L’année 1940 marque un profond changement dans la politique française, notamment avec la fin du régime parlementaire tel que l’avait établi la Constitution de 1875. Le Maréchal Pétain cherche à éliminer les adversaires et tous les groupements hostiles à la Révolution nationale. Une multitude de lois sont alors promulguées.
La loi du 10 septembre 1940 est l’une des premières lois mises en place pour faciliter l’épuration de l’administration. Elle concerne les magistrats, les fonctionnaires et les agents civils ou militaires de l’Etat relevés de leurs fonctions. Valable jusqu’au 31 octobre 1940, elle sera prorogée jusqu’à la fin du régime de Vichy.
Depuis quelques années, cette mesure était vivement souhaitée par le barreau de Paris, comme en témoignera Jacques Charpentier dans ses Mémoires : « Si un pays qui souffre d'une crise de natalité est obligé de favoriser l'immigration, certaines professions, dont la nôtre, exigent un minimum d'assimilation », précisant « avant la guerre, nous avions été envahis par des naturalisés de fraîche date, presque tous d’origine orientale, dont le langage commenté par les petits journaux, nous couvrait de ridicule, et qui apportait, dans la conduite de litiges, les procédés de leurs bazars ». Effectivement, à partir de 1933, la montée de l’idéologie nazie en Europe de l’Est entraîne des vagues migratoires, notamment des populations juives vers les pays d’Europe de l’Ouest, dont la France. Devant cet afflux, le gouvernement français met en œuvre une législation relative aux quotas d’étrangers dans les entreprises et administrations. Ainsi, la loi de juin 1934 interdit aux Français naturalisés l’inscription au barreau pendant une durée de 10 ans ou aux étrangers d'exercer certaines professions libérales (avocat, architecte).
A la fin des années 1930, le bâtonnier Charpentier, avec l’aide du doyen Georges Ripert (qui deviendra ensuite secrétaire d’Etat à l’Instruction publique et à la jeunesse), préparent en amont et envoient à la Chancellerie un projet de réforme de la règlementation relative au barreau, dont l’une des propositions visait à exclure du barreau les avocats qui ne sont pas nés de parents français, sauf pour les anciens combattants et ceux qui se sont particulièrement distingués dans l’exercice de la profession. Leur projet se matérialisera avec la loi du 10 septembre 1940.
Le Conseil s’occupe de la mise en œuvre de cette loi. En effet, les conseils de l’Ordre ont la maitrise du Tableau de l’Ordre : ils sont chargés d’admettre ou de radier les avocats de leur barreau, sous le contrôle de la Cour d’Appel.
Comment le barreau de Paris a-t-il mis en œuvre cette loi ?
Le barreau de Paris, sans attendre la parution dans le Journal officiel, porte immédiatement attention à cette loi : lors de la séance du 10 septembre 1940, sur la proposition du bâtonnier, le Conseil examine la mesure qu’il convient de prendre à l’égard des avocats qui ont fait l’objet d’un décret de déchéance de la nationalité française.
Parue au Journal officiel le 11 septembre 40, cette loi est appliquée dès les jours suivants dans le barreau parisien : « nul ne peut être ou demeurer inscrit au tableau de l’Ordre des avocats ou sur les listes du stage s’il ne possède la nationalité française à titre originaire, comme étant né d’un père français » article 1er, détaillant toutefois quelques dérogations spécifiques pour les anciens combattants ou les alsaciens lorrains. L’article 3 précise également que sur proposition motivée du Conseil de l’Ordre, le garde des Sceaux pourra à titre exceptionnel autoriser l’inscription ou le maintien au tableau ou sur la liste du stage, des personnes ne remplissant pas les conditions exigées par l’article 1er.
Le 17 septembre 1940, le Conseil de l’Ordre, sur proposition du bâtonnier, décide que pour appliquer cette loi sur les fils d’étrangers, il sera procédé à la vérification de la situation de tous les avocats, inscrits au tableau et stagiaires par des rapporteurs désignés par le bâtonnier. Le barreau de Paris envoie donc dès le 28 septembre un questionnaire aux avocats inscrits au tableau et aux avocats stagiaires, avec un rappel par second envoi le 6 décembre d’une « lettre exécutoire à tous les avocats qui ne se sont pas encore exprimés à leur rapporteur les justifications de nationalité pour l’application de la loi du 10 septembre 40 ».
