Lorsque l’on évoque la 2e guerre mondiale, les victimes civiles des bombardements passent très souvent au dernier rang. Or la France a connu de nombreux bombardements, qui ont causé de nombreuses pertes.
Les victimes civiles sont des pertes civiles collatérales « des combats et autres actes de guerre » tels que les bombardements et mitraillages aériens mais aussi les mines ou autres engins explosifs.
Les avocats parisiens n’ont pas été épargnés, puisque trois de leurs confrères ont perdu la vie comme victimes civiles.
Deux d’entre elles – Denise Brault et Robert Paul Adolphe Lacan- ne figurent pas dans le recensement du Service historique de la Défense des victimes civiles. En effet, cette base de données, très riche, n’est pas exhaustive puisque seuls y sont enregistrés les individus ayant fait l’objet d’une procédure dans l’optique d’obtenir une reconnaissance, un statut.
Charles Chapron (1862-1944).
Charles Chapron est né en 1862 au Mans, dans une famille de commerçants. Son père était marchand de combustibles.
Il honore ses obligations militaires en 1879 et effectue son service au 31e régiment d’artillerie à la mairie du 6e arrondissement de Paris. Il obtient ses grades et passe dans la réserve comme capitaine en 1899.
Inscrit au stage en 1885, il est admis au tableau parisien le 11 octobre 1893.
Lors de la mobilisation, Jacques Chapron rejoint son régiment d’artillerie à pied territoriale et part au front. Il écrit en 1915 au bâtonnier pour lui présenter ses vœux. Il raconte qu’il résiste aux intempéries et au spleen. Il participe à l’offensive de la Somme où il s’illustre brillamment sous le feu de l’ennemi, ce qui lui vaudra une belle citation.
Durant sa carrière, Charles est un homme discret. Son dossier ordinal est maigre, et la presse est peu bavarde : seule une affaire de marchandes d’opium, dont il est l’avocat en 1908 apparait lors de recherches.
Lors de la mobilisation Jacques est déjà âgé, non mobilisable. Ayant justifié de sa nationalité française, il est maintenu au tableau.
Il fête le 8 octobre 1943 son cinquantenaire au barreau. L’Ordre décide de lui organiser une célébration. Aucune trace n’a été retrouvée dans les archives à ce jour d’une telle cérémonie.
1944, Paris est bombardée. Jacques Chapron est blessé au cours des combats de la Libération par mitrailleuse et décède le 25 août à 18h30 à l’hôpital Necker, 151 rue de Sèvres, à Paris (XVe arr.).
Citations
Officier de la Légion d’Honneur
Ordre de la direction des chemins de fer, capitaine CHAPRON, 61eme batterie du IIeme R.A.P.
« Pendant la période de préparation de l’offensive sur la Somme et pendant la progression en avant, n’a cessé de montrer une belle attitude sous le feu. Par sa présence continuelle sur les chantiers les plus exposés, a pu mener à bien la construction des lignes de voie de 0, 60 ». Ordre n°14 D.D.C.F. 16 novembre 1916.
Croix de guerre 1914-1918.
Denise Brault (1908-1944)
Denise Brault est avocate stagiaire, admise au tableau en 1942. Cette belle jeune femme, dont son frère Jacques était déjà avocat parisien, a fait des études secondaires au lycée de la Madeleine, réussissant son baccalauréat en latin et langues, avant de poursuivre en droit. Elle résidait rue des Batignolles à St Ouen.
Le 19 avril, plus de 2 000 bombes sont larguées sur la partie sud de La Plaine Saint-Denis et sur le 18ème arrondissement de Paris. L’objectif de ces bombardements était la destruction des installations SNCF de La Plaine-St-Denis, notamment l’atelier de l’actuel RATP rue Championnet contrôlé par les Allemands pour construire du matériel militaire.
Elle décède dans le bombardement du 19 avril en même temps que son père et sa sœur.
Robert Paul Adolphe Lacan (1872-1944).
Issu d’une famille de robe – son arrière-grand-père était président du tribunal de Clamecy et son père bâtonnier des avocats parisiens- Robert Paul Adolphe Lacan, docteur en droit, prête serment le 10 mars 1897. Après avoir effectué son stage chez un avoué, il intègre définitivement le barreau de Paris le 10 mars 1898.
Brillant avocat, secrétaire puis vice-président de l’association des anciens secrétaires de la conférence du stage, consacrera toute sa vie au palais. Eminent civiliste, il fut l’avocat de plusieurs ministères, de la chambre de commerce de Paris, de plusieurs banques, compagnies d’assurances et ambassades. Il s’engagera auprès de l’Ordre en étant élu membre du Conseil de l’Ordre de 1928 à 1932.
Amoureux de la jeunesse, il met tout en œuvre pour aider et conseiller les jeunes avocats, en présidant les cours du stage ou en faisant des leçons sur la procédure. Il dispensait aussi des cours de droit comme professeur et directeur de l’école polytechnique de droit et procédure.
Père de 9 ans, dont deux de ses fils deviendront avocats, la famille lui tenait à cœur. Il fut l’un des promoteurs du mouvement familial, créant en 1910 avec deux camarades l’association de « la plus grande famille », dont le but était d’étudier les droits, le rôle et les intérêts moraux et matériels des familles nombreuses. Cette association deviendra en 1947 "Familles de France".
Lors de la mobilisation en 1939, il n’est plus mobilisable. Il s’occupe des dossiers de son fils mobilisé et accepte également de prendre ceux d’autres confrères. Il restera au palais, poursuivra son métier avec passion, effectuant régulièrement des dons en argent pour des confrères malheureux.
En août 1944, Robert Paul Adolphe se trouve avec sa fille à Burron-Lamotte en Seine-et-Marne. Les alliés bombardent la région parisienne. A Burron-Lamothe, les avions anglais larguent leurs bombes dans l’objectif de détruire la raffinerie et son dépôt de carburant à côté de la gare ainsi que les voies ferrées pour empêcher de circuler. Une quarantaine de maisons sont touchées, 5 victimes, dont Robert Paul Adolphe et sa fille « Simonne » Françoise Gabrielle, épouse Bouquet. Il avait 71 ans et quarante-six années de barre.
Victime civile, son nom ne figure pas sur le monument aux morts des avocats situé dans la bibliothèque. La raison invoquée par le bâtonnier, en 1946, étant qu’il « a été estimé que l’Ordre ne devait apposer de plaques dans les locaux de la bibliothèque qu’en l’honneur des confrères dont les titres sont énoncés sur les deux tables de marbres inaugurées en juillet dernier.
Je vous demande de croire que cette décision n’affecte en rien les sentiments d’inaltérable affection et de gratitude que l’Ordre continue de professer pour notre cher et regretté confrère Adolphe Lacan auquel je me suis efforcé de rendre, il y a un an un hommage mérité ». (Lettre du bâtonnier Charpentier à Mme Lacan, 4 décembre 1946).
Cindy Geraci.
Gazette du Palais 9-11 août 1944.
Dossiers individuels des avocats : Charles Chapron ; Denise Brault ; Robert Adolphe Lacan.
Service historique de la Défense :
Caen : Charles Chapron : AC 21P 324110
Dictionnaire du mouvement ouvrier, Maîtron :