Mai-juin 1940
Au début du conflit, la Justice poursuit son travail au sein du bâtiment construit sur l’Ile de la Cité. Dans ce palais cohabitent depuis plusieurs siècles les magistrats et les avocats, chacun ayant ses propres locaux.L’avancée de l’ennemi et particulièrement la menace des bombardements, se précisant, une éventuelle évacuation des juridictions et de l’Ordre des avocats se prépare : ainsi les bâtonniers Charpentier et Carpentier vont visiter des locaux au château de Sceaux où un local, « espèce de soupente derrière la loge du concierge », serait réservé aux avocats. Mais le château offrait aux avions ennemis une cible parfaite. De retour à Paris, le bâtonnier Charpentier affirme dans la presse que la place des avocats est au « Palais » : « L’Ordre des avocats a décidé de demeurer à Paris. Le bâtonnier Me Jacques Charpentier a fait savoir qu’il veillerait aux intérêts de ses confrères » (Le Temps du 6 septembre 1939), et rajoute « qu’il recevra, tous les jours, de 2 heures à 5 heures, en son cabinet, au Palais de Justice ». Il répond également dans le même à son confrère Gaston Crémieux qui s’inquiète dès le 6 septembre de l’éventuel transfert de la Cour d’appel à Angers :
Cette volonté de rester répondait selon lui à un sentiment plutôt répandu, puisque les avocats à la Cour de Cassation, les officiers ministériels et le tribunal de commerce refusèrent de se déplacer. En conséquence, il exigea des autorités qu’elles fassent aménager des abris sous le Palais : les architectes aménagèrent les souterrains, de « quoi héberger tout le quartier ».
Avec l’avancée des troupes allemandes en France,- ils étaient dans la Meuse le 13 mai 1940-, le projet d’évacuation se précise : le bâtonnier informe le conseil dans sa délibération du 16 mai qu’il s’est entretenu avec le Garde des Sceaux M. Sérol et le directeur de cabinet M. Dupuich sur une éventuelle évacuation de la Cour de Paris. « L’Ordre ayant toute liberté de déterminer un siège temporaire, le Conseil décide de l’orienter vers la ville de Blois si M. le Bâtonnier peut y obtenir les locaux nécessaires ».
Le Palais se vide ce que constate Maurice Garçon le 21 mai : « le Palais est vide. Je ne crois pas qu’il y est un endroit plus déplorablement pessimiste. Ils mettraient la mort dans l’âme de Pangloss. Ils ne prévoient que le pire. Je parle de ceux qui restent, car un très grand nombre sont déjà partis. Les couloirs sont désolés ». Se rendant à la bibliothèque de l’Ordre, « on déménage le musée du second étage. Il n’y a qu’un lecteur dans la salle du bas ».
Le 1er juin 1940, le gouvernement doit organiser le repli de l'administration et l'évacuation des prisons. La Cour de Paris, la Cour de Cassation, le Conseil d’Etat et le Tribunal de la Seine se déplacent à Angers et les détenus sont déplacés dans le sud de la région parisienne. L’Ordre des Avocats suit le mouvement car il se devait de rester avec la Cour d’Appel, « aux côtés du gouvernement » (mémoires de Jacques Charpentier) et se replie à Blois, dans deux ou trois salles du Palais de Justice, obtenue avec l’aide du directeur de cabinet du Garde des Sceaux.
Le bâtonnier Charpentier raconte ce repli dans ses mémoires : « Dans les jours qui suivirent, je fis emballer nos objets d'art et les pièces de notre musée, qui furent expédiées à Blois et déposées dans les caves du Château, sous la garde du conservateur. Puis un fonctionnaire de l'Ordre alla reconnaître les locaux que nous devions occuper. Nos archives y furent transportées. Dans la suite, des bruits absurdes ont couru. On a raconté que nos collections avaient été détruites, notre caisse volée. La vérité est qu'à la faveur de l'invasion, des pillards s'introduisirent dans le Palais de Justice de Blois. Ils déficelèrent une liasse, mais les vieux papiers ne les intéressaient pas. Ils ne trouvèrent à emporter qu'une enveloppe contenant 150 francs qui appartenaient à notre caissier. Tout le reste est légende. L'Ordre n'a perdu ni un document ni un objet d'art. ». Une autre description de cet épisode est rapportée par Ernest Vallier, ancien membre du conseil de l’Ordre, resté au Palais à Paris : l’un de ses confrères partis en mission à Blois fut chargé de se renseigner « sur ce que l’on pouvait savoir à Blois en ce qui concerne l’Ordre des avocats de Paris ». Ce confrère se rend au Palais de Justice « qui avait été abandonné par ses magistrats, occupé par les Allemands, et dont les portes étaient largement ouvertes à tout venant ». Il trouve dans une chambre du 2e étage une masse de livres en désordre et des dossiers : « c’était les archives du Conseil de l’Ordre, en particulier les registres de délibérations du Conseil. Un certain nombre d’enveloppes éparses sur le sol contenaient de l’argent en billets, ou en espèces, d’autres avaient été éventrées, des dossiers trainant par terre portaient en grosses lettres le mot « confidentiel ». Ce confrère a fait enlever ces archives qu’il a confié à l’archiviste départemental jusqu’à leur rapatriement à Paris.