Le 29 octobre 1940, en vue de l’application de cette loi, le conseil de l’Ordre adopte les conclusions de la commission spéciale des anciens combattants, présidé par M. le bâtonnier Etienne Carpentier et conclut comme suit :
« Sont considérés comme combattants :
1e) les militaires des armées de terre, de mer, de l’air qui ont appartenu pendant trois mois, consécutifs ou non, aux unités, énumérés aux tableaux annexés au décret du 1er juillet 1940,
2e) sous réserve d’avoir appartenu aux unités ennemies aux dits tableaux, mais sans condition de séjours dans ces unités, les militaires des armées de terre, de mer et de l’air, ayant été évacués pour blessure ou maladie contractée en service alors qu’ils appartenaient à ces unités et ceux qui ont été fait prisonniers
3e) quelle que soit l’unité à laquelle ils ont appartenus sans condition de séjour dans cette unité :
A - les militaires des armées de terre, de mer et de l’air qui ont reçu une blessure de guerre
B - lois militaires justifiant avoir effectivement pris part à une action de guerre sur la ligne de feu.
Cette mise en application de la loi exclut plus de 220 avocats parisiens, dont 203 avocats d’origine étrangère. Dans les faits, beaucoup d’avocats n’avaient pas eu connaissance de cette mise en application, notamment les prisonniers et ceux partis en zone libre.
La date limite pour justifier la nationalité a été fixée au 1er décembre 1940 pour tous les barreaux. L’Ordre parisien a ainsi envoyé plusieurs rappels aux avocats n’ayant pas répondu ou pu répondre. La presse nationale a également relayé cette information, souvent publiée en première page : L’Echo d’Alger le 14 novembre 1940 ou Le Journal, 14 novembre 1940, par exemple.
L’application concrète et la réaction des avocats parisiens.
La majorité des avocats parisiens se sont pliés à la loi et ont répondu au questionnaire, en envoyant des pièces justificatives de leurs filiations, avec de nombreuses inégalités dans les dossiers.
Les membres du Conseil en exercice ont été les premiers à se mettre en conformité avec cette loi : le procès-verbal du Conseil du 24 septembre 1940 mentionne que le bâtonnier Charpentier ainsi que Mes Nolleau, Dondenne, Python, Durandy, Jobit, C. Bernard, Marizis, Thiébault, Mouquin, De Chauveron, Desmolliens, ont justifié de leur nationalité.
Le premier avocat à ne pas remplir les conditions justificatives semble être une avocate stagiaire Mme Aliendana Belmonte : « n’a pas justifié posséder la nationalité française à titre originaire, il [le Conseil] décide qu’elle cessera d’être inscrite au tableau de l’Ordre à date du 1er octobre 1940 » indique le procès-verbal du 1er octobre. L’information n’a pas pu être vérifiée dans son dossier, car les archives de l’Ordre ne conservent que les dossiers des avocats inscrits au tableau. L’inscription au tableau intervient après la période de stage (3 ans durant cette période).
Pour plusieurs avocats, l’envoi des pièces justificatives à leur filiation a parfois été compliqué : en effet, les avocats ayant fui en zone libre n’ont pas nécessairement emporté avec eux leurs papiers familiaux. Lucien Dalem, réfugié à Riom, a ainsi répondu au questionnaire en précisant dans son courrier : « par ces déclarations complémentaires, faites sous la foi du serment, je crois avoir satisfait aux certifications exigées par l’Ordre, faute de justificatifs que je m’offre, bien entendu, à produire éventuellement dès qu’il me sera possible de me les procurer en zone occupée » (lettre au bâtonnier, 20 novembre 1940). Lucien, né d’un père étranger naturalisé en 1887, est un ancien combattant de la guerre 14/18, titulaire de la légion d’honneur. Il sera maintenu au tableau définitivement par une décision du 14 avril 1942.
A l’inverse, certains avocats, se sentant peut-être menacés par cette nouvelle loi, se sont attachés à produire toute leur généalogie sur plusieurs générations. Le cas d’Armand Dorville en est l’illustration. Celui-ci, avocat à la Cour d’appel et ancien membre du Conseil de l’Ordre, répond au questionnaire le 17 octobre 1940, et le dépose à Vichy, en indiquant ces filiations maternelles et paternelles, précisant que les documents sont dans sa maison en Dordogne et qu’ils les adresseraient lorsqu’il y aura accès.
Le 5 juillet 1941, il écrit à « Monsieur le Ministre » pour l’informer de sa démarche auprès du bâtonnier « avec lequel je n’ai pas de roue libre, de moyen direct de correspondance » de sa justification de sa situation personnelle en versus du numérus clausus. S’il répond au questionnaire en indiquant en pièces justificatives qu’il est combattant de la guerre 14/18, comme adjudant d’infanterie, avec plusieurs citations, et qu’il est actuellement en zone libre, il fournit un impressionnant dossier sur sa famille : il a repris tous ces papiers familiaux dans sa maison de Cubjac en Dordogne où il s’est retiré avec sa famille au début de la guerre et envoyé ses généalogies paternelles et maternelles, remontant sur 5 à 7 générations ; le dossier de pièces justificatives comprend 101 pages et est composé de lettres manuscrites écrites notamment par son père combattant de la guerre de 1870, de copies d’actes de naissance, décès, notes manuscrites explicatives !
