Catherine Camille Schabba Molina est née le 15 mars 1904 dans l’appartement de ses parents au 4 rue Thimonier, dans le 9e arrondissement de Paris, dans une famille juive de petite bourgeoisie. Son père Aaron Eugène Molina, alors âgé de 30 ans était publiciste et sa mère Judith Amélie Hirsch-Weil âgée de 23 ans sans profession. Sa mère avait exercé avant son mariage le métier de dactylographe.
Catherine Camille Schabba Molina est née le 15 mars 1904 dans l’appartement de ses parents au 4 rue Thimonier, dans le 9e arrondissement de Paris, dans une famille juive de petite bourgeoisie. Son père Aaron Eugène Molina, alors âgé de 30 ans était publiciste et sa mère Judith Amélie Hirsch-Weil âgée de 23 ans sans profession. Sa mère avait exercé avant son mariage le métier de dactylographe.
Enfant, elle n’avait guère de distractions que les histoires de famille et la lecture. Elève « très douée à l’intelligence prompte, aigüe, quoiqu’un peu superficielle, travailleuse et rapide » comme elle se définit elle-même, elle obtient son baccalauréat (après deux tentatives !), et poursuit des études de droit. Licenciée (avec mention bien en droit romain), le 10 juillet 1924, elle s’inscrit au Barreau de Paris le 28 janvier 1925. Elle habitait alors chez ses parents rue Nicolo mais bénéficiait de toutes les conditions pour exercer la profession.
Jean-Pierre, fils unique, naîtra de cet amour en 1928.
Sa première affaire en tant qu’avocate devant les appels correctionnels fut la défense d’une femme bénéficiant de l’Assistance judiciaire, plusieurs fois récidiviste, condamnée pour un délit à 13 mois de prison en première instance. « Les mots ne pouvaient sortir de ma gorge tant j’étais émue et inquiète » se remémore-t-elle. Elle était maladroite et charmante à la fois, âgée seulement de 20 ans. L’avocat général, expérimenté et qui avait deviné sa jeunesse, l’appela à la fin de sa plaidoirie et lui dit : « C’est votre première plaidoirie… Courage. Une autre fois ce sera très bien ». La Cour fut selon elle indulgente réduisant la peine de sa cliente à 10 mois.
En 1937, Catherine est contrainte de démissionner du barreau de Paris pour des raisons de santé. Elle poursuit sa passion militante pour le droit des femmes en écrivant plusieurs articles. Elle publie notamment en 1938 aux Editions Réalité, une plaquette de 64 pages, intitulée « Femme, voici tes droits ! », relative aux droits de la femme dans le mariage, en matière de divorce et à l’égard de l’enfant. Cette plaquette fait suite à la loi du 18 février 1938 qui élargit la capacité civile de la femme mariée, ce qui d’après elle, est une avancée insuffisante. Ce petit guide est salué par la presse qui le qualifie de « précieux, aussi clair que complet, mis à la portée de toutes les femmes » (Excelsior, 25 juin 1938).
Lorsque la 2e guerre éclate, Catherine suit, avec son fils, son mari Raymond dans les Pyrénées, où ce dernier avait été missionné pour la défense de Georges Mandel au procès de Riom. Ils s’installent à Urdos à quelques kilomètres de la prison du Portalet. Elle mène des missions non officielles de résistance dès juin 1940 auprès de son mari : elle l’aide, avec son beau-frère, à communiquer avec l’ambassade américaine à Vichy, en se rendant fréquemment voir Philippe Roques (1910-1943). Philippe Roque, journaliste parlementaire, résistant, effectuait des allers-retours avec Londres de 1941 à 1942.
Elle est arrêtée avec son mari et son fils le 11 novembre 1942, et gardée à vue. Libérée sur des mensonges crus par les officiers de la Gestapo, elle quitte alors Urdos et son mari, direction le sud-est. Elle rencontre alors Joseph Laniel (1889-1975), qui lui tend la main lorsqu’elle le croise à bicyclette entre Vichy et Bellerive sur le pont : « Que faites-vous ici Madame ? ; il faut travailler avec nous… Garez votre fils… Avez-vous de l’argent ? ». Il ouvre son portefeuille, 10 000 francs. « Vous me rembourserez quand vous le pourrez après la guerre. RDV à Lyon samedi prochain à trois heures chez P.B. Voici l’adresse. N’écrivez rien. Il faut tout savoir par cœur ». Elle prend ensuite le train pour Nice, procure des faux papiers à son fils et le met à l’abri sous un faux nom avec l’aide de Monseigneur Rémond dans un pensionnat niçois (au collège de Sasserno).
