La remilitarisation de la Rhénanie par le gouvernement allemand en 1936, puis l’Anschluss au printemps 1938 ont mis en alerte les forces militaires françaises. Dès lors, un état de semi-mobilisation est instauré dans les régions de l'Est : plusieurs divisions d'infanterie des quatre coins de la France sont venues occuper des secteurs qui leur étaient affectés en cas de guerre.
Des mesures de défense passive sont prises par le conseil des ministres du 26 septembre ; des stocks de masques à gaz sont mis à la disposition du public, du sable est distribué dans Paris. La rentrée des classes est ajournée du 3 au 10 octobre.
Au matin du 24 septembre 1938, les Français découvrent, en sortant de chez eux, les affiches de mobilisation :
« Par ordre du ministre de la Défense nationale et de la Guerre et du ministre de l'Air, les officiers, sous-officiers et hommes de troupe des réserves, porteurs d'un ordre ou fascicule de mobilisation de couleur blanche, portant en surcharge le chiffre « 2 », se mettront en route immédiatement et sans délai, sans attendre une notification individuelle. Ils rejoindront le lieu de convocation indiqué sur leur ordre ou fascicule de mobilisation dans les conditions précisées par ce document. »
Le Conseil de l’Ordre face à la mobilisation
Le Conseil de l’Ordre doit donc envisager une éventuelle mobilisation des confrères : il met en place le 4 octobre 1938 « une commission à l’effet d’étudier les conditions de l’exercice de la profession d’avocat en cas de mobilisation générale » et désigne comme rapporteur Etienne Carpentier, Henri Decugis, Henri Lalou, Etienne Cathala et René Gain. Le rapport est rendu la semaine suivante, le 11 octobre. Le conseil décide alors de demander au bâtonnier d’effectuer toutes les démarches utiles en vue d’obtenir les additions suivantes au décret du 20 juin 1920 : «
- Art 43 bis : en cas de mobilisation générale et pendant toute sa durée aucune admission au stage ne pourra être prononcée ; pendant la même période aucun avocat inscrit ou stagiaire ne sera admis à solliciter son inscription au tableau ou sur la liste du stage d’un autre barreau ; il ne sera apporté d’exception aux deux dispositions qui précèdent qu’en faveur des licenciés en droit ou des avocats stagiaires ou inscrits, qui, après leur mobilisation seraient réformés pour blessures ou invalidité contactées au service ou qui seraient démobilisés.
- Art 45 bis : en cas de mobilisation générale et pendant toute sa durée, les membres du barreau non mobilisés peuvent, avec l’autorisation spéciale du Bâtonnier, accepter toutes fonctions rétribuées ou non de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif ; le bâtonnier peut également les autoriser à diriger l’étude d’avoué, de notaire ou d’huissier de leur conjoint, d’un parent ou d’un allié mobilisé.
Le bâtonnier peut aussi, par décision individuelle et toujours révocable, autoriser les avocats non mobilisés à accepter des emplois à gages n’entraînant aucune responsabilité personnelle découlant d’un maniement de fonds ;
Pendant la durée de ces fonctions ou emplois, l’avocat autorisé à exercer est maintenu au tableau ou sur la liste du stage ; il conserve son rang d’ancienneté, sauf décision contraire du Conseil de l’Ordre motivée par les circonstances ; il reste soumis au contrôle et à la discipline de l’ordre mais l’exercice de la profession d’avocat lui est interdite ;
Même en cas de mobilisation générale l’incompatibilité de la profession d’avocat avec tout négoce ou agence d’affaires reste maintenue sous les termes de l’article 45 ».
Le Conseil prend également la décision ci-dessous, affichée au Palais à la moindre opposition, par ordre du bâtonnier :
« Tout avocat mobilisé ou autorisé par le Bâtonnier à assumer une fonction ou un emploi en cas de mobilisation générale transmet ses dossiers à un confrère n’étant pas dans une de ses situations ; le confrère, sauf opposition du client, donnera ses dossiers en question la suite qu’ils comportent jusqu’à ce que le confrère mobilisé ait cessé d’être mobilisé ou affecté à un emploi. La désignation du désigné est faite par M. le Bâtonnier faute par l’intéressé de l’avoir fait lui-même ou par le client d’y avoir pourvu.