Armand Dorville prouve ainsi sa conformité avec la loi. Décédé quelques jours plus tard, sa famille, victime des lois antisémites de Vichy, ne pourra effectuer les volontés testamentaires de leur père ; un administrateur de biens sera nommé et une grande partie des œuvres de ce collectionneur et amateur d’art sera vendue aux enchères en 1942. L’Ordre des avocats acceptera en 1943-1944 deux legs d’objets d’art provenant de cette collection.
D’autres confrères ont effectué la même démarche, tout en émettant de légères formes de protestations.
Gaston Crémieux est le fils d’un avocat au barreau de Marseille, officier de la Légion d’honneur, inscrit à Paris depuis 1888, et descendant d’Adolphe Crémieux, ministre de la Justice en 1848 et 1871. Il répond par une lettre au bâtonnier le 11 octobre 1940, détaillant sa filiation mais estimant « en ce qui concerne la qualité de français de mon père, elle me parait être déjà établie précisément par le seul fait qu’il appartenait à l’ordre des avocats ».
Marcelle Kraemer-Bach s’inscrit dans cette même idée. Avocate renommée, née en 1895 en Roumanie, et d’origine israélite, elle justifie sa nationalité par différents documents, accompagnés d’une longue lettre au bâtonnier justifiant de sa carrière et de ses engagements pour son pays. Elle complète cette lettre dactylographiée en écrivant que son mari Pierre Kraemer a été engagé volontaire durant les deux guerres, que son beau-père le colonel Raine, engagé volontaire en 1870, était commandeur de la Légion d’honneur et que son cousin J.J. Bach, multiple décoré, est le fondateur de l’escadrille Lafayette.
Elle termine cette lettre comme suit :
Marcelle Kraemer Bach sera radiée du Barreau en vertu de cette loi du 10 septembre 1940.
Quant au bâtonnier Carpentier (bâtonnier de 1936 à 1938) explique dans une lettre qu’il a éprouvé des difficultés à retrouver des documents permettant de prouver sa filiation et sa nationalité française.
Après avoir longuement détaillé sa généalogie, celui-ci s’interroge sur la difficulté de fournir des pièces justificatives : « Peut-être pourriez-vous suggérer aux pouvoirs publics d’envisager, pour l’avenir, un mode de preuve de la Nationalité susceptible d’épargner aux générations futures des efforts semblables à celui qui nous est demandé sans contribuer à l’enrichissement du trésor par une augmentation de nos revenus taxables ? » écrit-il au bâtonnier en 1940.
Enfin, Marcel Babeau inscrit au tableau depuis 1902, se met en conformité avec cette loi tout en protestant :
Plusieurs confrères, tel Maurice Juncker, refuse de se plier au questionnaire justifiant de leur position. Cet avocat parisien depuis 1901, se met dès le début du conflit à la disposition du bâtonnier et de ses confrères « pour tous les actes de solidarité professionnelle » qu’ils croiront utiles. Il « réserve toutefois l’avenir dans le cas où la sécurité de ma famille m’oblige », étant le 7 septembre 1939 dans sa maison familiale du Puy-de-Dôme.
Lors de l’envoi du questionnaire justifiant sa nationalité au regard de la loi du 10 septembre 1940, il écrit au bâtonnier et aux membres du Conseil de l’Ordre : « Pratiquement il me serait aisé de satisfaire votre désir. Moralement, il m’est impossible de m’y plier » rajoutant que cette loi « émane de personnalités sans qualité pour légiférer ». Il démontre juridiquement que cette loi est contraire à la loi constitutionnelle et que cette dernière n’a pas été abrogée. « La France est toujours sur le régime de la constitution de 1875. Les prétendues lois faites hors le Parlement sont inconstitutionnelles et sans valeur ».