Elle rejoint « officiellement » la Résistance à Lyon où elle est présentée à François de Menthon (1900-1984). De mai 1942 à juillet 1943, elle travaille comme Catherine Le Meur, sous le réseau Micromegas (réseau Ajax). Elle est homologuée dès la constitution officielle du réseau Ajax en juillet 1943. Elle travaille comme secrétaire et gardienne d’archives au Comité général d’Etudes (CGE) sous les ordres de François de Menthon, président de ce comité, chargé de centraliser tous les renseignements politiques et administratifs utiles à l’époque à la France libre et de la préparation de la future constitution. Le CGE était un mouvement comprenant quelques juristes et professeurs de droit. En 1943, les hautes personnalités qui en étaient à la tête partirent à Alger rejoindre le Général de Gaulle pour participer au gouvernement d’Alger. François de Menthon est nommé alors commissaire à la Justice au sein du Comité français de la Libération nationale d’Alger. Et « Catherine Le Meur, leur secrétaire, oubliée en déportation ! » écrira-t-elle dans la Douceur de revivre. Elle reste agent de liaison du réseau Ajax et se fait arrêter par la Gestapo, dans l’appartement qu’elle occupait et qui servait fréquemment de lieu de rencontre clandestin. Mais elle réussit à s’échapper !
Son appartement est perquisitionné. Aidée par un inspecteur de police dévoué, elle retourne quelques mois plus tard quai Serin au « Petit Oiseau » et en quelques instants emporte précipitamment (dans le car même de la Police !) le mobilier et tout ce qu’elle retrouvait, et notamment le tableau de « Corot » confié par son ami, ainsi qu’une liasse de dollars (cachés dans une paire de chaussettes) ; elle remet la toile et les dollars en main propre à son ami à Clermont Ferrand, avant de rejoindre Paris.
Mais la Gestapo retrouve sa trace et l’arrête le 30 juin 1944 dans les locaux d’un service juridique où elle était une employée appointée. Elle réussit à faire prévenir son ami, l’avertissant par un collègue complaisant. Cet ami se rend chez elle remplir rapidement une valise de vêtement qu’il porte à la directrice. Catherine obtient des Allemands la permission de la lui remettre rue des Saussaies. Cette valise permit à quelques prisonnières de recevoir des lingeries de rechange à Fresnes, où elle est incarcérée, sous son faux nom Catherine Rivet femme Duhamel.
« La vie à Fresnes serait supportable sans la grosse émotion du matin, lorsqu’on vient nous chercher pour les interrogatoires » raconte-t-elle dans K.W.4. Mais son interlocuteur n’est pas « sadique » comme les autres, il pose des tas de petites questions insidieuses. Elle lui explique qu’elle était à Lyon, secrétaire du CGE (motif pour lequel elle était recherchée) et qu’elle ne connaissait que M. de Menthon. Son interlocuteur a accordé quelques crédits à ses mensonges, ce qui lui permit de sauver deux de ses camarades François G. et le docteur Maurice F. Il insiste aussi sur ses faux-papiers : Catherine Duhamel, femme de Ernest Georges Duhamel, qui est en Angleterre ; Catherine ne lâche rien. Mais il va plus loin et lui pose une question qui la met dans l’embarras, sans que cela ne se traduise sur son visage, ni son comportement : « connaissez-vous M. Demeury ? ». Elle répond sans sourciller : « M. Demeury, c’est un enfant, j’étais une amie de sa mère, sur la Côte d’Azur ». « Un enfant, un enfant (il avait 16 ans) qui s’occupe des dépôts d’armes ». « Ce n’est pas possible, … après tout vous devez savoir mieux que moi ». Demeury n’était autre que son fils Jean Pierre, qui avait pris le maquis…. Son interlocuteur connaissait l’adresse de Demeury dans la Sarthe… mais celui-ci était déjà parti dans l’Oise, abrité chez une connaissance, Dolly B.
De Fresnes, elle est transférée au fort de Romainville où elle retrouve d’ailleurs Dolly B., qui lui dit que toute la famille a été arrêtée, excepté Jean-Pierre parti quelques jours avant, sans donner d’explications. Dans la voiture cellulaire, elle rencontre Jacquie, sa future compagne de déportation. Elles restent 8 jours où elles ont cru vivre « dans une auberge de jeunesse avec une discipline douce ». ; elles avaient des colis de la Croix rouge, prenaient des bains de soleil. Le fort de Romainville a été réquisitionné par la Gestapo en 1940 et sera jusqu’en 1944 un camp d’internement et de transit pour la déportation ; 40 % de toutes les femmes françaises arrêtées pour actes de résistance passeront par ce fort.