L’avocat substituant un confrère mobilisé s’emploiera à lui assurer les honoraires afférents aux dossiers à lui remis [sic].
L’avocat mobilisé doit en aviser le Bâtonnier ; il fait connaître en même temps le ou les confrères auxquels il a transmis ses dossiers.
Le secrétariat de l’ordre tient un fichier alphabétique des mobilisés et des avocats autorisés par le bâtonnier à exercer pendant la mobilisation générale les fonctions ou emplois. Le fichier indiquera : 1° les dates auxquelles ont commencé ou pris fin ces situations
2° les confrères à qui les avocats empêchés ont confié leurs dossiers. L’avocat commis d’office ou dont le client bénéficie de l’assistance judiciaire déposera au secrétariat les dossiers dans lesquels il a été commis ».
Ce fichier n’a malheureusement pas été conservé dans les archives de l’Ordre. L’étude des dossiers des avocats nous permettent cependant de retracer la mobilisation au barreau de Paris.
Dès 1938, les réservistes réintègrent leurs régiments de rattachement. Ainsi Pierre Kraemer rejoint son régiment dès le mois de décembre 1938 ; son épouse Marcelle le substitue à son cabinet avant de s’engager à son tour en juin comme infirmière de la Croix Rouge dès le début de la guerre. Paul Foy, ancien combattant de la grande Guerre, est engagé volontaire en mars 1937 « pour la durée d’une guerre éventuelle », puis mobilisé en 1938 à la suite de la crise des Sudètes. Il est rappelé à l’âge de 60 ans par réception d’un télégramme dont nous retrouvons la photographie dans son dossier :
Il est mobilisé comme capitaine chef d’escadron de train, combattra notamment au cours des opérations du Sud de la Loire entre le 15 et le 25 juin 1940, ce qui lui vaudra une citation.
Léonce Pimienta est mobilisé en septembre 1938 lors des événements de Munich, puis en août 1939, comme lieutenant de groupement auto-lourd 18 ; il combattra en Belgique, avant de subir les bombardements allemands de Dunkerque du 28 mai au 3 juin, où les troupes françaises et britanniques durent attendre sur les plages de Zuydcoote leur embarquement pour l’Angleterre. Il sera démobilisé en septembre 1940 après avoir participer aux derniers combats de la campagne de France depuis Brest.
Quant aux avocats stagiaires, ils sont nombreux à partir effectuer leur service militaire dans cette année 1938 : Albert Chevrier sollicite ainsi une suspension de stage à cet effet.
Le 18 avril 1939, le Conseil anticipe les futurs évènements et décide que « l’avocat amené à substituer un confrère rappelé sous les drapeaux ne pourra en aucun cas conserver cette clientèle lorsque son confrère reprendra l’exercice de sa profession. Le bâtonnier fera afficher cette décision au Palais au moment opportun ».
Le 2 septembre 1939, la mobilisation générale est déclarée : tous les hommes âgés, mariés comme célibataires, de 20 à 48 ans sont mobilisés. Tous étaient en possession, à l’issue de leur service militaire qui durait 2 ans, d’un fascicule où étaient mentionnées les informations nécessaires : le jour où ils doivent se mettre en route, le régiment à rejoindre. Les combattants de 1914-1918, nombreux notamment parmi les sous-officiers et les officiers de réserve, sont rappelés, à l’échelle nationale. Le pays mobilise 29 classes d’âge, remontant pour la plus ancienne en 1909 (soit des hommes nés en 1889) ; les plus âgés (classes 1909 à 1917) représentent plus de 40% des effectifs. Les plus jeunes, classe 1938, n’ont pas terminé leur service militaire. Celui-ci, effectué l’âge de 20 ans, était alors d’une durée de deux ans. Ainsi, le calcul de la classe s’effectue en comptant 20 à partir de l’année de naissance : par exemple Me Marc Lauer est né en 1901, il appartient à la classe de 1921 et est rappelé le 28 août 1939 ; il est alors âgé de 38 ans.
