Je suis né à Brive la Gaillarde le 10 février 1944.
Mon père, juif polonais est arrivé en 1936 à Paris à l’âge de 17ans avec sa mère, sa sœur, son beau-frère et leurs deux enfants, rejoignant la patrie des droits de l’Homme !
Lui, le bundiste arrivait dans un pays bientôt gouverné par le Front Populaire.
En ce début 1944, ma grand-mère maternelle a déjà été déportée, mon oncle, ma tante paternels et l’un de leurs deux fils également.
Le second a été sauvé par ma mère.
Avertis par le commissaire de police du 3ème arrondissement de Paris, mes parents (ils se sont mariés en avril 1942) vont fuir Paris en ce début 1944.
Maman est dans son neuvième mois de grossesse.
Ils partent avec ma grand-mère paternelle qui ne parle que le yiddish ; c’est un administrateur de biens juifs, leur épicier, royaliste (il s’appelle Le Roy !) qui va les accompagner en voiture à la gare d’Austerlitz…
Ils partent en Corrèze, terre d’accueil parmi d’autres où se sont déjà réfugiées de nombreuses familles juives.
Arrivée en gare de Brive la Gaillarde le 10 février 1944, ma mère va accoucher et me voilà corrézien de naissance ! Difficile de se retrouver à l’Hôpital à 20 ans sans savoir à qui faire confiance.
Une « gentille » bonne-sœur va nous exfiltrer et nous éviter une dénonciation.
Une voiture à cheval nous attend à l’extérieur.
En effet, mon père a trouvé un refuge à Saint-Aulaire à 18 km de Brive la Gaillarde auprès de la famille VIALLE qui a mis à notre disposition une petite bâtisse au lieudit GAUX.
C’est Monsieur VIALLE qui nous attend dans cette voiture à cheval…
Mon père va récupérer des peaux de lapins pour en faire des manteaux et des gilets (il est tailleur de profession) puis très rapidement il va rejoindre le maquis ; le bundiste va logiquement vers les F.T.P.
Cet homme, très doux et qui, engagé volontaire dans l’armée française, s’était déjà évadé de l’Hôpital de Chalon sur Marne après avoir été blessé ; je l’ai aperçu en 2023 en photo à la libération de Brive, (en faisant une recherche sur Internet) il portait une mitraillette et j’en ai éprouvé une immense fierté tout comme quand j’ai retrouvé, à l’âge de 12 ans, derrière des rouleaux de tissus dans son atelier, un tableau de médailles à lui décernées, dont il n’avait jamais parlé.
Pendant ce séjour en Corrèze, des échanges ont eu lieu, de tous ordres, entre cette famille de paysans corréziens et les miens.
Les VIALLE ne fournissaient pas que le gite ; ils offraient également à ma famille de quoi s’alimenter et surtout l’une de leurs vaches me nourrissait de son lait en même temps qu’ Odile et Gérard leurs enfants, avec lesquels je vais être lié pour la vie.
Ma grand-mère, elle, savait tout faire comme toutes les grands-mères de cette époque ayant vécu à la campagne et notamment elle savait faire le pain et autres plats ashkénazes totalement ignorés de nos paysans corréziens.
Avant de rentrer à Paris, ma grand-mère a offert aux VIALLE des nappes polonaises en lin à carreaux rouge et blanc ; j’ai retrouvé une de ces nappes avec une immense émotion chez Gérard, en 1998 ;
Ces gens ignoraient ce qu’était un juif : pour eux, il y avait une famille et un bébé.
Ce bébé, plus tard, ils vont l’appeler Ricou et Ricou va apprendre tellement de choses de ce monde paysan dont il va être imprégné pendante toute sa vie.
Encore aujourd’hui un sentiment de profonde reconnaissance me submerge quand je vais me recueillir devant la petite maison, en ruine, qui nous a abrités.
De retour à Paris, mes parents ont retrouvé rue de Picardie leur petit appartement intact.
Un nouvel épisode de ma vie s’ouvrait qui allait me faire prendre pleinement conscience de ce à quoi nous avions échappé.
Cela a très largement participé à ma construction.
J’ai longtemps pensé que tout cela ne pouvait pas se renouveler mais aujourd’hui en 2025 de nouveaux vents nauséabonds soufflent sur l’avenir de mes petits-enfants…
Fait à Saint-Mandé, le 24/03/2025
Henri ALTERMAN