« On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment »
Jean-François Paul de GONDI- Cardinal de RETZ.
L’itinéraire professionnel et politique du bâtonnier Jacques Charpentier en fait une personnalité marquante et controversée du barreau parisien du XX° siècle.
Resté plus de sept années en fonction de 1938 à 1945, ayant assuré la direction de l’Ordre pendant les années noires de l’Occupation jusqu’à la Libération, il a été d’abord présenté comme l’incarnation de la Résistance du barreau à l’occupant avant de se voir reprocher, plus tard, une « lune de miel » avec Vichy (le mot est de lui) et un antisémitisme « ordinaire » pour reprendre la formule de Robert Badinter, qui était celui de la majorité de ses confrères avant-guerre.
Né le 5 juillet 1881 à Rueil, fils d’avocat, issu d’une vieille famille de la bourgeoisie parisienne, Jacques Charpentier après de bonnes études au lycée Condorcet, obtient une licence ès lettres et une licence en droit avant de soutenir une thèse en 1906 sur le sujet Étude juridique sur le bilan dans les sociétés par actions.
Il est également l’auteur d’un Manuel des associations déclarées (en collaboration avec M. Bertin, Paris,1907).
Il prête serment devant la Cour d’appel de Paris le 20 avril 1908 et est admis au stage du barreau de Paris le même jour puis est désigné Premier Secrétaire de la Conférence pour l’année judiciaire 1909-1910. Il est le collaborateur du futur bâtonnier et sénateur Manuel Fourcade, qui sera aussi le futur vice-président du Conseil National de Vichy.
Admis au Grand Tableau le 21 octobre 1913, il est mobilisé de 1914 à 1918, comme attaché d’administration de l’intendance. Démobilisé il reprend son activité professionnelle, sa carrière est celle d’un civiliste réputé, on lui doit un Traité pratique des bilans et des inventaires (Berger-Levrault). Dans les années 30, il plaide notamment pour l’acteur Pierre Fresnay contre la Comédie Française, pour la Fédération des Journaux Français contre le patron de presse et parfumeur François Coty.
Dès 1928 il est élu Membre du Conseil de l’Ordre dans lequel il siégera sans interruption jusqu’en 1937 et ses confrères l’éliront en 1938 bâtonnier de l’Ordre ; il commentera, dans son livre Au service de la Liberté publié en 1949 cette élection ainsi qu’il suit :
« En général, les Israélites, les femmes avocats et les “externes”, qui ne viennent guère au Palais que les jours de vote, avaient apporté leurs suffrages à mon concurrent. À la dernière minute, un mot d’ordre, dont je n’ai jamais connu la raison, avait enjoint aux membres de la maçonnerie de faire bloc contre moi. Je me trouvais ainsi, sans l’avoir souhaité, l’élu du “Vieux-Palais”, conservateur et clérical, mais profondément attaché à notre orthodoxie professionnelle, ce qui m’avait valu ses préférences ».
Outre le caractère misogyne de ce passage, nous ne pouvons qu’être choqué par l’antisémitisme et l’antimaçonnisme qui s’en dégagent mais qui sont hélas bien partagés dans le Palais de l’époque. Nous ne pouvons que rappeler que Xavier Vallat, antisémite notoire (il s’était livré en tant que député à des déclarations ignobles contre Léon Blum en 1936), futur commissaire aux affaires juives, était élu en 1938 au Conseil de l’Ordre battant un de ses confrères pourtant connu et respecté, Etienne Caen, dont le seul tort était d’être juif.