Au total, 5 millions de français seront mobilisés (11,4 % de la population française), dans une impréparation totale ; seuls 1 500 000 hommes étaient disponibles, les autres étaient dispersés en Afrique du Nord ou remis à l’entraînement.
La mobilisation des avocats
Au Palais, comme le relate plusieurs journaux, les gens de justice furent peu surpris du déclenchement des hostilités. Peu de jours avant ce jour fatidique, les couloirs du Palais entendaient encore quelques propos optimistes entre magistrats, avocats et avoués : « on voulait encore espérer. Mais tous ceux qui réfléchissent et raisonnent froidement avaient compris l’extrême gravité de la situation et, déjà, les lampadaires des galeries, hâtivement bleuis, les panneaux-indicateurs d’abris surgis comme par enchantement avaient donné au temple de Thémis sa physionomie de guerre » (Paris Municipal, 14 septembre 1939).
En ce jour de mobilisation, Me Gaston Crémieux, pour il est maintenant « bien malaisé d’éviter la guerre, déjà amorcée en Pologne, et qu’il est à craindre que le projet d’évacuation de Paris ne doive être réalisé », interpelle le bâtonnier sur la mobilisation de ses confrères : « quelles seront les obligations, quel sera le simple devoir de l’avocat parisien non mobilisé ? » ; « le devoir des avocats non mobilisés est de plaider » lui répond le bâtonnier le 8 septembre.
Dès le mois de septembre, les vacances judiciaires terminées au palais, l’Ordre est prêt à faire face à la mobilisation : avant de rejoindre leurs corps, les avocats mobilisés viennent faire leurs adieux à leurs confrères ; dans les couloirs du palais, comme le rapporte Le Jour du 6 septembre 1940, ne restent que les avocats non mobilisables et des magistrats en uniforme qui seront appelés à siéger dans les tribunaux militaires. Le bâtonnier Charpentier communique dans le Petit Parisien, que l’Ordre reste à Paris, et qu’il veillera aux intérêts des confrères mobilisés ; il invite même « ceux qui sont inquiets du sort de leur famille à lui confier leurs préoccupations » (5 septembre 1939).
Léon Ducom conseiller à la cour de Cassation, en uniforme de colonel s'entretenant avec ses collègues dans les couloirs du Palais.Détective, 21 septembre 1939.
L’Ordre a pris ses dispositions pour assurer la continuité des affaires en cours : « pas de causes en souffrance : les avocats mobilisés seront remplacés » titre Paris Soir le 4 octobre 1939.
De même, le barreau applique le décret du 20 septembre 1939 sur la mise en congés des avocats, que ces derniers peuvent demander pour une période qui ne saurait dépasser la date de la cessation des hostilités. Pour mettre en œuvre cette substitution, les informations de mise à disposition de l’Ordre pour les mobilisés se fait dans un premier temps par voie de presse. Certains avocats sont partis précipitamment pour rejoindre leurs affectations militaires et n’ont pas eu le temps d’organiser leur cabinet ; Marcel Menesclou écrit « hâtivement » à son bâtonnier le 6 septembre expliquant qu’il était à Evian lorsqu’il a reçu un télégramme l’informant de sa mobilisation. « J’ai dû partir sans une minute pour prendre effets linge etc. et encore moins pour trier mes dossiers urgents ». Il demande une permission « pour permettre de vous remettre certains dossiers importants ». Le bâtonnier ne peut pas intervenir auprès de son supérieur pour cette demande mais lui confirme qu’il lui faudra bien 48h pour classer son cabinet. Autre exemple avec Marcel Vigo, « touché par les mesures de mobilisation », en position dans le nord des Vosges lorsqu’il écrit au bâtonnier le 6 septembre, lui demandant de le rapprocher d’un confrère non mobilisé pour le « remplacer jusqu’à la rentrée ou pour me tenir au courant des mesures de moratoire judiciaire prises et de leurs conséquences ».
Dans un second temps, l’Ordre envoie aux avocats un questionnaire de mobilisation, sans distinction homme/ femme, afin de connaître les avocats mobilisés et d’organiser les dispositions prises et à prendre pour le suivi des dossiers des clients. Une étude succincte de ces questionnaires permet de typographier la mobilisation des avocats parisiens.
