Après le vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 11 juin 1940, la propagande de Vichy se met en place à travers des affiches, bustes et autres objets à l’effigie du Maréchal. Le 9 octobre 1940, le Ministre de l’Intérieur Marcel Peyrouton ordonne l’installation du portrait du Maréchal dans tous « établissements publics, notamment les préfectures et mairies, des établissements d’instruction, des bureaux de postes ».
Peu à peu les administrations et les entreprises privées se plient à cette obligation. Début 1941, l’Ordre est agité par des manifestations de confrères admiratifs du Maréchal Pétain. Lors de la réunion de colonne du 4 janvier, plusieurs jeunes avocats émettent le vœu tendant à ce que « les messages, appels ou allocutions du Maréchal Pétain, chef de l’Etat français, soient affichés sans retard à l’intérieur des principaux locaux de l’Ordre ». M. de Chauveron, lors de la séance du Conseil du 7 janvier, expose puis soumet cette revendication à l’examen du Conseil.
Le Conseil « tout en rendant hommage au sentiment qu’a dicté à ses auteurs le vœu dont s’agit, considérant que l’Ordre a toujours entendu s’abstenir de toute manifestation politique, qui, quelles que soient les circonstances, il ne saurait déroger à cette constante tradition et créer ainsi un précédent dangereux, que nos locaux doivent être exclusivement réservés aux communications officielles faits au nom de l’ordre [ces derniers mots soulignés en bleu], que les colonnes ne peuvent délibérer que sur des questions professionnelles » ; en conséquence, et en vertu de la protection de son indépendance à l’égard de la politique, le Conseil décide que le vœu dont s’agit, en raison de son caractère extra professionnel, n’est pas recevable.
Le 17 février 1941, le bâtonnier reçoit du Garde des Sceaux Joseph Barthélémy un courrier l’invitant a apposé dans la bibliothèque de l’Ordre le portrait de Monsieur le Maréchal Pétain, courrier qui va susciter plusieurs débats au sein du conseil.
Une plainte a en effet été déposée par un groupe de jeunes avocats, « le jeune barreau français » contre le bibliothécaire de l’Ordre, Charles Boucher, qui n’a pas affiché dans la bibliothèque le portrait du maréchal. Il est à préciser ici que « le jeune barreau français » a été fondé en 1934, et regroupe des jeunes avocats tournés vers le fascisme. Interrogé par le bâtonnier, les membres de cette association déclarent qu’e celle-ci n’a pas pris part à cette plainte, qu’elle désavoue par ailleurs, « considérant qu’une pareille dénonciation portée contre un fonctionnaire de l’Ordre à son service depuis 50 ans, et dont la fidélité, la prudence et le sentiment national sont au-dessus de tout l’éloge est une lâcheté indigne d’un avocat ». Or M. le Garde des Sceaux a été informé avant même que le bâtonnier n’ait été consulté, ce qui, considère le Conseil, « est de nature à compromettre la discipline de l’Ordre à l’heure même où il semble le plus nécessaire de restaurer les principes d’autorité ».
Si le Conseil est « heureux de l’occasion qui lui est ainsi offerte de témoigner son admiration et sa reconnaissance au chef respecté de l’Etat français », il rappelle néanmoins « les principes sur lesquels repose l’Ordre des Avocats et dont tous les régimes qui se sont succédés en France ont reconnu la nécessité » : en effet, les avocats constituent un ordre ne faisant pas partie des cadres administratifs, que son administration lui est propre et que la discipline qu’ils observent « est établie entre eux, pour leur honneur et leur réputation ». L’Ordre tient à son indépendance. Il arrête néanmoins :
Art. 1er : le portrait de Mr le Maréchal Pétain sera affiché à la Bibliothèque de l’Ordre.
Art 2 : Mr le Bâtonnier est prié d’ouvrir une enquête pour rechercher les auteurs de la dénonciation dont M. le Bibliothécaire a été l’objet.
Art 3 M. le Bâtonnier est prié de porter le présent arrêté à la connaissance de M. Le Garde des Sceaux.
Le 25 février, le bâtonnier fait part au Conseil de son entretien du 22 février avec le maréchal Pétain. Au cours de cet entretien le chef de l’Etat après avoir fait allusion au rayonnement de l’Ordre des Avocats, a bien voulu apposer une dédicace flatteuse au bas d’un portrait apporté par M. le Bâtonnier. Le portrait sera encadré et suspendu dans l’une des salles de la Bibliothèque.
A ce jour, aucune photographie, estampes ou gravures n’ont été retrouvées dans les collections du Musée, tout comme le portrait en question …
Cindy Geraci.