Il n’en demeure pas moins que Jacques Charpentier apparait conscient de la montée des périls puisque dans son discours de rentrée en 1938, il se montre sans illusions sur Munich en déclarant :
« c'est que de nouvelles mystiques, en casque ou en casquette, mais toujours en bottes, ont fait leur entrée dans le monde, et que, sous leur poussée, de vieilles vérités s'écroulent, écrasant les trésors acquis, renversant les valeurs. Parmi ces antiques croyances, il en est une qui me semble particulièrement ébranlée, et comme c'est celle au service de laquelle vous vous êtes engagés, celle qui est votre raison d'être, j'ai pensé que nul souci n'était plus pressant pour votre nouveau bâtonnier que d'appeler votre attention sur les périls qui la menacent. C'est de la crise de l'idée de Justice que je veux vous entretenir aujourd'hui…
… Devant l’invasion ou devant l’émeute, il y a ici dans cette salle de jeunes hommes qui témoigneront par leur exemple, qu’il y a des idées qui valent une vie ».
Après la déclaration de guerre en 1939, il structure le barreau pour assurer aux avocats mobilisés la conservation de leurs clientèles.
L’exode le conduit à Blois où la Cour a été évacuée, à Bordeaux puis à Vichy où il assiste aux manœuvres de Pétain et de Laval qui conduiront le 10 juillet 1940 au coup mortel porté à la République et à ce que René Cassin a appelé « le coup d’Etat juridique : la constitution de Vichy ».
A cet égard, sans qu’il s’agisse de la « divine surprise » chère à Maurras, le nouveau régime ne choque pas Jacques Charpentier qui le reconnaitra dans son livre cité plus haut dans un chapitre intitulé « Lune de Miel » :
« Mes premiers rapports avec le gouvernement de Vichy ne furent pas mauvais. Je ne vois aucun inconvénient à dire tout haut cette vérité. Au moment où il fut signé, l'armistice ne m'apparut pas comme un crime. Y avait-il une solution moins mauvaise ? Je ne le croyais pas, et aujourd'hui je n'en suis pas encore certain. Impliquait-il nécessairement la collaboration ? Je persiste à croire le contraire ».
Dés août 1940, Jacques Charpentier travaille avec le Doyen Georges Ripert, Secrétaire d’Etat à l’Instruction Publique et à la Jeunesse, au renforcement des dispositions restreignant l’accès au barreau des naturalisés.
Il convient ici de rappeler que sous la pression de l’Union des Jeunes Avocats (UJA) et de l’Association Nationale des avocats (ANA) présidée par le bâtonnier Payen (futur défenseur de Pétain) la loi de1934 avait écarté du barreau les naturalisés de moins de dix ans.
Cette mesure n’apparaissait pas suffisante à ces associations qui avaient multiplié les interventions jusqu’à la déclaration de guerre en faveur d’un durcissement.
C’est donc sur la base d’un projet élaboré avec Georges Ripert que Jacques Charpentier propose d’ajouter l’exigence de justifier de la nationalité française des deux parents du futur stagiaire.
Il n’obtiendra pas une satisfaction complète puisque l’exigence de nationalité ne s’appliquera qu’au père de l’impétrant dans la loi du 10 septembre 1940.
Comme il l’écrit en 1949 :
« Dès 1940, une loi avait exclu les fils d'étrangers de la profession d'avocat. Depuis quelques années, cette mesure était vivement souhaitée par le barreau de Pans. Si un pays qui souffre d'une crise de natalité est obligé de favoriser l'immigration, certaines professions, dont la nôtre, ·exigent un minimum d'assimilation. Avant la guerre, nous avions été envahis par des naturalisés de fraîche date, presque tous d'origine orientale, dont le langage, commenté par les petits journaux, nous couvrait de ridicule, et qui apportaient, dans la conduite des litiges, les procédés de leurs bazars.
A cet égard, la politique de Vichy se rencontrait avec nos intérêts professionnels ».
Nous ne pouvons que douter de la sincérité du bâtonnier Charpentier lorsqu’il relève dans le même ouvrage que cette mesure ne devait rien à l’antisémitisme consubstantiel de la Révolution Nationale alors que l’homme chargé de la mettre en place, le Garde des Sceaux Alibert, fut l‘une des chevilles ouvrières de la mise en place du statut des juifs un mois plus tard.