Les avocats en âge d’être mobilisés
Claude Gompel, avocat-stagiaire né en 1913, classe 1933, est mobilisé début avril 1939 ; il sollicite dès lors, par courrier au bâtonnier, écrit sur à papier à en-tête « Croiseur Algérie », le 19 avril 1939, un congé pour « la durée de mon séjour sous les drapeaux ». Il a été embarqué dès son arrivée à Toulon. Sa femme, elle-même avocate, ne sachant pas si Claude avait pu écrire au bâtonnier, lui écrira à son tour pour cette même sollicitation. Le congé sera accordé. Il remplira également le questionnaire précisant que Me Martinaud-Deplat le substituera dans ses dossiers. Son confrère Marc Lauer, né en 1901, classe 1921, est lui mobilisé le 28 août 1939 et indique dans le questionnaire être substitué par Me Levy-Hollander. Emile Laffon est avisé par Guillaume Hanoteaux par téléphone le 26 août 1939 à 5h de l’après-midi que le n°5 (son affectation) était rappelé. Il quitte Paris à 21h et arrive à son camp de rattachement « au petit jour » avec deux camarades. Quant à Jean Pierre Kahn, stagiaire de première année, né en 1919, classe 1939, il n’est mobilisé qu’en juin 1940. Il sollicite auprès du bâtonnier une suspension de stage jusqu’à sa démobilisation.
Les non mobilisables, en raison de leur âge
Paul et Pierre Arrighi ne sont pas mobilisables en 1939, Paul sollicite le 30 septembre son admission dans le personnel des assimilés spéciaux du service de la Justice militaire en qualité d’officier défenseur aux armées. Cette demande est refusée par le ministère. Mais il se présente comme volontaire à la gendarmerie d’Auxerre : étant né en 1895, donc classe 1915, il est trop âgé pour s’engager. Quant à son fils Pierre, né en 1921, avocat stagiaire appartenant à la classe 1941, il est trop jeune pour être mobilisé ; ce qui ne l’empêchera pas de s’engager dans les réseaux de résistance.
Paul Arrighi pourrait également faire partie de la catégorie des avocats non mobilisés engagés volontaires tout comme son confrère Henry Reitlinger, non mobilisable en 1939 ; cet ancien combattant de la première guerre, né en 1887, appartient à la classe 1904. « je n’ai plus d’obligations militaires mais je compte m’engager dès que ce sera possible » indique-t-il sur le questionnaire, précisant qu’il ne peut donc se charger des intérêts d’un de ses confrères. Une lettre adressée au bâtonnier le 7 octobre 1940 précisera qu’il a été mobilisé en juillet 1939 puis réformé pour cause de maladie.
L’engagement des avocates
La loi du 11 juillet 1938 sur l'organisation de la nation en temps de guerre prévoyait « qu'il serait fait appel à un personnel de complément, non mobilisable, et à des volontaires, des deux sexes, ayant reçu une instruction préliminaire spécialisée ». Dans les faits, les femmes engagées continuent de servir à titre bénévole notamment dans les structures de la Croix Rouge française.
Les avocates ne sont donc pas mobilisables, mais elles s’engagent : comme sa consœur Marcelle Kraemer-Bach citée plus haut, Suzanne Grinberg est dans l’impossibilité de remplacer un confrère car est elle-même engagée volontairement dans la D.P. ; à l’inverse, Lucienne Scheid-Levillion écrit qu’elle est déjà en charge des affaires de son mari Lucien Haas, ainsi que ceux de ses confrères Mes Pomaret, Léon-Maurice Nordmann, Pierre Léon Rein et Charles Edmond Kahn ; Suzanne Fortin sollicite dès juin 1940 un congé pour s’engager dans les Sections sanitaires comme infirmière ; elle est affectée au dispensaire de la Croix et exerce en 1941 des fonctions qui l’occupent à plein temps : elle est infirmière bénévole stagiaire au dispensaire du 8e arrondissement. Ces occupations ne lui permettant pas d’exercer sa profession, son congé est donc prolongé jusqu’à la fin des hostilités. Nombreuses sont celles qui prennent le relais de leurs confrères masculins mobilisés pour gérer les cabinets et les affaires en cours.