Et il poursuit : « Le rayonnement moral de la France dans le monde vient de ce qu’elle n’a pas rétréci la déclaration des droits de l’homme et du citoyen à un petit groupe ethnique. Elle a montré par là sa volonté d’élever à la qualité de français tous eux qui ont la volonté de s’en montrer dignes ». Si cette loi semble ne pas cibler ouvertement les juifs, Maurice Juncker, comme probablement de nombreux confrères, n’est pas dupe : « on parle ouvertement de l’exclusion des confrères juifs comme s’il n’y avait plus de liberté de conscience, de numerus clausum [sic] comme si notre charte du 20 juin 1920 était périmée ». Et effectivement, la loi du 10 septembre est l’une des premières lois visant sans le dire les juifs. Le Conseil statuera sur son maintien définitif au barreau, s’appuyant sur le rapport fourni lors de sa prestation de serment : fils d’un directeur d’école communale à Paris. « En ne m’inclinant pas je ne manque, vous l’avez compris, de déférence ni envers Monsieur le Bâtonnier, ni envers vous-même » conclura-t-il sa lettre explicative.
L’étude du dossier de Roger Spengler parait intéressante sur le refus de répondre au questionnaire. Roger est inscrit au barreau depuis 1934. Le dossier contient les lettres de demande de mise en conformité avec la loi, non ouvertes, retournées à l’Ordre. Roger mobilisé a été prisonnier de guerre, libéré sur parole. L’Ordre n’ayant pas de nouvelles, a mené son enquête en se rendant à son domicile parisien et en interrogeant la concierge. Celle-ci informe le membre du Conseil que Roger serait désormais employé dans un service d’intendance à Chartres où l’une des lettres en recommandé lui a été remis. Sa femme est partie avec lui, et elle est revenue plusieurs fois chercher le courrier. « M. S. qui a reçu la L.R. paraît se désintéresser d’envoyer les justificatifs demandés » conclura le membre du Conseil dans son rapport.
Certains avocats n’ayant pas réussi à prouver leur nationalité font appel des décisions du Conseil, le plus souvent en invoquant leur statut d’anciens combattants, voire de celle de leur père. Ces recours ont été jugés par la Cour d’appel de Paris entre février et juin 1941.
Ainsi, Jouda Tchernoff n’est pas maintenu au tableau parce qu’il n’avait pas la nationalité à titre originaire : il est né en Russie, d’un père demeuré russe, et n’a pas servi dans une unité combattante. Jouda avait été naturalisé le 29 juillet 1899 pour services rendus à la Science. Celui-ci fait appel de la décision du Conseil, qui rendra plusieurs propositions motivées en date des 19 novembre, 10 décembre 1940, 21, 28 janvier et 11 et 21 février 1941. Un jugement est rendu le 7 mai 1941 : Jouda ne s’est pas présenté à l’audience mais a fait part de ses conclusions. La Cour d’appel décide d’autoriser son maintien au barreau en vertu de l’article 2 de la loi : « sur la proposition motivée du Conseil de l’Ordre des avocats, un arrêté du Garde des Sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la Justice, peut à titre exceptionnel, autoriser l’inscription ou le maintien au tableau ou sur la liste du stage des personnes ne remplissant pas les conditions exigées à l’article 1er », ce qui lui est signifié le 27 mai 1941 par un arrêté du Garde des Sceaux Joseph Barthélémy. Jouda Tchernoff sera ensuite victime du décret du 16 juillet 1941 règlementant en ce qui concerne les juifs la profession d’avocat : il se réfugie à Saint Mandé et vivra clandestinement jusqu’à la fin de la guerre. Comme Jouda Tchernoff, 51 avocats feront appel des décisions de l’Ordre pour obtenir l’annulation des mesures qui les frappent ; 47 sont rejetés par la Cour.
Les avocats prisonniers ont souvent été victimes malgré eux de l’application de cette loi. Jean Pucheux est mobilisé dès le début de la guerre dans une unité combattante et, à l’époque du questionnaire, en captivité en Allemagne. Deux courriers lui ont été envoyés à son adresse mais retournés à l’Ordre. Le Conseil, par un arrêté du 21 janvier 1941, l’exclut du tableau au motif qu’il n’a pas respecté l’obligation légale de justifier la nationalité française à titre originaire, et ce, dans les délais qui lui ont été accordés. En 1947, Jean écrit au bâtonnier : « J’ai l’honneur de vous informer que la décision me frappant n’avait jamais été portée à ma connaissance. A l’époque où elle fut prise je me trouvais en captivité en Allemagne » ; cette décision ne l’avait pourtant pas surpris car il était entré dans la magistrature en 1937 et nommé dès la fin de l’année 1940 juge suppléant par le gouvernement. « J’ai été quelque peu ému d’apprendre sept ans plus tard que de vieille souche béarnaise j’avais pu être exclu de l’Ordre des Avocats comme ne possédant pas la nationalité française à titre originaire ! Au surplus, ayant servi dans une unité combattante de l’Armée française […] pendant la guerre de 1939-1940, je n’aurais pas dû être compris dans le champ d’application de l’acte dit loi du 10 septembre 1940 ». Il demande au bâtonnier de faire disparaître de son dossier la trace de cette exclusion fâcheuse.