Bien plus nous ne pouvons que nous interroger sur la prétendue découverte du caractère rétroactif de la loi en cause : en effet les lois des 17 juillet 1940 (pour les administrations publiques) et 16 août 1940 (pour l’exercice de la médecine) qui contenaient des dispositions similaires étaient toutes deux rétroactives et s’attaquaient aux droits acquis, cette dérogation au droit commun ne pouvait avoir échapper au juriste averti qu’était le bâtonnier Charpentier.
Il est à noter que Jacques Charpentier sera membre du comité budgétaire qui remplace sous Vichy l’ancienne commission du budget, il en démissionnera en novembre 1942.
Il commentera lui-même dans son livre de souvenirs cette nomination :
« J'étais aussi appelé à Vichy par les séances du Comité budgétaire. Le gouvernement, à l'instigation du très distingue Secrétaire général des Finances, M. Deroy, avait demandé au bâtonnier de participer, gratuitement bien entendu, aux travaux de cet organisme, appelé à remplacer l’ancienne Commission du Budget. Je ne crus pas devoir décliner cette offre ».
De même sera-t-il associé étroitement à la préparation de la loi du 26 juin 1941, répondant à certaine préoccupation de la profession s’agissant de l’organisation du présage et du monopole de la représentation et de la Plaidoirie devant les justices de paix…
On ne peut qu’abonder dans le sens de Robert Badinter lorsqu’il relève dans son ouvrage Un antisémitisme ordinaire que Xavier Vallat, grand ordonnateur de la législation antisémite, dès sa désignation comme Commissaire général aux Affaires Juives le 29 mars 1941, était en même temps toujours membre du Conseil de l’Ordre que présidait Jacques Charpentier. Or c’est Vallat qui était en charge de la préparation du deuxième statut des juifs qui sera promulgué par Vichy le 2 juin 1941.
Ce texte dans son article 4 disposait que les juifs ne pourraient exercer une profession libérale que « dans les limites et conditions fixées par décret ».
Le décret préparé par le même Vallat, fut ainsi promulgué le 16 juillet 1941 en Conseil des Ministres sous la triple signature de Pétain, Darlan et de Joseph Barthélémy : il limitait le nombre des avocats juifs à 2% des membres non juifs des barreaux dans chaque cour d’appel.
Aucune protestation publique ne sera faite, aucune motion ne sera prise alors par le Conseil de l’Ordre de Paris, Xavier Vallat prétendra, lors de son procès, qu’ayant soumis à ses collègues du Conseil de l’Ordre le principe du numerus clausus, aucun d’entre eux n’en avait discuté ni la légitimité ni le bien-fondé.
S’il est exact que Jacques Charpentier a tenté de faire présenter une liste supplémentaire de 14 confrères juifs anciens combattants et victimes de guerre avec l’accord de la Cour, il n’en demeure pas moins que son conseil, sous sa présidence entérina l’exclusion prononcée par la Cour de Paris de 217 de ses confrères parce que juifs.
C’est Jacques Charpentier lui-même qui apprendra à certains d’entre eux, enfermés à Drancy, la nouvelle de leur exclusion. Les témoignages divergent sur les circonstances de cette annonce : dans ses Mémoires publiées en 1949, le bâtonnier fait part de son émotion lors de sa visite à Drancy et de sa rencontre dramatique avec ses confrères internés dont Pierre Masse ; mais Yves Jouffa, Ancien Président de la Ligue des Droits de l’Homme et lui-même ancien interné, rapporte dans une lettre adressée en 1995 à Robert Badinter (citée dans son livre précité) la sécheresse d’une notification purement administrative dénuée de toute compassion.
Cependant, dès le début de l’Occupation le bâtonnier va donner des preuves d’un incontestable patriotisme. C’est ainsi qu’il organise le 1er octobre 1940 un hommage aux avocats morts pour la France, en salle haute de la Bibliothèque, alors que ce type de réunions est interdit par l’occupant.