La gestion des cabinets d’avocats
Le remplacement des confrères mobilisés par d’autres non mobilisés ou non mobilisables posent néanmoins quelques difficultés de gestion. Paul Appleton, avocat non mobilisé en raison de son âge, a accepté de prendre des dossiers de confrères mobilisés. Or en décembre 1939, il s’adresse au bâtonnier lui expliquant qu’il « a du mal à accomplir les tâches du palais, celles qui me viennent de confrères, de collaborateurs mobilisés » ainsi que sa charge d’enseignant. Il « aimerait qu’un jeune confrère voulut bien m’aider… sans doute en ce temps de mobilisation faut-il mettre au féminin ». La réponse du bâtonnier ne se fait pas attendre, celui-ci lui propose une liste de « jeunes gens qui demandent un patron » : sur les cinq propositions, trois sont des avocates ! La liste ne figure malheureusement pas dans le dossier.
Autre exemple avec le cabinet de Me Paul Foy, mobilisé au sud de la Loire depuis août 1939. Dans le questionnaire de mobilisation, celui-ci répond négativement à la question « Avez-vous choisi un confrère parmi les non mobilisables qui serait disposé à surveiller vos dossiers et à vous substituer ? ». En octobre 1939, alors qu’il est à Rambouillet, il adresse à son confrère Georges Vidal, désigné par le bâtonnier en septembre 1939, une lettre expliquant qu’il a prié ses collaboratrices d’assurer la remise de certaines de ses affaires, mais qu’il ne manquerait pas de faire appel à lui « dès qu’un procès plus important devra absolument être plaidé ». Mais en décembre, Georges Vidal informe le bâtonnier que « toute une correspondance s’accumulait au vestiaire à l’adresse de Paul Foy sans que jamais personne soit venu les retirer ». Ne voulant pas être indiscret, il demande au bâtonnier l’autorisation de pouvoir gérer cet amoncellement de lettres. En janvier 1940, le bâtonnier informe Me Vidal que Paul Foy est passé le voir et qu’il lui a assuré avoir fait le nécessaire pour les affaires courantes. Reconnaissant envers son confrère, il « serait heureux si vous vouliez bien lui continuer votre concours dans certaines affaires plus difficiles que les autres ».
Le 3 octobre 1939, le conseil décide que, par interprétation du décret du 20 septembre 1939, il pourra mettre en congé les avocats non mobilisés même pour un autre motif que l’exercice d’une activité incompatible avec l’exercice de la profession d’avocat. Chaque cas sera examiné spécialement par le conseil. La décision est également valable pour les stagiaires non mobilisés sur leur demande, avec l’interdiction d’exercer devant n’importe quel barreau. Les cotisations seront non dues durant la mise en congés. Les procès-verbaux du Conseil indiquent dès cette date les noms des avocats mobilisés au fur et à mesure de leur mobilisation.
Début 1940, la situation des avocats mobilisés est assouplie par le Conseil ; en effet, le 12 mars 1940 :
« le Conseil sur rapport de M. Vigier,
Considérant que dans son arrêté du 29 octobre 1939 le conseil a décidé que « la mobilisation entraîne pour tous une sujétion nécessaire mais incompatible avec le caractère absolu que doit revêtir l’indépendance de l’avocat ;
Considérant que depuis lors son attention a été attirée sur la situation des avocats bénéficiaires d’un congé militaire, c’est-à-dire autorisant une absence de plus de trente jours (article 27 du décret du 1er mars 1850) ;
Considérant qu’un tel congé affranchissant momentanément des militaires du lieu de subordination, a pris effet de suspendre momentanément l’incompatibilité existant entre la profession d’avocat et l’accomplissement du devoir militaire ;
Qu’en effet le congé rendant aux militaires, aux termes du paragraphe 2 de l’article 9 de la loi du 31 mars 1928 sur le recrutement, le droit de vote, c’est-à-dire l’exercice d’un droit civique, est susceptible de rendre à l’avocat mobilisé qui en est titulaire la jouissance temporaire de ce statut civil ;
Arrête :
L’avocat mobilisé, requis ou affecté spécial bénéficiaire d’un congé militaire d’au moins trente jours, pourra, avec l’autorisation de M. le Bâtonnier auquel il devra justifier de la régularité de son titre, exercer sa profession pendant la durée de ses congés. Il ne pourra les faire qu’en terme civil ».
