Port_etoile
Dès décembre 1941, les autorités militaires allemandes ont annoncé aux autorités de Vichy leur intention d’imposer aux juifs le port d’une étoile jaune cousue sur leur vêtement, ce qui existait déjà dans le Reich et en Pologne occupée depuis la fin de 1939. En janvier 1942, à la suite de la conférence de Wannsee, Theodor Dannecker, « judenreferent » à Paris, ainsi que ses homologues hollandais et belges sont convoqués par Adolf Eichmann pour introduire chacun dans leurs territoires d’administrations l’obligation de porter l’étoile jaune. Ils conviennent en mars des modalités d’institution de cet insigne, identique à celle portée en Allemagne soit 10 cm2, avec l’inscription « Juif » dans la langue. Ce marquage s’inscrit dans la politique d’extermination des juifs : en effet, le premier convoi de déportés « raciaux » date du 27 mars 1942.
Malgré l’opposition de Darlan qui estimait que cette mesure pourrait choquer l’opinion publique française, les allemands imposent ce signe distinctif en France, avec difficulté car résidaient alors en France des ressortissants juifs d’Etats neutres, ou belligérants (Etats-Unis, …) ou des pays alliés de l’Allemagne (Italie), à qui il était impossible d’imposer une telle mesure. Le gouvernement de Vichy proteste et refuse d’imposer l’étoile en zone libre.
Les allemands agissent donc seuls et émettent le 29 mai 1942 la 8e ordonnance, prenant effet au 7 juin :
« Il est interdit aux Juifs, dès l’âge de 6 ans révolus, de paraître en public sans porter l’étoile juive.
L’étoile juive est une étoile à 6 pointes ayant les dimensions de la paume d’une main et des contours noirs. Elle est en tissu jaune et porte en caractères noirs l’inscription “JUIF”. Elle devra être portée bien visiblement sur le côté gauche de la poitrine solidement cousue sur le vêtement.
Les infractions à la présente ordonnance seront punies d’emprisonnement et d’amende ou de l’une de ces deux peines. Des mesures de police telles que l’internement dans un camp de Juifs pourront s’ajouter ou être substituées à ces peines.
La présente ordonnance entrera en vigueur le 7 juin 1942.
Der Militärbefehlshaber in Frankreich. ».
Cette ordonnance ne comporte aucune exception, malgré quelques voix de protestations, tel Georges Scapini, ancien avocat, alors en charge de la protection des prisonniers de guerre français, demandant que les anciens combattants décorés en soient exemptés.
Toutes les professions sont concernées.
Le Maréchal Pétain demande l’application de cette ordonnance en zone occupée, ce qu’exécute Fernand De Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, en adressant ne circulaire à tous les préfets de la zone occupée, précisant les modalités de distribution. La distribution s’effectue dans les mairies et commissariats de police : celle-ci n’est pas gratuite ; les juifs se procurent ce signe distinctif (3 exemplaires par personne !), qu’ils devront coudre eux-mêmes sur leurs vêtements, soit en l’échangeant contre de l’argent, soit contre des points de la carte textile.
Face à l’extrême violence de cette mesure, chaque personne puise dans un répertoire d’actions : la porter avec fierté, la dissimuler, ne pas la porter …
Au barreau de Paris, aucune mention de l’application de cette mesure ne figure dans les procès-verbaux du Conseil de l’Ordre. Maurice Garçon, raconte dans son journal 1939-1945, sa rencontre le 1er juin 1942 avec son confrère Marcel Poignard avec qui il évoque cette nouvelle mesure : Marcel Poignard lui dit que le Conseil de l’Ordre démissionnerait plutôt que d’en admettre le principe, ce dont il doute fortement. Jacques Charpentier confirme dans ses mémoires qu’il avait refusé d’afficher cette prescription ; aucun affichage n’a donc eu lieu dans les locaux de l’Ordre, ce qui contrariaient les allemands qui tentèrent d’imposer l’étoile jaune sur la robe.
Plusieurs avocats juifs refusèrent de se soumettre, entrainant plusieurs actions collectives avec les avoués et les notaires ; une enquête sur ces contestataires sera demandée le 15 juillet 1942 mais n'aboutira pas en raison des vacances judiciaires. Le bâtonnier Charpentier répondra que douze à quatorze avocats juifs sont encore en fonction qu'ils « ne portent pas l'étoile, volontairement, malgré les observations faites ».
D’autres avocats se plièrent néanmoins à la mesure : ainsi le quotidien collaborationniste Le Cri du Peuple du 11 juin 1942 titre un article en première page « un scandale au palais de Justice sur sa robe d’avocate : une avocate arbore l’étoile jaune ». « Cette avocate juive fièrement campée sur les marches de la Cour d’appel, en robe et le morceau de satin jaune bien placé au-dessus du cœur, dévisageaient avec mépris ceux qui la coudoyaient », précisant que cette avocate avait été inscrite au barreau en 1941 au titre d’épouse d’un prisonnier français. Autre exemple avec Léonce Pimienta : mobilisé dès 1938, démobilisé en 1940, il reprend sa place au barreau. Il peut "demeurer avocat ; juif il doit porter l'étoile jaune". Il plaidera durant toute l'Occupation avec, sur sa robe "le signe de l'opprobre" (Discours du Bâtonnier Albert Brunois à la Cérémonie du Souvenir, 17 novembre 1966).
Courant octobre, la pression des autorités allemandes se fait sentir au Palais ; le procureur de la République exige du bâtonnier d’aviser les quelques rares avocats juifs qui demeurent qu’ils doivent porter l’étoile jaune sur la robe : « Le conseil de l’Ordre n’a pas fait d’observation et a transmis purement et simplement » commentera Maurice Garçon dans son journal.
L’étoile jaune n’a pas été portée en zone libre, mais le tampon « juif » sur la carte d’identité y devient obligatoire à partir du 11 décembre 1942, à la suite de l’invasion de la zone sud en novembre.
Cindy Geraci.

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