchir : « Je n’ai jamais eu peur de la mort. J’ai eu de la souffrance la terreur la plus angoissée, la plus hallucinante, la plus lâche ». « Etre tué au feu est un risque que j’ai toujours, honnêtement et sans aucun mérite, accepté, comme payé d’avance par l’ivresse et l’honneur de se battre ».
Le 8 mai 1915, il participe à la prise d’Ablain-Saint-Nazaire. Le 12 mai lui et sa compagnie sont bombardés. Mais leur rôle était de maintenir l’inviolabilité du front devant Ablain tandis que les autres attaqueraient Carency par le sud. Rempli de courage, il lance à ses hommes : « Allons-y ». « Je demande bien pardon aux historiens pour qui la prise d’Ablain-Saint-Nazaire doit s’insérer logiquement dans une série d’ordre… rédigés après coup, comme les journaux de marche ou les mémoires des grands chefs. A la guerre, pour les petites unités il y a un moment favorable à saisir. Un point c’est tout » ; « Comment décrire l’allégresse avec laquelle, clairon sonnant, baïonnette haute, ma compagnie dans le brouillard argenté du matin, s’élança en colonnes d’escouades par un, à travers les jardins remplis de lilas ? ». Ils prennent la tranchée allemande. « Splendide souvenir » écrit-il. Il recevra les compliments de ses supérieurs pour cet acte héroïque : « Au combat du 13 mai, la compagnie Missoffe eut pour mission de pénétrer la première dans Ablain-Saint-Nazaire, dont l’organisation défensive était puissante. Elle s’acquitta de cette tâche ardue d’une façon magistrale, grâce surtout à l’à-propos du lieutenant Missoffe et à l’entrain qu’il sut communiquer aux cadres et aux hommes. L’ennemi put se ressaisir et dut abandonner deux canons, une ambulance aux blessé, un important matériel de guerre, et la plus grande partie de la localité, quoiqu’il comptât un effectif très supérieur à la 17e compagnie. En outre, cet officier sut, en fort peu de temps, et malgré un feu violent et rapproché, organiser judicieusement le terrain conquis et le mettre ainsi à l’abri d’un retour offensif » (Capitaine Mercier commandant du bataillon depuis la blessure du commandant Hartmann).
Jusqu’en juillet 1915, il alterne entre les tranchées et les jours de repos. Il obtient une permission : « ce papier c’est le droit de vivre, le droit de vivre comme avant » : il part voir sa famille en Bourgogne puis ses confrères à Paris. Il est de retour le 7 août dans sa tranchée ; déjeune quelques jours plus tard avec son confrère et ami Millevoye, lieutenant du 74 R.I. cantonné dans le voisinage, duquel il écrit que « Peu d’avocats ont un talent et peu d’hommes un tel dynamisme ». La mort de Millevoye en 1915 le rendra malade et le fera rester alité plusieurs jours.
Il participe en septembre 1915 à la seconde bataille d’Artois où il est au 42e bataillon de chasseur à pied, dans des conditions extrêmes de pluies torrentielles, il cantonne dans la tranchée de Brême. Il n’a rien mangé depuis 48h et se nourrit par chance d’un pot de confiture piqué dans la musette d’un cadavre allemand. Il est épuisé. Son ami André Tardieu, à qui on a refusé toutes les demandes pour aller se battre, lui dit : « vous en avez trop fait depuis quinze mois, vous n’en pouvez plus. Venez prendre ma place à l’état-major. La guerre n’est pas près de finir. Quand vous en aurez assez, vous reprendrez un commandement de la troupe ».
Le 6 novembre, de retour dans sa tranchée après 8 jours de permission, il apprend par une note téléphonique : « Prévenez le capitaine Tardieu est affecté au 44e bataillon de chasseurs ; que le capitaine Missoffe est affecté à l’Etat major de la 70e division où il prendra son service le 11 novembre à 18 heures ». Une nouvelle vie commence. André Tardieu lui remet ensuite le brassard de soie rouge et les foudres, insignes de ses nouvelles fonctions. Sa première tâche : rédiger le récit détaillé de la bataille du 25 septembre et les leçons à en tirer.
Michel Missoffe reviendra au front en 1917 où il sera blessé devant Aspach d’une plaie par balle à la tête, ce qui lui vaudra une citation à l’Ordre de la division n°166 du 24/07/1917 : « depuis 20 mois à l’Etat major de la Division à pris part à tous les combats en Artois devant Verdun sur la Somme et sur l’Aisne, montrant partout les plus brillantes qualités militaires. Officier de reconnaissance des plus hardies recherchant toujours les missions les plus périlleuses a toujours réussi à renseigner complètement et rapidement le commandement même dans des circonstances les plus difficiles et sous les bombardements les plus violents notamment les 4 et 8 juillet 1917 » ; et une autre à l’appui de la Légion d’honneur : « Officier de bravoure remarquable le 7/10/1917 a continué à observer à découvert le terrain en avant de nos lignes malgré le tir d’une mitrailleuse ennemie qui battait le parapet de la tranchée. Gravement atteint à la tête, a fait l’admiration de tous ceux qui l’entouraient par son calme et son sang froid ».
Il s’illustrera encore en 1918 : « capitaine adjudant major doué des plus belles qualités militaires de courage et de dévouement et d’esprit de sacrifice ; n’a pas cessé au cours du combat du 30 mars de traverser les champs de bataille en terrain découvert sous les rafales d’artillerie et de mitrailleuses ennemies pour s’assurer de la solidité de nos positions et réconforter nos éléments avancés engagés dans une lutte des plus meurtrières » (Citation à l’Ordre n°421 du 3e corps d’armée du 16 avril 1918).
Cité à l’Ordre n°235 de la 70eme division en date du 19 septembre 1918 : « un bombardement d’une extrême violence s’étant subitement abattu sur le bataillon en position d’attente, a remplacé son chef de bataillon parti en reconnaissance rétablissant l’ordre donnant à tous, l’exemple du calme, du sang-froid et prenant de si judicieuses dispositions qu’il n’avait que deux chasseurs de blessés.
Il sera démobilisé le 11 mars 1919. Il rependra sa carrière d’avocat (il plaidera en conseil de guerre lors du procès de la capitulation de Maubeuge en 1920), deviendra président de la Conférence Molé-Tocqueville, entamera une carrière politique puisqu’il est élu conseiller municipal de Paris le 30 novembre 1919, comme candidat d'union nationale républicaine, puis député de la Seine de 1924 à 1928, s'occupant des finances locales et des questions militaires. Il sera également président de la fédération nationale des sociétés d'anciens chasseurs à pied.
Membre de l'académie septentrionale, il est auteur d'une biographie d'André Tardieu (1876-1945, la Vie volontaire d’André Tardieu, 1930, Flammarion) et d'études historiques sur le Nord (sur les Officiers de justice du bailliage d'Avesnes et sur Les notables d'Avesnes au XVIe siècle et la famille de Forest).
Il démissionne du barreau en 1932, étant nommé ministre plénipotentiaire de la République française à Luxembourg.
« Tu as un joli brin de plume au bout de ton sabre et tu te sers aussi bien de l’une que de l’autre », propos d’Henri Robert concernant son confrère Michel Missoffe.
Michel Missoffe décèdera le 24 mars 1974 à Paris.
Cindy Geraci.
Sources :
- Dossier ODA
- Archives de Paris, Fiche matricule, D4R1 1440
- Michel Missoffe, Confession d’un combattant (Lorraine et Artois, 1914-1915). Paris, Plon, 1935.
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