Plus encore il va défendre face à Vichy et aux autorités allemandes ses confrères communistes Boitel, Hajje, Rolnikas et Pitard, arrêtés par la police française et livrés aux Allemands, en insistant sur leurs rôles et prérogatives de défenseurs de leurs clients.
Ils seront fusillés comme otages, leurs lettres d’adieu adressées à leur bâtonnier furent lues par celui-ci devant les membres du Conseil de l’Ordre assemblés et debout.
De même tente -t-il d’intercéder auprès du procureur général le 16 janvier 1941 en faveur de Léon-Maurice Nordmann, de René-Georges Etienne et d’Albert Naud lors de leur arrestation pour leur participation au réseau du Musée de l’Homme.
Il interviendra pour sauver Léon-Maurice Nordmann auprès des allemands alors que celui-ci vient d’être condamné à mort en janvier 1942, en vain puisqu’il sera fusillé au Mont-Valérien le 23 février suivant, après avoir adressé à son bâtonnier une poignante missive le remerciant.
Il convient de souligner ici que Jacques Charpentier en sa qualité de chef de son Ordre n’a pas failli dans des circonstances difficiles à sa mission d’organiser la défense des résistants traduits devant les juridictions d’exception créées par Vichy (Sections spéciales, tribunal d’Etat) ou devant les tribunaux militaires allemands.
Il rapporte dans ses mémoires comment il organisa les commissions d’office, refusant d’appliquer le décret-loi qui interdisait aux accusés de choisir leurs défenseurs :
« J 'ouvris donc des listes de volontaires, sur lesquelles vinrent s'inscrire des avocats de tous âges et de toutes situations, même des membres du conseil de l’Ordre. Par cet empressement, le barreau manifestait sa sollicitude pour les accusés et sa réprobation contre les poursuites dont ils étaient l'objet ».
La même préoccupation pour l’indépendance et la liberté de la défense va l’amener à rentre en conflit avec Vichy alors qu’il est en charge de la défense de Paul Raynaud devant la Cour de Riom. Il proteste directement auprès de Pétain, dénonçant le propos de juger les prétendus responsables de la défaite, Protestant contre la détention sans jugement de l’ancien Président du Conseil.
Il va d’ailleurs affronter le refus des autorités de Vichy de communiquer librement avec son client : il dépose des conclusions fortement argumentées devant la juridiction qui ne seront pas jointes au dossier. Dès novembre 1942, le bâtonnier Charpentier n’est plus autorisé à voir Paul Raynaud.
En réponse, le 10 novembre 1942, le Conseil de l’Ordre réaffirme la liberté de l’inculpé de communiquer librement avec son défenseur. Le Garde des sceaux Barthélémy lui répond le 23 novembre 1942 : « Vous m’avez écrit sur un ton que je ne me serai pas permis avec vous » (la lettre du bâtonnier Charpentier ne figure pas à son dossier mais une copie pelure de cette réponse du Garde des sceaux y figure).
Représentant l’institution ce n’est pas la première fois que Jacques Charpentier s’oppose à Vichy. Déjà au début 1941 il se trouve confronté à une demande d’affichage du portrait de Pétain dans la bibliothèque de l’Ordre ; le Conseil résiste, vote une protestation mais le portrait sera affiché. De même en est-il du projet de transformation du serment professionnel en serment politique, une délibération est votée s’y opposant en février 1941. Plus grave encore en décembre 1941 le Préfet de la Seine fait publier une affiche protestant contre les attentats commis par la Résistance contre les forces d’occupation ; il y fait figurer parmi d’autres la signature du bâtonnier sans en avoir obtenu l’autorisation. Celui-ci s’indigne et obtient le retrait de la signature.