Cette décision du Conseil de l’Ordre ne semble, pour certains, pas satisfaisante, puisque le 2 avril 1940, M. Emile Lardier, député, pose, lors des débats parlementaires, au ministre de la Défense nationale et de la guerre la question de savoir si un avocat mobilisé comme officier de justice militaire ou comme officier défenseur a le droit de plaider pour des clients civils et correctionnels durant le temps de sa mobilisation soit aux armées, soit à l’intérieur. La réponse est négative mais précise qu’« il est toutefois admis que les avocats mobilisés peuvent, lorsqu’ils sont en permission, exercer leur activité professionnelle, mais seulement en tenue civile ou revêtus de leur toge ; en aucun cas ils ne doivent, étant en permission, se présenter en uniforme aux audiences des tribunaux pour remplir leur mission ». Cette question et sa réponse seront publiées au Journal officiel du 19 avril 1940. La décision du Conseil et cette réponse ministérielle susciteront quelques mécontentements de journalistes, dont Madeleine Jacob. Elle écrit dans l’Œuvre le 22 avril 1940 qu’une circulaire du ministère Daladier édicte que tout permissionnaire devait être autorisé à effectuer un travail rémunérateur, à la condition que ce travail soit exécuté en costume civil ; l’Ordre des avocats n’a pas cru devoir considérer que cette circulaire le concernait. Elle résume :
- Un avocat permissionnaire n’a pas le droit de plaider.
- Un avocat en congés de convalescence n’a pas le droit de plaider.
- Un avocat en instance de réforme n’a pas le droit de plaider.
- Un avocat réformé, de retour des armées, mais qui n’est point encore, pour des raisons de paperasseries administratives, rayé des cadres n’a pas le droit de plaider.
« L’Ordre a estimé que l’exercice de la profession d’avocat était incompatible avec le métier militaire même quand le militaire était en congés » conclue-t-elle, et cite quelques exemples d’avocats en situation : « un avocat sur le front depuis le début des hostilités s’est arrangé pour faire coïncider sa permission avec la venue devant les assises d’un procès qu’il avait travaillé et qu’il voulait plaider. Il s’est vu refuser le droit d’exercer son métier. Un autre, en instance de réforme, désirant, lui aussi, gagner sa vie, car c’est de cela, ô mes chers maîtres demeurés tranquillement chez vous, qu’il s’agit, un autre s’est vu de même interdire de passer la robe ». Elle poursuit en expliquant que dès le début de la guerre les dossiers des affaires des avocats mobilisés sont confiés aux non-mobilisés, à charge pour eux de les mener à bien et de partager les honoraires avec le confrère soldat. « Et après ? en quoi cela empêche-t-il que l’avocat qui aime son métier, qui l’a dans le sang et qui a aussi, ce qui peut paraître accessoire, le désir et même le besoin de faire un travail rémunérateur pendant sa permission, en quoi cela l’empêche-t-il, puisqu’il est là, de plaider pour son client ? ».
A la suite de la parution de cet article, de nombreux avocats écrivent au journal (26 avril 1940) pour dire qu’ils approuvent la réprobation de ce dernier sur l’interdiction faite aux confrères mobilisés de plaider au cours d’une de leur permission.
Le bâtonnier et les mobilisés
La lecture du journal et des écrits d’Emile Laffon nous décrit les relations particulières que pouvaient avoir le bâtonnier avec ses confrères mobilisés. Nous avions déjà constaté à l’étude de plusieurs dossiers, que le bâtonnier était souvent considéré « comme un père » par les avocats et leurs familles ; ces derniers conseillaient donc à leur famille, qu’en cas de besoin ou d’aide, d’écrire au bâtonnier, que celui-ci saurait les aider, ce dont témoignent les nombreuses lettres de secours conservées dans les dossiers.