Presque tous les membres du barreau avaient pris les devants pour le départ : le palais était vide. Le 6 juin, le bâtonnier Charpentier gagne Blois où le Barreau de Paris est installé provisoirement ; le secrétaire de l’Ordre et le caissier étaient déjà sur place, ainsi que deux membres du Conseil.
Le 10 juin, Maurice Garçon passe à l’Ordre : « Il n’y a personne. Une petite affiche prévient que le tribunal et la Cour ayant cessé de siéger depuis hier soir, l’Ordre est fermé. Il n’y a pas un avocat, je crois que le bâtonnier lui-même est parti […]. Le vestiaire est ouvert, une dame est là, mélancolique ».
A Paris, quelques membres du Conseil n’avaient pas voulu partir, comme Ernest Vallier ou Henri Géraud. Lors de son départ Jacques Charpentier a donné les clés de l’Ordre au palais à Ernest Vallier en lui donnant pour mandat de « personnifier le barreau face à l’occupant, et s’il le fallait, de lui tenir tête ». Tous les membres du Conseil en place étant partis, ils rappelèrent des anciens membres, notamment Charles Jovart et Ernest Carette, et ont administré l’Ordre dès le 15 juin. Ils s’occupèrent, avec les quelques magistrats restés en poste, de maintenir les activités de l’Ordre et du palais : les audiences se poursuivaient aux heures habituelles, des avocats étaient présents à la barre. Ils assurèrent également le service du tribunal de commerce, en l’absence des agréés. Ernest Vallier et Henri Géraud représentaient le barreau. Entre le 15 juin et le 1er juillet 1940, il n’est resté au Palais que 40 avocats !
Lors de l’arrivée de l’armée allemande dans Paris, le 14 juin 1940, quelques avocats et magistrats assurent la continuité judiciaire au Palais, ce que semblait ignorer le bâtonnier Charpentier : en effet, début juillet, René Besnard, avocat et sénateur, rencontre à Vichy le bâtonnier Charpentier et le membre du Conseil de l’Ordre Olivier Jallu et les informe de l’état de la vie judiciaire au Palais. « ils s’en étaient montrés stupéfaits, car ils croyaient l’un et l’autre que la vie judiciaire avait été complètement interrompue » rapporte Ernest Vallier à un confrère.
Les allemands poursuivent leur route vers la Loire : tous les services installés en Touraine avaient commencé un nouveau repli. « Nous arrivions trop tard » écria Jacques Charpentier. L’Ordre devait lui aussi organiser son repli. « Pour emporter nos archives, il nous fallait au moins une camionnette. Et toutes les voitures avaient été retenues. Après une journée de démarches à la Préfecture, j'obtins qu'une Ford, abandonnée par les Belges, serait mise à ma disposition le lendemain. Mais nous n'eûmes pas le temps de nous en servir. Au milieu de la nuit, le Procureur de la République me fit prévenir que l'ordre était venu d'évacuer la ville sur l'heure. J'ai appris dans la suite que la maison où nous avions reçu asile avait été écrasée par une bombe. Dans un hameau du Périgord, la T. S. F. nous apprit l'armistice ».
Jacques Charpentier se rend alors aux nouvelles à Bordeaux et apprend que le gouvernement allait s’installer à Clermont et que la Cour revenait siéger à Paris. L’Ordre regagne la capitale, et le bâtonnier demande, via la presse, à tous les confrères de le rejoindre. Effectivement, il fait publier un communiqué daté du 2 juillet dans les journaux régionaux : « le bâtonnier des Avocats à la Cour d’appel de Paris avise ses confrères que les services de l’Ordre vont être réinstallés à Paris. Les travaux judiciaires doivent reprendre leur cours dans la capitale aussi rapidement que possible ».