Mais après le remplacement de Joseph Barthélémy par le Procureur Gabolde et sous l’influence de Laval, le conflit éclate à propos de l’affaire Jean-Charles Legrand. Celui-ci avocat radié, condamné pénalement, collaborationniste avéré, obtient d’être amnistié par Laval et Pétain, et prétend aussitôt à sa réinscription qui est refusée par le Conseil de l’Ordre le 3 mai 1943. Le 11 juin 1943 est promulguée une loi autorisant le gouvernement à remplacer les membres du Conseil de l’Ordre défaillants ou absents pendant la durée des hostilités : le propos est on ne peut plus clair...
Mobilisés par les membres du Front National des Juristes, dont le journal a publié sur trois numéros les détails de l’affaire Legrand, les membres du Barreau de Paris, dans l’assemblée générale des colonnes soutiennent leur conseil et leur bâtonnier. Jean-Charles Legrand renonce à sa demande. La rupture est désormais consommée. Recherché par la Gestapo, Jacques Charpentier plonge dans la clandestinité en septembre 1943, laissant au bâtonnier Etienne Carpentier le soin de diriger l’Ordre en son absence.
Jacques Charpentier participe activement au Front National des Juristes, organisation de résistance liée au Parti Communiste, créé sous l’impulsion de Joe Nordmann, avocat communiste, exclu du Barreau parce que juif. Le FNJ, qui regroupe des avocats, des magistrats de diverses sensibilités est présidé par Antoine de Chauveron, MCO proche de Charpentier. L’organisation publie le Palais libre et prend en charge diverses actions de solidarité. Il publie dans le journal des chroniques et des éditoriaux appelant à la résistance et dénonçant les violations des droits de l’Homme perpétrées par Vichy et l’occupant.
En 1944 est constitué le Comité National Judiciaire, fruit de la réunion du FNJ avec les avocats et magistrats issus de l’Organisation civile et militaire (non communistes). Le CNJ est coprésidé par Charpentier et le magistrat Mornet.
Parallèlement, le bâtonnier participe activement aux travaux du Comité Général d’Etudes où il travaille au côté de François de Menthon, Pierre- Henri Teitgen et de Paul Bastid à la mise en place des nouvelles institutions de la France libérée ; il est alors pressenti pour le Ministère de la Justice, offre qu’il déclinera, laissant la place au communiste Marcel Willard.
En août 1944 durant les combats de la Libération de Paris, il rejoint le Palais de Justice : le 25 août il est présent à l’Hôtel de Ville où il assiste avec Joe Nordmann à l’arrivée du Général de Gaulle.
Le 28 août il prononce un discours devant le Monument aux Morts dans la salle des Pas Perdus devant ses confrères, les magistrats et les représentants du Gouvernement Provisoire : il y exalte l’esprit de résistance du Barreau et son patriotisme, rend hommage aux fusillés de 1942 mais n’a pas un mot de regret sur les mesures anti-juives prises par Vichy et que l’Ordre a, bon gré mal gré, fini par appliquer sans protester ; c’est l’angle mort de son intervention, c’ est aussi dans l’esprit du temps.
Bien plus, ainsi que le relève très justement Yves Ozanam, loin de regretter la mise en place de cette législation discriminatoire et rétroactive, le conseil de l’Ordre et le bâtonnier demandent son maintien dans une délibération du 10 octobre 1944, en réclamant toutefois qu’elle ne porte pas atteinte aux droits acquis. Il ne s'agit pas du statut des juifs bien sûr (loi du 3 octobre 1940) mais de l'application de la loi du 10 septembre 1940 exigeant pour entrer au barreau de justifier de la nationalité française à titre originaire comme né(e) d'un père français, le Conseil de l'Ordre préservant les droits acquis et renonçant à la rétroactivité.
