On dit que la première guerre mondiale portait en son sein les germes de la seconde, il est de même de ce site mémoriel 35-45 qui trouve son origine dans celui de 14/18.

C’est en écoutant énumérer, en novembre 2013, les noms de nos confrères disparus durant la 1ère guerre mondiale que m’est venue l’idée, à la veille de la commémoration du centenaire, qu’il serait important de savoir qui étaient ces hommes dont on égrenait les 232 noms depuis des décennies.

J’ai d’abord imaginé, comme il y avait à peu près 232 semaines entre août 14 et novembre 18, que l’on pourrait publier chaque semaine une notice biographique.

M’étant ouvert de ce projet à Aline Martinet et à Michèle Brault, elles m’ont dit immédiatement qu’elles étaient partantes, à ceci près que Michèle a précisé que l’on devait inclure dans ce projet la Directrice de la Documentation soit Frédérique Lubeigt qui immédiatement a dit d’une part qu’elle en était et d’autre part qu’il fallait travailler avec le musée de l’Ordre. C’est ainsi que Cindy Geraci nous a rejoint en expliquant qu’il fallait associer les Combattants du Palais ; Géraldine Berger Stenger a donc pris sa place dans notre équipe.

Nous étions 6 femmes pour nous occuper de 232 confrères, ce qui ne fut pas facile car nous avons rencontré une véritable résistance de certains esprits chagrins mais, presque en cachette, nous avons réussi à nous procurer les dossiers et on a commencé à mettre en œuvre ce projet qui entre-temps avait évolué puisque Cindy, à raison, nous a indiqué qu’il fallait se diriger vers la réalisation d’un site mémoriel.

Mais qui dit site mémoriel dit financement, heureusement après son élection, le Bâtonnier Sicard, féru d’histoire, nous a grandement aidé en nous allouant des fonds pour la conception et la réalisation du site et en nous ouvrant les dossiers des anciens combattants.

Bref, en novembre 2018 nous avions réalisé, Denis Chemla et Emmanuel de Romanovsky nous ayant rejoint depuis, les 232 notices biographiques des morts de 14-18.

Le but poursuivi était atteint ; derrière chaque nom il y avait un homme avec ses passions car nos confrères du siècle dernier ne sont pas si différents de nous ; ils avaient un double cursus universitaire, ils étaient bilingues mais en allemand, ils aimaient la musique, ils allaient au spectacle, ils écrivaient, ils lisaient, faisaient du vélo ou de la voile, ils ont aimé leurs enfants, ont laissé des parents dévastés et des épouses désemparées.

À la fin de ce travail nous n’avions qu’un regret ou plutôt deux, le premier de ne pas les avoir connu, le second de ne pas pouvoir continuer sur 39-45 tant, nous percevions alors de véritables réserves.

Heureusement à la fin de l’année dernière, dans le courant d’air de l’Arc de Triomphe, notre Bâtonnière nous a donné le feu vert en nous demandant d’ouvrir les dossiers, de rechercher et de publier ce qui fut fait avec une équipe enrichie de Jean-Paul Lévy, Marianne Falck, Agnès Schweitzer, Christian Roux ou encore récemment Michel Henry et bientôt Sabine du Granrut.

Au terme de ce travail, probablement dans le courant de l’année prochaine nous aurons ramené dans la mémoire du Barreau 100 confrères disparus dans cette effroyable tourmente. Nous en avons, en effet, trouvé 7 de plus que ceux figurant sur le Monument aux morts. Sur ces 100 morts, 7 ont été fusillés, 30 sont morts sur les différents champs de bataille, les 63 autres ont péri dans des camps de concentration ou d’extermination.

Mais je pense déjà à l’avenir, quand nous aurons fini de leur rendre vie que pourrons-nous encore faire ? Très sincèrement j’espère que celles et ceux qui dirigeront notre Ordre l’année prochaine ou dans les années qui viennent auront le même courage que celui de notre Bâtonnière et qu’ils nous permettront, en toute transparence, sans concession de regarder les destins de ceux qui ont survécu à la seconde guerre mondiale.

J’espère que nous pourrons, sans contrainte, publier sur la cinquantaine de collaborateurs et dénonciateurs qui ont dévoyé notre serment au premier rang duquel Pierre Laval mais également des plus obscures comme Juliette Goublet qui dénonçait ses clients juifs à la Gestapo.

J’espère que très sincèrement nous pourrons publiquement regretter que nos anciens aient pu élire au Conseil de l’Ordre Xavier Vallat, quelques semaines après qu’il eut insulté, à la tribune de la Chambre, Léon Blum au seul motif qu’il était juif.

Mais j’espère également que ces 50 collaborateurs ne gagneront pas et que leur souvenir ne rejettera pas dans l’ombre celui des 250 confrères résistants authentiques, soit 10 % de l’effectif du barreau de l’époque . Si 10 % de la population française était entré en résistance il n’y aurait pas eu 400 000 résistants mais bien 4 millions.

Il ne faudrait pas en effet qu’un Jean Montigny efface le sacrifice des Arrighi, Paul et Pierre, ce dernier étant mort à Mauthausen.

Il serait inacceptable que René Brunet pousse dans l’oubli Jean-Baptiste Biaggi affreusement torturé, qui s’est évadé, du train qui l’emportait vers Bergen Belsen.

Il serait insupportable que Gaston Bergery éclipse le Bâtonnier Bondoux, médaillé aux JO de 1936 à Berlin qui y est revenu, 9 ans plus tard, le 8 mai 1945, pour se tenir derrière le Maréchal de Lattre de Tassigny lors de la signature de la capitulation allemande.

Il serait inadmissible que le souvenir de Pierre d’Autremont prime sur celui de Jean Kréher du réseau Samson qui, jusqu’au bout, a tenu la main de son confrère Jean Séjournant agonisant dans le revier de Buchenwald.

De même, il serait injuste que l’on se souvienne plus de Pierre Cathala que de Pierre de Chauveron et Joe Nordmann, l’aristocrate de droite et le juif communiste œuvrant ensemble à la tête du réseau du Front National des Juristes

Enfin, il serait intolérable que Denise Dinten retienne plus notre attention que Germaine Sénéchal ou Roger Lafarge qui, avec un courage inouï, ont assuré la défense, devant les Sections Spéciales, sous l’œil de la Gestapo, d’hommes dont ils ne partageaient ni les idées, ni les convictions.

Tout doit être fait loyalement, dans la transparence, sur la collaboration qui a sali notre robe mais tout doit être fait également dans la même transparence pour ceux qui nous permettent aujourd’hui de la porter avec un petit peu de fierté.

Marie Alice Jourde, avocate, ancien Membre du Conseil de l'Ordre.

 

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