L’étude de plusieurs dossiers d’avocats radiés du tableau par l’application de cette loi révèle qu’un grand nombre était parti en zone libre au moment de l’exode de 1940 et n’ont pas reçu les courriers qui leur étaient adressés.
Dans les décisions rendues par le Conseil, plusieurs avocats seront maintenus provisoirement au tableau et ce pour plusieurs raisons. En février 1941, Jean Richard, stagiaire, sera provisoirement maintenu, « le fait qu’il est prisonnier de guerre a été porté à la connaissance du conseil ». Egalement, les avocates Mme Boudouelle et Mme Tolman Guillard sont maintenues à titre provisoire jusqu’au retour de leurs maris, prisonniers en Allemagne. En effet, Gaston Guillard, époux de Me Tolman est mobilisé en 1939 au 204e Régiment d’infanterie et fait prisonnier par les allemands.
Quant à Jean Donald Dreyfus, lors de l’envoi du questionnaire, il est mobilisé sous les drapeaux depuis le 23 août 1939 comme lieutenant d’artillerie et est blessé en zone libre. Il n’a donc pas pu remplir le questionnaire mais est maintenu quand même à titre provisoire.
Enfin, certains avocats, radiés dans un premier temps, sont maintenus exceptionnellement au tableau sans faire appel de la décision, ce qui fut le cas de Me Georges Sbriglia. Il est né en 1887 à Paris, « qu’ainsi il est français » précise le rapport du membre du Conseil en 1940, et a prêté serment en 1902. Secrétaire de la conférence en 1904, il est inscrit au tableau en 1906. Il est élu membre du conseil de l’Ordre en 1931 et réélu les années suivantes jusqu’en 1935. Or le père de Georges était né à Naples en 1834, et donc italien. Conformément à la loi du 10 septembre, il est sous le coup de celle-ci, et le Conseil décide alors qu’il ne sera pas maintenu au Tableau en vertu de l’article 1er (décision du Conseil du 25 février 1941). Or après un second rapport dans lequel il précise que Me Sbriglia « n’a cessé, un seul instant, d’exercer une activité exceptionnelle, dans le respect de toutes nos traditions et avec la plus grande dignité ce qui lui a valu l’estime des magistrats et de ses confrères », le Conseil décide de demander au Garde des Sceaux de prendre un arrêté autorisant, à titre exceptionnel, le maintien au tableau de celui-ci. Cet arrêté de confirmation de maintien au tableau sera signé du Garde des Sceaux Joseph Barthélémy le 27 mai 1941.
Lors de la promulgation de cette loi, Maurice Garçon écrit dans son journal :
« La Téhessef de Pétainville analyse le décret paru ce matin à l’officiel qui règlemente l’ordre des avocats. Bénis soient mes confrères qui m’ont refusé, il y a deux ans, l’honneur d’entrer au conseil de l’ordre. Je crois bien que si j’y étais, je démissionnerais ce soir même. Cette juridiction va être chargée de radier des avocats nés français parce que leur père, même si sa naturalisation est ancienne, n’est pas né en France. Si j’ai bien compris, on prononcera des exclusions pour des raisons d’opinion. Dans notre maison où la confraternité est si pleine de jalousie et de fiel, où l’on dépense tant d’efforts pour nuire à son voisin, où la concurrence est féroce, on va faire des horreurs ».
Fin 1940, 32 avocats d’origine étrangères ont été maintenus en raison de leur situation familiale, leur patriotisme, leurs mérites culturel ou intellectuel, leurs qualités professionnelles. La religion n’était pas un critère déterminant ; plusieurs d’entre eux étaient juifs. Ces derniers seront ensuite victimes du décret du 16 juillet 1941 sur l’exclusion des avocats juifs.
Cindy Geraci.
Procès-verbaux du Conseil de l’Ordre, 1939-1940.
Dossiers administratifs des avocats : Marcel Babeau, Etienne Carpentier, Gaston Crémieux, Lucien Dalem, Armand Dorville, Jean Donald Dreyfus, Maurice Juncker, Marcelle Kraemer-Bach, Thérèse Moreau, Jean Pucheux, Georges Sbriglia, Roger Spengler, Jouda Tchernoff.
Journal de Maurice Garçon, 1939-1945, Belles Lettres, Fayard, 2015.
Gallica-Retronews
L’Echo d’Alger, 14 novembre 1940.
Le Journal, 14 novembre 1940.
Le Figaro, 14 novembre 1940.