De Romainville, elle est déportée à Ravensbrück en août 1944, « après 5 jours de voyage dans des wagons plombés, 60 par wagons, étouffant, sales de crasse et de l’odeur des tinettes, les françaises descendent à la gare de Furstemberg ». Elle est mise en quarantaine, enfermée dans des blocks exigus : elle ne peut ni s’asseoir de jour, faute de place, ni dormir la nuit car les déportées partagent 2 paillasses à 5. L’appel dure deux heures le matin dans le froid. « Le jour où nous avons quitté Ravensbrück nous avons été 21 heures debout … pour remplir les différentes formalités (bureau d’appel, visites médicales, distribution de vêtements) ». Quant aux visites médicales, elle les qualifie de « monstrueuses » : nues, au soleil, devant des prisonniers moins sadiques que nos bourreaux.
Le 25 août 1944, elle est transférée au Lager de Siemenstadt, à 12 km de Berlin, pour travailler dans une usine Siemens. Elle le qualifie de moins lugubre que Ravensbrück, plus petit et moins sale. 900 femmes, de 18 à 45 ans, dont 70 françaises y sont enfermées. Chacune a caché des armes, saboté du travail, écrit, imprimé ou diffusé des journaux ravitaillé le maquis ou fabriqué de fausses cartes : « toutes nous n’avons qu’un but : la Résistance ». Les françaises portaient un triangle rouge rappelant qu’elles avaient lutter contre le travail obligatoire. Elles sont affectées au travail en usine de guerre.
Depuis début septembre, Catherine, numéro 1104, travaille au K.W.4, 12 heures de nuit, debout, sur une machine où chacune se débrouille comme elle peut avec des bobines sur lesquelles sont enroulés les fils électriques auxquels elle doit faire subir différentes expériences de contrôle. Il fait froid à l’usine, la neige est fréquente, les bombardements sont quotidiens et elle souffre de la faim (une soupe par jour !) et de divers maux. Elle écrit sur des bouts de papier ce qu’elle vit, depuis la prison de Fresnes, et les cache comme elle peut (soit sur elle, dans ses chaussures, sous sa paillasse). En octobre 1944, elle effectue un essai sur une 3e machine, qui lui permet de rester assise pendant les 10 minutes que met le fil à se dérouler, parfois les 10 minutes peuvent se prolonger… Elle a du papier et un crayon et donc elle écrit : « Reine du sabotage je peux écrire le chiffre qui me plait, les résultats sont pratiquement incontrôlables ». Effectivement, toutes les femmes employées dans cette usine sabotaient dès qu’elles le pouvaient le travail des machines. En décembre 1944, affaiblie, elle est malade et est au Revier, sorte d’infirmerie : « je suis surveillée et grondée tout le temps » ; mais elle lutte pour se rétablir un peu, car toute femme qui ne peut plus travailler est renvoyée à Ravensbrück, là où il y a les fours crématoires….
Après un mois de janvier 1945 difficile, avec des températures de -20e C, elle se réjouit des bombardements américains : « nous admirons les incendies – avec quelle joie contenue !- dans le ciel ». En effet, début 1945, les forces américaines lancent de nombreux raids diurnes dans la région de Berlin, jusque fin mars, 314 raids ont eu lieu. En février 1945, une partie de l’usine flambe. Le 28 mars 1945, tous les blocks flambent. Catherine fuit avec deux compagnes, enjambe les fils de fer barbelés et sort du camp. Elle essaie d’atteindre les abris des hommes- impossible- les abris sont trop pleins. Elles restent dehors. Après une 4e vague de bombardement, Catherine et ses amies sont accroupies dans l’herbe, à terre au milieu de Polonaises et d’italiennes qui hurlent et prient, dans un bruit assourdissant, recouvertes d’un épais nuage de fumée. Le bombardement a duré 3 heures. Une offizierine les ramène au camp où tout flambe encore, sauf les bâtiments des cuisines : « C’est une chance car nous avons grand faim ». « Aucune française ne manque à l’effectif. Nous sommes toutes étonnées de vivre ».
Siemenstadt est détruite. Les déportées sont transférées au camp d’Azerhof, petit camp d’hommes à quelques kilomètres de Siemenstadt, mais il est « plein à craquer ». Il faut y loger les 1000 prisonnières et 2500 prisonniers et sinistrés. La vie y est intenable, et les bombardements continuent.
Le 2 avril 1945, dimanche de Pâques, elles arrivent à Sachsenhausen et sont réparties en divers blocks. Catherine est avec 5 autres françaises. Les conditions de vie sont intenables : une paillasse crasseuse et 2 couvertures sales pour 3 personnes. Elles sont affectées aux corvées de vidage des seaux d’excréments, puis aux corvées de pommes de terre. Les violences physiques montent d’un cran, les bombardements continuent.