Cette volonté de rester répondait selon lui à un sentiment plutôt répandu, puisque les avocats à la Cour de Cassation, les officiers ministériels et le tribunal de commerce refusèrent de se déplacer. En conséquence, il exigea des autorités qu’elles fassent aménager des abris sous le Palais : les architectes aménagèrent les souterrains, de « quoi héberger tout le quartier ».
Avec l’avancée des troupes allemandes en France,- ils étaient dans la Meuse le 13 mai 1940-, le projet d’évacuation se précise : le bâtonnier informe le conseil dans sa délibération du 16 mai qu’il s’est entretenu avec le Garde des Sceaux M. Sérol et le directeur de cabinet M. Dupuich sur une éventuelle évacuation de la Cour de Paris. « L’Ordre ayant toute liberté de déterminer un siège temporaire, le Conseil décide de l’orienter vers la ville de Blois si M. le Bâtonnier peut y obtenir les locaux nécessaires ».
Le Palais se vide ce que constate Maurice Garçon le 21 mai : « le Palais est vide. Je ne crois pas qu’il y est un endroit plus déplorablement pessimiste. Ils mettraient la mort dans l’âme de Pangloss. Ils ne prévoient que le pire. Je parle de ceux qui restent, car un très grand nombre sont déjà partis. Les couloirs sont désolés ». Se rendant à la bibliothèque de l’Ordre, « on déménage le musée du second étage. Il n’y a qu’un lecteur dans la salle du bas ».
Le 1er juin 1940, le gouvernement doit organiser le repli de l'administration et l'évacuation des prisons. La Cour de Paris, la Cour de Cassation, le Conseil d’Etat et le Tribunal de la Seine se déplacent à Angers et les détenus sont déplacés dans le sud de la région parisienne. L’Ordre des Avocats suit le mouvement car il se devait de rester avec la Cour d’Appel, « aux côtés du gouvernement » (mémoires de Jacques Charpentier) et se replie à Blois, dans deux ou trois salles du Palais de Justice, obtenue avec l’aide du directeur de cabinet du Garde des Sceaux.
Le bâtonnier Charpentier raconte ce repli dans ses mémoires : « Dans les jours qui suivirent, je fis emballer nos objets d'art et les pièces de notre musée, qui furent expédiées à Blois et déposées dans les caves du Château, sous la garde du conservateur. Puis un fonctionnaire de l'Ordre alla reconnaître les locaux que nous devions occuper. Nos archives y furent transportées. Dans la suite, des bruits absurdes ont couru. On a raconté que nos collections avaient été détruites, notre caisse volée. La vérité est qu'à la faveur de l'invasion, des pillards s'introduisirent dans le Palais de Justice de Blois. Ils déficelèrent une liasse, mais les vieux papiers ne les intéressaient pas. Ils ne trouvèrent à emporter qu'une enveloppe contenant 150 francs qui appartenaient à notre caissier. Tout le reste est légende. L'Ordre n'a perdu ni un document ni un objet d'art. ». Une autre description de cet épisode est rapportée par Ernest Vallier, ancien membre du conseil de l’Ordre, resté au Palais à Paris : l’un de ses confrères partis en mission à Blois fut chargé de se renseigner « sur ce que l’on pouvait savoir à Blois en ce qui concerne l’Ordre des avocats de Paris ». Ce confrère se rend au Palais de Justice « qui avait été abandonné par ses magistrats, occupé par les Allemands, et dont les portes étaient largement ouvertes à tout venant ». Il trouve dans une chambre du 2e étage une masse de livres en désordre et des dossiers : « c’était les archives du Conseil de l’Ordre, en particulier les registres de délibérations du Conseil. Un certain nombre d’enveloppes éparses sur le sol contenaient de l’argent en billets, ou en espèces, d’autres avaient été éventrées, des dossiers trainant par terre portaient en grosses lettres le mot « confidentiel ». Ce confrère a fait enlever ces archives qu’il a confié à l’archiviste départemental jusqu’à leur rapatriement à Paris.
Presque tous les membres du barreau avaient pris les devants pour le départ : le palais était vide. Le 6 juin, le bâtonnier Charpentier gagne Blois où le Barreau de Paris est installé provisoirement ; le secrétaire de l’Ordre et le caissier étaient déjà sur place, ainsi que deux membres du Conseil.
Le 10 juin, Maurice Garçon passe à l’Ordre : « Il n’y a personne. Une petite affiche prévient que le tribunal et la Cour ayant cessé de siéger depuis hier soir, l’Ordre est fermé. Il n’y a pas un avocat, je crois que le bâtonnier lui-même est parti […]. Le vestiaire est ouvert, une dame est là, mélancolique ».