Le 6 octobre 1939, l’avocate Anne-Marie Cristini, substitut d’Emile Laffon depuis sa mobilisation, lui écrit pour l’informer de la reprise de ses dossiers. Elle lui dit qu’elle est très occupée par la gestion des affaires et par les nombreuses lettres qu’elle écrit aux amis mobilisés, reprochant à Emile de ne pas lui donner de nouvelles : « Vous devriez essayer d’être moins paresseux car monsieur le Bâtonnier est très heureux lorsqu’on lui donne des nouvelles des amis mobilisés ». Cette remarque est confirmée par le père d’Emile datée du 15 octobre 1939 ; celui-ci a reçu une lettre d’un ami : « Ayant une conversation au sujet des avocats mobilisés avec le bâtonnier, je n’ai pas vu le nom de votre fils sur la liste et lui ai demandé de ses nouvelles et le bâtonnier a manifesté son étonnement de n’avoir rien reçu de lui ». Son père le somme donc : « Excuse toi donc gentiment, en écrivant au bâtonnier (ou lettre perdue au confrère qui a omis de le prévenir) ». Le 30 octobre 1939, c’est le bibliothécaire de l’Ordre, ami d’Emile, qui dans une lettre, lui explique qu’il a parlé de lui avec le bâtonnier : il « vous aime beaucoup et voudrait ne pas vous savoir trop imprudent ».
Nombreux sont les mobilisés à donner de leurs nouvelles, et celles-ci se répandent dans les couloirs du Palais. Me Cristini écrit ainsi à Emile le 1er novembre qu’Albert Brunois est en bonne santé ; Pierre Véron vient de lui écrire via sa femme et lui donne des nouvelles de Bloch Michel qui n’est pas très loin de lui ; Dionys Ordinaire instruit les Marocains à Agen et Jean Warot est dans un service de reconnaissance sur le front. Le bibliothécaire Boucher complète les informations le 21 novembre en donnant les adresses des amis mobilisés : « le père de Perrin lui a donné des bonnes nouvelles de son fils [Guy de Saint André Perrin] ; [Pierre] Rein n’a pu supporter les fatigues du service, et encore moins la gamelle ; Warot vient d’être cité, Lieutenant Warot 61e groupe de reconnaissance divisionnaire ; [René] Puyo est resté civil. [Pierre] De la Pradelle est un cavalier sans monture ; [Pierre] Masse vient d’être promu sous-lieutenant et a quitté les Alpes et ses skis pour une destination nouvelle. Me Chamant n’est pas mobilisé. On ne sait rien de [Philippe] Gastambide et Me Déroulède. Sergent [Dionys] Ordinaire : 3e régiment tirailleurs marocains ; [Guillaume] Hanoteau : 235e R.I. 3e bataillon ; [Gilbert] Maroger affecté au service du blocus. Lieutenant Maroger amirauté française FM F2 Bureau naval ».
Les nouvelles des prouesses des avocats mobilisés s’illustrent également au sein des locaux de l’Ordre ; en effet, comme lors de la guerre de 14/18 les citations militaires envoyées soit par les mobilisés eux-mêmes, soit par un membre de leur famille, ou un confrère au barreau sont exposées dans la bibliothèque de l’Ordre : Paulette Wolff-Dreyfus adresse ainsi en 1944 au bâtonnier la citation de son mari, en date de 1940.
Jusqu’à l’Armistice, le bâtonnier et les membres du Conseil non mobilisés auront régulièrement des nouvelles (bonnes ou mauvaises) de leurs confrères.
Carton de la citation de Jean-Donald Dreyfus affiché dans la Bibliothèque.