Mais on peut s'interroger sur la formule employée dans la délibération : quid du numerus clausus de 1941 ? Il parait inimaginable qu'à cette date on ait pensé le maintenir puisque l'égalité de droit avait été rétablie Fort heureusement le Gouvernement provisoire ne les écoutera pas : le 11 octobre 1944 il abroge les lois de Vichy, ce que le bâtonnier Charpentier déplorera dans une lettre au Garde des Sceaux, position qu’il défendra encore dans ses Mémoires en 1949…
1944 marque également la rupture avec les communistes et spécialement avec Joe Nordmann, directeur de cabinet du Ministre de la Justice.
Le bâtonnier proteste contre la législation d’exception mise en place par le Gouvernement Provisoire pour juger les collaborateurs, preuve qu’il est plus aisé de faire respecter les droits au procès équitable dans une démocratie retrouvée.
Il défend lui-même Pierre-Etienne Flandin, ancien ministre des affaires étrangères de Vichy qui sera condamné à cinq ans d’indignité nationale, de même obtient-il un résultat identique pour Henry Lemery, ancien ministre des colonies.
Mais le barreau ne pourra se soustraire aux mesures d’épuration. C’est donc sous son bâtonnat que sont radiés du barreau Pierre Laval et treize autres avocats pour faits de collaboration. Toutefois le bâtonnier s’opposera aux suspensions provisoires durant les poursuites disciplinaires demandées par le Parquet Général.
Couvert d’honneurs et d’éloges, symbole de la Résistance au Palais, le bâtonnier sera constamment réélu au Conseil jusqu’en 1972 : il est une personnalité du monde judiciaire. Il plaide pour Robert Lafont accusé de plagiat sur le Goncourt, puis défend l’un des putschistes d’Alger, le Général Jouhaud devant le Haut Tribunal Militaire après avoir défendu les accusés du procès de « barricades d’Alger ».
Elu Président de la société Henri Capitant et de la société de Législation Comparée, il échouera à se voir élu à l’Académie Française qui compte déjà parmi ses membres deux de ses prestigieux confrères, Maurice Garçon et Georges Izard.
Il décède en 1974.
Son rôle pendant la seconde guerre mondiale à la tête de l’Ordre a été remis en cause à partir de la publication de l’ouvrage de Robert Badinter. La délibération du Conseil de l’Ordre du 13 mai 1997 reconnaissant la responsabilité de l’Ordre des Avocats de Paris dans l’application de la législation antisémite de Vichy a permis d’aller au-delà de la figure tutélaire d’un bâtonnier qui fut certes résistant et patriote mais qui, dans ses écrits et dans son action comme chef de l’Ordre, accepta l’inacceptable exclusion de ses confrères au nom d’une législation raciste dont il approuvait au fond de lui-même (y compris après la guerre) le projet xénophobe.
Jean Paul Lévy
Chevalier de la légion d’honneur, 1928.
Commandeur de la légion d’honneur, 1946.
Croix d’officier de l’Ordre de Léopold, 1956.
Dossier administratif de Jacques Charpentier.
"le Bâtonnier Charpentier est rentré au palais", article du Parisien Libéré, 26 août 1944 (E.J.138).
« Le barreau de Paris a honoré ses morts », Combat, 29 août 1944.
Gazette du Palais, 19 août et 22 septembre 1944.
Jacques Charpentier, Au service de la Liberté, Fayard, 1949.
Nécrologie de Bernard Lasserre, Jacques Charpentier, 1975.
Robert Badinter, Un antisémitisme ordinaire, Vichy et les avocats juifs, 1940-1944, Fayard, 1997.
Liora Israël, Robes noires, années sombres : La Résistance dans les milieux judiciaires, Fayard, 2005.
Yves Ozanam, "De Vichy à la Résistance : le Bâtonnier Jacques Charpentier", Histoire de la justice, 2008/1 N° 18 | pages 153 à 169
"Le barreau de Paris pendant la Seconde Guerre mondiale (1940-1945)", Histoire de la justice 2019/1 (N° 29), pages 63 à 82