A Paris, quelques membres du Conseil n’avaient pas voulu partir, comme Ernest Vallier ou Henri Géraud. Lors de son départ Jacques Charpentier a donné les clés de l’Ordre au palais à Ernest Vallier en lui donnant pour mandat de « personnifier le barreau face à l’occupant, et s’il le fallait, de lui tenir tête ». Tous les membres du Conseil en place étant partis, ils rappelèrent des anciens membres, notamment Charles Jovart et Ernest Carette, et ont administré l’Ordre dès le 15 juin. Ils s’occupèrent, avec les quelques magistrats restés en poste, de maintenir les activités de l’Ordre et du palais : les audiences se poursuivaient aux heures habituelles, des avocats étaient présents à la barre. Ils assurèrent également le service du tribunal de commerce, en l’absence des agréés. Ernest Vallier et Henri Géraud représentaient le barreau. Entre le 15 juin et le 1er juillet 1940, il n’est resté au Palais que 40 avocats !
Lors de l’arrivée de l’armée allemande dans Paris, le 14 juin 1940, quelques avocats et magistrats assurent la continuité judiciaire au Palais, ce que semblait ignorer le bâtonnier Charpentier : en effet, début juillet, René Besnard, avocat et sénateur, rencontre à Vichy le bâtonnier Charpentier et le membre du Conseil de l’Ordre Olivier Jallu et les informe de l’état de la vie judiciaire au Palais. « ils s’en étaient montrés stupéfaits, car ils croyaient l’un et l’autre que la vie judiciaire avait été complètement interrompue » rapporte Ernest Vallier à un confrère.
Les allemands poursuivent leur route vers la Loire : tous les services installés en Touraine avaient commencé un nouveau repli. « Nous arrivions trop tard » écria Jacques Charpentier. L’Ordre devait lui aussi organiser son repli. « Pour emporter nos archives, il nous fallait au moins une camionnette. Et toutes les voitures avaient été retenues. Après une journée de démarches à la Préfecture, j'obtins qu'une Ford, abandonnée par les Belges, serait mise à ma disposition le lendemain. Mais nous n'eûmes pas le temps de nous en servir. Au milieu de la nuit, le Procureur de la République me fit prévenir que l'ordre était venu d'évacuer la ville sur l'heure. J'ai appris dans la suite que la maison où nous avions reçu asile avait été écrasée par une bombe. Dans un hameau du Périgord, la T. S. F. nous apprit l'armistice ».
Jacques Charpentier se rend alors aux nouvelles à Bordeaux et apprend que le gouvernement allait s’installer à Clermont et que la Cour revenait siéger à Paris. L’Ordre regagne la capitale, et le bâtonnier demande, via la presse, à tous les confrères de le rejoindre. Effectivement, il fait publier un communiqué daté du 2 juillet dans les journaux régionaux : « le bâtonnier des Avocats à la Cour d’appel de Paris avise ses confrères que les services de l’Ordre vont être réinstallés à Paris. Les travaux judiciaires doivent reprendre leur cours dans la capitale aussi rapidement que possible ».
Lui-même, confronté par plusieurs difficultés de transports ne rentre au Palais qu’à la fin du mois de juillet 1940, après un détour par Vichy. Les archives furent rapatriées à Paris la fin de l’été : « Les archives et les objets d’art de l’ordre des avocats qui avaient été conduits à Blois il y a quelques semaines viennent d’être ramenés à Paris, intacts ».
Le 17 juillet, Géo London, journaliste du Journal, raconte que deux sentinelles allemandes veillent devant les grilles du Palais, mais que « l'on ne distingue aucun signe de l’Occupation ». Après la chambre correctionnelle, plusieurs chambres réouvrent. Même le public, certes peu nombreux, vient assister aux audiences de correctionnelles !
En août, le palais de justice recouvre peu à peu son animation. Des avocats démobilisés ou de retour de Vichy, de Limoges ou d’ailleurs reviennent. L’Ordre des avocats a affiché sur la porte de la salle du Conseil les consignes pour la réinscription des avocats : ils doivent remplir et signer le registre mis à disposition. La journaliste de Paris Soir explique ainsi que sur les 2800 avocats parisiens, près de 1000 sont déjà rentrés, démobilisés ou de retour de zone libre, à raison de 50 à 80 retours par jour… .
Même si beaucoup manquent à l’appel : certains sont morts au combat, d’autres prisonniers, et tous ceux dont le Palais est sans nouvelle.
La vie judiciaire n’a quasi jamais été interrompue sauf ces quelques semaines de l’exode et les quelques jours d’insurrection de Paris.
C.G.