Armistice et démobilisation
L’Armistice signée le 22 juin 1940 met fin aux hostilités et entraîne progressivement la démobilisation des appelés, entre juin et novembre. Cette dernière est également encadrée : ainsi le 3 septembre 1940, le Conseil précise que les confrères démobilisés de retour au Palais seront priés de passer au secrétariat ; « il leur sera communiquer une note pour leur signaler l’intérêt qu’ils peuvent avoir au point de vue fiscal à obtenir du conseil une mise en congé régulière pour la période pendant laquelle ils ont été mobilisés ». Plusieurs avocats mobilisés demandent alors des mises en congés rétroactives. Jean Gaultier écrit en ce sens au bâtonnier le 5 décembre 1941 : il a été mobilisé d’août 1939 à août 1940, comme officier d’infanterie et a repris son exercice en octobre 1940. Il explique que le « fisc me réclame une patente intégrale en 1940. D’après les archives de l’Ordre, bien que mobilisé avant la mobilisation générale, je n’aurais pas été mis en congé par l’Ordre des Avocats, ce qui expliquerait la poursuite fiscale ». Son confrère Albert Sorrel sollicite la même requête en juin 1941 comme en témoigne le courrier de l’Ordre adressé au directeur des contributions directes attestant de son congé rétroactif du 23 août 1939 au 7 septembre 1940. L’Ordre a accédé à toutes les demandes de mises en congés rétroactives à la période de mobilisation.
A partir de la fin des hostilités, plusieurs avocats reprennent le chemin du palais ; d’autres sont restés prisonniers ; et d’autres encore rejoignent la zone libre avec leur famille et / ou entrent en résistance.
Un grand nombre de confrères ont été mis en congés jusqu’à la fin des hostilités, c’est-à-dire la fin de la guerre. A partir de la fin 1944, ils reviennent progressivement et le Conseil de l’Ordre acte que la durée de ce congé sera prise en compte lors des calculs du montant des retraites et l’exonération des cotisations durant ce laps de temps. Albert Sorrel est rappelé en mars 1945 pour reprendre du service à la Première Armée. Il en informe son bâtonnier en lui demandant d’en aviser le directeur des contributions directes « afin qu’il n’établisse mon imposition à la patente que sur le premier trimestre de l’année 1945 ». Il est démobilisé en juillet 1945 et demande la fin de sa mise en congés qui courait depuis le 1er mars 1945.
Sur 2700 avocats avant la guerre, près de la moitié sont partis aux armées. Ayant pris en compte la désorganisation de l’Ordre liée à la mobilisation des avocats en 1914, le barreau de Paris a tenté de se préparer au mieux aux difficultés auxquelles il devait avoir à faire face. Au début de ce conflit, la mobilisation des avocats parisiens a fortement perturbé le travail de ceux-ci, tant sur le plan professionnel que personnel, et a suscité de nombreux débats au sein du Conseil de l’Ordre pour encadrer l’absence des avocats mobilisés. Si la démobilisation a vu revenir au palais plusieurs avocats, les lois discriminatoires et les prisonniers de guerre ont durant toute la période compliqué le fonctionnement quotidien du Barreau de Paris.
Cindy Geraci.
Procès-Verbaux des délibérations du Conseil de l’Ordre, 1938-1941.
Dossiers individuels des avocats : Paul Foy ; Pierre Kraemer ; Marcelle Kraemer Bach ; Léonce Pimienta ; Albert Chevrier ; Marc Lauer ; Gaston Crémieux ; Marcel Menesclou ; Marcel Vigo ; Claude Gompel ; Paul Arrighi ; Pierre Arrighi ; Suzanne Grinberg ; Lucienne Scheid-Levillion ; Suzanne Fortin ; Paul Appleton ; Albert Sorrel ; Jean Gaultier ; Jean Donald Dreyfus.
Gallica-Retronews :
Paris municipal, 14 septembre 1939.
Paris Soir, 4 octobre 1939.
J.O. du 19 avril 1940, débats parlementaires, Chambre des députés.
L’Epoque, 20 avril 1940.
L’Oeuvre, 21 avril 1940 : suicide de Me Adad.
L’Oeuvre, 22 avril 1940.
L’Oeuvre, 26 avril 1940.
Bibliographie :
Prisonniers de guerre : la mobilisation générale de l'Armée française et ses alliés en 1939.
Capdevila Luc, La mobilisation des femmes dans la France combattante (1940-1945), Clio. Histoire, femmes et sociétés, 2000/2 (n°12), page 4.