Le samedi 11 avril 1945, les portes du camp sont ouvertes à 18h : « nous avons sous le bras un pain et une boîte de pâté pour 4, l’ordre de tenir 4 jours et la colonne de 230 françaises s’ébranle avec quelques milliers d’étrangères, encadrée tous les dix mètres de soldats, fusil chargé, de soldates et de chiens. Nous fuyons les russes ; mais où allons-nous ? personne ne le sait et d’angoissantes suppositions sont permises ».
Catherine et ses compatriotes françaises marchent plusieurs jours, durant plusieurs heures sur les routes, en direction du nord-ouest de Berlin. Elles croisent plusieurs fois des camions de la croix rouge qui s’arrêtent, leur distribuant de la nourriture et de l’eau : un colis pour quatre contenant du chocolat, des raisins secs, des pruneaux : « Tenez bons, disent-ils, les russes nous suivent de près ». Elles arrivent le 29 avril à 60 km de Berlin, à la Ferme de Rosen Erck (2 km de Zecklin), épuisées. Les allemands désertent la ferme le 2 mai : elles envahissent la maison, pillent et mangent tout ce qu’elles trouvent. Les blessés et les malades sont évacués le lendemain : « Ouf me voilà libre ! » écria-t-elle. Elle décide avec son amie de partir à pied à l’hôpital de Wittstock où sont ses autres camarades.
De là, elle part le 11 mai pour être remise aux autorités américaines, à 50 km, arrive au camp américain de Jennitz (ancienne poudrière transformée en camp de rapatriement), sur la route de Hambourg. Elle quitte ce camp pour arriver à Ceele où elle bénéficie d’un accueil « assez aigre doux du capitaine français qui ne comprend pas que j’arrive seule et sans papiers ». Puis elle décolle le 16 mai en direction du Bourget dans un avion où elle retrouve Céline qui sort de l’hôpital : « Quand l’avion décolle, je me mets du rouge aux lèvres que me donne Céline. C’est mon premier geste de femme, il est symbolique il me semble ». L’avion rapatrie 30 passagers, 28 prisonniers et déportés et deux femme, Céline et elle.
Arrivée au Bourget, une grande émotion l’envahit : l’accueil est chaleureux les soldats présentent les armes. Elle traverse Paris, « la population nous acclame, on nous offre du vin. Je réclame des fruits. Une femme me donne une orange. Je mords, il me semble dans tout le bonheur de vivre », et se rend au Lutétia.
Elle se présente « tel un cadavre ambulant » dans ce grand hôtel parisien (7 étages et les 350 chambres), réquisitionné par le Général de Gaulle dès avril 1945 pour accueillir les déportés, de jour comme de nuit. Elle pèse alors 36 kg, est habillée d’un pantalon allemand (elle s’était délestée de sa robe rayée auprès d’une fontaine en Allemagne), ses cheveux tombent par poignées, ses yeux ressemblent à ceux d’un animal traqué. Lorsqu’elle arrive, elle fait l’objet, comme tous les autres arrivants d’un interrogatoire très sévère : elle décline ses 4 identités Catherine Le Meur, Claudine, Catherine Rivet, Catherine Duhamel, puis détaille son parcours en Allemagne dans les différents camps.
Elle donne son numéro de matricule, le 1104 à partir de Berlin, celui de Ravensbrück, elle ne s’en souvient plus. Réponse violente de la personne chargée du dossier : « Alors vous n’êtes pas aller à Ravensbrück ! ».
Catherine voit ensuite son amie Denise Raynal (dont elle avait sauvé la vie de son mari Pierre) puis Poupette qui lui indique que son fils l’attend dans sa chambre….
Après 10 jours passés au Lutécia avec son fils, elle est hébergée par une amie, puis part se reposer et se soigner à Bone sur Ménoge en Savoie, de juin à décembre 1945. Elle profite de ce séjour pour rassembler et mettre au propre tous les bouts de papiers qu’elle a rapporté des camps. Elle veut désormais devenir journaliste et écrivain. Sans nouvelle de son mari, elle cherche des informations. Est-il encore vivant ?
A travers cette lutte administrative, elle contribue à la rédaction de deux nouveaux statuts parus en 1948 concernant les déportés : sont déportés résistants ceux qui ont accompli des actes de résistance qui furent la cause déterminante et immédiate de leur déportation ; sont déportés politiques ceux qui ayant été déportés et ayant fait ou non de la Résistance ne peuvent établir un lien de causalité entre le Déportation et la Résistance.
Quant à elle, elle est décorée de la médaille de la Résistance et de la croix de guerre avec une belle citation du maréchal Juin du 27 décembre 1945.
Cindy Geraci.